Parfois, je rêve d’une vie banale, d’une vie encore plus
banale que celle que je mène. Ce serait une vie assez semblable mais libérée
des références et des relations, une vie où je ne serais que moi sans Thomas,
Julien, François, Félix, Elisabeth, Clotilde, John et n°6. Je vivrais en amitié
avec mon corps et je serais même sociable. Je ferais des choses dépourvues de
la moindre connotation à mes propres yeux. Il y aurait des circonstances
communes, parfois un amant, ou un ami, et moi. Je travaillerais à temps très
partiel, des mandats, l’un de ces trucs débiles qui ne servent à pas
grand-chose. Ce serait un peu physique mais pas trop, suffisamment pour m’obliger
à apparaître en t-shirt voire même sans t-shirt. Je passerais les trois-quarts
de la journée seul, sans avoir besoin de tenir la conversation. Je ne voudrais
conserver de ma vie actuelle que ma sensibilité au monde et la richesse de mon
ressenti. Parfois, j’irais visiter un musée, découvrirais une toile, d’un
regard neuf, innocent. J’aurais peut-être une relation, à distance,
intermittente. Un homme marié ou un jeune sportif professionnel. Je conduirais
une voiture italienne bonne pour la casse, une vieille chose, et mon plaisir de
vacances consisterait à rouler un peu trop vite, dans un cabriolet de louage,
sur une route surplombant la mer, mon intermittent du cœur à côté de moi. Je
ferais cela sans même connaître le nom de Françoise Sagan.
Parfois,
je mène cette vie, lorsque je sors de la salle de sport, 20h, la nuit, la
fraîcheur de l’air, le reflet d’une station à essence saturée de couleurs et de
lumière électrique, ce reflet vulgaire dans les fenêtres d’une lourde maison,
un petit locatif, de l’autre côté de la route. Les salles de bain disposent d’une
lucarne d’un ovale gracile. Il n’y a personne, pas un passant, juste la
circulation clairsemée et anonyme. Je rentre en passant par les quais, observer
le clignotement de la côte française, respirer l’haleine du lac, essayer de me
persuader que je suis l’autre, celui qui n’a pas d’histoire, qui mène une vie
banale, qui va faire des trucs lambda sans rien savoir de l’inquiétude diffuse
que l’on ressent à la vue de « Musique dans la Karl Johann Strasse ».
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