lundi, septembre 30, 2013

Retour de Münich




Autoportrait bavarois
C’est proche des larmes que, dimanche matin, j’ai quitté Münich. Je n’avais pas précisément choisi cette destination, envie de profiter des longs week-ends que le baroque de mon horaire m’offre. Le billet pour Berlin était trop cher, l’exposition Vallotton à Paris n’avait pas encore commencé, Stuttgart et Constance sont des destinations prévues avec Cy, c’est notre proche Allemagne, notre terrain de jeu. Münich, donc, pourquoi pas. Beaucoup de touristes germaniques la fréquentent en ce moment, Oktoberfest oblige, deux semaines durant sur la «Wiese », sorte de Plainpalais local occupé par quelques vastes tentes où écluser de la bière par litres, et un gigantesque parc d’attractions dont l’éclairage multicolore allume le ciel d’une aube paradoxale.

Je connais Münich, la capitale du bon Royaume ; ses habitants y sont doux, fêtards, très catholiques, tolérants et d’un esprit curieux. Pour preuve, on trouve dans les rames du métro des publicités pour … la philosophie ! Un pantin coupe à l’aide d’un ciseau géant les fils par lesquels il était manipulé . Et comment ne pas aimer ces gens si liés à leur ville. Ils marquent cet attachement en portant le « tracht », « dirndl » pour les femmes, « lederhosen » pour les garçons. Et ça n’a rien de folklorique. Il s’agit d’un signe de ralliement à la douceur de vivre locale. Et c’est ainsi que l’on voit des cohortes de münichois d’origine polonaise, grecque, turque, portugaise, espagnole, vietnamienne, russe, maghrébine, africaine, etc. en costume traditionnel bavarois ! Des touristes ? non, ils conversaient tantôt en allemand, tantôt dans leur langue maternelle et empruntaient les transports publics sans avoir besoin d’un plan pour s’orienter.

Les Münichois sont, de plus, cordiaux et accueillants ; ils prêtent attention à autrui. Même par forte affluence, il n’y a pas de bousculade. Leur souci des autres tient du tempérament, de la règle sociale et de l’éducation. Cela va s’exprimer par de petites choses. Une troupe de bambocheurs – en culottes de peau et bas tricotés évidemment – chahutaient dans l’escalier roulant en panne d’une station de métro. Jusqu’à ce que le dernier d’entre eux, le plus turbulent, s’aperçoive de ma présence une marche en dessous et de déduire que je n’avais peut-être pas envie de passer le prochain quart d’heure à gravir l’escalier à l’arrière d’une bande de braillards. Mon chahuteur a donc pris l’initiative d’emmener toute sa fine équipe au petit trot, histoire de dégager le passage. Il en a même profité pour demander à une vieille dame qui semblait bien en peine s’il pouvait l’aider, si elle avait besoin d’un bras pour la soutenir ou d’une main pour lui porter son sac de courses.

Les Münichois ont de l’humour. Ils blaguent avec plaisir, rient beaucoup et sont d’une humeur généralement joviale. Deux exemples, attrapés dans des magasins. Alors que je regardais sur  un petit tourniquet des pinces à cravate, une vendeuse s’est approchée me demander si j’avais besoin d’aide ajoutant immédiatement que, si je cherchais une pince en or, ce n’était pas le bon commerce ! Autre situation. Au rayon papèterie d’une autre grande surface, je demande à une vendeuse si elle n’a pas de cartouches d’encre noire ? Elle cherche et finit pour trouver des cartouches « noir-brillant ». Elle reste interloquée devant cette dénomination mais commente « bon, ce ne doit pas être brillant comme avec des étoiles scintillantes dedans » puis de conclure avec un clin d’œil « ce doit être de l’encre pour les gens brillants ! »

Münich rayonne d’une jeunesse insolente, l’insolence de la beauté à dix-huit, vingt ans et que l’on rencontre un peu partout. Dirndl ou Lederhosen, le tracht fait une très belle silhouette aux filles comme aux garçons, même s’ils ne sont pas tous d’un physique athlétique. Cet éclat insouciant suscite une touche de mélancolie chez les aînés, leur donne un regard un peu triste. Une femme âgée, sur un quai de métro, d’une élégance très « bohême chic », pantalons de kimono en velours fluide  gris perle, vaste col-roulé dans le même ton, ballerines argent et bijoux en argent de grande taille, cheveux blancs, reflet gris perle, coupe mi-longue impeccable, une frange souple, un maquillage  léger, soigné. Cette femme n’a pas abdiqué de sa beauté, elle lutte dignement. Dans la rame, elle a un regard pour tous les hommes et choisit, mine de rien, de prendre place en face d’un jeune quadra blonds, beau visage aux traits réguliers, un peu de gris aux tempes, des yeux bleus expressifs. Il porte le tracht avec naturel. Il converse avec une femme qui doit être sa mère. La belle dame en gris les observe jusqu’à ce que son attention soit attirée par un groupe de jeunes filles qui vient d’entrer. Et la dame en gris de fixer avec une nostalgie d’une infinie douceur la plus fraîche, la plus fine, la plus délicate des trois amies. Souvenir ou regret de sa propre jeunesse ? Combien de fois n’ai-je pas eu et n’ai-je pas ce regard ; dans le monde gay, à passé vingt-huit ans, on est vieux, pire : transparent ! La dame en gris a relevé mon attention sur sa personne. Vite, agir, ne pas rester « la vieille qui regrette ». Elle trouve alors à tricoter un si joli compliment au quadra qu’il en rougi presque et retourne quelques paroles aimables à la dame en gris dans un beau sourire qui lui plisse les yeux. Elle et moi sortons à la même station, je lui ouvre la porte, elle me remercie et part guillerette et riante vers la sortie de la station.

Münich aime l’art, avec parfois l’application d’un bon élève. Berceau de la Sécession, elle a été à l’avant-garde avant Paris ou Berlin. L’avant-garde étant l’avant-garde, une sorte de constante pour des esprits posés et conséquents, la ville donne aussi dans l’art conceptuel, ou minimaliste, ou que sais-je, dans ce geste de création hyper-connoté, lourd d’au moins dix ans d’histoire de l’art mal digéré par « l’artiste » et vomis dans des installations ready-made aussi moches que vulgaires. Ne connaissant pas la villa Stuck, musée de la ville, je suis allé la visiter … encombrée temporairement d’une telle production contemporaine. Cela confinait à la haine de l’art, une impression cousine de la haine de la syntaxe dans le flot littéraire actuel. Les quelques visiteurs présents honoraient surtout la belle cafétéria du rez, ouverte sur le jardin. J’en suis reparti dépité et, sur le coup des 17h30, ai décidé de retourner au centre-ville où je me suis aperçu que la ville aimait vraiment l’art. Entre l’Alte Pinakothek, la Neue Pinakothek, la Pinakothek der Moderne, et quelques fondations de prestiges (Brandhorst entre autres), on trouve encore la Kunsthalle, à la Theatinerstrasse, une structure muséale entièrement privée ouverte tous les jours jusqu’à 20h ! Je connais cette institution, j’y avais découvert l’œuvre de Philipp Otto Runge (1777-1810). Cette fois-ci, j’ai pu me promener parmi les paysages de peintres du Nord, « Aus Dämmerung und Licht », un crépuscule ample et doux, quelque chose de la dignité et de la mélancolie de la belle dame en gris. Des pièces maîtresses de Severin Krøyer, Edvard Munch ou Vilhelm Hammershøi pour ne citer qu'eux. En dépit du prix d’entrée et de l’heure tardive, il y avait foule, une foule de tout âge, enthousiaste et recueillie devant chaque toile.

... Par la fenêtre du train, j’observe la silhouette sombre des arbres, paysages vallonnés sous un ciel de suie, l’extrême fin du jour, une trouée argentine à l’horizon, des prairies d'un vert sombre et velouté. Oron-Lavaux, je suis bientôt arrivé. J’ai l’impression d’avoir déroulé le long du chemin un paysage à la Caspar David Friedrich. Je suis donc de retour de l’une de mes Allemagnes; j'en reviens à présent un peu moins triste à vous l’avoir racontée.

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