mardi, novembre 19, 2019

L'homme sans autre qualité - chapitre 25


Objectivement, ça ne se mesure pas. Pas de test pour ce genre de choses, par d’échelle, de tabelles après l’emploi d’un révélateur x, y ou z. Je pourrais dire « qu’il ne va pas bien », « qu’il reste allongé, abandonné à de sombres rêveries », « en proie à de sourdes craintes un petit chien contre lui » mais ce « lui », c’est moi, le type qui a vécu de drôles de choses, l’auteur qui sait que ce qui ressemble à un délire va bien au-delà de la simple fantaisie. Par moment, ça colle bien, tout a l’air normal, pour trente secondes, une minute puis ça se met à cloquer et je dois me battre pour ne pas passer à la troisième personne du singulier. Je suis ballotté au gré de petits mouvements intérieurs crainte-ennui-crainte-amorce de terreur-crainte-ennui-paix-ennui-etc. Cette nui, je suis retourné « de l’autre côté », je ne sais pas s’il s’agissait d’un transit ou d’une « simple » possession. J’étais membre d’une famille recomposée, un immense appartement, à la campagne, un rez avec jardin. Je suis un adolescent de 13-14 ans accueilli par cette famille, très à l’aise. Ils ont une fille qui vit avec son ami dans une sorte de studio attenant, il y a les jumelles métisses qui ont leur chambre et moi, qui occupe une chambre avec sa propre salle de bain, de l’autre côté, vue sur le lac mais je trouve la campagne bien plus belle. Mes « parents » occupent la chambre la moins confortable, au bout d’un couloir, murs violets ou cerise et de grandes taches d’humidité. Je suis choqué qu’ils soient si mal logés ; ils semblent touchés et répondent que la chambre est saine toutefois. Je n’y vois rien de métaphysique ou allégorique. La géographie de cette campagne m’était inconnue, l’espoir qu’Oméga existe encore/à nouveau ? On est dans un schéma quantique, d’où les choix x/y et non x et y ou x ou y. Je suis face à un catalogue de possibles indifférenciés. J’étais bien dans ce rêve, en totale adéquation avec mon personnage et, surtout, le bonheur de cette campagne ; le chien d’un voisin est même venu me lécher la main. Je pouvais ressentir le paysage, le vivre, le goûter bien mieux que ma réalité présente qui se dérobe en saynètes grotesques et délavées, dans une répétition dénuée de sens. On va dire que j’ai accepté une mission, d’un genre particulier. Sous couvert de divertissement – un roman uchronique fantasque – je dois raconter Oméga afin de préparer sa révélation … son dévoilement. Si je mène bien bravement ma mission avec succès, j’aurai le droit de retourner dans ma vie, celle de mon personnage en l’occurrence.

Je me souviens clairement des paroles de l’autre bellâtre déguisé en intello de gauche avec quelques envies de faire carrière derrière la tête. C’était une conférence pédagogique au cours de laquelle était discuté le programme d’un support de cours. J’ai dû avancer un truc du genre « l’interprétation de l’histoire est une question de point de vue … » et l’autre nouille de se rengorger parce que mon propos était dénué de pédigrée, qu’il n’y avait du reste pas assez de références dans le support de cours en question, le chapitre évoqué, certainement un texte de mon cru. Point de salut hors la note de bas de page ! J’eusse dû lui gerber dessus, pratiquement, lui rendre physiquement la monnaie de sa pièce virtuelle. Impossible de lui dire « écoute, Dugenou, je viens d’une autre possibilité, j’ai testé grandeur nature la notion de point de vue et vous, là, en Alpha, avec vos petites disputes mesquines et vos courtes visées (je n’ai pas dit p’tites bites), vous êtes coincés dans l’interprétation la plus merdique que vous puissiez faire de la situation ». Non, vraiment, impossible.

dimanche, novembre 17, 2019

La servante écarlate

Elisabeth Moss alias June

Depuis combien de temps ne s’est-on plus parlé ? vraiment parlé ? Ça doit remonter aux Clochetons, mon vieil appartement, la vue sur le lac, l’été étouffant, les murs jaunis mais cette flamme, ce quelque chose que j’avais avec toi, mon lecteur … Je ne sais plus exactement depuis combien de temps nous nous rencontrons sur ce blog, sur le monde de Frevall. C’était hier, avant-hier mais si je fixe mon reflet, je ne suis pas sûr de me reconnaître. J’en ai partagé des crises avec toi. La fin de mon histoire viennoise, mon cauchemar dans le bled d’homophobes chez Mme de S., etc. Des joies aussi. Je ne sais pas pourquoi j’ai cessé de te parler ? Je ne voulais pas t’embarrasser, entre la gêne et l’orgueil. Et pour te dire quoi ? Le doute, la fatigue, l’usure, l’ennui et les ors passés de la jeunesse ! Des regrets peut-être, aussi, et le mal-être, comme une tache de beurre sur le pantalon, bien imprégnée, une auréole plus large à chaque tentative de nettoyage. Et tu vas encore t’inquiéter, et je devrais te rassurer … On se connaît depuis assez longtemps pour que je t’avoue que je me suis déjà senti mieux.

Dans le même registre, je n’arrive plus à te parler avec autant de franchise de ce qui me touche, vraiment. Cela fait plus d’une année que j’ai commencé à visionner la série « La servante écarlate », une production Hulu, le site de vidéo à la demande, dans un genre Netflix hybridé avec « Bad Robot », la société de production de Fringe, Person of interest, Westworld, etc. Bref, du lourd, du divertissement pour la forme et des questions fondamentales dans le fond. Le pitch se résume en quelques mots : dans un proche avenir, les Etats-Unis, frappés comme tous les pays de l’hémisphère nord d’une chute de la natalité, basculent dans la guerre civile et la mise-en-place d’un nouvel ordre basé sur une interprétation rigoriste et dictatoriale de la bible. Les femmes fécondes dont on juge les mœurs discutables sont réduites à l’état de servante, méticuleusement violée de manière rituelle par des commandants alors que leurs épouses, sur le lit conjugal, maintiennent les bras des servantes. Ces Messieurs peuvent besogner leur servante cravaté et le pantalon juste entrouvert. On est au niveau zéro de l’érotisme.

Sur trois saisons, bientôt une quatrième, on suit June, une servante, au prise avec le système, le désir de vivre, tout de même, en dépit du fait qu’elle est séparée de son mari qui a réussi à fuir et qu’elle est aussi séparée de sa fille, placée dans une autre famille. Rajoutons à ce système que les femmes ont l’interdiction de lire et de travailler en dehors de leur foyer. Le viol rituel est issu d’une scène biblique, Sarah donnant sa servante égyptienne Agar à son époux, Abraham, afin qu’il connaisse la joie d’une descendance. « … et elle enfanta sur ses genoux ». Toute la folie sectaire des évangélistes et leur peu de jugeote dans l’interprétation des textes de l’Ancien Testament !

Ce monde n’est pas si éloigné et nous sommes tous des servantes écarlates, quel que soit notre sexe. Dans un tel système, le « violeur » n’est pas moins abusé que sa « victime ». Et si le commandant n’honore pas son esclave sexuelle durant sa période de fécondité, il s’expose à une condamnation. Je ne vais pas refaire ici tout le scénario mais les auteurs ont habilement liés intégrisme évangéliste, intégrisme écologiste et morale patriarcale afin d’imaginer cette société hyper fliquée, hiérarchisée et persuadée non seulement d’être dans le juste mais de détenir la SAINTETÉ.

Je n’étais déjà pas au mieux avec moi-même quand j’ai commencé à regarder cette série, je crains que les trois saisons n’aient pas contribué à une amélioration quelconque. L’ombre du dictat de la bienpensance couvre déjà nos écrits, nos pensées, nos échanges et la presse. Un effroyable rouleau-compresseur « bienveillant » venu aplatir toutes nos différences est déjà en train de nous broyer les jambes et nous n’aurions pas même le droit de hurler – ça n’entre pas dans les schémas de la communication non-violente. Je viens de terminer le dernier épisode de la saison 3, je ne peux, mon lecteur, que t’enjoindre de visionner à ton tour cette série. Je n’ai pas les mots pour t’expliquer l’urgence et la nécessité à prendre conscience du danger qui rôde. Tu trouveras donc, pour ton édification, les trois saisons en question sur un célèbre site de streaming basé dans les îles Tonga ( .to)

dimanche, novembre 10, 2019

L'homme sans autre qualité - Chapitre 24


Je me résume. Selon la formule consacrée, je résume pour moi-même la situation, ce qui m’y a mené et, à la fois, comme Yahvé faisant « tsim-tsum », je me rétracte en moi-même pour laisser de la place à cette vie. Donc, tout  a commencé il y a très longtemps, dans mon enfance, durant les nuits de laquelle j’ai beaucoup rêvé. Fantasmagories ou monde parallèle, mystère. Il est juste arrivé un instant T à la suite duquel le papier peint a décollé et j’ai vécu dix-quinze ans dans le texte que j’ai écrit, la vie de mes personnages, une vie selon mes sensations et mon souvenir pas moins vraie que mon existence actuelle. S’il s’agissait d’un délire à caractère schizoïde, j’aurais vraisemblablement « atterri » dans une jolie petite chambre capitonnée, une clinique au fond d’un parc et un traitement fait de cachets rigolos. Je vais partir de l’idée que tout est vrai. Je vais donc aussi disqualifier l’explication façon « Lost », à savoir je suis mort mais ai recréé avec quelques autres une réalité tout aussi vraie que celle que nous connaissions de notre vivant. Je rejette aussi l’explication façon « Vanilla Sky » même si, çà et là, j’ai l’impression qu’il y a un accroc dans la moquette, un truc qui ne colle pas. Je me rêverais une vie idéale plutôt merdique, ça n’a pas de sens. Au chapitre des « déjà vu », il y aurait l’explication en mode Matrix ou allégorie de la caverne de Platon : là-bas se trouvait la vraie vie, ici n’est qu’un théâtre d’ombres chinoises. Il y a encore la théorie des cordes, on se rapproche du vraisemblable. J’ai donc, durant une légère absence, été un menuisier-flic-raté-agent-de-sécurité, une sorte d’agent triple bidimensionnel baladé entre l’Empire, l’Agence et la Résistance. J’ai aussi été enseignant transfuge dans la peau de mon double et un demi-malfrat ici bas. J’ai, clou du clou, été un jeune homme noir de 25 ans de l’autre côté avant que je ne décide de revenir. Il y a encore la « parenthèse » de l’homme de quarante ans qui se retrouve dans la peau d’un danseur de 17 ans ! Je mets de côté cet épisode, c’est une bizarrerie que l’on dira connexe. « Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? » comme le disait le mec de la publicité pour la super-glue collé au plafond. Je ne suis absolument pas en état de reprendre le fil de cette vie … ma vie. Se réveiller, se lever, se préparer, prendre des transports, pratiquer une activité lucrative à caractère pédagogique parmi … des collègues pour qui l’Histoire appartient à des débiles de spécialistes, des crétins qui se laissent berner par les sources, des preuves bidouillées et orientées par les vainqueurs, quelle que soit la guerre. En gros, il faut avoir le droit d’avoir une opinion. Quelle vie dénuée de sens, en dépit de la sincère affection que je peux porter aux proches que j’ai retrouvés.

lundi, novembre 04, 2019

Des nouvelles de "Credo"


Reculer pour mieux sauter …  De la déception ? non. De l’impatience assurément. Il était prévu que « Credo » sorte en novembre, il sortira à la rentrée de janvier, chez l’Age d’Homme comme prévu. Pas d’inquiétude, donc. Ce report, un supplément de temps pour garder encore un peu ce texte auprès de moi. Je ne vais pas vous faire le coup du « je ne me suis jamais tant livré », il s’agit toujours d’un essai à caractère autofictif, mise-en-scène et réagencement à la clef. Toutefois, j’y suis peut-être plus … cash. Je me disais, hop, ça sort en novembre, un entrefilet par-ci, une demi-interview par-là, un peu de curiosité, la considération de mes pairs et l’affaire sera vite classée avec le tohu-bohu des fêtes de fin d’année. Satisfait sans trop se mouiller. En janvier, ça risque de mieux se voir. Avoir des lecteurs, soit, susciter la curiosité, des questions, y répondre, voilà une autre affaire.

Dans « Credo », tout y passe, la politique, les convictions, les rancœurs, les obédiences, deux ou trois griefs. Avec le temps et l’âge, on accumule : souvenirs, kilos en trop, contradictions, compromissions, casseroles, regrets. Ecrire soulage et allège. Ça ne fait pas maigrir mais ça permet de montrer qu’on a compris que la prise de masse est dans l’ordre des choses. On ne va pas s’astreindre à des régimes forcément promis à l’échec sur la durée comme certains auteurs à bonne gueule que la jeunesse fuit insensiblement et qui tentent désespérément de la retenir par le brushing et le contrôle alimentaire. C’est grotesque, surtout lorsque l’intéressé vous la joue « rebelle ». Remarquez, j’ai autant d’aversion pour les repentants qui confessent une jeunesse ceci ou cela en bavant sur leur famille au passage. Tous les auteurs se remboursent au passage, avec plus ou moins d’habileté mais de là à se justifier, le petit genre psy-psy-beurk d’un dossier d’instruction judicaire. Laissez-moi vomir.

« Credo » n’est pas tendre ; néanmoins, il n’est ni revanchard ni gratuit. Vous connaissez mon amour de l’état des lieux, « rendre sur le vif », témoigner des moindres choses et donner du sens. Je n’ai pas envie d’en débattre, me faire salir ma version par des peigne-culs ou des pisse-froids. A la relecture, j’ai eu quelques vapeurs, j’ai même hésité à sabrer ceci ou cela, ne pas passer pour un vieux con. Et puis non, mes critiques ne sont pas gratuites, elles ne tiennent pas de la provocation « pour faire genre »  à caractère picaresque. Ce qui est écrit, est écrit, plus moyen de me couper la parole ou de kidnapper mon opinion dans un débat contradictoire au cours duquel des jobards me prouveront A + B au carré à quel point ce que je pense est tendancieux parce que je ne suis pas sociologue, machin-chouetteologue ès pédanterie bienpensante. Il y a de la gloriole aussi. J’ai mis un point d’honneur à être moi à chaque mot de ce texte, moi en légèrement augmenté pour bien tout couvrir le champ. Un regret peut-être, je n’ai pas assez parlé des toc-tocs, des fêlés, des cabossés, des tordus et de ceux dont on ne veut pas parce qu’ils ne font pas partie des « bonnes » victimes.