samedi, mars 29, 2008

Installation


On va se raconter des histoires, jouer à « comme si », le « pain quotidien » de l’auteur. Et je décide que, pour une semaine, je retourne chez moi, ce lieu mi-mythique, mi-passé, une conjonction habile entre des paramètres temporels et géographiques, une équation d’une grande élégance et d’une subjectivité chantournée, ornementée, quasi écrasée sous le poids de la symbolique qu’elle-même suscite. Chez moi, « comme si » on était à Berlin, le défilé familier du paysage sur les lignes du S 5, 7 ou 75, direction Ahrensfeld, Wartenberg ou Strausberger nord ; les trois s’arrêtent à Nölderplatz, ma station. Je promène évidemment un Mauriac dans mon sac, « Le Mystère Frontenec » dans une vieille édition de poche aux pages fusée, un exemplaire qui a vu du pays puisque j’en fis l’acquisition dans une bouquinerie de Barcelone. Dans ces conditions, je rejoins forcément mon vrai séjour. Il s’agit d’un monde très privé et jonché de brasseries, de point de chute particulier, du Kaufland de Lichtenberg, de ce steh-café près des anciens bureaux de la Stasi, la boulangerie Wenzel à la Frankfurter et le Bério dans le kitz gay de Nollendorf.
On va faire comme si c’était un début de printemps timide mais plein d’espoir, avec les jours qui s’étirent et ce ciel fabuleux que l’on ne voit qu’à Berlin. Il y aurait la première journée, le transit en « trolley volant », arrivée à Schönefeld, un train quelconque pour Ostbahnhof. Il y aurait eu le froid perçant de l’appartement vide, la commande électronique du chauffage et sa manipulation compliquée, des courses et une sorte d’attente de une à deux heures dans un mauvais sommeil frissonnant avant d’aller traditionnellement dîner au Yoggi Snack avec Ch. Il y aurait eu le vrai premier jour, quelques flâneries, le Ku’Damm puis une tasse de thé dans un bon établissement de tradition, près du château de Bellevue, puis une nouvelle nuit sur ce divan si familier à présent, puis un lendemain, et le silence de l’appartement parce que Ch. aurait dû partir en excursion administrative. Cette ville sait si bien occuper ses citoyens en les envoyant au diable vau vert chercher des formulaires à faire tamponner trente kilomètres plus loin.
Il faudrait alors se rappeler qu’on a tout de même des choses à faire, un article sur une pièce de théâtre, un rapport d’activité, un ordre du jour à proposer et réfléchir à sa mise, à la promenade de l’après-midi, peut-être encore une tartine de teewurst avant de sortir, et arranger le divan dans sa mise « journée » ; Ch. ne va pas tarder de rentrer de ses visites administratives. Le temps prend une autre forme, à Berlin. Il y est plus rond et plus dense et, donc, plus court. Il est difficile de le manœuvrer parce qu’il roule entraîné par son propre poids dans le sens de la déclivité, la logique de l’instant … Comme si on y était.

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