samedi, septembre 26, 2015

"L'homme sans qualité" de Robert Musil, tome 1

 
Près de neuf cents pages, détail anecdotique, peut-être un peu moins de huit cents finalement, je n’ai pas le volume sous la main. Parmi cette masse, on ne trouve que quelques pseudos-intrigues amoureuses et le récit d’un projet sans fond, une coquille vide, la « grande action nationale » en vue du jubilé de l’empereur. Musil commence la publication de ce roman en 1930, le début de la rédaction ne doit pas remonter à plus de dix ans, le moment exact est sans importance, il suffit de retenir que le texte date de l’entre-deux guerres, d’avant l’accession du chancelier Hitler au pouvoir. En ces temps-là, le grand Thomas avait publié l’incomplète « Montagne magique » et reçu le Nobel de littérature. Pour poursuivre la comparaison, Musil fait très vite comprendre à son lecteur qu’il ne doit pas s’attendre à une narration linéaire, avec un début, une fin, des personnages bien campés, une quête intérieure et morale finale à la clef. Que pouick. Musil est bien plus moderne et radical, quoique dans un genre plus éduqué que Thomas Bernhard un bon quart de siècle plus tard. Ce dernier partage avec Musil une analyse froide de la société autrichienne.
 
Mais que nous apprend l’insaisissable Robert Musil ? un être mi ceci, mi cela, entre le lard et le cochon, que l’on peut supposer gay, à bon droit, mais se défilant, pareil pour l’orientation politique, de gauche mais pas déclaré, suspicieux face aux idéologies triomphantes et plus attaché à la demi-mesure des possibles k und k d’un État ancien et universel. Notre Robert s’est projeté dans un avatar flatteur, Ulrich, un indécis de trente ans, athlétique, séduisant, ni romantique ni Don Juan, platement hédoniste dans un monde en sursis, une époque sur le fil. Entre sa belle cousine idéaliste et snob, sa maîtresse nymphomane, l’une de ses amies hystériques et quelques autres figures féminines guère plus équilibrées, il laisse venir, sans à priori, avec une curiosité de scientifique. Ces femmes tiennent presque le rôle d’allégorie des tendances du peuple, de ses aspirations, ses espoirs et Ulrich représenterait le  principe de raison. Musil ou la métaphore d’une catastrophe annoncée et je ne pense pas à la première guerre mondiale, une guerre de blocs qui s’est terminée en guerre anti-allemande, la honte sera pour les alliés.
 
Il y a bien l’élégance d’un temps de gens éduqués, ce petit plus qui permettait de supporter l’attente et le vertige de la vacuité, de la médiocrité, un temps qui, pour la première fois, reconnut du « génie » à un cheval de course. Imaginez que vous glissiez dans le sommeil, un sentiment approchant mais, plutôt que le sommeil, vous ne trouveriez qu’une insomnie hypnotique.

vendredi, septembre 11, 2015

Le Livre sur les Quais, 6ème édition

6ème édition du Livre sur les quais, 3ème pour moi, toujours autant de moments dont il faut se souvenir. Retrouver – pour de vrai – « les potes » : Yvan, Florian, André, Max, Christophe ou Jean-François, pendant, après ou entre deux verres, échanger des propos gaillards parce que la littérature ne s’écrit pas dans les monastères même si vous tenez des propos très corrects au fil de vos pages. A faire commerce avec ses pairs, on apprend à connaître son œuvre, à déterminer ses attentes. Je ne suis pas un « vendeur », rien de pire selon moi que ces auteurs qui bondissent à la face du badaud comme des pantins hors de leur boîte, ce me semble terrible de vendre un livre comme du poireau à la criée. Tant mieux pour l’éditeur … Je me sais (un peu) lu même si je n’ai, je crois, jamais eu les honneurs d’une vitrine. Je n’existe même pas dans les rayons de la bonne librairie de la place. Non, je ne suis pas allé vérifier expressément, je me suis cherché il y a une heure à peine, alors que j’étais passé acheter le second volume de « L’Homme sans qualité » et terminer la lecture des trois dernières pages du tome 1, que j’ai oublié à Vevey dans l’un ou l’autre des établissements où je « prêche ». Je suis donc sorti avec un nouveau pavé de plus de 1200 pages sur l’air de « nul n’est prophète en son pays ». Je n’en retire ni gloriole, ni dépit. Au chapitre des préoccupations égotiques, j’ai cherché mon nom dans une somme, une épaisse recension à propos de la littérature romande. Je m’y suis trouvé, par deux fois, perdu dans une énumération d’auteurs, la première sous une affirmation fallacieuse. Le responsable de ce docte dictionnaire n’a certainement jamais eu connaissance de mon premier texte, de l’autofiction, il y a 20 ans. C’était osé de la part de cette maison d’édition, j’avais eu droit à un bel article dans le Nouveau Quotidien, normal, j’avais 25 ans mais l’époque n’était pas aussi jeuniste qu’aujourd’hui, on m’a vite oublié. Je m’étais même fait remettre à l’ordre par l’éditeur en personne, on me reprochait mes initiatives de promotion auprès des libraires. Finalement, je crois que la maison en question regrettait la publication d’une autofiction gay et cherchait à la faire oublier.

Ce livre existe. Les huit suivants de même. Peut-être pas aussi aimés qu’ils le devraient, je suis un père négligent. Parfois, j’accepte l’expédient de la maison participative ! Voilà qui est assurément pire que la vente de poireaux sur un étal de marché. J’ai des lecteurs par inadvertances, des rencontres par hasard. Alors que certains ont de belles formules toute faite et bien rôdées pour un titre coup de poing, je me retrouve derrière les piles immobiles de cinq ouvrages aux dénominations étranges, exotiques sans être séduisantes. On s’arrête, plus souvent pour moi que pour mes romans, et je raconte un peu la trame de celui-ci, de celui-là, la non-intrigue du dernier, raconté comme cela, le texte me paraît plat, je manque pouffer de rire, je repense à l’une des scènes culte du Père Noël est une ordure, « Vous m’avez raconté cette soirée avec brio ! Avec qui ? Avec brio, c’est une expression … ». Je me pince l’intérieur de la joue et poursuit la présentation alors que mon très improbable lecteur a déjà les yeux qui glissent sur un titre qui l’a accroché et le propos assorti qui fait mouche.


Neuf titres en vingt ans, dix si j’y compte mon feuilleton en ligne, « Dernier vol au départ de Tegel ». Je les ai alignés sur le boukhara au pied de mon lit, un tapis aux reflets précieux et discrets, exactement ce qu’il faut à … mon œuvre. Je voulais juste voir « ce que ça faisait », tous alignés, dans leur ordre de parution. Et j’en ai fait une photo, pas mal. Je ne sais pas vendre mon travail mais je sais communiquer sur mon réseau social favori ; je me suis dit que je profiterai de l’image pour illustrer un billet, celui-ci, dès que j’aurais le temps, le calme, le salon d’été et la vue sur le port, le lac, la frise des montagnes. Dire merci comme il se doit aux organisateurs du Livre sur les Quais pour leur invitation, leur intérêt, leur attention ; dire merci aux potes, mes pairs, pour leur bonne compagnie ; dire merci à mes lecteurs, ceux que j’ai pu rencontrer et ceux qui, avec discrétion, ont pris l’une ou l’autre de mes dernières publications. Merci à vous tous. Je ne participerai pas à la 7ème édition, je me contenterai  du cocktail inaugural en tant que conseiller communal, pour peu que les Morgiens mes concitoyens me réélisent. Je travaille au dernier volet d’un roman uchronique, Hélice Hélas quand tu nous tiens ! Rien qui ne sera sous presse avant l’automne 2016, ou Noël, ou le printemps 2017. A tantôt, donc. 

jeudi, septembre 03, 2015

"La nouvelle fuite à Varennes", roman

On parle si souvent de roman de la maturité ou de texte coup de poing ou … que sais-je. « La nouvelle fuite à Varennes » est si loin de ce genre de qualificatif ; elle connaîtra certainement  peu de presse car c’est un roman honteux. Pensez donc, de l’édition « participative » ! Cela veut dire que j’ai payé le papier et l’encre, que j’ai fourni la couverture, une œuvre que Jacques Bonnard a spécialement réalisée pour l’occasion. Le livre existe, sous l’isbn 979-10-203-0678-4 ; il est référencé et même distribué par Hachette, pour pas cher, 16,50 euros en France, je ne sais pas pour combien en Suisse. Avec ce titre, et un autre publié il y a bien des années, j’existe sur Amazon et, peut-être, même à la FNAC des Halles, Paris.

L’histoire n’est pas facile, pas vendeuse, trendy, bandante, main stream. Je m’en f… Je raconte le récit de la névrose quotidienne des laborieux romands, secteur tertiaire, l’administration genevoise en particulier. Mon héros, une héroïne, une femme anonyme de plus de cinquante ans, célibataire, sans histoire, sans famille, banale. Ni violée, ni assassine, ni vamp, ni philosophe à temps partiel entre les rayons d’une supérette, ni salope divine faisant des trucs pas possibles avec de la courgette bio et locale. C’est une femme qui a sa culture pour elle. Et de la décence. De la dignité. J’ai passé beaucoup de temps à l’observer, de loin, ne pas interférer dans sa vie, ne rien déranger, le monde est déjà bien assez bordélique. J’ai pu prendre la mesure de sa détermination.

Il n’y a pas que cette femme, il y a « la grande Adélaïde », l’aïeule parfaite, la femme de toutes les situations, passées à travers deux guerres, de Vienne à Zürich, via Berlin et pas mal de souffrances, dominées. Adélaïde, une sorte d’ « Angélique marquise des anges » k und k. Elle, je l’envie, j’envie sa résolution mais je lui préfère une certaine femme de plus de cinquante ans, en jupe écossaise. Je l’ai filée à travers Genève, je l’ai suivie jusqu’à Constance, puis Berlin, elle m’a même traîné à Dresde. Elle m’a appris à regarder … vivre la peinture, communier avec la toile, vivre l’émotion de l’artiste. Je ne connais pas son nom. Nous n’avons pas été présentés … mais elle fait partie de ma vie.

Je vous la raconte un peu, depuis le salon d’été et je me souviens de ses premiers pas à travers mon manuscrit. J’écoute ce que j’écoutais alors, Casserol Band, Under sailor, le batteur du groupe était l’un de mes élèves. Je pourrais vous remplir cinq billets à propos de cette musique, confidentielle, tant de talent, un rien de naïveté, pas vraiment le son qui encombre les ondes. Je pourrais vous raconter un retour de Constance en train, Cy. endormi contre moi, c’était une belle journée d’hiver glaciale et transparente ; je pourrais vous raconter les mois passés à rédiger ce texte, le bonheur à sentir grandir cette réalité, ce petit morceau du monde et les rebuffades, les camouflets, la petite histoire d’un texte que j’ai fini par porter et en accoucher seul. Je ne connais même pas le nom de mon héroïne, je n’ai jamais osé l’aborder, ne pas troubler cette femme tout en mine de rien et pourtant ! Elle m’est presque devenue une parente selon le schéma improbable des familles croisées, recomposées.


Je la revois, sereine, heureuse, quelques amies autour d’elle, une réception à la Villa Mon-Repos, au milieu du parc ; les extras lui font du plat en dépit de ses cinquante ans et plus. Elle y répond avec ce qu’il faut de coquetterie. Elle est vraiment heureuse. Elle a su surmonter toutes les « contradictions de la vie » comme son aïeule par alliance, la grande Adélaïde.