vendredi, janvier 30, 2015

Paris, Paris ...

Vendredi 23 janvier, 17h30, Gare de Lyon. Les occupants du TGV en provenance de Genève s’éparpillent sur le quai, hall 2, rien à signaler. Nous nous engouffrons dans la station du métro, dédalle de couloirs, deux militaires en treillis, l’arme à la main au détour d’un tapis roulant. Ils se fondent dans le décor, rien à signaler. La foule est très calme, un peu moins nombreuse que d’habitude peut-être, les couloirs sont propres, pas de papiers par terre, vraiment rien à signaler. Ligne automatique M 14, direction Olympiades, descente à la station Bercy-Village et ce calme toujours, beaucoup de politesse, étrange … L’impression se confirme sur les Grands Boulevards, quasi déserts. Il fait froid, soit, mais les soldes ?!

Week-end à Paris, pas de « geste de solidarité » particulier ou de super-shoping mais une comédie musicale agendée depuis quelques mois. J’ai lu un peu dans le train, « Soumission » et ne peux m’empêcher de regarder la ville à travers un prisme houellebecquien. A l’entrée des magasins, les vigiles nous saluent très poliment. Les endeuillés entre eux ont toujours beaucoup d’usage. Le 7 janvier leur a « cassé les pattes », les Parisiens me semblent en état de choc. Une foule légère dans le Marais, quelques touristes et les habitués de l’un ou l’autre bar gay, les rares endroits où l’on peut voir une si grande concentration de barbus, mode oblige. Je n’ai vu que des faces glabres dans la fourmilière des halles, et pas un seul voile alors qu’il s’y mêle habituellement toutes les populations de la capitale, tous les styles.

L’impression ne cessera de se renforcer durant tout le samedi, et toujours cette politesse inaccoutumée, cette obligeance qui fait fleurir des « Excusez-moi » et des « Pardon » à la bouche de policiers qui nous coupent le chemin et nous effleurent au détour d’une rue ! Et partout d’immenses affiches, des toiles peintes sur les échafaudages de façades en travaux « Je suis Charlie » ou des photos gigantesques du défilé du 11 janvier.

Dimanche, messe à Notre Dame de la Nativité de Bercy, une assemblée très pieuse, très calme aussi, une dizaine de scouts en culottes courtes au premier rang, exhortation à la tolérance, au respect d’autrui, au respect de ses convictions … Je n’épilogue pas. Sur la placette, devant l’église, un petit marché. Les badauds font calmement leurs courses. Le prêtre salue ses ouailles sur le parvis, il me sert chaleureusement la main, comme à tous, se tient bien en vue au pied du court escalier. Sentiment de vacance, oui « vacance », il y a désormais un avant et donc un après fréquenté par quelle foule parisienne ? Mystère. Celle d’hier a laissé la place, elle n’occupera plus l’espace de sa rumeur, de ses convictions ou non-convictions militantes, de ses signes de ralliement, d’une certaine liberté d’être.

J’entre au Centre Pompidou sans attendre, mon billet coupe-file était inutile. Nous sommes pourtant dimanche 13h, derniers jours de la rétrospective Jeff Koons. Je ne suis pas venu pour voir cette brocante-là, j’y suis venu pour les collections permanentes, pour le lieu, la vue, Paris, tout autour, de l’Hôtel de Ville au Sacré-Cœur, à travers les tubes de l’escalator et des couloirs extérieurs. Les rues, depuis mon point d’observation, tout paraît  assoupi sous le froid et un soleil argentin. Je ne rencontre que deux visiteurs typés méditerranéens, Sud du bassin méditerranéen. Deux grands ados, très garçons fleur, amants ? amis ? Ils photographient les œuvres de Koons en les commentant avec une gouaille banlieusarde très typée aussi. Ils ont l’air libres … Effet du franc fort, je me suis encore offert – par paresse – le luxe d’un déjeuner chez Georges, le café-restaurant du cinquième étage, un décor design rigoureux, élégant, musique lounge, serveuses et –eurs recrutés dans des agences de mannequins, hamburger succulent, très bon vin, service efficace et une note conséquente qui passe tout de même grâce au nouveau taux de change.


L’heure du retour approche. Les premières femmes couvertes entrevues de tout le séjour attendent aussi un train. Et toujours ce sentiment de patience, jusqu’à la résignation. Les voyageurs font la queue pour être servis aux étals des boulangers ; personne ne fait mine de vouloir même anticiper son tour, court-circuiter la file si bien ordonnée. L’une de nos connaissances, un jeune comédien vivant à Paris, nous a racontés la paranoïa des habitants. En dépit des mots d’ordre du gouvernement et du ton plutôt détaché des médias, les gens ont peur, ils sortent moins, ou plus, chacun part travailler et rentre bien vite dans son quartier. Durant le trajet, je n’arrive pas à reprendre la lecture de « Soumission ». Je voudrais me plonger dans l’intégrale de « Mafalda » mais le volumineux opus se trouve au fond de la valise de Cy. Je me rabats sur le « Têtu » de février (pas un mot à propos de Charlie ?!) et le Figaro du week-end.

mercredi, janvier 21, 2015

"Droit de l'O.H.M. et devoir d'humanité" de Didier Delaleu

Alors que, par courriel, je faisais part à Didier Delaleu de tout le bien que je pensais de son pamphlet, « Droit de l’O.H.M. et devoir d’humanité », relevant la qualité des paradoxes, il me répondit :

Dans mon vocabulaire, les paradoxes sont des états des systèmes qui les obligent à progresser. Ce que j’essaie de mettre en évidence, c’est ce que j’appelle l’état «schizoïde» de notre système actuel attaché à maintenir ces pathologies (puisque les métastases font vendre des pathologies). La Faculté ne m’ayant pas décerné le titre de médecin, je ne me sens pas autorisé à employer le terme « schizophrénie».

Tout est dit ! Le fond pertinent, la forme humoristique et ce je ne sais trop quoi au-delà de la science économique (pour peu que l’économie soit une science) et du mot d’esprit, une perspective vers d’autres possibles socio-économiques, une échappée vers un modèle conscient, en réforme, sans pour autant promettre des lendemains hystériques qui chantent ou la tabula rasa révolutionnaire. Delaleu est un passionné et un tendre, un humaniste amusé qui propose à son lecteur une mystique sociétale. Il abat au passage les idoles trompeuses de l’économie libérale, la fameuse et fumeuse pyramide de Maslow par exemple, qui explique qu’il faut avoir pour être !

Notre homme est anthropologue et économiste de formation, il a fait de la recherche et, aujourd’hui, donne dans la ressource humaine quand il ne pamphlétise pas. En bon pédagogue, il exemplifie admirablement bien son propos qui, jamais, n’est sec ou rébarbatif. Il s’en tient à la limite des choses, lorsqu’elles s’apprêtent à glisser dans la rêverie et l’idéal. Mais Delaleu contrebalance immédiatement l’évanescence de sa démonstration, il n’a pas qu’un message esthétique à faire passer mais une nouvelle lecture des faits. Il avance des chiffres (vérifiables), démonte des théories, pose des définitions et amène son lecteur à une prise de conscience dont il fera ce qu’il voudra bien.

Je ne suis pas un consommateur de théories, d’exégèses, etc. Étant un grand garçon depuis très longtemps, je sais fabriquer ce genre de choses et n’avale pas de blablas pré-mâchés. Delaleu m’a éclairé sur quelques présupposés et autres doutes que je traînais depuis longtemps ; il a scientifiquement exposé ce que j’avais raconté dans « Tous les états de la mélancolie bourgeoise », mensonges et faux-fuyants. Il n’en tire pas même un constat d’amertume, ou une prophétie alarmiste : il éveille avec douceur la conscience de son lecteur, lui offrant ce petit plus d’humanité que le système qu’il déconstruit lui refuse, même lorsque ce système offre des « prestations sociales » aux chômeurs, invalides, retraités, blessés de la vie. Par charité ? non. Pour ne pas perdre un client.


« Droit de l’O.H.M. et devoir d’humanité », un petit volume vert pâle nécessaire à votre culture politique, sociale et économique ; pour être moins bête la prochaine fois que l’on vous exploitera.

samedi, janvier 17, 2015

07.01.15

Je suis un professionnel du verbe, un virtuose même, je peux le dire ; je suis un auteur que l’on loue pour son style plus que pour son bon esprit du reste. Vous l’aurez remarqué ? Cela fait presque deux semaines que je n’ai rien posté, pas le moindre petit billet alors qu'il en arrive un nouveau chaque semaine, d'une manière aussi régulière que la messe dominicale. Je suis très fidèle à ce type de rendez-vous : vous – mes lecteurs, la messe et le fitness. Cela fait partie de mon hygiène de vie.

Deux semaines donc, car je ne trouve plus les mots et je suis fatigué de ce « je » que j’assume en toute circonstance mais auquel je ne vois aucune légitimité dans le cadre des événements du 7 janvier. J’aurais aimé être le nous, le nous qui agit, qui intervient, qui risque sa vie dans l’uniforme des forces de l’ordre, le nous des urgentistes qui prennent en charge et soignent les blessés, le nous des amis, des proches qui consolent et entourent les survivants, le nous qui trouve les mots d’apaisement et de courage lors de la prière du vendredi, le nous qui se ressaisit un crayon à la main et qui se mobilise pour défendre les valeurs d’une république complexe, diverse et profondément blessée. J’aurais aimé être ce nous qui a su mettre les choses à plat sur les réseaux ; on y lit de bons commentaires lorsqu’on y a des amis plein de bon sens. J’aurais aimé être ce nous qui comprend au-delà de la peine et /ou du choc. Je n’ai pas su quoi dire, les paroles sont restées coincées quelque part entre les tripes et la gorge. Silence.

Mercredi 7 janvier, il faisait un temps magnifique, une après-midi hivernale ensoleillée, cette belle lumière dorée un rien brumeuse. Je suis descendu en gare de Lausanne, marcher au bord du lac. C’était beau comme dans un roman de Keyserling. Je suis allé prendre un café dans le centre-ville avec une amie rencontrée par hasard. De retour à la gare, sur le quai, en attendant le train pour Morges, j’ai reconnu le Pr. Calame. Il avait l’air songeur et absent. Je l’ai tiré de ses rêveries par un mot amusé. Il m’a confié « Je suis atterré » puis nous avons devisé, économie entre autres, pour les quelques minutes du voyage. J’étais aussi atterré que mon interlocuteur, et le suis encore. J’étais incapable à ce moment de le dire.

Je ne suis pas lecteur de Charlie Hebdo, je vous avoue être quelque peu étranger à son humour potache double-gras, vulgus sur les bords et pas très fin sur le milieu. Je ne goûte que peu à la satire quoique, lorsque ce genre de publication me tombe sous la main, je la lis, en ris bruyamment tout en remarquant pour moi-même que ce n’est pas de bon goût. Blessé dans ma foi catholique ? non, certainement pas. Le journal est athée, « pardonnez-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font ». Je donne dans  l’« ironie », et même l’« ironie cinglante » afin d’illustrer mon opinion, ce qui m’a déjà valu quelque embarras. On n’a pas à s’excuser d’être gay, catholique ou d’avoir des convictions morales, non ?! Et Dieu vomit les tièdes. Bon, je m’égare. En tant que croyant, j’ai du respect pour la foi d’autrui. L’athéisme étant une position religieuse comme les autres, je la respecte. Je préférerais toujours les caricatures de Charlie Hebdo aux obscurantismes religieusants de chapelles haineuses. ET ON NE TRANSIGE PAS AVEC LA LIBERTÉ D’EXPRESSION.

J’ai connu, en son temps, les affres de la censure. On a épluché mon blog, recherché d’un œil inquisiteur matière à plainte mais rien, que pouic, j’avais déclenché l’ire de petits milieux (dont je tairais la confession et la zone géographique par charité chrétienne) parce que j’avais écrit une vérité historique, un général de la Grèce antique qui briguait le commandement suprême, commandement qui lui fut refusé car jamais il n’avait connu de pratiques sexuelles anales et passives. Peut-on seulement faire confiance à de tels hommes ? A cette époque, il s’entend bien. On n’est toutefois pas venu me régler mon compte à coup de kalachnikov ce qui m’aurait directement renvoyé auprès de Notre Seigneur et m’aurait fait l’économie de quelques charrois de péchés (cette histoire est arrivée il y a une dizaine d’années de cela). Je ne recherche pas le martyre mais je sais être capable d’aller très loin pour défendre mes convictions les plus intimes. Je pense que je n’abjurerai pas ma foi catholique même s’il me fallait payer cette conviction de ma vie. Je ne peux pas affirmer que je ne renierai jamais ma foi, on peut tout faire dire et faire à un homme savamment torturé, nous en connaissons un rayon dans notre très sainte Mère l’Église, rapport à l’Inquisition….

Je suis Charlie quand bien même je ne suis ni Français, ni athée, ni socialo-bon-teint, ni raisonnable, diplomatique, multikulti, etc. Et je pleure de honte, de rage, de dépit, d’impuissance avec tous les croyants musulmans pris en otage par ceux qui, le 7 janvier, prétendaient défendre leur foi. Je ne peux rien en dire de plus, je ne suis non plus pas expert en géo-socio-ethno-politico-blablatique. Je reste choqué par la violence du geste, par le contexte de cet assassinat. Je suis limité dans son interprétation, les limites de mes propres connaissances et de mon opinion qui n’amèneraient qu’un tas de mots supplémentaires à tout ce qui a été dit vingt fois et plus, et en mieux. Je n’ai plus de mots, ou très peu sur le 7 janvier 2015, je viens de vous les livrer. Je tenais à répondre, en tant qu’auteur, bloggeur et journaliste (sur le tas) à cet appel à la résistance … un mot bien grand pour un billet de plus dans la blogosphère. Je tenais surtout à ne pas être complice par le silence.

PS : Je ne suis pas devenu aphone pour autant et reste très disert quant aux barbotines, Mauriac, la peinture de Peter Doig ou « Chic », le dernier film dans lequel apparaît Fanny Ardant. Vous trouverez mille mots à ces sujets dans les prochains billets de ce blog. J’en ai d’autres encore, des mots terribles que je réserve à un prochain texte autofictif. J’y suis allé à la kalachnikov littéraire, canardant à tout va dans un cri. Mon éditeur estime aussi que c’est bien de crier pour autrui.


jeudi, janvier 08, 2015

The Riot club

Des gamins mal-élevés, trop riches, trop beaux, si talentueux et si peu sûrs d’eux-mêmes. La mode et l’époque leur donnent raison, même l’intelligentsia, même la littérature a pour les jeunes merdeux violents les yeux de Chimène. Soyez méprisants, cassants, violents, soyez grossiers, hautains et orgueilleux, soyez au-dessus, contre et toujours mieux, si vous avez un nom, de l’argent, du prestige vous êtes donc un « winner » !

« The Riot Club », vu lors d’une après-midi vaseuse d’après-fête, ne m’a pas attiré par son affiche – pas un acteur que je connaisse ; toutefois, je les reconnais tous, déjà vu dans une série télé ou une production qui tache – sa réalisatrice (Lone Scherfig) ne me dit rien non plus … C’est peut-être la subtile et délicate atmosphère d’Oxford, décor du récit, qui m’a interpelé. Plus prosaïquement, l’horaire de la séance m’arrangeait bien.

Le scénario est efficace, léché, aussi bien ficelé que celui d’un téléfilm, première partie de soirée. Des jeunes gens entrent à l’université et on se répète la légende de Lord Ryot, viveur, buveur, coureur et brillant scientifique qui au XVIIIème s’est fait embrocher par un énième mari trompé qui ne goûtait pas l’esprit du bonhomme. Depuis la mort de ce débauché, en mémoire de son inconduite « glorieuse », ses proches amis de soûlerie fondèrent le Riot Club. Dix étudiants, les plus brillants, les plus délurés se succèdent  de génération en génération autour de la table des libations de ce cénacle. Il s’agit juste d’un petit club élitiste de « happy few » snobinards qui se donnent des airs … Avec la rentrée à Oxford, nous suivons deux étudiants que tout oppose. L’un est issu d’une grande lignée, il se doit de porter son titre, son rang, d’être au niveau de la réputation de sa maison. Et l’autre, un bon garçon, bon milieu soit, mais une conscience qui prime sur le titre. Les deux vont être reçus nouveaux membres au sein du « prestigieux » Riot Club.

En quoi consistent les activités d’un tel cercle ? Boire, vomir, vandaliser une salle de restaurant, témoigner de son rang en arrosant les éventuels plaignants de leur sale argent et passer à tabac le patron du bistro, à défaut d’une pipe collective, la professionnelle convoquée ayant refusé de travailler dans de telles conditions. Frustration. Dans ce monde si poli, si élevé, si choisi, de jeunes coqs ne trouvent rien de mieux que de témoigner d’une violence gratuite, une histoire hormonale certainement, moyen comme un autre d’évacuer l’énergie d’une sexualité confuse et contrariée. Etre riche et casser du prolo comme être islamiste et assassiner des journalistes, question de libido pervertie, de lacune éducative et de pose pseudo-morale, défendre des valeurs qui n’en sont pas … Je m’égare.


D’une certaine façon, la future classe dirigeante n’a-t-elle pas l’obligation d’être formée au mépris ? Histoire de pouvoir exercer le pouvoir, le jour venu, sans inutile sensiblerie ? Lone Scherfig soutient semble soutenir cette thèse, dans une scène finale subtile, qui laisse songeur  et anglophobes. La conscience exclura le gentil, le cynisme et l’esprit de clan ouvrira des portes à l’immoral. Un mauvais conte d’une belle photographie.

jeudi, janvier 01, 2015

Vorwärts : mes voeux 2015

Vorwärts ! immer vorwärts !!! la littérature tient de la boulimie et de la fuite en avant. Elle ne s’écrit que rarement dans le calme, le recueillement et la sérénité. Elle jaillit dans le désordre et la confusion de sentiments brouillons, contradictoires et, accessoirement, peu avouables. Cette littérature, ma préférée, se trouve à des années lumières du positivisme d’une Lina Bögli, de sa saine curiosité et de sa rectitude à vérifier l’état des poussières, l’équilibre diététique de la cuisine traditionnelle et l’urbanité des mœurs dans tous les pays – lointains – qu’elle a visités, autant de jugement fondés qu’elle a livrés dans deux volumes, « En avant ! » et « En avant toujours ! » (Vorwärts et Immer vorwärts dans le texte). La critique littéraire dont je vous ai entretenu durant tout 2014 témoigne de ce bouillonnement. J’ai proposé à votre curiosité des textes classiques, du roman romand, un inédit de feu un géant de la littérature française, du récit d’aventure, du best-seller étranger. Je me suis fait l’écho de quelques mondanités dans la République des Lettres, de jolies rencontres parfois au débotté. Je vous ai, en sus, ouvert l’un ou l’autre de mes manuscrits, quelques extraits, des textes à venir …

Mes lecteurs, mes amis, j’espère  qu’en 2015 vous me ferez encore l’honneur et le plaisir de vos visites. Je vous raconterai les quelques petites choses dont mon quotidien est occupé. Il s’annonce des projets éditoriaux, des textes à propos desquels je vous ai déjà soufflé un mot et pour lesquels j’aurai besoin de votre soutien actif. Je peux d’ores et déjà vous annoncer la traduction allemande de mon essai/pamphlet « Tous les États de la mélancolie bourgeoise », sorti chez Hélice Hélas, dans l’excellente collection « Paon dans ton Q.I. ». Je vais prendre mon bâton de pèlerin et frapper aux portes d’agents littéraires allemands. Bien évidemment, le feuilleton, « Dernier Vol au départ de Tegel », se poursuit sur Sept.info. Le « Cahier vert ou la marche de l’encornet » connaîtra une conclusion avec notre croisière en Méditerranée d’août prochain, avec Cy. et sa famille. Encore un mot à propos de  mes travaux, j’ai repris la rédaction de « Zauberberg II » ; vous aurez biensûr la primeur de trois ou quatre extraits.


Il sera aussi question de BD, de cinéma, de politique … de politique locale dans ce blog. Figurez-vous que je vais entrer au conseil communal morgien, sous la bannière d’un parti d’ultras … d’ultras du centre, Morges Libre, parti fondé par le dynamique et sagace François Meylan. Je tâcherai de garder le rythme et de vous offrir un billet hebdomadaire. Au pire, vous pouvez toujours fureter parmi les 336 articles que compte déjà Le Monde de Frevall et ce depuis décembre 2005. 

lundi, décembre 29, 2014

"Il est de retour" de Timur Vermes

Des amis allemands m’en avaient parlé ; j’ai effectivement vu quelques articles sur le sujet et peut-être l’auteur lors d’un show télévisé ?! Cela m’a rappelé la BD de Walter Moers « Adolf. Äch bin wieder da !! », publiée en 1998. J’avais découvert cet album dans les toilettes, la colocation dans laquelle vivait Christine, à Friedrichshain. J’avais même appris à cette occasion qu’on exposait le cadavre des rares fuyards des camps de concentration, après les avoir rattrapés, dûment torturés et assassinés, on les exposait donc à la vue des prisonniers avec un panneau autour du cou sur lequel il était tracé : « wir sind wieder da ».

Dans une grande librairie de la place, j’ai récemment été attiré par la couverture si particulière de cette satire, un volume en promotion. La traduction du titre n’est pas terrible : « Il est de retour » mais le portrait esquissé d’une grande mèche et de la célèbre moustache, comme dans l’édition allemande, garde tout son pouvoir d’attraction. Le pitch est très simple. Un beau matin de 2011, Adolf Hitler, revenu d’entre les morts, se réveille au milieu d’une friche urbaine au cœur de Berlin. Il va trouver soutien et secours auprès d’un brave kiosquier avant d’entamer une carrière de comique et sosie d’Hitler, une émission double gras pour chaîne de télé populo. De quiproquos en coups de gueule, de convictions inébranlables en coups de chance et de poker, Hitler se fait une place dans les médias et vise un retour en politique, reprendre là où il en était resté.

« Il est de retour » ne se signale pas par un style particulièrement brillant ni par une intrigue bien ficelée. Ce roman ne connaît pas même de véritable fin, on peut craindre … ou espérer une suite. L’auteur, Timur Vermes, s’offre ainsi la possibilité très probable d’un second tome qui lui vaudra un très confortable à-valoir et des ventes fabuleuses, car Hitler est un sujet porteur, vendeur, surtout lorsqu’il est présenté sous le jour sympathique de cette satire. Monsieur Vermes est parfaitement irréprochable. Né à Nuremberg d’une mère allemande et d’un père juif hongrois, il a étudié la sociologie à l’université. Entre autres. Il a aussi une importante carrière de … nègre. Il assume avec bonhomie le succès économique du premier roman qu’il signe de son nom. Notre auteur a la mine avenante et malicieuse d’un éditorialiste bon enfant. Il ne se sent pas la nécessité de justifier son texte, de lui couler de solides fondations. Il a fait un « coup », un bon coup dans un esprit potache et critique. De plus, il ne va pas se perdre dans des arguties littéraires dont son texte ne sortirait que perdant du fait de sa piètre qualité stylistique.

Ce roman met « gentiment » mal-à-l’aise ; Adolf Hitler, le narrateur, y raconte avec humour et, parfois, émotion sa drôle de vie soixante-six ans après son suicide. Il ne cache rien de ses plans, de sa vision politique, de son grand projet, de son antisémitisme poli. Rien. Et rien de la part de l’auteur non plus, pas la moindre petite prévention ou prise de distance dans le récit aimable et drolatique qu’il nous déroule. Il est clair que si Timur eut été un grand blond bien gaulé, élégant, regard pénétrant, il eût certainement dû essuyer de nombreuses accusations de sympathie nazie. Mais Timur est un rondouillard chauve et sympa, mal fagoté comme un intello de gauche chercheur en sciences humaines. Néanmoins, je m’interroge sur les mobiles profonds de M. Vermes. Il nous sort le prétexte du second livre du Führer, une vieille édition, une traduction même, trouvée chez un bouquiniste lors de l’un de ses voyages. Il se serait dit « Si Hitler a écrit deux volumes, je peux écrire le troisième. » L’argument est minçolet, comme si l’on ne savait pas que « Mein Kampf » comptait deux volumes. Personnellement, je pense que notre nègre transparent avait envie d’exister et, lassé des inepties qu’il a dû tant écrire pour d’autres, s’est lancé dans une plaisante pochade, farcie de quelques constatations maison frappées au coin du bon sens de la realpolitik. Et ça a bien marché ! Il met à jour, par exemple, les mécanismes économiques de la grande distribution et leurs effets aliénants   sur les citoyens aux revenus modestes, sur la majorité.

Le style n’est pas bon mais il n’est pas mauvais non plus, il a l’immense vertu de se faire oublier et le texte nous embarque dans les aventures improbables du Führer bis. J’y ai retrouvé toute ma bonne Berlin, et le reste de l’Allemagne aussi. Très vite, on rit, et d’un rire incoercible que vous soyez sur une machine de cardio au fitness ou dans un train de pendulaires. J’ai tout de suite eu envie d’aller toujours plus avant dans ce récit, m’attendant à un coup de théâtre ou un retournement de scénario, événements qui jamais n’arrivèrent mais qu’importe, j’avais tant ri jusque-là ! Vermes a un art consommé du double sens. Toutes les sorties de son « Führer », propos historiquement exacts, peuvent être comprises comme de l’humour, de l’ironie, de la provocation à vocation de révélation. On en étouffe de rire même si ce n’est pas très moral ; on en prend conscience et en étouffe de rire de plus belle. Toute la dégoûtante petite mécanique du contrôle social est démontée avec une certaine jubilation. Les blâmes, les félicitations, l’imperméabilité des esprits, le jeu des cases … Je m’explique. Nous sommes tous des personnages publics, quelle que soit la confidentialité de notre audience. Cette audience définit notre statut et nous met dans une case. Une fois que vous y êtes, difficile d’en sortir. Adolphe a été étiqueté « comique », désormais tout ce qu’il dira sera drôle et ça l’est, sincèrement, surtout ses apartés sur la télévision. Il zappe et ne tombe – comme nous du reste – que sur de stupides émissions culinaires ou des séries vérité très, très, très bas de gamme. Il y a aussi les scènes de genre : le Führer découvre la téléphonie mobile, le Führer découvre internet, le Führer découvre le ramassage des déjections canines, etc. Tout simplement tordant.

Très naturellement, je me suis attaché au narrateur, il m’est devenu sympathique. Sa raideur, son décalage - une sorte de Mr Bean militariste tout aussi improbable et maladroit -  concourent à faire du Hitler version Vermes un … ami !!! Jamais, je n’aurais imaginé écrire une telle chose. Le bonhomme est touchant, sincèrement, sa promenade par une belle matinée claire à Berlin, une certaine douceur, et l’énergie requinquante qui déborde de ses aventures et mésaventures ! Vermes via Hitler (ou le contraire) revient très souvent sur la nécessité du « fanatisme » dans ce que l’on fait, condition minimum afin de réussir. Par fanatisme, il faut entendre « passion ardente ». Oui, il faut en vouloir pour réussir dans son domaine, Dieu ne vomit-il pas les tièdes ?! On se sent tout revigoré après une douzaine de pages de ce roman (un effet du rire certainement) et pas l’ombre du doute d’une once de culpabilité. On relève le nez d’un texte où Hitler est sympa’ Ne faudrait-il pas s’indigner ? Non, et c’est l’historien (si, si, j’ai un master universitaire français-histoire-histoire et science des religions), c’est donc l’historien qui vous dit qu’il est sain de rire à la lecture de « Il est de retour », que son narrateur n’est qu’un avatar de Hitler (le despote légalement arrivé à la tête de l’Allemagne en 1933). Le roman truculent de Vermes est une invitation à faire le tri dans le ruclon de l’histoire.


Dès 1945, on a creusé un grand trou et tout balancé dedans. Il fallait alors dénazifier par la diabolisation, se réconcilier, reconstruire. Une certaine crispation nationaliste se remarque à nouveau dans la politique des États européens. L’antisémitisme est interdit par la loi, les symboles nazis aussi, soit, cela ne nous garantit pas contre l’accession légale d’un parti fasciste au sommet du pouvoir. Il faut se confronter aux vraies raisons de la montée du nazisme et de son maintien à la tête de l’État après 33. L’attitude des Alliés, la finance, les collusions politico-industrielles, la peur du communisme et l’antisémitisme, le racisme, l’homophobie bon teint qui avaient aussi cours dans les nations dites démocratiques y ont leur part. Vermes n’est pas un Don Quichotte/Cervantes, il ne cherche pas à abattre les moulins de l’histoire. Il vend bien, distrait ses lecteurs, ne les prend pas pour des quiches, attire leur attention sur les faiblesses du système. Si vous vous apprêtez à lire « Il est de retour » mais, suite à cette critique, désirez prévenir vos atermoiements moraux et contrebalancer par un texte de qualité littéraire, achetez donc en sus « Tous les États de la mélancolie bourgeoise », édition Hélice Hélas, collection Paon dans ton QI, mon petit essai/pamphlet à propos du confort de nos mensonges et menus arrangements avec l’histoire. Cela complétera admirablement bien le pavé de Vermes. 

mardi, décembre 23, 2014

"Musique dans la Karl Johann Strasse", extrait 6.

Parfois, je rêve d’une vie banale, d’une vie encore plus banale que celle que je mène. Ce serait une vie assez semblable mais libérée des références et des relations, une vie où je ne serais que moi sans Thomas, Julien, François, Félix, Elisabeth, Clotilde, John et n°6. Je vivrais en amitié avec mon corps et je serais même sociable. Je ferais des choses dépourvues de la moindre connotation à mes propres yeux. Il y aurait des circonstances communes, parfois un amant, ou un ami, et moi. Je travaillerais à temps très partiel, des mandats, l’un de ces trucs débiles qui ne servent à pas grand-chose. Ce serait un peu physique mais pas trop, suffisamment pour m’obliger à apparaître en t-shirt voire même sans t-shirt. Je passerais les trois-quarts de la journée seul, sans avoir besoin de tenir la conversation. Je ne voudrais conserver de ma vie actuelle que ma sensibilité au monde et la richesse de mon ressenti. Parfois, j’irais visiter un musée, découvrirais une toile, d’un regard neuf, innocent. J’aurais peut-être une relation, à distance, intermittente. Un homme marié ou un jeune sportif professionnel. Je conduirais une voiture italienne bonne pour la casse, une vieille chose, et mon plaisir de vacances consisterait à rouler un peu trop vite, dans un cabriolet de louage, sur une route surplombant la mer, mon intermittent du cœur à côté de moi. Je ferais cela sans même connaître le nom de Françoise Sagan.
            
Parfois, je mène cette vie, lorsque je sors de la salle de sport, 20h, la nuit, la fraîcheur de l’air, le reflet d’une station à essence saturée de couleurs et de lumière électrique, ce reflet vulgaire dans les fenêtres d’une lourde maison, un petit locatif, de l’autre côté de la route. Les salles de bain disposent d’une lucarne d’un ovale gracile. Il n’y a personne, pas un passant, juste la circulation clairsemée et anonyme. Je rentre en passant par les quais, observer le clignotement de la côte française, respirer l’haleine du lac, essayer de me persuader que je suis l’autre, celui qui n’a pas d’histoire, qui mène une vie banale, qui va faire des trucs lambda sans rien savoir de l’inquiétude diffuse que l’on ressent à la vue de « Musique dans la Karl Johann Strasse ».


mercredi, décembre 17, 2014

"Night call" de Dan Gilroy


Film événement de cette fin d’année 2014, « Night call » aurait pu platement raconter la petite névrose d’un Rastignac angelin, Lou Bloom, sa volonté farouche de réussir et il y arrivera par le biais de la télévision. Le hasard aura voulu le mettre en présence d’un journaliste free lance, l’un de ces fouilles-m… qui n’hésite pas à tremper sa caméra dans le sang des victimes.

« Night call », ce  n’est pas que l’indécence de la société spectacle dans laquelle nous baignons, société où l’image, si bidonnée soit-elle, est reine. Lou n’est pas un mauvais cheval, c’est un bon garçon sans histoire, sans passé, sans trop d’éducation ni de chance mais il est intelligent et pugnace. Il sait se servir d’internet, s’instruit et se donne les moyens d’accéder à cette « american life » dont il rêve … Il n’est pas le seul dans cette course à la bonne vie avec grosse bagnole, montre clinquante et villa à piscine. Jake Gyllenhaal interprète à merveille ce personnage à la fois calculateur et attachant. Son beau visage hiératique s’illumine parfois d’un sourire « hollywoodien » mais rien de spontané, de chaleureux. Lou est un pur produit de l’ultra libéralisme, système dans lequel chaque individu est sommé de se réaliser par des actes de consommation.

A propos du sourire, je ne peux m’empêcher de repenser au prêche de l’excellent père Joseph, un franciscain attaché à la paroisse de Sankt Ludwig, à Berlin. Dimanche dernier, dans son homélie, il a raconté une fable, une histoire dans laquelle il allait voir son médecin parce qu’il ne souriait plus ! Ce mouvement spontané et quasi involontaire qui témoigne d’un attendrissement intérieur, d’un amusement, d’un plaisir gratuit et d’une ouverture à l’autre avait disparu de son quotidien. Après réflexion, le médecin devait admettre que, lui aussi souffrait du même mal. Et tous ses patients aussi. Une épidémie ? Le père Joseph, avec humour et délicatesse, voulait amener son auditoire à penser à ces petits dons subtils que la vie et les autres nous font, que nous pouvons faire aussi, des petits riens qui nous donnent le sourire et font la richesse de nos vies.

Pour revenir à « Night call », un film d’action, à la photographie impeccable, presque désuète, les couleurs dorées du cinéma américain des seventies, et la ville, Los Angeles, qui palpite, respire, une énorme bête lascive étendue au bord de l’océan, animée d’un souffle primal. La banalité est filmée avec esthétique, elle ressort avec un fini très graphique. Incidemment – j’ai vu le film en vo – j’ai appris qu’en american english « graphic » pour des images télévisées voulait dire « sanglant », « choquant ». Confusion des valeurs. Sur près de deux heures, le spectateur est tenu en haleine et vit la success story nauséabonde de Lou qui, à coup de phrases toute faites, sorties de manuels de management en ligne, impose son ascension à ceux  qui le côtoient. Il travaille pour une chaîne d’actualité mais se fiche de la vérité. Il l’arrange pour en faire le produit que réclame le téléspectateur via l’audimat. Il a trouvé sa proie, Nina Romina (Rene Russo), une vieille productrice de l’actualité, ex-gloire du journalisme, atterrie dans la chaîne locale la moins cotée de tout Los Angeles. Lou s’éprend d’elle, donc il se sert d’elle, car Lou ne nourrit aucun sentiment gratuit.


Durant toute la projection, je n’ai cessé de m’interroger sur l’univers, les références culturelles, le style de vie, les attentes de Lou : des valeurs universellement reconnues dans les pays pratiquant le libéralisme économique et aspirant au mode de vie occidental. J’ai comparé mes vieilles fadaises wilhelminiennes, ma pratique du thé, mon mode de déplacement, mes convictions, mon cadre de vie avec ce qui défilait sur l’écran. Apparemment, je suis « à la rue », complètement à côté de ce qu’il faudrait faire. Ou plutôt non … Lou, notre anti-héros, explique à Nina son business plan. Il faut croire à ce que l’on fait, à l’intérêt de ce que l’on produit. Je produis de la littérature, du sens, du récit, de l’émotion, un peu, de l’élégance dans le verbe. Mon œuvre, si confidentielle soit-elle, apporte des réponses aux questions que posent « Night call ». 

mardi, décembre 09, 2014

"La Défaillance des pudeurs" de Christophe Girard

 « La Défaillance des pudeurs » est un petit roman à couverture bleue, discrète, élégante, très comme il faut, édition du Seuil. Un joli texte, un récit impressionniste, certainement très autobiographique mais l’auteur a tenu à lui faire un appareil romanesque, une marque de pudeur, une de plus. Le récit est une suite d’épisodes plein de saveurs et de belles couleurs, un peu fanées. Il nous ouvre aux miracles de l’éducation française, celle que l’on pratique dans les beaux quartiers.

On connaît surtout l’auteur, Christophe Girard, dans son costume de maire du 4ème arrondissement de Paris. Nous avons aussi affaire à un lettré, une plume délicate, maîtrisée, presque timide sans fausse humilité. L’homme est attachant. Il a déjà mené plus d’un combat, politique, moral, privé. En 2013, il a épousé le réalisateur Olivier Meyrou. Christophe a su mener l’une de ces belles existences très parisiennes comme on en rêve ici.

J’aurais aimé écrire, après y avoir goûté, à propos de cette défaillance-là, cette peine-là, cette mélancolie tempérée. Christophe Girard nous l’a jouée Guibert apaisé, une sorte de « Mes Parents » d’une puissance émotionnelle comparable mais rien du déballage grandiloquent du bel Hervé. Le temps du récit n’est plus le même pourtant le parallèle est flagrant, on y retrouve des motifs communs, le séjour linguistique en Allemagne par exemple, avec son inévitable expérimentation sexuelle. Les seventies’ et la libération de même sexuelle sont évoquées sans passéisme ou militantisme mais dans leur costume de l’époque, au style bien marqué, encore une belle image.

« La Défaillance des pudeurs » ou un joli livre d’images pour parler du deuil, du temps qui passe, de l’homosexualité, de la bisexualité, de la filiation, du suicide avec ce ton égal qu’offrent l’intelligence, l’équilibre et la distance. « Les Triplés » version littéraire pour adulte mais ce même chic pondéré, une lecture à faire entre deux cahiers du Figaro, un compartiment de première,  un TER pour l’une de ces bonnes villes de France, Lyon, Nantes ou Bordeau. Ou mieux, à lire sur une plage d'Arcachon ou de Palavas-les-Flots.



lundi, décembre 01, 2014

"Les Terres du couchant" de Julien Gracq

Une prophétie de 1953, un inédit, un texte admirable et inachevé mais l’achèvement a-t-il la moindre importance dans la qualité littéraire d’un roman ? La littérature n’est pas cette chose figée et rogue, comme l’imaginent les imbéciles. Un souffle, quelques mots, un parfum parfois, la fragilité d’un instant en tous les cas, et cette émotion, comme lorsqu’on regarde glisser le soleil à l’horizon, un rivage, ou sur le Jura.

J’ai une histoire avec Julien Gracq, comme avec tous les auteurs qui sont entrés dans ma vie. J’étais adolescent. C’était la drôle de guerre, l’attente, la forêt, « Un Balcon en forêt », la saveur du béton cru des casemates, son grain, son crissement sous le pas. Les sous-bois, fougères arborescentes, des plaisirs simples, le lard fumé que l’on tranche pendant la garde. L’attente dilate la forêt, décante la vie et le plaisir ; un entre-deux suspendu dans une éternité intérieure, une internité avant la catastrophe.

J’ai retrouvé Gracq une quinzaine d’années plus tard, son « Rivage des Syrtes » s’est ajusté aux rivages de Barcelone, la langueur qui prend la ville au crépuscule, une émotion qui semble couler de Montjuic, le flanc le plus sauvage de la colline. L’attente, la nature, la vieillesse d’une civilisation, l’extrémité de son histoire, sans issue à moins de passer outre, l’Orient ou l’Afrique… « Le Rivage des Syrtes » nous raconte la jeunesse passée de notre sang, ses élans et l’écho lointain de formidables batailles, ce désir irrépressible de reconquérir  le cours mythique et illustre des choses. Quelles choses ? De quel droit ? Et la fin du jour vient repousser tout élan, ajouter une journée de plus à nos vies et leur logique.

« Les Terres du couchant » reprennent d’une manière encore plus marquée les thèmes gracquiens, à savoir l’attente, l’abandon, la marge, la luxuriance d’une nature métaphorique, un paysage parlant, des héros révélés par un appel lointain, l’écho d’une fatalité, une fin de règne glorieuse. Gracq a travaillé plusieurs années à son manuscrit sans qu’il le conçoive comme achevé. « Un Balcon en forêt » serait venu court-circuiter l’accomplissement du texte puis l’auteur a décidé de réemployer une partie du matériau dans un autre récit. Peut-être jugeait-il ses préoccupations dépassées ? La guerre froide – tout comme la Seconde Guerre mondiale – a masqué fort à propos des problèmes anciens, des lignes de fracture profondes. On s’est distrait par quelques confrontations manichéennes alors que la pythie recevait encore des messages, les délivrait via la littérature, les auteurs, leur sensibilité.

« Les Terres du couchant », une très petite troupe d’hommes curieux, un jeune patricien en son centre, les préoccupations stériles et procédurières d’une société très noble, très ancienne, très policée, trop peut-être. Le grand frisson consiste à y redéfinir la limite de ses prés, ses forêts, à y ergoter  une justice éprise de très petites choses, trancher dans des conflits d’épiciers. Le récit est en « je », l’aventure commence à la manière d’un complot d’enfants durant les grandes vacances. On est dans ce temps immémorial de la civilisation occidentale, très à l’Ouest, au Sud-Ouest, à la limite entre Europe et Maghreb ? à la limite de notre logique occidentale. Le royaume sommeille. L’envahisseur est dans les parages mais cet autre est trop différent pour même entrer dans les petites préoccupations de l’Etat. Il n’est pas encore aux frontières, il se positionne aux marches de la civilisation, loin au-delà de ce territoire strictement défini et tenu hermétiquement clos de l’intérieur. Nos protagonistes fuiront par une nuit claire, iront par monts et par vaux afin de rejoindre la cité de Roscharta, citadelle avancée et assiégée dont la chute marquera la chute de tout le royaume. L’ennemi est un barbare, il pratique une langue de barbare, il se bat en barbare et marque de manière barbare sa victoire en témoignant de son fétichisme pour la décapitation au sabre !


Etonnant récit prophétique, sorti des archives d’un auteur disparu en 2007 et qui fait doublement échos à notre actualité. Des barbares fétichistes de la décapitation publique d’un côté, un vieux royaume suradministré empêtré dans ses codes et procédures de l’autre ; la violence joyeuse et brouillonne de l’un face à la docte placidité essoufflée de l’autre, la métaphore ne parle plus, elle gueule à partir d’une telle coïncidence des faits. Qu’a dit Notre Très Saint Père le pape François devant le parlement européen à Strasbourg ? Il a parlé de l’Union européenne comme d’un vieux royaume égoïste et replié sur lui-même, préoccupé de sa propre marche et sans grande visée universelle, pauvre dans sa charité et chiche dans sa compassion. Gracq nous laisse sur notre faim, le héros-narrateur se souvient, évoque de belles images de la citadelle, une sorte de langueur pré-catastrophique. Il serait donc temps de déchiffrer les signes, d’entendre les auteurs, de faire amende honorable auprès de Sa Sainteté et de s’engager concrètement …

jeudi, novembre 27, 2014

Canicule - narcose - parano

Non pas relire mais lire, découvrir le texte, le livre, l’objet même si l’on en est l’auteur. L’expérience est troublante, le texte résonne au-dedans et au-dehors. Je reconnais chaque mot mais me laisse embarquer dans le récit, l’errance de Maxence, je traverse ses interrogations, son malaise, sa divagation berlinoise et intérieure. Je redécouvre au passage les mésaventures des autres protagonistes. Quelques effets de ruptures mais le flux reprend le lecteur l’emmène plus avant, parmi les alluvions des histoires passées, un matériau auquel il est sensibilisé, à lui de faire du lien, d’imaginer ce qui est suggéré.

L’exercice n’est pas gratuit, une invitation à « Entre les Lignes », Espace 2, pile avant un rendez-vous de contrôle chez mon orl, rapport à mon opération de lundi, ce qui en rajoute à la  polysémie et au renouveau de « Canicule parano ». J’avais demandé à l’anesthésiste d’y aller léger sur la morphine et ses dérivés, vu mon état des deux derniers jours, il a dû la remplacer par de la coke ! Blague à part, j’ai décidé de me remettre à jour, maîtriser mon sujet, retrouver le fil du récit, sa saveur exactement, renouer avec Maxence, mon bon Max dont j’aimerais avoir des nouvelles, savoir de quelle manière il a su négocier son retour ? La suite de son existence ? Un énième nouveau départ ? Et la tante Berthe ? Andrée ? Ivona ? L’abbé Jean-Marie ? Elisabeth, la sœur de feu Monseigneur G. ? Je ne connais pas la suite de l’histoire. Sincèrement, j’aurais aimé la lire et pourquoi pas sous la plume d’un autre.


J’ai retrouvé mes intentions, la sensation d’abandon, la torture de cet été lointain à présent. Et Berlin qui a tant changé depuis. Le café Möhring n’existe plus, les bazars près du Zoo Palast ont fait place au « Bikini Berlin », un centre commercial design, hypster et bobo aménagé dans le bloc fifties’ préservé. J’ai photographié une saison, un jour particulier entouré de quelques vignettes : Barcelone, Bâle et Lausanne aussi. L’inachèvement de mon récit en fait sa force paradoxalement. Qu’est-il arrivé à Max ? On sait si peu de lui, de son histoire, son enfance, quelques détails disparates, des images mais rien qui ne lui donne du corps. Envie d’en savoir plus …

dimanche, novembre 23, 2014

Cinéma Bellevaux, extrait du "Cahier vert"

Hier soir, le 22 novembre

Pourquoi partir alors que la brume, une brume d’automne, magique, piquante, enveloppante dans la jeunesse de la nuit … Je suis descendu du 3, à son terminus, Bellevaux, une soirée dédicace, les nouvelles publications de l’un de mes éditeurs. J’y vais pour m’occuper. Cy. tape le carton après une fondue avec ses amies du théâtre. Le « vernissage » se déroule dans un cinéma indépendant, je ne retrouve plus le chemin, j’aurais envie de me perdre pour une heure dans ce cadre familier et étranger à présent mais cette nuit dont la texture est tressée de légendes, de contes, de merveilles dans les hauts beurk de la ville où les bâtiments portent d’étranges noms, où je découvre des cafés, des tea-rooms et, même, une épicerie merveilleuse ouverte en soirée. A peine dix minutes plus tard, je retrouve le cinéma, Stéphane qui entre quasi en même temps que moi, chargé du grignotage du cocktail ; j’aimerais encore marcher dans le petit bout de conte que je me tricote, encore une bonne demi-heure, mais j’y suis et Maude, Alexandre, André ; et le maître de céans, Julien ? Serge ? Je ne connais pas son nom, je bois quelques verres et l’interroge sur la « résurrection » du cinéma. Il vend bien son projet, je vais devenir membre de l’association de soutien, 30.- de cotisation annuelle, trois fois riens pour une bonne action et je trouve mon interlocuteur sympathique ; il a la taille serrée dans un blouson style perfecto de toile noire, la main fine, les traits délicats, le teint diaphane. Olivier est arrivé avec Jean-Luc. Olivier est descendu de La Tchaux. Les auteurs présentent leur texte. Plein de jeunes gens, jeunes filles dans la salle ; je n’ai pourtant pas tant bu, je les trouve tous beaux. Peut-être un effet des granules homéopathiques que j’ai prises en chemin, Gelsemium, histoire de me préparer à l’intervention de lundi matin, des histoires de sinus, narcose complète, etc. J’aurais encore moins de liberté de manœuvre qu’en une semaine de croisière de blaireaux de luxe avec le risque de me retrouver mort, aveugle ou con ! dans un état qui compliquera radicalement la poursuite de ce cahier vert.

            Je parle un peu clubs pointus, son électronique et Berlin avec Thibault. Auparavant, nous parlions de Foenkinos avec Olivier et Maude, je partirai après avoir parlé de séduction et de lieux de pratiques sexuelles gays avec André et cette charmante jeune fille dont je ne me rappelle pas le nom mais le visage. Un garçon brun, yeux bruns, barbe brune lui caresse la cuisse. Je me tiens arc-bouté entre les dossiers de deux rangées de sièges, un genou sur un accoudoir. Le garçon brun a un regard pétillant. Comme ils sont tous jeunes ! Je me décide enfin à partir. Julien ? Serge ? le jeune homme au perfecto m’interpelle par mon prénom, me tend ma carte de membre de l’association de soutien du cinéma sur le pas de la porte. Je compte revenir. Dehors, je retrouve le charme singulier de cette nuit, j’attrape le 8 au vol, une clientèle d’usagers populaire, variée, métissée selon l’expression consacrée. Dans le demi-jour du bus, des brillants étincelaient délicatement aux oreilles d’un jeune père, sa fille dans un pousse-pousse devant lui ; elle porte aussi de petites boucles d’oreille. La mère est assise un peu plus loin, ses grands yeux sombres sourient. Dans le cinéma, la lumière était basse aussi ; elle brillait de la même intimité que cette nuit. Je n’avais rien préparé de ce voyage. Je me suis décidé à faire un saut, rencontrer des amis, des connaissances, mes éditeurs. Je suis monté dans le 3 au sortir de la gare et, alors que le trolleybus roulait vers sa destination, je me suis replongé dans ma lecture, un inédit de Gracq, « Les Terres du couchant », un voyage aussi, une quête sans appel à l’extrémité paradoxale d’un royaume trop vieux, et des monts, des vallées, des forêts, des rencontres aussi. Faudrait-il choisir entre Bögli (je parlais de la voyageuse et autrice suisse Lina Bögli au début  de ce chapitre), Gracq ou blaireaux de luxe comme entre les voyagistes truc, chose et bidule ? Le plus amusant, je m’étais promis, sur le chemin du cinéma Bellevaux, de réfléchir pour moi-même à la ville où je voudrais m’installer, d’ici cinq ans, une petite idée, pas forcément Berlin mais, ravi par cette nuit de sobre merveille, cela m’est sorti de l’esprit. Je me déciderai demain matin. 

mardi, novembre 18, 2014

"Journal de la haine et autre douleur"

Etat des lieux, état de l’œuvre, un texte mi-ancien surgit des archives, retrouver les mots, terribles, ceux de l’incompréhension, de la peine, de l’abandon et du dégoût. Je les imaginais plus … mesurés, policés, à la façon d’une intrigue à la « Rebecca », Daphné Dumaurier. J’ai retrouvé un cri, un plainte de vingt-cinq pages et une douleur intacte quoique devenue étrangère. Etrange séduction, vitalité quasi contre-nature de ces mots qui font habilement mal et soignent à la fois, expérience de l’indicible que l’on garde pour soi, en général, par correction, politesse, urbanité, parce qu’on est un bon garçon.

Je repense bien évidemment à la méchanceté gratuite de M. Louis qui voulait en finir avec Eddy …, violence suprême qui, en dépit du talent, s’apparente tant à un suicide. Je reste plus général, je ne condamne personne en particulier et abhorre la foule biscornue et anonyme qui encombre votre route et pas un seul visage amical pour rendre cette foule plus humaine. Récit de solitude dans lequel le plus proche, le soutien, l’aimé n’est désigné, pudiquement que par le terme de « l’autre ».


Rétrospectivement – et en surface – je ne me souviens de rien de spécial. Les échanges standards de la vie en société, rien qui n’accroche, un ou deux séjours à Berlin, je sais que cela se situe entre la publication de « La Dignité » et la sortie de « Mémoire d’un révolutionnaire ».  Et le feu du texte qui « bouronne » sous la cendre du dépit, déception … Et l’autre, celui de toujours depuis sept ou huit ans, une part de moi-même, la meilleure, Cy. évidemment. Je n’ai pas tant le souvenir de la catastrophe parce qu’il était là et, métaphoriquement, m’a quasi porté pour traverser le guet et refermer ce « Journal de la haine et autres douleurs », un texte bref dont on reparlera bientôt.  

mardi, novembre 11, 2014

"La Lueur bleue" de Stéphane Bovon

L’œuvre de Stéphane Bovon est du pain béni pour le critique littéraire : une bonne quinzaine d’angles d’attaque s’offre à lui afin d’entrer dans le texte, en l’occurrence dans « La Lueur bleue », second opus de la saga « Gérimont ». Bovon fonde un genre nouveau, une sorte d’ « Ecole de Savièse » littéraire tendance ironique kitsch. L’univers de Gérimont peut être regardé comme une caricature de notre quotidien et le but de la caricature est de rendre les défauts à gros traits, de nous révéler nos manquements à la manière des révélations du fou du roi.

Bovon ou l’ethnographe de notre Romandie future fouille dans notre inconscient de latins mêlés et met en scène nos disparités. Il invente une géographie post-cataclysmique, une société à la Huxley dont il nous a expliqué la logique dans « Gérimont », texte fondateur de la suite en devenir (dix volumes prévus). « La Lueur bleue » débute par un enterrement dans le plus pur style pathétique protestant ennuyeux, une célébration mortelle mais prend vite un tour aventureux. Nous avions laissé Shriptar fasciné par d’étranges processions dans un pré gérimontais, autour de pierres levées, du mégalithe local. Il y sera retrouvé mort. Sa veuve, Xixa, va vouloir mener l’enquête et se rendre sur l’autre rive, à la poursuite d’une sorte de secte, des assassins de son mari et, accessoirement, à la poursuite de la vérité.

C’est ici que le scénario prend un tour à la « Indiana Jones » ; Xixa traverse mille et une épreuves : naufrage, empoisonnement, ours, faim, soif, ronces, loups, tentative de viol, crétins des Alpes. La totale ! Le trait est épais mais le suspens fonctionne, le lecteur trébuche avec l’héroïne sur les lieux communs de la quête mystérieuse assumés avec talent, humour et décalage. Bovon est un gamin lettré qui offre une bonne dose de jeunesse à son lecteur. Et ça marche ! On palpite jusqu’au dénouement érotico-mystico-improbable d’un « fight sex » très, très, très chaud. Ajouter à cela les illustrations nombreuses de la main même de l’auteur et vous obtenez une œuvre singulière que d’aucun trouverait moins percutante que le prime opus du projet. Il faut donc considérer « La Lueur bleue » dans la perspective d’une suite.


Dernier point, pas des moindres, Stéphane Bovon qui aime jouer les hurluberlus littéraires romands n’en est pas un. Son projet revêt une dimension philosophique profonde, il travaille à la perpétuation d’un esprit romand et, surtout, d’un esprit vaudois, faisant la part des choses entre toutes les influences passées et présentes qui nous traversent. Il nous promet une fresque en dix volumes, plus que huit, et je compte même, si l’auteur me le permet, lui offrir une exégèse dans un onzième volume « off ».

mercredi, novembre 05, 2014

"Jours adverses" de Julien Sansonnens

Cela faisait longtemps que j’attendais un tel texte, une parole claire, sans faux-semblant, sans effets, enjolivement ou autre sur la ville, sur la détestation de la ville, ses plaisirs faciles, son inculture, sa concupiscence, sa trahison … Je me disais que je me faisais des idées, que j’exagérais comme le disent mes amis en souriant, petit mouvement de dénégation du chef. Avec « Jours adverses », Julien Sansonnens m’a prouvé que je n’étais pas fou, que ce malaise, ce n’était pas que « dans ma tête ». Le roman commence très fort avec une charge houellebecquienne contre la vie un peu sordide du citadin lambda ; on touche presque à « Extension du domaine de la lutte ». Le style, la non-intrigue des premières page évoque aussi le non-sens de « L’Étranger », étranger à soi, aux autres, à la vie … Sam, en narrateur camusien, nous raconte son existence comme elle vient, un peu plate, pas forcément désagréable, rehaussée çà et là d’aventures sensuelles. Sam lève de la pouffe ou de la minette sans trop de peine, il fait aussi parfois appel à des professionnelles. Quelques femmes s’installent pour plusieurs mois dans sa vie, n’y restent pas, la vieille salade du monopole sexuel, mais que comprennent-elles vraiment à Sam ? Il est le non-héros libertaire conscient de l’inanité de toute révolte, conscient des poses et des petites trahisons de ceux qui l’entourent. Dommage qu’il n’ait pas la foi, il ferait un jésuite admirable.

Pour un premier roman, « Jours adverses » est une réussite. Toutefois, après un bon premier tiers, notre auteur semble se regarder écrire et le lecteur s’ennuie. L’action … la non-intrigue tourne au catalogue bien écrit de lieux communs. L’auteur en rajoute un peu, trop, dans le descriptif des parties de jambes en l’air et fait une fixette sur la fellation. L’ennui n’est que passager, le récit se poursuit, le lecteur retrouve la saveur aigrelette et séduisante à la fois du constat social désespérant. Sur près de deux-cent-cinquante pages, il y en a une quarantaine d’inutiles. Elles se repèrent de suite, elles sont écrites dans une syntaxe fade de premier de classe qui maîtrise par trop bien ses concordances de temps.

Julien Sansonnens jouit, en plus de son talent d’écriture, d’un talent de psychologue avéré. La personnalité de chacun de ses personnages est ciselée, précise, et particulièrement cohérente dans sa petitesse et ses défauts. C’est un magnifique défouloir où l’on rencontre le nerd artisteux qui vire petit-bourgeois avec sa « meuf » ; à vingt-cinq ans, cette dernière connaît la vie et offre sa science à Sam. Il y a aussi la « mégote » enthousiaste de basse altitude si prévisible, le vieux con révolutionnaire, l’élu trotskiste qui se goberge dans les bons restaurants, la minette mi-s… qui couche une dernière fois et prépare sa vengeance. Et le père absent ! et policier de surcroît, un petit bijou d’égocentrisme testostéroné psycho-rigide. Des comme ça, pas tout à fait pareils mais approchant, tout lecteur en a des charrois dans sa propre vie. Et la campagne, l’authenticité rurale, du pipeau ! les gens ne sont pas mieux qu’en ville, ils sont d’un autre genre.


« Jours adverses » est un long chant d’amour contrarié. Le récit lassé de nos quotidiens salis par le conformisme et la facilité. A la fin, tout le monde a perdu mais un jour pousse l’autre et « il y en a des plus malheureux que nous ». Sam se remettra, comme toujours, parce qu’il est solide mais, un jour peut-être, on aimerait le savoir heureux.

lundi, novembre 03, 2014

"Bleu ciel", extrait du "Cahier vert"

Au-dessus des nuages, le ciel est d’un bleu toujours parfait, une sorte de beau temps perpétuel, la pluie n’est qu’un état passager, aucune révélation à en tirer. Regarder glisser l’ombre de l’avion sur les flots compacts et moutonnants des nuages, en-dessous. Retour de Berlin et quoi d’autre ? Je fais comme tout le monde en Suisse, je pars, le plus souvent possible, pour me donner de la distraction, du plaisir et des émotions. Je vais à Berlin, comme tous les gays romands. Ils y vont car la turlute y est facile, festive et si loin de la tiédeur moralisatrice bien comme il faut du sexe gay en Suisse. « C’est pour ça que tu y es tout le temps ! » mais jette une personne proche (mais pas Cy.) sur un ton goguenard, une personne à qui j’ai vertement répondu « Pourquoi ? tu me crois frustré du cul ? tu t’imagines que je me tapes des aller-retours de deux milles kilomètres aussi fréquents pour mettre la nouille à tremper ? »

A Berlin, j’écris des romans, je mène ma vie d’auteur, mon petit train mauriaco-greeno-mannien, donner un minimum de forme à ma fuite, recevoir avec plaisir les appels de Cy. au cours desquels il m’explique ses avancées dans l’organisation de notre prochaine croisière, ou une excursion infra-culturel à Paris, voir une comédie musicale, et je sens se desserrer cette tension ainsi qu’exposée au début de ce cahier, tension résultant de la conscience de participer à des activités de masse pour blaireaux et le plaisir, l’expérience que j’en tire, la matière autofictive. Je fais aussi l’expérience d’une tension esthétique, si proche de la folie, la conscience du cadre, une toile rencontrée au Kunstmuseum de Bâle – je suis rentré de Berlin par la cité rhénane, vol à meilleur prix. La toile en question est de Munch, elle s’intitule « Rue à Aasgaardstrand ». Une jeune fille au premier plan, face aux visiteurs, semble interpeler qui la regarde. Derrière elle, un groupe d’autres jeunes filles en conversation l’ignorent totalement ; ces fillettes méconnaissent l’au-delà de la toile, pas même une intuition. Elles forment un cercle compact en grand conciliabule, des maisons à l’arrière-plan, un chemin, un homme semble venir.

Je rentre de chacun de mes voyages plus démunis tant matériellement que psychologiquement. Je serre dans mon cabinet les mille petites délicatesses qui maintiendront vivants des instants de rien, des perles psychologiques, des gemmes que je peux tailler et monter en pendant, en tour de cou, ou dans une parure complète. Je regarde éperdument le coucher du soleil, dans la rue, un parc, depuis la banquette de la cafétéria du « Bon Génie », alors que la lumière trop crue des spots, faux-plafonds, m’écrase et aplati tout du décor, presqu’une lumière de cabine, court courrier pour Berlin, Barça, Copenhague … Le motif perpétuel de la fuite.



mercredi, octobre 29, 2014

"L'Ami barbare" de Jean-Michel Olivier

Photo prise à  Schönefeld
En amorce et de manière lapidaire, je dirais que « L’Ami barbare » de Jean-Michel Olivier est un grand roman d’aventure, populaire, haut en couleurs, une belle ambassade pour la littérature, l’édition et deux ou trois autres choses à propos desquelles je reviendrai plus loin. Jean-Michel Olivier y déploie un style alerte, agréable, ni trop littéraire, ni trop canaille ou poseur : voilà un joli livre à mettre entre toutes les mains, peut-être LE roman grand public des dix dernières années. Son genre éclectique est capable de parler à tout le monde.
Il faut que je vous dise, dans ce texte, à travers ces pages passionnantes qui m’ont comblé de Potsdam à Schöneberg, qui m’ont encore réjoui durant mon vol de retour - l’avion évoluait dans un azur parfait et projetait sa petite ombre sur la mer de nuages en contrebas, un ciel que n’aurait pas renié le principal protagoniste – dans ce texte donc j’ai rencontré quasi un ami, un ami barbare : Roman Dragomir. J’ai peu suivi ce qui se disait à propos de ce roman, il était sur ma liste de lecture, parmi Stéphane Bovon, Sébastien Meier et d’autres. Suite à un post facebookien de Jean-Michel Olivier, l’annonce de l’une de ses critiques sur le blog du Temps, un peu bravache, je lui ai demandé à quand une critique de « Canicule parano », mon dernier roman ? Ce à quoi il m’a répondu « Envoie-moi ton livre, je t’envoie le mien et on fait des critiques croisées ! » Euh, oui, ça tombe bien, mes croisières, séjours berlinois, escapades à Francfort, Paris, Milan, Barcelone, etc. me laissent quelque peu fauché de retour. J’ai quasi procédé de la sorte avec les titres d’auteurs romands dont je parle dans ce blog, quoiqu’avec les autres, j’y vais encore plus franchement au culot. Avec M. Olivier, prix Interallié 2010, je n’osais tout de même pas. Quoique j’eusse écrit en son temps le panégyrique du grand Jean-Michel à l’occasion de la remise du prix de l’Association vaudoise des Ecrivains en 2006. Bref, tout ce détour pour vous dire que j’avais bien entendu deux ou trois choses sur la véritable identité de cet « ami barbare », il s’agirait du fondateur des Editions de l’Âge d’homme, Vladimir Dimitrijevic. Et quand bien même ?!
 
Arrivent ici les quelques reproches que je pourrais faire à Jean-Michel. « L’Ami barbare » est un roman à clef, une vieille clef qui n’ouvre plus qu’un portail rouillé au milieu de rien. Avenue Agassiz, en-dessous de la place Saint-François, il s’en trouve un comme ça : plus aucun mur, aucune grille mais on l’a laissé là entre ses deux piliers parce qu’il fait joli, avec sa ferronnerie d’art, et il est soigneusement fermé à clef ! J’ai bien vaguement reconnu un nom par-ci, par-là. Je n’ai pas retenu le sobriquet par lequel est travesti le nom de Bertil Galland, la charge est massive. Je ne sais pas ce qui a bien pu se passer – pour de vrai – entre Galland et Dimitrijevic mais du peu que je connais ces personnes, j’imagine qu’elles n’étaient pas faites pour s’entendre. Personnellement, avec mon complexe social, je ne peux être qu’écrasé et baveux de respect devant la grande dignité de M. Galland ; je l’ai entendu l’autre soir au téléjournal, j’adore son phrasé d’élite romande sûre d’elle-même. Il y a aussi quelques journalistes évoquées selon leur aspect pincé ou leur chevelure grise, longue et grasse. Notre facétieux auteur ne serait-il pas en train de régler des comptes, quid ? En tous les cas, aucune des figures invoquées ne me parle ; je ne sais pas de qui il s’agit et je ne dois pas être le seul dans ce cas.
 
 
Durant mon adolescence, je suivais très peu les aléas du milieu littéraire romand, ça ne m’intéressait pas. J’avais bien proposé un manuscrit (manuscrit et pas tapuscrit) aux éditions de l’Âge d’Homme, un recueil de nouvelles un peu légères et crypto-gay qui m’avait été chaleureusement refusé. J’en avais pris mon parti et m’étais dit que je réessaierais une autre fois avec un autre titre. Je me souviens avoir entendu dire que Dimitrijevic était un militant d’extrême droite serbe, un type pas fréquentable. Je n’avais pas cherché plus loin. Je n’étais alors ni intéressé par la littérature romande, ni par la littérature slave, ni par la littérature étrangère (non-francophone) en général. Je n’avais d’yeux que pour le microcosme parigot. Mes premières amours littéraires avaient pour nom Hervé Guibert, je brûlais pour son autofiction tragique. En fait, je suis né au monde en 1989, à la chute du mur, je me suis émancipé en 2003, lors de mon premier séjour berlinois, et depuis un peu plus de dix ans, je lis, vraiment. Jean-Michel Olivier, avec son « Ami barbare », m’a rendu l’Europe que je n’ai pas su voir à l’époque, trop engoncé dans un univers prolo et normatif. Il m’a indiqué le chemin vers un continent perdu, vers cette belle et bienheureuse Yougoslavie qu’on a laissé brûler. Il rend son honneur à un mythe local – s’il s’agit bien de Dimitrijevic. Ce roman est un formidable voyage qui m’a donné envie de connaître Trieste la habsbourgeoise et Belgrade la blanche, et tous ces merveilleux territoires « mittel Europa » que me chantent mes amis. Et j’ai un faible pour les Serbes, j’ai toujours eu un faible pour les mauvais sujets, même s’ils souffrent de donjuanisme forcené et sont fous de football (voici le deux ou trois autres sujets sur lesquels je devais revenir). Jean-Michel Olivier a beaucoup de décence allusive quant aux scènes d’amour et ses descriptions rendent presque un match de foot intéressant. « L’Ami barbare » est le roman d’aventure à tenir dans sa bibliothèque.
 
P.S. Inutile d’aller avenue Agassiz, essayer d’ouvrir la grille au milieu du parking, elle n’a plus de serrure, elle est scellée.

mercredi, octobre 22, 2014

BER - le scandale de l'aéroport fantôme

Hier, en compagnie d’une amie, nous avons suivi une visite guidée du futur grand aéroport de Berlin, un scandale tellement immense que nul ne peut le dénoncer ouvertement. Les plans ont été bâclés, l’implantation est catastrophique, à cinq cents mètres de Schönefeld, l’ouverture annoncée a été repoussée cinq à six fois, des dizaines d’entreprises ont dû être dédommagées, un hôtel de bonne catégorie ouvert devant cette aberration aéroportuaire a dû fermer ses portes après être restés ouverts quelques semaines. Toute l’affaire fleure bon le copinage et les arrangements douteux. Le très gay et très médiatique maire de Berlin y a laissé son immense crédit politique. On parle déjà de son successeur à la tête de la capitale allemande aux prochaines élections.

Schönefeld n’était pas un cadeau. Aéroport de brousse desservi par une ligne de S poussive, il est aussi peu accueillant qu’une base militaire soviétique de l’époque stalinienne. Toutes le tentatives pour désenclaver ce lieu se sont soldées par un échec aussi cuisant que discret. Les « Schönefeld express » au départ de Zoo tous les quarts d’heure ont disparu au profit de correspondances compliquées dont la prévisions nécessitent tant la boussole, le sextant que la boule de cristal de Madame Soleil. Finalement, l’usager fréquent s’est rabattu sur le U7, terminus à Rudow,  banlieue mi-moche où il trouve deux ou trois lignes de bus totalement inadaptées au transport de passagers avec bagage qui le mèneront au terminal DDResque de Schönefeld ! Pas un siège où s’asseoir, des sanitaires dignes du goulag et, droit en face, les fières nouvelles constructions de BER dans lesquelles on a totalement négligé le système anti-incendie, salopé le câblage électrique, raté la ventilation ! Lorsqu’on s’est aperçu de la bévue, il était déjà trop tard … Aujourd’hui personne n’ose avancer une date plus ou moins probable d’ouverture, deux ans de retard déjà, des dizaines de lignes aériennes annulées faute de place à Tegel et Schönefeld, sans parler de la fermeture scandaleuse de Tempelhof, présenté durant une campagne d’affichage agressive au  bon peuple comme un aéroport de « sales riches ». Un référendum déclaré illégal avait toutefois demandé le maintien de son exploitation.

BER, donc, une bretelle d’autoroute qui ne sert à rien, une gare souterraine de six voies, quelques œuvres d’art magistrales jetées çà et là dans le terminal désert et tout le monde sait pertinemment que la solution la moins coûteuse consisterait dans l’abandon des bâtiments défectueux, la reconstruction plus loin de nouveaux édifices avec sprinklers et système électrique agréé. On nous a expliqué que les travaux se faisaient « peu à peu », dans le texte, les équipes d’ouvriers travailleraient 24h sur 24, 7 jours sur 7 mais, durant notre visite, nous n’avons pas entendu un seul coup de marteau. Nous n’avons vu que des ouvriers tout frais, tout propre en train de prendre des pauses clopes ou traversant des couloirs sans aucun outil à la main. Le clou, alors que la guide nous faisait son laïus au milieu du hall d’embarquement, deux « ouvriers » semblaient travailler en contrebas, sans outil évidemment, l’un palpait un mur, l’autre lui passait des traverses afin de terminer la construction de leur échafaudage mobile. Le temps de faire quelques photos, de suivre quelque peu les élucubrations de la guide, je me retourne et mes ouvriers de compète ont disparu, avec leur échafaudage à roulettes ?! Par la suite, nous n’avons jamais croisés que des travailleurs venant en sens inverse, que tout le monde les voie. Des figurants !
           

dimanche, octobre 12, 2014

"Sous le Soleil de Satan" de Georges Bernanos

Cela commence lourdement comme un roman populaire, un roman de gare, un mauvais feuilleton sanguinolent et gaillard façon pépère pervers. La petite Mouchette – un nom pareil, c’est le pompon – voudrait bien mais ne peut point et ne fait que des bêtises derrière la maison familiale car elle a peu de religion. Voilà donc un chef d’œuvre de la littérature française !? Et les aventures de Mouchette vous remplissent bien 73 pages, un pensum grotesque comme peut l’être le Malin lorsqu’il est démasqué.  En l’occurrence, le prestige de l’auteur et du titre joue en faveur de la poursuite de la lecture.

Et la suite n’est guère plus engageante, on se retrouve à gloser en compagnie de l’onctueux abbé Menou-Segrais, avec ses atermoiements de vieilles filles, sa délicatesse, son inquiétude pour la santé de ses tapis et sa fin de vie, de carrière qu’il se souhaite les plus douces possibles. C’était compter sans le futur abbé Donissan, un vicaire qui lui a été « refourgué » par une hiérarchie ne sachant trop que faire de ce rustaud, ce séminariste pas très éveillé, si peu cultivé, sans manière et, pire, qui sent l’étable ! C’est aussi une sorte de punition infligée au délicat et cauteleux abbé Menou-Segrais obligé de composer avec ce vicaire empoté, si mal à sa place. Toutefois, le décor est plu que bien posé ; il commence aussi à se tramer un je-ne-sais-quoi entre les attentes de l’un, la maladresse de l’autre. On en oublie quasi Mouchette et son vice par ennui.

Cette deuxième partie, cette « Tentation du désespoir » se termine par une singulière rencontre. Le pauvre Donissan se perd sur la route pour une paroisse voisine où il doit confesser les fidèles. Nuit sans lune, nuit d’hiver, froide et inhospitalière. Et la rencontre, le réconfort offert par un maquignon lui indiquant la route à prendre pour, au moins, rentrer et ne pas geler dans le fossé. Il suffira d’une parole de rien pour que l’abbé s’effondre, ce genre de rien perfide lancé avec malignité et une indifférence feinte. Donissan, crotté, suant, épuisé vient de rencontrer Lucifer, le prince des ténèbres ou l’un de ses avatars. Et l’ange déchu de souiller le prêtre par un baiser – ils en resteront au baiser, on était sur le point d’imaginer d’autres turpitudes d’autant plus que Bernanos fait miroiter quelque secret à son lectorat. Rien qu’un baiser et l’aveu : jamais Donissan en dépit de sa sainteté ne connaîtra la paix. Ce dernier a même offert sa rédemption pour celle de toutes les âmes perdues qui viendraient à lui. Il lui est alors révélé  son don de clairvoyance. Le vicaire Donissan, futur abbé de Lumbres, le grand garçon gauche et inculte, celui qui tente d’arracher de lui toute joie, espérance et autres tentations démoniaques en se flagellant à coup de chaînes, ce pauvre homme d’église toujours crotté et embarrassé est gratifié du don de connaître les âmes, de les lire d’un seul regard. C’est ici, après le départ de Lucifer en marchand de chevaux, que la route de Donissan va croiser celle de Mouchette, plus folle que nature. Donissan lira son âme, ses errements et jusqu’à son proche avenir !

Parmi cette confiture de bondieuseries, cette narration rustique et confuse, ces préventions et ces effets de suspens grossier, le texte de « Sous le Soleil de Satan » révèle sa puissance dans la troisième et dernière partie. On touche alors à des vérités intangibles, comme la parole parfois maladroite du prêtre lors de l’homélie qui nous touche dans une sorte de sommeil hypnotique proche de la révélation. Combien de fois ai-je été réveillé par le volume qui était tombé, je ne m’étais pas même aperçu m’être endormi alors que je poursuivais un dialogue avec le texte même. Et le final,  la mort évidemment, sans pour autant que ce soit là un gage de paix pour Donissan, celui qu’on appelle depuis qu’il en est devenu l’abbé, « le saint de Lumbres. Il y a le miracle, ou une aberration, un enfant mort que Donissan ramène pour moins qu’un instant à la vie. Et la mère en perd la raison. Bernanos nous démontre ici l’inanité de nos stratégies ainsi que la voie d’une vraie et entière liberté. Les prodiges du prêtre thaumaturge ne sont que de grossières manipulations qui nous distraient  de la radicalité du devoir chrétien : un devoir d’amour, ou la meilleure manière de ne pas prêter le flanc à Lucifer.

Un mot encore quant aux vanités épinglées, toutes, surtout la présomption en matière de littérature. Le personnage de Saint-Marin apparaît dans les dernières pages du texte. Il représente la fatuité et la coupable satisfaction de l’auteur arrivé. Cet homme dans le grand âge et la reconnaissance publique se sent acculé. La belle étoffe de sa vie n’est que poussière lorsqu’il veut en tâter le fil. Saint-Marin l’agnostique, le beau vieillard libertin que des aventures avec des filles faciles et douteuses ne rassasient plus veut rencontrer le saint de Lumbres pour, peut-être, trouver une échappatoire à sa faillite programmée. Horrifié par les éclaboussures de sang sur le mur de la chambre du prêtre, résultat de flagellations, chambre qu’on lui a fait visiter comme on visite une grotte miraculeuse, Saint-Marin laissé seul dans l’Eglise de Lumbres, entrevoit une éventuelle sortie de jeu plaisante et digne de lui, la conversion, une gentilhommière près de la paroisse du saint, une fin de vie lumineuse et calme, même un dernier ouvrage … Mais, coup de théâtre, l’abbé Donissan ne se laissera pas embrigader et, à travers la mort semble dire au mondain repenti qui le découvre : « - Tu voulais ma paix, s’écrie le saint, viens la prendre ! … »