jeudi, juillet 18, 2019

L'homme sans autre qualité - chapitre 11


Münich est une ville ennuyeuse à force d’être « cool », avec sa gentrification, ses hordes de blaireaux 2.0 à vélo, l’ à-quoi-bonnisme spirituel, les nouvelles évangiles de l’écologie et de la bienpensance. Stéphane est arrivé là il ne sait trop comment, le fameux tour de passe-passe translation-transit-youp-là-boum à moins qu’il n’ait pris le train !? Il se trouvait mieux en 1912-13  in Wien, dans sa maison sur le Ring, sa sœur foldingue, sa cousine vaginale, les chiens, les fiacres, l’avenir devant soi … Münich, évidemment, rapport à un traîne-misère autrichien venu là peu avant 14, pour la beauté du paysage et Wagner évidemment. Stéphane a froid. Il loge dans 26 m2 AirBed and Breakfast, un truc moche, de cette hygiène des classes moyennes allemandes. Les draps sont propres, la plonge, la cuvette des chiottes, le lavabo et la baignoire aussi mais tout le reste est en vrac. Et le lit ! Stéphane eût effectivement préféré un matelas gonflable. Et la « coolitude » va si mal aux Allemands, ils en sont déguisés.

« Fiel » écrivait l’éditeur dans sa lettre de refus. Le mot fait échos dans l’esprit de Stéphane, ça le touche. Il n’est pas auteur mais comment peut-on confondre l’expression de la réalité dans sa répugnante réalité et la pratique gratuite de la critique, de la calomnie ?! Stéphane se demande où a-t-on merdé ? A partir de quand et quoi n’a-t-il plus été possible d’être entre autre chose que victime ou bourreau ? Et tous ces couples mal assortis en voie de formation, des unions que cimentera la peur d’être seul, des pairs en devenir et en représentation après les premiers contacts sur une plateforme de rencontre. Stéphane est sur le point de jeter l’éponge. C’était tout de même plus marrant avec Friedhelm alpha, Friedhelm oméga et le gros con podagre de l’Agence. Il avait l’impression d’avoir son mot à dire, on le lui laissait croire. A présent, il n’est plus qu’un vieux jouet qu’une force inconnue balance ici ou là, jette contre le mur, à lui de ramasser les morceaux et de se recoller. La colère annule la tristesse et vice versa. Disons qu’il est « l’homme sans qualité » de Musil alors que la critique et l’exégèse voient dans Ulrich l’extrapolation de l’auteur. Mettons. Il est un type plus très jeune qui, à force d’aller d’Alpha en Oméga, y a laissé des plumes, son identité, sa mémoire récente, des amis peut-être, de la famille, allez savoir. On l’envoie depuis Oméga en Alpha, l’Alpha d’hier pour remettre la main sur Musil parce que ce perpétuel indécis aurait la clef d’une équation qui permettrait d’éviter qu’Oméga ne s’effondre sur Alpha sans crier gare et avec beaucoup de casse. Et Stéphane n’a toujours pas de super flingue laser ou tout autre type de rayon létal ou paralysant. En attendant, il se retrouve à crapahuter en Allemagne ou dans ses extensions Mitteleuropa. Il se souvient d’un épisode à Francfort où il a vomi des étoiles, de Berlin où, pour une soirée, il était pédé comme une banquise de phoques, de Lörrach où, pour un long séjour, il était obèse. Il a un souvenir münichois personnel, pas l’une de ces merveilleuses capsules que le «wanderer des bistrots » lui laissait sur le dessus de la pile lorsqu’il  se laissait posséder par … par qui il était alors ? Stéphane a le souvenir exact d’une promenade à travers la ville, une promenade dominicale, il fait lourd, l’orage menace, il marche sans but. Il passe devant la vitrine obscurcie d’un club. Un homme en est expulsé. Il est ivre. Il s’assoit un instant reprendre ses esprits et son équilibre assis contre la fameuse devanture. Stéphane poursuit son chemin et s’arrête à la terrasse couverte d’un café. Il sort un livre de son sac, un livre tiré de la bibliothèque de l’oncle alcoolique. Il ne se rappelle pas du titre. La pluie se met à tomber, il est à l’abri. Stéphane a toutefois le sentiment qu’il avait alors manqué sa mission. Le livre était d’un auteur allemand.

Stéphane a fait un musée, certainement pas le bon. Il doit trouver une balise temporelle, un tableau dans lequel plonger et on lui dira comment faire pour, peut-être, trouver celui qu’il cherche et, depuis lui, remonter jusqu’à l’incident initial.

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