On ne
s’était plus parlé depuis quelque temps, mis à part via « L’homme sans
autre qualité ». J’ai un peu perdu l’habitude de t’interpeler comme ça, comme un vieux copain, on
mettra ça sur le compte de l’âge, ou de la pudeur, ou de la fatigue, cette
raideur qu’elle imprime dans les membres et la pensée. Bref.
Je sors du
visionnement de la mini série « The new pope », la suite de
« The young pope ». Le récit débute là où il en était resté au
dernier épisode de la saison précédente. Pie XIII (Jude Law) est dans le coma,
il lui faut un successeur, ce sera François II, chantre de la pauvreté forcenée
et de l’accueil de l’autre jusqu’au coupable oubli de soi. Ce nouveau pape
meurt aussi rapidement que Jean-Paul Ier en son temps et lui succède, après
quelques atermoiements, Jean-Paul III (John Malkovich), souverain pontife
fragile, pusillanime, héroïnomane et mélancolique, Rajoutez à cela une touche
de chic anglais décadent punk et vous obtenez un personnage aux dialogues
savoureux et à la psychologie complexe. On retrouve tout le savoir faire de
Paolo Sorrentino, une photographie soignée, une mise-en-scène toujours à la
limite du surréalisme, une BO qui donne envie de bouger, des costumes, des
décors, une direction d’acteur, le tout impeccable. Carton plein !
Je ne vais
pas m’étendre sur les mérites évidents de cette production. Je ne suis pas
assez documenté. Pour faire simple, on retrouve l’esthétique et la narration
extatique de La grande bellezza,
mâtinés d’almodovarisme. Sorrentino eût pu donner dans le « où cours-je,
où vais-je, dans quel état j’erre ? » version catholo-vaticane. Il va
bien plus loin. Soit, l’Eglise est un Etat, une organisation aussi beurk que
tous les Etats et les organisations du monde entier mais Notre très Sainte Mère
l’Eglise catholique romaine et apostolique a quelque chose de plus, d’autre et
de merveilleux à nous offrir : une vérité mystique ! Ce merveilleux
cadeau n’efface pas les manquements, les abus, et blablabla mais transcende
tout cela.
Je suis
persuadé que « The new pope » parle à chacun. Le diocèse, ma paroisse
sont touchés par … une épreuve ? un scandale ? une histoire
légèrement pouerk. Prenez un bon curé, son goût de la bonne chair, sa
jovialité, son filleul, des week-ends de ski au chalet, un prélat naïf et/ou
maladroit, de la presse à l’affût et, oui, il s’est passé un truc, comment
communiquer sur le « truc », la justice se met en marche et, en attendant,
du côté de Morges, on reste dubitatif et silencieux les yeux baissés sur
l’affreux carrelage de pizzeria de notre bonne église Saint-François-de-Sales.
« The
new pope » pose avec un certain baroque les mots que chaque fidèle attend
depuis, oh ! depuis toujours. La compromission politique n’interdit pas
une parole libératrice. Au dernier épisode, lors de son allocution publique, avant
la prière dominicale de l’Angélus, depuis la place Saint-Pierre, le pape
Jean-Paul III se lance dans une formidable exhortation aux oubliés, aux
rejetés, aux mal-aimés, aux négligés, aux humiliés, qu’ils viennent se joindre
à lui car l’Eglise a besoin d’eux. John Malkovich a certainement joué là la
meilleure réplique de sa carrière. Peu avant, Jude Law alias Pie XIII, dans
toute la majesté obsolète pontificale, juché sur un trône à porteurs, paré de
lourdes étoffes cramoisies rebrodées d’or et de pierreries, encadré par les
éventails en plumes d’autruches de la tradition pré-vatican II, le pape émérite
Pie XIII, donc, adressait une harangue au collège des cardinaux, ou comment
être plus intelligent que l’ennemi – le plus dangereux, celui qui est en nous –
il nous déroulait le plan de bataille que l’on aimerait connaître à l’Eglise.
L’espace d’une
mini-série, j’ai oublié certaines petitesses de l’organisation ecclésiastique
catholique-romaine, des mesquineries de sacristie, le carrelage de pizzeria de
Saint-François-de-Sales, la maladresse d’un prélat et les écarts d’un bon
prêtre. Si j’étais évêque à la place de notre évêque, je m’économiserai bien
des paroles malheureuses et j’organiserai des projections publiques de « The
new pope » dans tout le diocèse.