lundi, octobre 14, 2013

"Miséricordes" de Joël Espi



J’voudrais bien, ouin, ouin, ouin ; mais j’peux point, ouin, ouin, ouin… Misericorde ! « Malgré l’affection qu’il lui portait » (p.93), Joël Espi n’a pas pu : il aurait tant aimé répondre à la tendresse du curé. Notre auteur va même jusqu’à se demander s’il aurait été l’un des fantasmes du prêtre (p. 93).

Le lecteur de « Miséricordes » est le témoin effaré d’un récit bouillonnant de doutes et de questions. Il devient, comme dans toute bonne autofiction, et thérapeute et complice de l’auteur. La position est inconfortable, surtout depuis que la presse, à propos d’un autre roman romand récent, s’est écriée que l’autofiction était un genre facile et sale. Donc, « Miséricordes », une centaine de pages d’un style soigné, lissé, d’une forme très correcte et élégante pour mieux contenir un « entre-les-lignes » explosif. Et puisque Joël est pleinement partie prenante du récit, intéressons-nous à sa personne, son personnage. Il se pose en secundo et, comme tous ces enfants nés en Suisse de parents étrangers, il est plus Suisse que n’importe quel Suisse. De ce fait, il est profondément travaillé par le désir de rester fidèle à son sang et témoigne naïvement de son attachement à ses origines. Est-il gay ? Il se pose en hétéro convaincu, sensible toutefois à la beauté masculine. Les quelques moments d’ennui que l’on trouve au cours de la lecture de « Miséricordes » touchent justement aux descriptions poussives de telle ou telle beauté féminine. Même Thomas Mann échouait dans cet exercice.

Joël Espi a-t-il l’étoffe d’un auteur ? Je serai catégorique  sur ce point et je ne peux que répondre oui ! Vous me direz que, comme pour Bovon, Mouron, Lador, Quelloz ou Ouerdnik nous nous connaissons tous. Nous avons tous publié ou publierons dans les mêmes maisons ; depuis ma dernière critique, le paysage éditorial romand ne s’est pas élargi. Pourquoi, sur la base d’un texte, une œuvre autofictive d’une centaine de pages, je peux affirmer que Joël Espi est un auteur ? Notre homme a du cran, de la syntaxe et de la réflexion. En plus des quelques ambigüités qu’il donne à voir au fil du texte, il est journaliste. Il fait partie de ce corps de métier qu’il met directement en cause dans le suicide du prêtre.

Qu’importe, Monsieur Espi, que vous soyez un catholique croyant refoulé, un gay qui s’ignore ou, même, secrètement amoureux du curé, votre talent est à la mesure de votre courage. Vous avez même brûlé la politesse à André Ouerdnik et Pierre-Yves Lador dont j’ai promis une critique des textes aux lecteurs de ce blog.

Rédigé à Berlin, Schöneberg, Winterfeldstrasse.

« Miséricordes » de Joël Espi, éd. Hélice Hélas, 101 p.

Aucun commentaire: