samedi, décembre 21, 2019

L'homme sans autre qualité - chapitre 27


 Son père se tenait sur la terrasse, en contrebas de la véranda. Steve pouvait le voir de dos, assis avec des amis, à travers l’une des croisées de la salle de sport, aménagée dans ce qui devait être un salon … Friedhelm se trouvait aussi sur la terrasse. Il lui a fait signe du reste. Steve ne s’est pas étonné outre mesure. Il faisait beau, le jardin, un boulevard au-delà du mur, le lac en contrebas. Tout était donc normal …

Steeve s’est réveillé trempé de sueur, au milieu de l’auréole moite que son corps a imprimée sur le drap. Il a donc transité, son double, Oméga, une scène de jeunesse. La sensation était toutefois différente, une sorte d’adéquation métaphysique entre lui et lui. Il ne connaissait pas de père à Steve, il ne lui savait pas cette jeunesse confortable. Il a reconnu le lieu, un vieux palace, récemment intégralement salopé par une rénovation intempestive, un investisseur qatari, quartier sous gare, Lausanne. Steeve s’est laissé glisser au bas du lit, le bourdonnement du silence autour de lui. Il est encore tôt. Il fait froid, une fenêtre ouverte quelque part, les bruits de la ville, douleurs dans les membres, sexe amorphe. Steeve jette un œil à son smartphone, deux-trois whatsapp, un appel manqué, numéro allemand. Un message dans sa boîte. « Friedhelm, à coup sûr », pense-t-il. Steeve a vaguement fait du ménage la veille. Il perçoit la rumeur d’une salle de restaurant, conversation littéraire, il lui faut prêter attention. On parle autoédition, diversité culturelle, tartes à la crème et bons sentiments. Et ça se souhaite « bon appétit », pourquoi pas « bon caca » ! Steeve a tout de même appris deux ou trois trucs aux cours  de ses « aventures ». Il suit encore d’une oreille distraite tout en se préparant un café « est-allemand ». « L’intelligentsia début XXIème » soupire-t-il. Il se pince le nez, souffle, manœuvre de Valsalva, la communication est coupée. Un nouveau jour d’une couleur ancienne, passée s’ouvre à lui. Il sent le souvenir de son rêve « transifitif » au creux de l’esprit, une viennoiserie sortie du four dont on croit encore deviner la chaleur dans l’estomac. Steeve se sent presque normal à lui-même. Un truc a merdé, c’est sûr, il en a été l’instrument et il a rattrapé le coup il ne sait trop comment. Il était parti en Oméga, il avait nidifié dans un scaphandre, il faisait corps avec lui jusqu’à ce qu’il ne change d’avis parce que son corps en Alpha, et qu’un corps n’est pas qu’un bout de viande !

Il va faire comme si … parce que ça fait du bien de se conformer à une routine, des actes qui s’enchaînent, qui s’emboîtent les uns dans les autres pour former une journée, une semaine, mois, années, etc., le tissage minutieux du temps avec ses grands motifs. L’expérience des fentes de Young, soit,  mais il faudrait pouvoir tracer la trajectoire des électrons et la croiser avec les trajectoires d’électrons bombardés à partir d’un axe perpendiculaire, former une trame, puis de la trame déduire le dessin. Steeve n’est pas physicien, ni philosophe. Il a ramené un bruit de fond à-quoi-bonniste de son séjour musilo-viennois et un voile mélancolique dans le regard à avoir joué les auteurs gazeux dans la bonne ville voisine. Il se traîne à la salle de bains où il découvre une cuvette de WC fendue et l’armoire à pharmacie manque lui écraser le pied en se décrochant du mur, finir en petit morceau sur le sol. L’Agence ou son avatar n’y sont pas allés de main morte. Il doit y avoir une brosse et une ramassoire dans le placard de la cuisine qu’il retrouve … en vrac. La pelle est bien là mais plus de brosse ?! « Va falloir se montrer créatif », mettre la main sur tout ce à quoi il n’a pas pensé, produit douche, déo, gel capillaire, slip, chaussettes, chargeur pour le smartphone. Steeve n’avait anticipé que la séquence « petit-déjeuner, café est-allemand ». Dans un autre placard, dans la chambre, il trouve quelques vêtements et, dans un sachet plastic, tous les menus accessoires de la vie quotidienne avec une carte, un mot «  Avec les compliments de Friedhelm ». Une fois habillé, Steeve a glissé dans sa poche le petit bristol comme un fétiche, la preuve qu’il n’est pas fou. Et, puisque tout semble être rentré dans l’ordre ou affecte de l’être, Steeve se dirige vers les bureaux de la société de surveillance qui lui fournissait une couverture, avant son départ pour Oméga.

lundi, décembre 09, 2019

L'homme sans autre qualité - chapitre 26


Ça a fait « plop » et il est rentré chez lui, le vaste appartement en vrac le long des voies, Lausanne, la bonne ville qui se donne des airs. Il a poussé du pied un tas de lettres – entre ce qui a été glissé sous la porte et le courrier monté là, de sa boîte. Il a claqué la porte et s’est jeté sur son canapé bavard. Le babil crépitant de mille histoires qui ne lui appartiennent pas. Il aimerait soupirer théâtralement et s’exclamer « Quel cauchemar ! » avant de sonner, qu’on apporte le thé. Il a dû choper ces manières dans la peau d’Ulrich. Il ne va pas même tenter de faire un saut dans la bonne ville voisine, voir si le mec gazeux existe pour de bon. Il faut qu’il mette la main sur des papiers, son portefeuille, carte d’identité, bancaire, de crédit … le petit château de cartes qui nous accompagne partout avec son équilibre instable. Il va finir philosophe new age des bacs à sable, avec sa photo dans les magazines et des plateaux télé. En attendant, il mangerait bien un truc, il n’ose imaginer l’état de la cuisine. En Oméga, quand il était Wesley, il avait une maid dans son loft de Süd Harlem. C’était le bon temps mais pas la bonne vie et il est bien dans sa peau mais pas dans le bon espace-temps. Tous ses beaux souvenirs mélancoliques sont en train de se faner parce qu’il n’a plus la foi, la niaque, l’enthousiasme de son jeune âge. Un bataillon de martiens a dû le déposer il y a cinq derrière sa porte et voilà le travail : un appartement dont on a retourné les tiroirs, bousculé les meubles, vidé de leur maigre contenu les armoires. Il y a même des scellés rompus sur la porte de sa chambre. On y a trouvé son cadavre ? Le coup du chat de Schrödinger ? Par bonheur, le légiste ? la marée-chaussée ? la fée Clochette a eu la bonne idée de virer tout ce qui était périssable dans la cuisine. Le frigo et le congélo sont même débranchés, nettoyés, portes ouvertes. Un téléphone sonne, un smartphone, quelque part, sur une table, Steeve manque se prendre les pieds dans une chaise renversée. Il décroche, « cher ami … » mais oui, biensûr, la crème de la crème de l’Agence, des services impériaux et du contre-espionnage : Friedhelm ! Steeve en pleurerait de joie, « … pas eu le temps pour le ménage … prochain rendez-vous … passé quelque chose … ligne de crédit illimité … on s’entend … » Steeve a raccroché, envie d’une clope, d’une bière, de mauvaise bouffe double-gras. Envie de se rappeler qu’il a une mère dans la banlieue Ouest, une petite amie dans le comas, une chambre pleine d’appareillage au CHU, les hauts de la ville, envie de rattraper les épisodes manqués et de trouver dare-dare une femme de ménage.

dimanche, décembre 01, 2019

Intervention au Congrès de l'UDC Vaud, Palézieux le 28 novembre



Mesdames, Messieurs, chère famille UDC,

Tout d’abord merci à M. Pilloud d’être venu à notre rencontre à l’occasion de notre congrès vaudois, merci à lui de nous apporter des arguments en faveur d’une pénalisation de la discrimination et de l’incitation à la haine en raison de l’orientation sexuelle. Je  remercie aussi M. Ziehli pour l’orientation légaliste de son argumentaire. Non pas que je craignais des propos homophobes, ce n’est pas le genre de notre parti. L’UDC est le parti de toutes les Suissesses et de tous les Suisses, que nous soyons de culture latine ou germanique, quelle que soit notre genre, notre confession religieuse, notre couleur de peau ou notre orientation sexuelle. Il suffit de regarder notre assemblée.

Si je retourne à l’argumentaire de M. Ziehli, j’entends bien l’aspect peu conventionnel sur le plan du droit que représente cette modification du code pénal, comme une sorte d’exception qui pourrait en appeler d’autres. Toutefois notre droit est suffisamment solide pour supporter ce type d’adjonction et je crois nos parlementaires suffisamment sages afin de ne pas lancer de nouvelles modifications du droit visant à la pénalisation de discriminations fantasques ou imaginaires. L’homophobie n’est pas un fantasme, c’est une réalité que le droit suisse ne reconnaît pas aujourd’hui. J’en ai été victime, au sein même de l’Etat de Vaud. Je suis un grand garçon, j’ai trouvé des aides adéquates et je me suis battu mais j’aurais aimé que cette loi qui nous est proposée ait déjà été une réalité. Je n’aurais pas eu à me défendre, le simple fait qu’une loi existe aurait vraisemblablement empêché toute discrimination à mon endroit du fait de mon orientation sexuelle.

De plus, notre famille UDC a aussi été à l’origine d’une bizarrerie, constitutionnelle en l’occurrence : l’interdiction de construire des minarets. Nos opposants avançaient l’argument que ce type d’interdiction n’avait pas sa place dans la Constitution, que les plans d’affectation communaux étaient bien largement suffisants mais le peuple nous a suivis, il avait compris qu’il ne s’agissait pas que d’une question de règlement de construction. Et, depuis, notre Constitution n’a pas été encombrée de nouvelles interdictions de construire, par exemple des étables, des églises évangélistes, des boucherie-charcuterie, des usines de moutarde en tubes, que sais-je. La modification du code pénal qui nous est proposée n’a pas moins de pertinence.

Parlons cash, l’homosexualité vous pose … problème, vous considérez l’acte sexuel entre deux personnes du même sexe comme immoral. Soit. C’est votre conviction, cela vous regarde. Je ne vais pas même chercher à vous convaincre que vous avez tort, ni Monsieur Pilloud du reste et la modification du code pénal dont il est question n’a pas pour but de vous faire changer d’avis. Sentez-vous libre mais n’oubliez pas que si vous soutenez l’initiative contre cette modification, initiative lancée par l’UDF, vous enverrez un message extrêmement dommageable à nos électrices lesbiennes et nos électeurs gay. L’UDC n’est pas l’UDF. Je le répète, nous sommes le parti de toutes les Suissesses et de tous les Suisses. J’aimerais bien que nous, l’UDC Vaud, témoignions de notre soutien à la pénalisation de la discrimination et de l’incitation à la haine en raison de l’orientation sexuelle parce que cette loi tombe sous le sens et parce que ce serait un témoignage de l’ouverture d’esprit dont nous sommes capables. Néanmoins, je serai déjà très satisfait si nous ne donnions aucune instruction de vote sur ce sujet. Ce ni pour, ni contre me rappelle le « don’t tell, don’t ask » - n’en parlez pas, ne le demandez pas - qui était appliqué dans l’armée américaine. Cette grande institution a ainsi évité de se priver du talent et du courage de soldates lesbiennes et de soldats gay, en échange les concernés ne témoignaient pas de leur orientation sexuelle. C’est toutefois du passé, aujourd’hui l’armée américaine reconnaît les mariages entre personne du même sexe.

 Ce soir, nous n’allons pas réviser l’article 261 bis du code pénal. L’UDC s’opposait du reste à   cet article définissant de manière biaisée la norme anti-raciste. Cet article sera vraisemblablement rediscuté un jour. Cependant, il pose un précédent protégeant les minorités sur leur origine, leur couleur de peau ou leur confession religieuse. Laissez les lesbiennes et les gays hors de cette norme crée une véritable discrimination. Je vous demanderai donc de rejeter l’initiative de l’UDF ou, au moins, de vous abstenir. Merci de votre attention.

Applaudissements. Le président sortant de l’UDC Vaud, Jacques Nicolet, glisse une petite remarque quant à la longueur de mon intervention. Pas de dérapage dans le reste du débat, une question d’Yvan Perrin – devenu simple membre de l’UDC Vaud même s’il reste citoyen neuchâtelois de la Côte-aux-Fées – Yvan Perrin donc pose une question par la bande à Romain Pilloud, (président des jeunes socialistes) puis le député Yvan Pahud propose que l’assemblée ne vote pas sur un mot d’ordre mais sur la liberté de vote sur le sujet, histoire de ménager tant l’aile conservatrice que l’aile progressiste et l’assistance d’accepter. Je nourris la vanité de croire que j’y suis pour quelque chose.