vendredi, décembre 01, 2006

La Trinité


Mercredi, je suis passé au collège de ... , petit village où vécut Mme de ... , histoire de reprendre contact avec les lieux avant mon retour, de bavarder un peu avec mes collègues. Nous avons causé "littérature en ligne" si vous voyez ce que je veux dire ! Les enseignants font de remarquables lecteurs, assidus, perspicaces et plein d'humour. L'une de mes collègues de français, appréciant le style, me disait être toutefois embarrassée, impression de violer une intimité, d'entrer là où on ne l'avait pas invitée, de jouer les voyeuses. En filigrane, j'ai perçu la question "à quoi sert le blog ?". Comme on consulte un livre de cuisine pour une recette, un dictionnaire pour une définition, un recueil de poésie pour s'émouvoir, on lit Madame Bovary, de l'autofiction ou un blog afin de se revêtir de la sensibilité de son auteur, de "passer" son regard, des lunettes qui focalisent et colorent, une autre façon de voir ce qui vous semblait commun.
 
Y a-t-il de l'exhibitionnisme dans la tenue d'un journal littéraire en ligne ? Autant que dans un annuaire où l'on donne au regard public une chose aussi intime que son numéro de téléphone et parfois même sa profession ! Croyez bien qu'un professionnel de l'écriture ne manque pas de mettre en scène son propos, de se théâtraliser. La comédie se donne à voir mais la coulisse et les loges restent dissimulées aux spectateurs. J'ai la prétention de croire que je peux offrir à mon improbable lectorat de l'émotion, du rire et des expériences qui leur seraient utiles, voire une parole réconfortante. Par exemple, tout le monde sait que je partage ma couche avec ... des cochons en peluche ! Combien d'amoureux de la gent porcine grâce à moi ne se sentiront plus seul ni honteux de leur penchant; je compte du reste bientôt lancer une pig-pride.
 
Blague à part, on me parle de "justification", je dirai plutôt réflexion à froid, observation, c'est un re-play image par image qui permet de comprendre la mécanique du sentiment, de l'évènement, qui permet d'isoler les ingrédients d'une atmosphère. J'ai un regard et une sensibilité particulière à faire partager. Dans cette activité, les lettres françaises ont une brillante référence ! Je le répète, je ne suis ni Flaubert, ni Mme Bovary, je ne suis pas Mme de Staël non plus, Dieu m'en garde (quoique je commence à avoir une certaine sympathie pour elle), je ne suis pas Guibert et ni même Montaigne. Oui, Montaigne, avec ses Essais à la première personne du singulier; un auteur qui s'est directement impliqué, commentant lectures, événements publics ou privés. Il commence par l'adresse suivante :
"C'EST icy un livre de bonne foy, lecteur. Il t'advertit dés l'entree, que je ne m'y suis proposé aucune fin, que domestique et privee : je n'y ay eu nulle consideration de ton service, ny de ma gloire : mes forces ne sont pas capables d'un tel dessein. Je l'ay voüé à la commodité particuliere de mes parens et amis : à ce que m'ayans perdu (ce qu'ils ont à faire bien tost) ils y puissent retrouver aucuns traicts de mes conditions et humeurs, et que par ce moyen ils nourrissent plus entiere et plus vifve, la connoissance qu'ils ont eu de moy. Si c'eust esté pour rechercher la faveur du monde, je me fusse paré de beautez empruntees. Je veux qu'on m'y voye en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans estude et artifice : car c'est moy que je peins. Mes defauts s'y liront au vif, mes imperfections et ma forme naïfve, autant que la reverence publique me l'a permis. Que si j'eusse esté parmy ces nations qu'on dit vivre encore souz la douce liberté des premieres loix de nature, je t'asseure que je m'y fusse tres-volontiers peint tout entier, Et tout nud. Ainsi, Lecteur, je suis moy-mesme la matiere de mon livre : ce n'est pas raison que tu employes ton loisir en un subject si frivole et si vain. A Dieu donq."
De Montaigne, ce 12 de juin 1580.
 
Tout est dit ! On pourrait m'objecter deux ou trois choses, Montaigne écrit pour ses proches, il se montre sans fard ... mmoui ... je ne reviendrai pas sur les principes de l'énonciation mais dès qu'il y a production d'écrit à caractère littéraire, il y a diffusion, tripatouillage, pose et paradoxalement sincérité. La blogosphère, telle que je la pratique, procède de Montaigne, Flaubert et Guibert.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Oui, oui Montaigne comme toujours...

Rousseau, lui, l'a bien cerné : "J'avois toujours ri de la fausse naïveté de Montaigne, qui, faisant semblant d'avouer ses défauts, a grand soin de ne s'en donner que d'aimables; tandis que je sentois, moi qui me suis cru toujours, et qui me crois encore, à tout prendre, le meilleur des hommes, qu'il n'y a point d'intérieur humain, si pur qu'il puisse être, qui ne recèle quelque vice odieux." (Confessions)

cool a dit…

Celle, inconnue,
Je n'ai pas été au fond de l'étude, la maturité m'apprend bc, je ressens ce que vous écrivez et le plus chaque jours, mais vous me semblez jeune et aigrie à ce point, pour lire vos souffrances et ne vous laissez que dire... je souhaite vos avoir en lecture, n'étant pas trop forte au service internet, je vous laisse le soin de le raconter et de lire d'autres rimes, bien à vous, mon véritable prénom sauf si le curé avait été moins borné... Alexandrine.... bizzz