samedi, mars 16, 2019

L'homme sans autre qualité - chapitre 2


« Votre mission, si vous l’acceptez … », pchiiiiit, fumées. Si seulement les choses pouvaient être aussi simples. Deux ou trois tours de passe-passe techniques, des méchants, des gentils, des justiciers de l’ombre et le couple mythique Barbara Bain – Martin Landau. Stéphane ne se rappelle plus de grand-chose. Pour faire simple, on dit qu’il était mort ce qui, dans les faits, n’est pas totalement faux, question de point de vue. Parfois, dans la rue, on croit le reconnaître, on lui dit qu’il ressemble à … mais ils n’auraient pas le même âge. Ça n’émeut pas Stéphane plus que tant, il ne s’en souvient plus, juste des bribes, comme pour « Mission impossible », les premières saisons, en noir-blanc, et Barbara, et Martin dans la petite trentaine. Stéphane se souvient d’eux aussi dans « Cosmos 1999 ». Il y associe un canapé en skaï blanc, fauteuil club affaissé. C’était tout de même plus « moderne » que son logement actuel ; c’était un temps quand le siphon de l’histoire n’était pas bouché, reflux, et maintenant il y a de la vieillerie partout, ça remonte comme les débris  d’un paquebot de luxe après naufrage, de la vaisselle et des panneaux d’acajou que la marée échoue régulièrement sur les côtes. Inutile de dire que Barbara Bain et Martin Landau étaient des transitaires. Stéphane se souvient de « Goldorak » aussi, et même de « Candy Candy ». A l’époque, l’Agence recrutait chez les moins de douze ans. Ils n’imaginaient pas le succès que le genre prendrait ni qu’il serait détourné à des fins bêtement commerciales. Quoique le souffle de Miyazaki, son infinie poésie, la clef sera donnée par les poètes, les magiciens, les enchanteurs. Lorsque Stéphane est attiré loin des petits chiens, de la porcelaine en Zsolnay, en Meissen, en China Blau, loin des horloges anciennes à carillon, des précieuses carpettes en soie, loin de ce logement dont le salon d’été donne sur le lac, ce « cantonnement » qui lui a été attribué, il n’y a personne pour surveiller son sommeil, pour le veiller, le garder ici et en une pièce. Parfois, ce sont des figurines de verre, les mêmes que dans « The glass menagerie » qui prennent d’assaut sa chambre, s’introduisent par une fenêtre entrouverte ou sorte de son sac après s’y être secrètement glissées. Stéphane revient toujours hâve et épuisé de ces « missions », les bagages plein de ces petits riens, poissons multicolores en cloisonné, ballerine de porcelaine et tutu en tulle empesée, santon de terre cuite, médaillon chinois animalier. Son « cantonnement » est sans fond… Les nouvelles troupes qu’il ramène filent se faire oublier le long d’étagères chargées de livres, ou vont se camoufler entre deux piles d’assiettes. Il y a  une hiérarchie extrêmement précise qui va des objets en pierre, en minerais, en alliage, en céramique (porcelaine, china bone, faïence, terre cuite, etc.), en verre, en cristal, en bois (de l’ébène au sapin en passant par le chêne). Parfois, un ordre suprême vient modifier la préséance et ces troupes muettes, secrètes se retrouvent au bord de la mutinerie. Stéphane n’a pas à s’en préoccuper ; l’élite des transitaires est tenue hors de ces contingences. De nouvelles troupes en bakélite, en plastique, en polymère viennent de rejoindre la grande armée secrète des objets, même des figurines en coquillages. La situation l’exigeait.

Stéphane est à Berlin. Il était « en automatique » lorsque, subitement, il est monté dans un train, direction Kloten, son billet d'avion l’attendait à l’accueil. Ce genre de procédure fait bien peser une dizaine d’années sur ses épaules. On a beau le décontaminer, le régénérer, il en subsiste toujours quelques semaines. On évite, autant que possible, de le soumettre à un tel stress. Il faut savoir ménager le chevalier blanc de la légende.   

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