dimanche, janvier 28, 2007

Changement de ton


Il est tant de changer de registre … L’œil de Moscou, la petitesse moralisante de la Côte, Madame de S. et tutti quanti : cela m’ennuie considérablement. Je mets déjà bien assez de profondeur dans « Le Concile de pigeons », dans la correction de «La Dignité » et la fondation d’un parti pour que mon journal en ligne retrouve un petit genre un peu cabot qui n’est pas pour me déplaire. Je pense, du reste, qu’il s’agit là d’un trait de caractère auquel mes élèves goûtent fort. Ils savent qu’un bon mot, une répartie heureuse digne de Labiche ou d’une teinture moliéresque suffisent à me radoucir tout en leur donnant la réplique. Je peux bien affecter cette rondeur. J’ai remporté la victoire lors de la dernière bataille (quoique Moscou me promette toujours une reprise de la guerre) et de haute lutte ! Je peux bien occuper mon loisir, à présent, à brocarder l’administration moscovite, ses incohérences, sa pudibonderie. Le temps n’est plus à la tragédie, il ne l’a jamais vraiment été. Et pensez bien que, me sachant devenu fonctionnaire de l’instruction publique avec tout ce que cela sous-entend de pérennité dans l’emploi, d’assurance en tout genre, de prévoyance retraite, etc., je jouis dès lors d’une indicible assurance. Me voilà petit prébendé vaudois, membre du personnel cantonal et ce, vraisemblablement, jusqu’à ma retraite ! J’en hennirai presque de plaisir, rapport au cheval de Troie !
Je vis mon année jubilaire, il est donc hors de question que quelques broutilles événementielles ne viennent me la gâcher. Promis, un jour, je vous raconterai tout, tous les détails, je me livrerai pour l’édification de mon lectorat. Quoiqu’il en soit, il y a vingt de cela, j’ai fait le bon choix et, cette année, permettez que je joue au lettré de province, au « régent » un rien frondeur, à l’ « élite » intellectuelle locale. Sulfureux juste ce qu’il faut pour émoustiller les culs bénis. Pour ce qu’il reste de l’année, je vais nous broder de bien beaux souvenirs, des moments de choix et sans prétention. Je ne peux présumer de l’avenir : jusqu’en décembre prochain, je vais m’interdire de jouer les Cassandre. Je vous promets toutefois de charmantes anecdotes, le piquant de quelques flagrants délits de mauvaise fois administrative mais rien qui ne justifie cette mine « gênée » que les suppôts moscovites aiment à prendre lorsqu’ils émettent du bout des lèvres un ordre à peine voilé, le couvert du bon conseil … Ils usent alors de la périphrase et du détour syntaxique avant de conclure par un silence piteux.
Que du bonheur ! De toute manière, en cas de malheur, du fait de ma nature de catholique croyant, je ne risque que la vie éternelle à la droite du Très-Haut qui, auparavant, n’aura pas manqué de m’absoudre de mes nombreux péchés consécutivement au rachat que son fils en fit par le martyre de la croix. Bon, pour le vaudevillesque de la crucifixion, il faudra repasser … Voilà que l’heure tourne, il faut que j’aille me montrer et promener ma nouvelle quiétude guillerette sous un soleil admirable avant de m’adonner à quelques activités typiquement dominicales et « gaies ».

jeudi, janvier 25, 2007

L'appel du 24 janvier


Hier, simplement hier, pour faire mieux que Thomas Mann et mériter son respect… Le grand auteur vivait de sa plume, soit, et s’il n’en avait pas vécu, il aurait « rempli ses devoirs envers la société », un autre travail, de l’enseignement vraisemblablement. Il était fier que Golo, l’un de ses fils, ait embrassé cette carrière en sus d’activités littéraires (tout le monde écrivait chez les Mann).
Hier, encore hier, un ciel fragile, gris et tranchant, les transparences de la glace sur le bord de la chaussée, sur la main courante de la balustrade, l’esplanade au-dessus du square Benjamin Constant, l’étendue du lac, un début de couchant doré. Je sortais de l’antre de l’hydre, je revenais d’un entretien. Pour la clique moscovite, ce journal littéraire ainsi que le roman en ligne de « La Vie d’un jeune homme vaudois à la dérive » n’existent pas. On m’a même assuré que du côté de «Moscou », on n’était pas homophobe. Je n’étais pas seul dans cette confrontation, j’avais un guérilléro syndicaliste pour me conseiller : « Notre collègue ici présent qui désire poursuivre sa carrière dans l’enseignement … ». On parlait donc de moi ! On a parlé littérature aussi. Pas une ligne de ce que j’ai pu écrire et qui, d’une manière ou d’une autre, a été rendu public, pas une ligne donc n’a échappé à l’inquisition moscovite, à l’œil globuleux de la réaction paternaliste. On n’y a rien trouvé de répréhensible … Et me voilà enseignant ! Installé dans un système, inscrit dans une hiérarchie, reconnu – quoiqu’on en dise – en tant qu’homme de lettres. Avec le temps, la pugnacité, « je connais ce canton mieux que le fond de ma poche », j’ai l’impression d’exister enfin en terre vaudoise. Il a fallu faire le forcing et la croisade n’est pas terminée. Je n’ai pas l’impression de me trahir. Je n’ai plus cet horrible sentiment de salissure … Je ne subis plus ce pays, son mauvais goût, sa lourdeur ni son hypocrisie : nous sommes liés. Sang, histoire, citoyenneté, résidence … tout ce que vous voulez mais le pays de Vaud, Lausanne et moi sommes liés … de la même façon que l’on est attaché à sa famille (pour ne pas dire entravé). Mes valeurs libertaires, ma foi catholique, mon orientation sexuelle font aussi partie de ce pays, le façonne et l’enrichisse. Il n’est plus question de subir mais de partager.
Hier, je vous devais une nouvelle, un serrement. En ce jour de l’indépendance vaudoise, j’ai eu une pensée pour Frédéric-César de la Harpe, « le jacobin » comme on disait sur son passage au congrès de Vienne. Ce citoyen éclairé a su transformer la rage de l’humiliation personnelle en action politique concrète et, quoique l’on dise ou que l’on taise, il a amené la démocratie en Suisse et l’indépendance à ma terre vaudoise en 1798. Décrié, calomnié, paradoxalement admiré par la jeunesse estudiantine, Laharpe (il signait ainsi) a méticuleusement été négligé par l’histoire suisse. Trop dérangeant, unique et hors norme.
Hier, donc, je devais vous annoncer la création d’un parti politique, le parti de la Dignité. Ni à gauche, ni à droite mais dans l’action raisonnée. Je ne veux pas rester simple observateur d’une prochaine déroute des valeurs élémentaires de la démocratie et de la culture occidentale. Entre le populisme alléchant de tribuns de droite et le corporatisme de la grande caste de gauche, je n’ai entendu personne m’offrir un modèle de dignité. Je l’ai cherchée, j’ai cheminé sur bien des pistes avant de m’en faire une petite idée, j’ai successivement joué à plein de personnage avant de la gagner, la dignité …
Hier, je n’ai pensé à aucun programme politique, je n’ai pas de stratégie, encore, je ne sais concrètement pas comment se fonde un parti politique ! J’en ai parlé autour de moi … Mon éditeur est enthousiaste … Il ne s’agit pas de peindre le diable sur la muraille mais, ainsi que j’aime à le relever auprès de mes élèves, notre dignité ne se fonde pas sur un quelconque statut social mais sur notre sincérité à être. J'en appelle donc à tous les citoyens de bonne volonté.

samedi, janvier 20, 2007

Une petite porte


Cette après-midi, promenade au jardin botanique, les serres, puis le parc de l 'ancien BIT, le parc Barton, la Perle du Lac, ma Genève, celle d'il y a bien longtemps, du temps de Gregory. Ma Genève dans cet hiver paradoxal, sous des cieux plombés, la lumière rase pareille à celle d'une belle fin de journée estivale, et cette impression profonde, pleine et puissante de me répandre dans le paysage, le bitume du chemin, les arbres, les promeneurs, les flots calmes du petit lac. Sentiment de perméabilité et de légèreté, les sens lâchent du leste; la lecture de leur rapport précis devient floue, caduque ... Gregory me manque mais sans tristesse ... Je me suis dit qu'il faudrait toujours garder une petite porte dans son existence, une sortie discrète, le passage anodin vers "autre chose", vers des saisons irréelles, des pensées très simples et pures à la fois, des couchers fantastiques, des crépuscules urbains où il suffirait de s'assoupir deux minutes dans le tram pour partir, mine de rien, dans une autre histoire, un scénario épuré, et tant pis pour la redondance, une vie banale et savoureuse genre scène parisienne à la mode Truffaut ...

Et cette promenade, le parapluie comme une canne, impression de donner de l'exercice à ma "fibre lyrique", de la profondeur sensible à une vie - pour une fois - très routinière, réciter quelques vers de Lamartine au-dessus du lac, l'hygiène de l'auteur, la dignité de Thomas Mann, ah ! le modèle de toujours. Pour l'aspect récréatif, il y a le mythe eighties' quasi eschatologique, le néo-décadentisme mitterrandien, une autre manière de retenir le temps, de le nier ... En tout cas ne pas subir son écoulement continu et monotone. Quand j'avais 15 ans, attendant romantiquement qu'un imbécile de prince charmant ne manque me rouler dessus avec sa Roll's Corniche blanche, puisque ça ne venait pas, j'en ai conclu qu'il fallait créer l'événement ! Je ne pense pas avoir appliqué ce judicieux conseil jusqu'à présent. J'ai su négocier d'une manière plus ou moins performante ma place, la façon dont j'ai voix au chapitre. Provocation et maladresse, courage et sincérité, sensibilité et raison, paresse et arrivisme ? La pièce n'est de loin pas terminée et je vous promets, chers lecteurs et chers suppôts moscovites, un joli coup de théâtre au 24 janvier !

vendredi, janvier 19, 2007

Le bureau de Thomas Mann


Il est plus d'une heure du matin ... Je suis assis dans mon lit, observé par la bergère, dans le coin de la chambre. Je pense à Gregory, je crois qu'il me manque ... S'il était encore de ce monde, je l'appellerai ... J'ai le mal du pays, Berlin, mon "chez moi" d'élection. Cela fait trois mois que je n'y suis pas allé, et encore la pensée de Traumprinz. Cette après-midi, au collège de C., village vaudois où vécut une dame lettrée et nymphomane, en recevant sur un ton proto-militaire les instructions d'un supérieur hiérarchique, je me suis demandé s'il avait aussi une Traumprinzessin en tête, le mal d'une terre d'élection au coeur ? Je me suis demandé à quoi ressemblait son intériorité ? Il est vrai que la "hiérarchie" et moi, cela fait deux et je n'imagine jamais rien de spécial au sujet de ses représentants si ce n'est de quelle manière leur répondre en leur signifiant mon fond de conviction anarchiste ...

Il est largement plus d'une heure du matin et j'essaie de percevoir une voix, au fond, tout au fond; je n'entends rien. Il n'y a que des images, Barcelone, Zürich, des promenades, des détails quasi insignifiants et aussi présents que le regard de la bergère. Je dois faire quelque chose de ces miettes, les assembler, créer ... J'ai fini de taper "A Poil !", l'une des quatre parties de "La Dignité". Mon roman historique attendra un peu ... "Le Concile de pigeons" m'appelle, drôle de texte dans lequel je peux rendre les mille petits riens picorés à gauche, à droite, avec voracité, à la façon d'un pigeon et je me sens à nouveau "pris", comme l'une de ces bestioles dans un filet de protection des façades.

Il est deux heures, la bergère s'est assoupie, tous les objets s'endorment. A force, nous habitons d'une vie résiduelle tous ces serviteurs inertes. Nous leur donnons leur valeur, nous les honorons d'un souffle de vie qu'ils continuent à porter parfois bien après notre propre disparition. Thomas Mann, à travers l'exil et ses nombreux déménagements, a toujours recomposé le décor de son bureau, méticuleusement. Cela participait à son activité littéraire, à croire que ce sont ses meubles qui ont écrit son oeuvre.

lundi, janvier 15, 2007

Le Concile de pigeons


Et si nous ne vivions qu'une existence de pacotille, si nous ne nous agitions que dans un monde de faux-semblants, toujours au bord du précipice, à un cheveu du néant ... Que resterait-il de Bach et de Nietzsche, de Flaubert, de Mann, de nos convictions philosophiques si nous ne maîtrisions plus ni l'écrit, ni la musique, ni les technologies de la diffusion culturelle ... Nous régresserions jusqu'à l'abstraction des beaux-arts, je pense; la peinture ne serait plus qu'une succession de signes méconnaissables ... Notre faculté de conceptualisation nous permet actuellement d'admettre des schémas techniques extrêmement complexes dont nous ne comprenons effectivement que les tenants et les aboutissants. Appareils-photos numériques, baladeurs MP3, MP4 ou WMA, téléphone cellulaire, technologie WAP, ordinateur portable, lecteurs DVD et DVX : autant de miracles d'un univers d'abondance culturelle. Si pauvre et intellectuellement peu pourvu en soit l'utilisateur, ce dernier finit toujours par être touché d'une manière ou d'une autre par une oeuvre majeure, le serait-ce dans une forme dénaturée ... Et si cette technique quasi magique venait à nous manquer ... tout est imaginable ... Le support quel qu'il soit reste fragile : les papyrus se désagrègent, les parchemins brûlent, les livres se perdent, les manuscrits disparaissent, les toiles et les partitions aussi, la façon de jouer s'oublie, l'auto-combustion guettent les films et les microfilms, les photos délavent, les fichiers informatiques deviennent illisibles ... Nous ne pouvons tabler que sur la perpétuité de nos émotions, sur leur saveur exacte, sur ces ombres sensorielles de nos souvenirs ... Nous avons appris à encoder notre expérience personnelle par ce biais-là, afin de la retenir et y accéder gratuitement au hasard de son renouvellement. Voilà les débats dans lesquels m'entraînent mon "Concile de pigeons", le dernier texte sur lequel je travaille, plutôt le dernier texte qui m'absorbe au mépris de toute logique d'horaire ...

Dimanche, sortie de boîte ... matinale et, donc, lever tardif par une après-midi de soleil. Je savais que je n'arriverais pas à faire entrer dans les dernières heures du week-end tout ce que j'aurais aimé y mettre : fitness, messe, visite galante, une à deux pages aux "Pigeons" (ceux du concile), un billet dans ce journal en ligne ... J'ai profité de la fin de l'après-midi, une promenade de jour pour faire pendant à la promenade du matin, déambulation dans la ville jusqu'au parc Mont-Repos, l'option fitness reportée à aujourd'hui. J'ai bêtement essayé de fixer ces impressions fugaces : la qualité originale de la lumière, l'agitation de la volière, beaucoup de promeneurs, une ivresse "stendhalienne" qui me faisait focaliser sur tout et rien. J'ai pris des photos, essayant diverses options d'exposition, un nouveau téléphone portable, délicat gadget ... Puis retour vers le centre, des images de Marseille, de Brest et de Barcelone se surimprimant à tel ou tel détail; aller consulter les horaires des messes à la basilique de Notre Dame de l'Assomption. J'assisterai à une célébration en semaine, mardi 18h20, vraisemblablement ... Je suis allé nourrir les "Pigeons", trouver un café fréquentable, un coin de table, un peu de calme : Le Palace - évidemment !

Une tourterelle chante sur le balcon, je retrouve les senteurs résineuses du chemin de Prélionnaz, la petite épicerie, le soleil à travers les branchages et le chant des oiseaux ... Je ne trouve pas le lien logique entre le souvenir d'enfance, les mille perfectionnements technologiques qui m'assistent en captant, classant, recueillant, stimulant, embellissant mon travail d'auteur; je ne trouvent pas de lien logique entre le chant de la tourterelle, le sourire séducteur, l'étreinte et la conversation de quelques garçons de bonne compagnie au (notule à l'attention des suppôts moscovites : j'ai bien écrit "quelques garçons", je vous laisse imaginer le reste !). Logiquement, il n'y a guère de lien ... un enchaînement décousu de faits ... Prenons un peu de distance : cela tient d'une partition sensible, équilibrée, un chant, peut-être la matière même de mon écriture ?!

samedi, janvier 13, 2007

"Chez Germaine"


Le jubilé, j'allais oublier mon jubilé, ma naissance - la volontaire - il y a un peu moins de vingt ans. Tout me semblerait dit dans ces quelques mots : se souvenir, commémorer, inscrire et son geste, et son souffle, et son oeuvre dans le temps. Une fois évacuée la question vague du "pourquoi moi ?", pour le meilleur et pour le pire, après avoir endossé la responsabilité de sa propre vie (je suis particulièrement fier d'assumer les vingt dernières années), il ne reste plus que la tâche considérable de travailler au tricot du récit, à traquer le petit rien parlant ...

J'avais presqu'une demi-heure à tuer avant l'arrivée de mon train, en gare de Morges, sinistre gare, bonne petite ville à la réputation de laquelle j'ai travaillé dans mon roman "Appel d'air", New Versailles dans le texte ... Bref, je suis descendu en direction de la rue du Sablon, les nouveaux bâtiments, de grands locatifs élégants aux appartements aérés remplis de détails déco à la mode ... Pourtant, je sentais remonter des vieux pavés le parfum de mauvais alcool qu'exhalait la distillerie Salina, ses entrepôts moussus, le haut mur qui ceinturait sa cour, le jardin, la maison du propriétaire au milieu, les cris d'un coq idiot qui n'avait rien compris de son rôle : l'animal chantait à n'importe quelle heure du jour et de la nuit. J'ai coupé par la rue Saint-Louis puis remonté la rue des Charpentiers, le "gagatorium" (EMS) Nelty de Beausobre à ma gauche, une infirmière s'activait derrière une fenêtre du second. En face se dresse encore "La Concorde", une salle paroissiale multifonctionnelle du début du siècle passé, une bâtisse rescapée, dans son style zürichois lézardé, plantée au milieu de parkings de fortune, les trois pâtés de maisons adjacents sommairement démolis. On peut même encore y repérer des carrelages au sol : ci-gît une cuisine ... Puis deux pauvres saules tronqués de la moitié de leur branchage lors de la construction du passage sous-voie trop raide et que personne n'emprunte.

Il y a vingt de cela, les arbres ombrageaient la terrasse de "Chez Germaine", avec sa pension miteuse au-dessus, ses locataires improbables ... "Chez Germaine" était un bouge, un bistrot poisseux dont les cuisines n'étaient plus utilisables depuis fort longtemps. Des manoeuvres de passage logeaient là un trimestre. On les retrouvaient en fin de journée buvant du mauvais Côte du Rhône et dévorant d'opulents sandwich préparés par ... Germaine ? Il y avait aussi un vieux couple de lesbiennes alcooliques qui occupaient gratuitement une chambre des combles, Coco et ... je ne m'en souviens plus ... Une femme encore vive, d'une mise épouvantablement négligée. Coco ne disait jamais grand-chose. Je sais qu'elle ne pouvait plus jouer de l'accordéon à cause de son arthrite, elle avait du reste vendu et bu l'instrument. Les deux femmes semblaient, à leur manière, tenir salon.

"Chez Germaine" a aussi été rasé. Je revois à peu près la vieille façade beige salie d'une maison de trois étages en tout, je revois la porte d'entrée, large, dont la partie supérieure était garnie de culs-de-bouteilles sertis au plomb, un travail d'une très belle qualité, tout comme la ferronnerie de la marquise de la terrasse au-dessus de laquelle s'épanouissaient les deux saules. Je ne me souviens plus très bien du reste ... Mais si je ne vous en touche pas un mot, qui, demain, après-demain, se rappellera de Coco et de son amie, de "Chez Germaine", de l'ombre de ses saules ...

jeudi, janvier 11, 2007

Stars etc.


Je sors du cinéma, "L'incroyable destin d'Harold Krick", soirée avec Elodie, la smart qui faisait des siennes en-bas de chez moi, nous sommes restés trop longtemps à bavarder à propos de la mystique du verbe, cette petite conviction que je couve et qui me porte à croire que les mots sont bien plus puissants que ce qu'il n'y paraît. Dans le film, Harold se découvre le personnage d'un roman, sa vie commentée par la voix off d'une narratrice, omniscience d'un témoin immatériel ... Et le monde, son existence monotone, tout se trouve alors submergé de vie. L'art n'est pas étranger à cette "conversion".
A propos, comme on dit à la télévision allemande avec un accent français si joliment marqué, mon syndrome de Stendhal tend à prendre un aspect chronique; je finis la journée les yeux révulsés et la cervelle lessivée par la déferlante émotionnelles. En retour, j'émets une onde, une sorte de note muette et séduisante : dans les files d'attente, les magasins, au café, au fitness, on me cède le pas, on me fait des politesses. L'oeil de Moscou se mettrait à cligner dans ma direction que ça ne m'étonnerait même pas. Je pars officier à C., vous savez le joli patelin vaudois où vécut notre bonne Germaine, j'y vais donc dans ce surprenant état et en grand uniforme (cravate fleurie et chemise impeccable), deux ou trois petites idées derrière la tête quant à mon programme d'histoire et de français, faire profiter mes élèves de mon esprit de contradiction et de mon art consommé de la critique. Cela ne m'empêche pas de les faire mettre au garde à vous au début de chaque cours et de leur inculquer des principes de discipline élémentaire qui leur seront d'un grand secours dans leur lutte vers l'indépendance et la pleine maîtrise de leur vie. Je repars de là guilleret, un tas de copies sous le bras, comblé lorsque la plume de ces ados m'offre les mots que je n'aurais pas sus, des formules au flamboiement novateur, la mélodie indicible et connue de l'air du temps. Il m'arrive même - afin de planquer le manuscrit que je viens à peine de commencer - de sortir le sus-mentionné tas de copies pour faire diversion, ne pas susciter la curiosité dans les cafés où ça me prend : l'impérieux besoin de sortir une phrase. De plus, avec ce transit de flux magnétiques, on ne manque jamais de m'adresser la parole, échanger un mot ... Ah, le mystère, la mystique et la puissance du verbe !
Cette après-midi, donc, après m'être un peu assoupi dans le square Benjamin Constant, j'ai été pris d'un besoin qui n'avait pas grand chose de littéraire et suis entré au Segafredo, établissement que je ne fréquente jamais. Les cafés lausannois sont régulièrement honorés de la visite de "stars" locales. L'autre soir, au Grancy, à l'occasion d'un dîner avec des collègues, j'ai pu observer J.K. grimacer et s'agiter de la façon la plus voyante possible, des écouteurs dans les oreilles alors qu'il dînait seul. Quel cirque et quel poseur, il avait aussi l'air d'un petit garçon qui se donne un genre par timidité. Je ne l'ai pas reconnu de suite, sa tête me disait quelque chose... J'ai même craint de me trouver face à un amant très occasionnel dont je ne me rappellerais plus. Bref, cela m'a conforté dans la pratique discrète de mon art en public. Revenons au Segafredo où est apparu S.L. en compagnie d'une amie. Contrairement à J.K., S.L. porte le regard avec beaucoup d'humilité et rougit presque lorsque, dans le feu de la conversation, il s'aperçoit qu'il pourrait être entendu de la table voisine. Il se déplace avec discrétion, s'adresse avec sympathie au serveur. Loin des spots-light, sans costume ni paillettes, il est d'une tournure aimable. Il était étroitement serré dans une veste cintrée. Rien à voir avec la tenue tendance et un rien grotesque que portait J.K. au Grancy. Les deux garçons sont pareillement séduisants et gratifiés de succès dans leur carrière respective. Je dois dire que S.L. ne me laisse pas indifférent. J'ai donc sorti mon tas de copies, "Le Concile de pigeons" (mon manuscrit) en-dessous, y faire entrer un avatar de S.L. afin qu'il occupe confusément les pensées du personnage principal. J'ai à peine eu le temps de prendre un stylo rouge et un air très absorbé que S.L. et son amie passaient devant moi. Et, hop, un regard du tas de copies à moi au tas de copies et rien à voir avec un de ces regards que l'on traîne par hasard sur ce qui se présente à soi ... J'en ai suffisamment vu pour assurer au jumeau de S.L. une belle entrée dans mon "Concile de pigeons".

samedi, janvier 06, 2007

Le syndrome de Stendhal


Jacques trouve certains objets trop bavards, d’une humeur trop diserte … On peut se laisser aller à les aimer, les écouter puis s'en éloigner, sens critique oblige. Il faudra que je lui demande … que je lui parle de la complicité des choses, des accessoires de l’instant et du silence aux accords si profonds et puissants qu’il vous porte aux limites de la syncope. Et pas la moindre chose dont le babil pourrait vous distraire, vous arracher à l’hypnose dévorante de la « perfection » terrestre ; les guillemets ne sont là que pour signaler mon incrédulité … La tête entre les mains, appuyé contre la table de l’ordinateur, pas même les chiffres argentés d’une carte de crédit ne viennent rompre le charme … Peut-être la ficelle d’un sachet de tisane bio entortillée autour de l’anse de la tasse cochon, un cadeau de ma nièce pour Noël, mais non, l’accord est trop puissant, je me sens repris par de profondes secousses immobiles. La pensée d’avoir oublié un volume de poche des contes fantastiques de Maupassant, un peu plus tôt, à la salle de sport, même cet agacement de devoir retourner chercher l’objet ou sa perte définitive éveille à peine un demi-agacement. Je serai donc frappé du syndrome de Stendhal dans mes murs, parmi la banalité d’objets aimés, soit, mais ordinaires. Je me rappelle avoir trouvé la Joconde d’une facture médiocre et d’être resté froid lors de la visite du fort rouge de New Delhi. Je sais avoir des goûts très arrêtés, toutefois ce chez moi aux tapis exténués, aux plafonds lézardés, aux placards affaissés, je le connais, je sais tout du cannage du fauteuil de jardin, dans la cuisine, qui craque et se casse tant et si bien que j’ai préféré jeter un coussin dessus pour ne plus rien voir du carnage, je sais tout des serrures brisées du secrétaire en faux Tudor et d’un pied raccommodé du lit …
Le silence baisse d’un ton, c’est bon maintenant, je perçois faiblement l’arrivée d’une voiture, je me tourne et je crois reconnaître dans la lueur lointaine d’un réverbère le grand carrefour de la Vogéaz, à Morges. Je suis pris d’un léger haut-le-corps, je n’ai pas l’habitude d’être tout entier dans l’instant, d’une pièce et d’une seule, un peu comme disait l’autre sur sa montagne « Je suis l’Alpha et l’Omega ». Si je ferme les yeux, je peux exactement retrouver selon la même orientation géographique, des postures que j’ai eues de Morges à Berlin, de Barcelone à Paris, de Genève à Zürich et partout ailleurs où j’ai logé … Voilà qui dépasse – et de loin – la quatrième dimension et toutes les autres, les tours de passe-passe façon ubiquité et autre voyage temporel. Pourtant, je ne suis pas en train de lire du Aldous Huxley et je n’ai rien consommé d’illicite ni d’alcoolisé, et je ne prends plus d’anti-dépresseur ! Les suppôts moscovites vont encore en tirer d’étranges conclusions … L’évocation de cette clique ne produit qu’un clapotis … acratopège dans l’onde de ma pensée et de mon ressenti ; au mieux cela me fait penser au détachant éthéré qui ne détache rien, dont j’arrose régulièrement mes tapis zébrés. Vapeurs froides, acres et grasses : de quoi craindre les pires puanteurs. L’appréhension dissipée, il reste moins que l’amertume d’un agrume.

mercredi, janvier 03, 2007

Garçon, la suite !


En un mot comme en cent : et m ...
La moitié de mon précédent billet s'est envolé suite à une erreur de manipulation (de ma part). Je ne suis pas avare de ma plume; l'angoisse de la page blanche, je ne connais pas. Parfois la paresse de prendre la parole, de produire cette parole, de la tisser, la rebroder ... Une soie précieuse et commune, paradoxe ... un peu de moi, de mon souffle et d'autres choses. J'aurais pu écrire de gentils romans pour dames qui ne savent pas quoi faire l'après-midi, avec des héroïnes pseudo-historiques et des dialogues miteux. Cela aurait été mauvais, assurément, se serait vendu et aurait plu aux suppôts moscovites, rapport à l'oeil (de Moscou, voir les billets du 1er au 12 décembre). Je souhaitais du reste à ces braves gens une bonne et heureuse année 2007, certainement meilleure que 2006 s'ils continuent à me lire. Ils auront un peu de distraction au bureau. J'avais aussi une pensée pour ma tripotée de vacataires, mes "époux" successifs depuis ces trois dernières années (dont je ne citerai pas le nom par discrétion) et mes amants (dont je ne citerai pas le nom parce que ça serait trop long); j'avais une dédicace spéciale pour l'un d'entre eux à qui je proposais des taosts Hawaï (pain de mie, moutarde Thomy, jambon carré, fromage carré, ananas en boîte, cerise au milieu, vingt minutes au four) puis les douze coups de minuit sur la place de la cathédrale, la voir s'embraser de feux rougeoyants et finir le champagne en tête à tête. Le monsieur a dû être refroidi par le billet dans lequel je me disais marié à mon oeuvre ou par la composition du menu ...
J'ai passé Nouvel An avec Yohann, chez l'une de ses amies et je suis rentré vers deux heures, trottoirs mouillés, une nuit fraîche juste assez agréable pour rentrer d'un pas mesuré, la première promenade de l'année. J'ai exactement retrouvé cette atmosphère pleine, savoureuse et banale à la fois; quelque chose de très photogénique, un rien poétique, à peine inspiré comme si "la bonne vie" allait de soi. Il y a bientôt vingt ans, j'ai fait le choix de croire à cette vie-là. J'aurais pu céder au sordide et à la panique, j'avais ... le choix. J'aurais pu "bovaryser" ou "guibertiser" (voir le décadentisme d'Hervé Guibert). J’ai préféré le battement discret d’une horloge dans le séjour, le service aimable des établissements de qualité, « la bonne vie » donc, ses codes et ses clichés que je revisite depuis. J’ai par là-même fait le choix de l’autofiction. Au fil de ma plume, j’ai appris à donner le change, à être riche de ma dignité et d’une certaine adresse, j’ai appris l’élégance dans la durée au mépris de la mode et des agités … Je vais vous épargner le laïus de la lutte contre les forces du néant, de la création artistique comme planche de salut, etc. Et pourtant … Je peux vous raconter un crépuscule venteux, des cieux d’or et de colère, le parfum de Christine resté accroché aux coussins du canapé, un photophore décoré de dentelle, le verbe cinglant et chantourné de Charles-Albert Cingria, le ruban luisant du bitume détrempé sous un horizon bas, la route qui vous appelle et commence juste en bas, la porte de service sur la rue Recordon. 3 janvier et envie de courir à travers l’année, à la recherche de Dieu sait quoi, à collectionner des riens et toujours l’espoir de rencontrer le bon, le « prince charmant », un billet de loterie gagnant … De l’appétit en tout cas, allez, « Garçon, la suite ! »