J’ai terminé cette croisière par la messe dominicale de 20h
à Notre Dame de l’Assomption. Comme à l’aller, nous sommes rentrés dans l’inconfort
d’un car, changement à … quelque part au pied d’une montagne valaisanne, la
fameuse compagnie qui a transporté les aspirants miss et misters Suisse Romande
2014 vers leur croisière d’entraînement (à quoi ? mystère, peut-être à
supporter le mauvais goût des plateaux de la télévision suisse romande dont les
décorateurs ont dû suivre les mêmes cours que ceux de chez MSC). Notre dernier
chauffeur n’était de loin pas une lumière et a trouvé moyen de se perdre dans
Lausanne. J’ai – pile – pris place dans les premiers rangs de la nef au moment
de la première lecture. La basilique Notre Dame de l’Assomption est le
principal lieu de culte catholique du canton. Les nombreuses campagnes de
remaniements, réaménagements ont laissé les bâtiments dans un style disparate d’un
goût improbable. L’élégante nef d’Henri Perregaux (1832) s’est vue flanquée d’un
clocher géant mussolinien, de deux puissantes volées d’escaliers et d’un lourd
portique à colonnes doriques. Au sommet du campanile brille une croix de néon
et le chœur en cul de four est orné d’une mosaïque Art Déco très tardif, où le
petit Jésus a quasi la tête d’Adolf enfant. Quant au mobilier liturgique, aux
chaises, aux vitraux, des horreurs brunasses/verdasses résultant du massacre de
la dernière restauration. J’ai eu plaisir à retrouver l’ingratitude des lieux,
l’abbé D*** présidait la célébration, j’ai gardé le souvenir d’une homélie
amusante. Ma chaise tanguait un peu, léger mal de terre, la quête, la
Communion, l’envoi, j’étais de retour. Je suis toujours « de retour »
dans les églises et les musées de ma connaissance ; par contre, je suis « de
passage » à mon logement, un rebord contre lequel s’appuyer dans l’impermanence
de nos vies.
mercredi, décembre 02, 2015
dimanche, novembre 22, 2015
"Entre les lignes", défense et illustration d'une émission de radio
C’est un rendez-vous radiophonique majeur de la littérature
francophone que la direction de la SSR… TSR … RTS, enfin la radio-télévision
Suisse romande, une entité qui n’a cessé de muer, muter et changer de nom sans
pour autant gagner en qualité, bref cette direction au nom du « rendement »
n’a rien trouvé de mieux que de biffer d’un trait de plume négligent ce
rendez-vous mythique de la prochaine grille des programmes. Comment peut-on,
lorsqu’on se prétend service public, grassement subventionné par des redevances
exorbitantes, ce qui signifie des impératifs de rentabilité peu contraignant,
mépriser de la sorte la chose culturelle. « Entre les lignes » est
une porte de la littérature tant romande que française. Que dis-je une porte,
un phare, une voie d’accès, une autoroute, une piste aux étoiles, la
consécration lorsque l'on est un auteur, une reconnaissance et,
souvent, une trouvaille pour les auditeurs.
Je parle pour ma paroisse, soit ; je suis déjà passé à
trois reprises dans l’émission de Jean-Marie Félix, interviewé tantôt par
Catherine Fattebert, tantôt par Christian Ciocca. Ce fut à chaque fois un
excellent moment, l’occasion d’entendre vivre le texte sous la lecture d’un acteur
professionnel. Je ne pourrais pas tous les nommer, leur voix m’est familière, je
suis aussi un auditeur « mi-assidu » de l’émission ; j’en écoute
les podcasts le matin, dans la salle de bain, durant mes nombreux séjours
étrangers. Et parfois en live, quand je n’enseigne pas. Lorsque je prends l’émission
au vol, je reconnais la voix d’un «collègue » ou, lorsque je ne connais
pas personnellement l’invité, je devine le titre de son roman en deux ou trois
échanges. Il y a aussi des auteurs qui m’énervent, j’en ai épinglé un – une en
l’occurrence – dans « Journal de la haine … »
Se priver de « Entre les lignes » est, non
seulement, une marque de mépris d’une bande de marchands de soupe envers la
littérature mais c’est aussi priver la SSRTSRTS… ou je ne sais trop quoi, le
gros bazar qui chapeaute Espace2, priver ce service dit public d’une ambassade
reconnue dans les médias internationaux de langue française. Ce n’est pas avec
le « Kiosque à musique », « Un air de famille » ou, pire, « Les
coups de cœur de l'apoplectique Alain Machintruc » que l’on va se faire une respectabilité
parmi le petit marché de l’audio-visuel francophone pléthorique. Sophisme me
dirait-on, élitisme, mépris du goût populaire, etc. Pourquoi comparer ce qui n’est
pas comparable, une émission culturelle radiophonique avec de la téloche à
neuneu ?! Ce n’est pas moi qui ai eu l’idée saugrenue de faire un gros
gloubiboulga commun avec la télévision et la radio de ce pays. Il y aurait,
paraît-il, des synergies. Je constate surtout que la radio qui est plutôt
économe se voit retirer le peu qui lui est accordé pour l’attribuer à une
télévision dispendieuse et inadaptée à son temps. Quant à mettre en balance de
la littérature et du divertissement lourdaud pour première partie de soirée le
samedi, je procède selon les nouveaux critères de compétitivité de l’audio-visuel
public suisse. Si « Entre les lignes » ne pousse pas à la vente de juteuses
plages publicitaires, cette émission génère néanmoins du prestige et la
reconnaissance unanime d’un milieu culturel peu enclin à la louange. Regardez
donc la liste des invités, vous y trouverez de grands noms des Lettres
parisiennes. Et croyez bien que personne ne se fait trop prier pour répondre « présent »
à une invitation de Jean-Marie Félix.
Messieurs de la RTSSRTS, du truc, du chose, le machin qui
gère les sommes indécentes versées pour notre redevance-rançon, histoire d’avoir
le droit de regarder Arte, Planète, France5, parfois M6, 3Sat, TV5 Monde,
ZDF, Das Erste et d’écouter France Culture et France Info quand on n’écoute pas
Espace 2 ou Vertigo et les infos sur La Première; Messieurs, donc, il n’est pas
trop tard pour faire marche arrière et maintenir une émission qui vous rapporte
bien plus que des recettes (publicité, redevance), une émission qui vous
apporte le respect !
dimanche, novembre 15, 2015
13.11.15
Depuis le salon d’été, où j’ai pris l’habitude de
travailler, je jouis de la vue calme du lac, les Alpes, la France voisine. Il s’agit
d’un panorama à la Gracq, frontière et paysage. Vendredi soir, j’étais au
téléphone avec Christine, Berlin, des nouvelles du Schweizer Verein, de la
paroisse Sankt Hedwig, de la vie dans mon cher Brandebourg.
23h30, je raccroche. La table est encombrée de livres, une
théière, une tasse en Lomonosov. C’est un décor hors d’âge ; ce pourrait
être un intérieur à la Green ou à la Mauriac. La paroi de la montée d’escalier
est couverte de gravures anciennes, monuments et vues pittoresques, dans un
goût bourgeois suranné. Plus personne ne veut de ce genre de chose, symbole d’élégance
des intérieurs chic jusque dans les années 80. Une autre époque. Les marches
craquent sous mes pas. Je m’apprête à aller me coucher, réunion politique le
lendemain, lever à 7h. La salle et le séjour sont dans la pénombre, Cy. s’est
endormi sur le canapé avec le chien. La télévision est allumée, programme
spécial, un bandeau rouge au-bas de l’écran. En quelques mots, tout est raconté.
J’éteins, réveille Cy. qui gagne son lit. Dans un demi-sommeil, il me dit les
attentats à Paris. « Je sais … » et par ces deux mots j’ai conscience
que nous sommes passés dans un après.
Il est tard. Sur le chemin de mes « petits appartements »
- comme dans les grandes maisons, nous pratiquons la chambre à coucher séparée –
je dépose le chien dans son panier. Je sais, et depuis cinq minutes. Prendre
des nouvelles amis sur Paris via les réseaux avant d’être inquiet, tout est OK,
0 Killed, pas de morts parmi ceux de ma connaissance. Quant aux autres, les
chiffres enflent à vue d’œil, demain sera là assez tôt pour s’en horrifier. Et
après ? Nous sommes déjà dans cet après et je ne sais pas comment nous y
vivrons ?!
mercredi, novembre 11, 2015
La chapelle Saint-Dominique-Savio de La Longeraie, Morges
Il s’agit d’un lieu aimé et un rien mystérieux, un édifice
accessible et protégé, discret sans être secret, un point de vue bien connu des
habitants du quartier de Préllionnaz, signalé par un campanile gracieux
dépassant des champs alentours. J’ai passé mon enfance à m’étonner de
ce lieu, la chapelle Saint-Dominique Savio du domaine de La Longeraie, un
édifice réalisé d’après les plans de l’architecte Charles Pellegrino. La chapelle n’était alors plus en service, de toute manière je n’étais
pas encore catholique … On racontait tant de choses sur ce
« domaine » de la Longeraie, une école catholique tenue par les
doctes Salésiens, au service de garçons de 10 à 15 ans, traversant tant des
difficultés familiales que scolaires. Les pères ont tenu cette école jusqu’à la
rentrée 1980. Ils ont quitté la place le cœur gros après 68 ans de présence.
J’ai le souvenir d’une chapelle éteinte, endormie et vide de
la présence du Sacrement, une promenade hivernale, le sentier gelé de terre
battue qui relie la cour d’honneur au reste du quartier ; il y avait
encore les vergers. Je monte les quelques marches du péristyle et tente de voir
l’intérieur de cette église, le faible éclat des vitraux, le jour est très bas.
Un déambulatoire emmène le promeneur vers un couvert, la cour de l’école. Je
reste intrigué et vais le rester longtemps.
Effet du hasard, je reviens m’installer à Morges, au centre
ville. Entre ma promenade hivernale et mon retour, il s’est bien écoulé une
trentaine d’années durant lesquelles j’ai reçu le baptême, ai confirmé et pris
l’habitude de participer à la messe dominicale. Peu après notre emménagement –
je ne suis pas revenu seul – je découvre avec joie que la messe se donne à la
Longeraie, tous les dimanches, à 18h30. Le Seigneur y est revenu. Une brique
commémorative proclame ce retour avec la fin des travaux de réhabilitation en
2010.
Plus qu’une chapelle, l’église Saint-Dominique Savio, est un
lieu de recueillement accueillant, l’espace s’organise sur un plan basilical au
sens strict, l’église-halle ou la basilique telle que conçue dans l’antiquité,
un rectangle terminé par une abside en cul de four. Cette inspiration à
l’antique est renforcée par les quatorze colonnes fuselées cannelées soutenant
un plafond lambrissé en berceau. La lumière, surréaliste, merveilleuse provient
de jour du bandeau de vitrail enchâssé dans du béton, une œuvre des maîtres
verriers Aubert et Pitteloud sur la base des cartons réalisés par Auguste Rody.
L’ensemble court au haut de l’enceinte sans interruption et raconte la vie du
jeune saint Dominique Savio, élève de saint Jean Bosco. Le petit saint patron
des adolescents donne certainement cette note fraîche à l’ensemble qui jamais
ne paraît austère.
Il faut voir la chapelle au couchant, lorsque le chœur est
illuminé de taches de couleurs vives, le soleil du dehors devenant un soleil
mystique. Je suis dans l’incapacité de vous parler des lieux hors du contexte
de ma foi. Cet espace est habité, pour preuve le succès des messes dominicales.
Quelque soit la saison, le fidèle emprunte le chemin de terre battue, guidé en
hiver par la silhouette estompée du campanile. La chapelle brille alors comme
une lanterne de Noël. Le grand vitrail de la tribune l’accueille, des motifs
d’aspect floral. Car la chapelle a tout d’une grande église : un orgue
occupe cette tribune et accompagne les offices. Les bancs, le mobilier
liturgique, l’autel participent à l’unité de style de cet espace consacré pour
la première fois en 1957. Jusqu’au chemin de croix, épuré, stylisé, design
dirait-on s’il était une œuvre contemporaine. Celui-ci est de l’artiste
céramiste Béatrice Cinci.
Catholique ou pas, croyant ou pas, pas même amateur pointu
d’architecture, je t’invite, visiteur, à t’arrêter dans ce lieu, découvrir cet
espace de paix. Il est emblématique de la vie des Morgiens. Il est une forme
récente de piété urbaine qui saura même toucher le cœur le plus farouchement
athée.
mardi, novembre 03, 2015
"Capucine" de Blaise Hofmann
Ma rencontre avec l’ouvrage « Capucine », de
Blaise Hofmann tient du hasard, un double hasard. Cela commença par l’annonce
de l’exposition de photographies « Qui se souvient encore de
Capucine » au musée Forel, la bonne institution morgienne à laquelle je
suis … abonné ou avec laquelle je suis ami, à moins que ce ne soit une
association qui s’occupe de prélever des cotisations annuelles en échange d’un
droit de visite illimité. Bref, le musée m’envoie régulièrement une news-letter
par voie électronique et des invitations par voie postale. Il y a un peu moins
de deux mois de cela, j’ouvre l’un de ces courriers et en extirpe le bristol
d’invitation. Il est signalé que l’auteur d’une toute récente biographie de
Capucine sera présent. Capucine, un auteur ?! Je me rappelle d’une
anecdote, quelque chose que j’avais placé dans « Journal de la haine et
autres douleurs », notre voyage à New York avec Cy et sa tante. Nous
avions passé une journée entière à Woodburry Common, une sorte de village de
carton-pâte, un super outlet de toutes les grandes enseignes du centre ville.
Chez Saks, où je fis l’acquisition de quelques accessoires, l’une des vendeuses
avait repéré que je parlais français avec Cy. C’est donc en français qu’elle
s’adressa à moi. Tout naturellement, elle me demanda d’où je
venais, « une ville sur le lac Léman, à côté de Lausanne ». La
vendeuse écarquilla les yeux, répéta « Lausanne » avant d’ajouter
« là où vivait Capucine ». Je découvris alors que la star discrète
qui s’était jetée par la fenêtre de son appartement, au huitième étage d’un
locatif de standing du chemin de Primerose, était vraiment une star.
Après avoir googelisé Blaise Hofmann, j’ai trouvé une
adresse courriel, contacter l’intéressé, lui raconter mon anecdote avec la
vendeuse de chez Saks. J’étais surtout intrigué par l’intérêt d’un journaliste
pour une gloire oubliée au nom de fleur… Je lui ai donc proposé un échange de livres.
Brève rencontre à la cinémathèque, il intervenait en avant projection d’un film
dont Capucine tenait le premier rôle. Nous avons procédé à l’échange puis je
suis rentré, déjà captivé par les premières pages. Je n’ai pas été déçu du
reste, surtout impressionné par le travail d’enquêteur de l’auteur. Reconstitution
minutieuse de la dernière journée de Capucine, remise en contexte de la période
par l’évocation de petits riens (météo, programme télévisé, la une de la presse
romande). On y est, et plus particulièrement le lecteur lémanique qui replonge
dans ses propres souvenirs, essaie de se rappeler de ce qu’il avait bien pu
faire ce 17 mars 1990, un samedi et rien de pire que les samedis lausannois,
leur étroitesse, leur ennui, cette manière épouvantable qu’ils ont à se
refermer sur eux-mêmes dès 18h, 17h à l’époque, heure de fermeture des magasins
et de tant de cafés. Les lieux encore ouverts ne sont pas faits pour les
solitaires, aucune échappatoire ne semble possible. Hofmann relève même qu’on
annonce « Sébastien c’est fou » sur la première en soirée.
Comment une femme coqueluche du Paris d’après-guerre,
mannequin vedette de Hubert de Givenchy et son amie, étoile du cinéma américain
des années soixante, fourrures, robes de créateur, bijoux, villa merveilleuse,
limousines … comment une telle femme a-t-elle pu finir dans le cul-de-sac
existentiel d’une vie à Lausanne ! Et elle avait largement dépassé l’âge
de jouir de l’hédonisme brouillon des nuits de la capitale vaudoise, lorsque le
MAD n’était pas encore une boîte de vieux jeunes entre blaireaux et bobo.
Combien de fois Capucine n’a-t-elle pas dû laisser errer son regard sur le lac,
le cirque des montagnes, cherchant d’où viendrait son sauveur, depuis sa
terrasse, son nid d’hirondelle. Hofmann nous raconte un conte tragique et l’avancée
de ses recherches en parallèle, Saumur où grandit Germaine Lefèvre pas encore
devenue Capucine, Cap’ pour les intimes. On y apprend l’enfance, l’usine de l’oncle
un peu collabo’ sur les bords, le père un peu planqué sur un autre bord, la
mère limite malveillante, certainement jalouse de sa fille, petit monde étroit
et provincial sous l’Occupation. Puis Paris, les petits boulots, un mariage
raté, l’engeance de l’existentialisme, une lubie pour ceux qui sont nés avec
une cuillère en argent dans la bouche, ou ceux qui n’aiment pas danser
frénétiquement jusqu’au petit jour dans les cave à jazz. Il y aura encore la
carrière de mannequin, Hubert de Givenchy, l’ami de toujours, la rencontre avec
Audrey Hepburn, l’amie de toujours. Finalement les Etats-Unis, un agent en père
de substitution, son pygmalion, des rôles magnifiques mais Capucine a-t-elle
été une grande comédienne ?
Mystère. J’ai le souvenir d’avoir vu – dans le délire d’une
fièvre grippale – « What’s new, pussy cat » ; j’avais douze ou
treize ans et la mélodie du générique ne m’a jamais quitté. Capucine était de
cette aventure déjantée, très en décalage avec son emploi d’icône de la femme
sophistiquée. Hofmann nous rend parfaitement le paradoxe de cette comédienne
qui rencontra soit son public mais pas son réalisateur. Elle était une déesse d’un
autre temps, la tragédie de sa vie. Finir seule à Lausanne, ni proches, ni
enfants, quelques mots avec le serveur du « Gros Minet », le bar sur
l’avenue de Cour, un salut à la concierge – Capucine sent très bien que cette
femme ne l’apprécie pas tant, un coup de fil à Audrey qui vit à une dizaine de
kilomètres de là mais l’amie de toujours est encore en déplacement, son travail
d’ambassadrice de l’Unesco. Je n’ai pas vu de film de Capucine depuis que j’ai
terminé la lecture de son excellente biographie ; je ne cherche pas
particulièrement à le faire. La mort de Capucine m’a toujours été une sorte de
motif mythologique. Maladie ? Peine de cœur ? Déception ?
Fatigue ? ou lorsque l’étoile froide de votre gloire éteinte vous laisse
dans l’obscurité, et à Lausanne. Sous l’élégante plume de Blaise Hofmann,
Capucine a enfin trouvé un auteur qui lui sied.
vendredi, octobre 23, 2015
"Il est de retour", le film
« Il est de retour » est de retour, après le roman
désopilant et bien mené de Timur Vermes, les écrans allemands ont droit à la
primeur de l’adaptation cinématographique. Passer du texte à l’image n’est pas
chose facile, rentre en ligne de compte le respect du roman , de l’idée que l’on
s’en fait, sans parler de la dimension choquante du propos, l’intimité de la
lecture n’a rien à voir avec une projection en salle, du moins tant que le film
n’est pas disponible en dvd ou en streaming. Le pitch (égal à celui du livre),
Adolf Hitler se réveille en 2014 exactement là où son corps avait été incinéré
en 45. Difficile pour un homme en uniforme nazi et ressemblant trait pour trait
à Adolf Hitler de passer inaperçu dans notre société filmée 24 sur 24, de manière
volontaire ou non. Très rapidement, notre protagoniste va savoir tirer parti de
ce diktat addictif de l’image tout en
flattant la vanité de ceux qui vont l’aider.
Le réalisateur (David Wnendt) rend parfaitement l’esprit du
texte, tout en le poussant au-delà de la bonne pochade par un travail de
mise-en-abîme subtile et philosophique. Il incite le spectateur à se poser les
bonnes questions ; où se trouve la limite entre la parodie et la
conviction ? quelle est finalement la responsabilité de tout Allemand ?
cette responsabilité dépasse-t-elle le cercle du peuple allemand ? Hitler
revenu d’entre les morts lance à Sawatzki, un jeune assistant producteur de
télévision timide, l’un des premiers promoteurs de son retour sur le devant de
la scène, il lui lance donc « vous ne pouvez pas me supprimer, car je suis
une part de vous tous, et pas forcément la plus mauvaise ». Le film se clôt
quasi sur cette scène, puis une traversée triomphale du Führer dans une
Mercedes décapotable à travers Berlin où les passants lui font tantôt des
doigts d’honneur tantôt de petits signes amicaux de la main ou, même, un franc
salut nazi (il s’agit de vrais passants et pas de figurants, certaines scènes ayant
été tournées en milieu « naturel »).
Scénario rondement mené, rythme et gags, dérision de la
culture allemande (sous-culture diront les mauvaises langues), le film repose
néanmoins sur la prestation d’Oliver Masucci qui campe un Hitler encore
meilleur que Bruno Ganz. La gestuelle, la posture, le phrasé, tout y est, jusqu’à
cette assurance du regard qui ne semble pas être le fait d’un comédien. A
propos de Bruno Ganz, coup de projecteur sur une scène reprise et réadaptée de « Der
Untergang ». Rappelez-vous lorsque le Führer dans son bunker, acculé par
la nouvelle de sa défaite prochaine se lance dans une diatribe enflammée, invectivant
ses généraux. Remplacez Hitler par un directeur de programme ambitieux acculé
lui aussi à une reddition prochaine du fait des mauvais résultats d’audience et
vous le verrez se comporter exactement de la même manière qu’Adolphe, les mêmes
cris, les mêmes menaces, la même violence. Hitler est parmi nous …
Question débat, le film suscite quelques réactions, guère
plus que le livre ou la pièce. Entre Pegida, la crise des migrants et la guerre
en Syrie, Vermes et Wnendt font figure de Cassandre. Un leader populiste,
droit, intègre, passionné et écologiste de surcroît ferait florès, et peut-être
mieux qu’en 33. Et pas seulement en Allemagne. En surimpression de la traversée
de Hitler à travers Berlin, une mosaïque d’images tirées de l’actualité
récente, Marine Le Pen, Nigel Farage, La lega del Nord, et d’autres encore, des
purs produits de nos démocraties libérales : tout ce qu’il y a de plus
officiellement élus par les déçus du système, les déclassés qui votent encore,
les laissés-pour-compte qui tentent de protester une dernière foi. En fait, il
n’est pas de retour, il n’est jamais vraiment parti.
samedi, octobre 17, 2015
"Perdre la paix" de Christophe Girard
« Perdre la paix », petit livre de souvenirs plus
vrais que vrais du grand Maynard Keynes, Keynes ? LE Keynes du
keynésianisme, la célèbre théorie économique – et on n’a pas inventé mieux –
qui prône une redistribution partielle de la fortune par une intervention
adéquate de l’Etat. Ne soyez pas étonné, l’auteur n’est autre que le brillant maire
socialiste-centriste du IVème arrondissement, Christophe Girard. L’homme de
lettres est aussi talentueux que le politique ; son roman historique prend
la forme adroite et hybride d’un roman mi épistolaire, mi journal intime, voire
une confession. Girard a imaginé (je fis pareil en son temps avec le héros
révolutionnaire vaudois Laharpe dans « Mémoire d’un
révolutionnaire »), Girard a donc imaginé le journal intime de Keynes
alors qu’il était l’un des négociateurs britanniques en vue du diktat de
Versailles, la honte des alliés, l’après Première Guerre mondiale lorsqu’une
France vindicative et un empire britannique jaloux de son hégémonie
géoéconomique chargèrent l’Allemagne de tous les vices et dépecèrent n’importe
comment l’Etat austro-hongrois, le tout avec la complicité d’une Amérique naïve
jusqu’à la bêtise. Et le Keynes historique était tout à fait conscient de cela,
de la catastrophe à venir (avènement du nazisme avec la complicité des alliés
en réponse à leur peur panique du socialisme).
Pour faire bonne mesure, Christophe Girard a donné pour
interlocuteur à son héros le jeune Volodia, un traducteur qui le connut lors de
la conférence de Paris (prélude au diktat de Versailles). Ce jeune homme
deviendra le diariste, à postériori, de cette
conférence. La mort de Keynes, vingt-sept plus tard, un mot de
condoléance à sa veuve, l’invitation de celle-ci à se rappeler, et Volodia va
raconter sa rencontre avec Maynard, sa turlute avec le monsieur dans une cabine
des toilettes du quai d’Orsay, une réédition de la chose dans des circonstances
moins … enfin plus … et oui, Keynes était gay ! C’est avec une gourmandise
non dissimulée que notre auteur évoque ce trait de la personne du célébrissime
économiste. Il insiste parfois un peu trop, s’attarde sur quelques détails
scabreux à des fins militantes. Il est vrai que l’on a toujours voulu faire de
Keynes un gentil hétéro potentiellement détournable et ne faut-il pas rendre à
César ce qui est à César ! L’auteur mêle la voix de Maynard, celle de
Volodia et quelques lettres de la veuve avec talent et fluidité. Cela en
rajoute à la clarté du portrait et aux véritables enjeux de cette conférence de
Paris. A ce propos, petit bémol, en sus d’une certaine complaisance dans le
graveleux de la scène de turlute, il sort parfois un cocorico discret du petit
cœur français de l’auteur, un chant de fierté à peine malvenu mais c’est un
germanophile de nationalité suisse qui vous l’écrit.
On ne peut toutefois pas taxer Christophe Girard de
chauvinisme. Il relève la rapacité des autorités françaises de l’époque, la lâcheté
britannique, et l’avidité de toutes les autres nations, toutes prêtes à fondre
sur l’Allemagne. Le texte est vivant, les personnages ont la crédibilité de
politiciens actuels dans leurs confidences via la presse d’investigation.
L’éclairage est adroit quoique perfectible … Ach, mein deutsches Herz a tout de
même bondit à plusieurs reprises. Même si Monsieur Girard ne donne pas dans l’anti-teutonnerie
primaire, il pèche par méconnaissance
ici ou là, à peine des imprécisions, mais de ce genre de flou léger qui fait
toute la différence. Nous avons droit à une lecture de l’intérieur des
positions anglo-cocorico-françaises, un ou deux descriptifs réalistes
catastrophistes de l’Allemagne vaincue, assortie d’avis à l’emporte-pièce sur
cette Allemagne que nos voisins français révèrent aujourd’hui mais
méconnaissent et ce parmi des cercles universitaires. Christophe Girard pèche
donc par ethnocentrisme naturel, il n’est pas allé jusqu’à dire des aberrations
du genre de celles que tiennent des chercheurs du CNRS claironnant haut et fort
que « les territoires des empires centraux n’ont connu la démocratie
qu’après la première guerre mondiale », comme si c’était la France de la
révocation de l’édit de Nantes, la France antidreyfusarde et antié-sémite (voir
l’affaire Dreyfus, 1894-1906), la France de la criminalisation de
l’homosexualité (lois radiées en 1981
par Mitterrand) qui était venue apprendre la chose à l’Empire allemand et
l’Autriche-Hongrie, deux Etats démocratiques et tolérants que l’on ne peut pas
mélanger sous l’étiquette commune « d’empires centraux » avec
l’empire ottoman et la Russie tsariste ; ce serait aussi grossier que de
confondre la Vème République avec Vichy !!!
J’eusse aimé lire l’évocation des principes de tolérances
allemandes qui prévalaient tant en Prusse que dans le Saint-Empire en matière
confessionnelle. Depuis la terrible guerre de Trente Ans (1618-48), ces deux
Etats acceptaient la confession protestante (aussi égarée soit cette religion
sur certains points, là, c’est l’auteur catholique qui vous parle) au sein de
leurs populations. Ces deux mêmes Etats acceptaient aussi des citoyens juifs,
sans leur faire vivre de pogroms ou autres moindres violences. L’empire
allemand (1871-1918), empire qui était gouverné par un parlement
démocratiquement élu vota même des lois de lutte contre l’anti-sémitisme, lois
ratifiées par Guillaume II, l’un des souverains les plus caricaturés après
Louis XVI (ici s’exprime ma sensibilité légitimiste). Faut-il rappeler que ce
même Guillaume II n’ajourna pas les élections législatives en pleine Première
Guerre mondiale, élections qui se soldèrent par une majorité socialiste ce qui
poussa l’empereur à abdiquer ! Cette nouvelle Allemagne sociale-démocrate
se tourna vers la voie diplomatique et l’armistice pour mettre fin à une guerre
dont elle n’était pas l’initiatrice (faut-il le rappeler) et dans laquelle elle
ne se reconnaissait plus. Elle le fit en toute bonne foi. Dernier point, celui
de l’acceptation de la différence sexuelle. La Prusse connaissait une tolérance
légendaire, merci Frédéric II, tolérance qui continua de s’exprimer dans
l’empire allemand. Du moment que vous vous mariiez, vous pouviez bien aimer et
pratiquer votre propre sexe. La République de Weimar ira plus loin, elle
faillit légaliser le mariage entre personnes du même sexe. Inutile donc de
s’appesantir sur la France laïque incapable de vendre le projet de mariage pour
tous. Histoire d’enfoncer le clou, je ne résiste pas au plaisir de citer le nom
de la Kaiserbründl, littéralement la petite fontaine de l’empereur, sauna
masculin à la réputation gay, un établissement ouvert en 1889 en plein coeur de
Vienne. Le lieu fut fréquenté par le grand-duc Ludwig-Victor, frère de
l’empereur Franz-Josef et personnage très haut en couleurs.
Soit, on s’éloigne peut-être du sujet de l’ouvrage dont il
est question, autant pour moi, il faudra que j’écrive ce livre sur Guillaume II
et mes Allemanges d’avant-guerre, sur les vertus qu’elles portèrent et portent
encore. Que cela ne vous empêche pas – en attendant cet ouvrage – de lire « Perdre
la paix », de Christophe Girard ou la conférence de Paris vue par le petit
bout de la lorgnette.
samedi, octobre 03, 2015
"Animarex" de Jean-François Kervéan
Anne, Jules, Vivonne, Bibiche et Louis, évidemment Louis, et
Olympe, Mme de la Fayette aussi et tant d’autres, la jeune cour de Louis, le
quatorzième, un souverain pour lequel je n’avais pas de vénération
particulière. Il y a aussi l’auteur, Jean-François Kervéan, rencontré lors du « Livre
sur les quais » à Morges. Christophe Girard – auteur brillant, ma
prochaine critique, et maire du IVème arrondissement – tenait ab-so-lu-ment à
me le présenter. Le monsieur était sagement assis à un bout de table, un peu
embarrassé de lui-même, dans le voisinage très, trop proche d’auteurs à gros
succès. Christophe a fait les présentations, Kervéan m’a tendu la main, avant
tout soulagé de voir en Christophe un visage connu.
Un verre de vin à la maison, dans l’attente du dîner des
auteurs, nous avons fait un échange et quel bonheur d’avoir rencontré un auteur
aussi subtil. Le roman est tout à son image. Le lecteur rencontre les
différents protagonistes avec une sorte d’évidence cordiale. Les présentations
ont été faites et nous voilà dans l’intimité du tout jeune Louis, sa chienne
Friponne, sa gouvernante, une halte impromptue. Nous n’allons pas suivre le roi
soleil dans tous les aléas de son grand règne ; Jean-François Kervéan nous
ouvre aux secrets d’une jeunesse, d’un cœur, une rencontre et une liaison avec
Bibiche, la farouche et voluptueuse Marie Mancini, nièce du cardinal Mazarin.
Sont offertes au lecteur les minutes de la relation d’un don
Juan compulsif avec sa première maîtresse et quoi d’autre ? Kervéan brosse
le portrait d’un homme libre, loin de la pompe royale, béton prise rapide.
Louis-Dieudonné dans toute sa vérité historique devient … un ami, tout du moins
l’un de ses personnages que l’on est impatient de retrouver. La vérité de
l’homme ne nous est pas livrée par un auteur ou un historien mais par l’âme-même
de feu le grand souverain, d’où le titre, « Animarex », version latin
de cuisine. Le texte prend la forme d’une confidence entre cette âme – qui
vampirise l’auteur dont elle fait son nègre – et le lecteur. La trame narrative
supporte un tissage complexe, va et vient du XVIIème au XXIème siècle, le
Marais en décors commun, surpiqûre de quelques anecdotes colorées, la petite
histoire de « l’Hôtel de la Semence ». L’étoffe du roman est doublée
du taffetas léger, motif moiré, le récit de la réalisation du livre ; on
suit l’auteur, mise en scène, mise en abîme, effet miroir façon galerie des
glaces limite schizophrénique.
Ce n’est pas un livre de plus sur Louis XIV, un truc docte
et pompeux. Il se trouve que la relation contrariée, douloureuse dont il est
question, était celle qu’un jeune souverain a partagée avec la nièce impétueuse
de son « premier ministre ». Cela définit un cadre, un certain nombre
de contraintes, un motif imposé mais la langue de Kervéan est alerte, son
esprit pétille dans la description vivante de petits riens : détail des
menus, nom des animaux domestiques, surnoms divers et des lieux, des situations
authentiques car racontées par Mme de la Fayette, par des épistolaires et
autres chroniqueurs d’occasion. En cette année jubilaire de la mort du Roy, si
vous n’êtes pas abonnés aux romans historiques mais avez envie de lire quelque
chose sur le grand règne, votre ouvrage sera « Animarex » de
Jean-François Kervéan.
samedi, septembre 26, 2015
"L'homme sans qualité" de Robert Musil, tome 1
Près de neuf cents pages, détail anecdotique, peut-être un
peu moins de huit cents finalement, je n’ai pas le volume sous la main. Parmi
cette masse, on ne trouve que quelques pseudos-intrigues amoureuses et le récit
d’un projet sans fond, une coquille vide, la « grande action
nationale » en vue du jubilé de l’empereur. Musil commence la publication
de ce roman en 1930, le début de la rédaction ne doit pas remonter à plus de
dix ans, le moment exact est sans importance, il suffit de retenir que le texte
date de l’entre-deux guerres, d’avant l’accession du chancelier Hitler au
pouvoir. En ces temps-là, le grand Thomas avait publié l’incomplète
« Montagne magique » et reçu le Nobel de littérature. Pour poursuivre
la comparaison, Musil fait très vite comprendre à son lecteur qu’il ne doit pas
s’attendre à une narration linéaire, avec un début, une fin, des personnages
bien campés, une quête intérieure et morale finale à la clef. Que pouick. Musil
est bien plus moderne et radical, quoique dans un genre plus éduqué que Thomas
Bernhard un bon quart de siècle plus tard. Ce dernier partage avec Musil une
analyse froide de la société autrichienne.
Mais que nous apprend l’insaisissable Robert Musil ? un
être mi ceci, mi cela, entre le lard et le cochon, que l’on peut supposer gay,
à bon droit, mais se défilant, pareil pour l’orientation politique, de gauche
mais pas déclaré, suspicieux face aux idéologies triomphantes et plus attaché à
la demi-mesure des possibles k und k d’un État ancien et universel. Notre
Robert s’est projeté dans un avatar flatteur, Ulrich, un indécis de trente ans,
athlétique, séduisant, ni romantique ni Don Juan, platement hédoniste dans un
monde en sursis, une époque sur le fil. Entre sa belle cousine idéaliste et
snob, sa maîtresse nymphomane, l’une de ses amies hystériques et quelques
autres figures féminines guère plus équilibrées, il laisse venir, sans à
priori, avec une curiosité de scientifique. Ces femmes tiennent presque le rôle
d’allégorie des tendances du peuple, de ses aspirations, ses espoirs et Ulrich
représenterait le principe de raison.
Musil ou la métaphore d’une catastrophe annoncée et je ne pense pas à la
première guerre mondiale, une guerre de blocs qui s’est terminée en guerre
anti-allemande, la honte sera pour les alliés.
Il y a bien l’élégance d’un temps de gens éduqués, ce petit
plus qui permettait de supporter l’attente et le vertige de la vacuité, de la
médiocrité, un temps qui, pour la première fois, reconnut du « génie »
à un cheval de course. Imaginez que vous glissiez dans le sommeil, un sentiment
approchant mais, plutôt que le sommeil, vous ne trouveriez qu’une insomnie
hypnotique.
vendredi, septembre 11, 2015
Le Livre sur les Quais, 6ème édition
6ème édition du Livre sur les quais, 3ème
pour moi, toujours autant de moments dont il faut se souvenir. Retrouver – pour
de vrai – « les potes » : Yvan, Florian, André, Max, Christophe
ou Jean-François, pendant, après ou entre deux verres, échanger des propos
gaillards parce que la littérature ne s’écrit pas dans les monastères même si
vous tenez des propos très corrects au fil de vos pages. A faire commerce avec
ses pairs, on apprend à connaître son œuvre, à déterminer ses attentes. Je ne
suis pas un « vendeur », rien de pire selon moi que ces auteurs qui
bondissent à la face du badaud comme des pantins hors de leur boîte, ce me
semble terrible de vendre un livre comme du poireau à la criée. Tant mieux pour
l’éditeur … Je me sais (un peu) lu même si je n’ai, je crois, jamais eu les
honneurs d’une vitrine. Je n’existe même pas dans les rayons de la bonne librairie
de la place. Non, je ne suis pas allé vérifier expressément, je me suis cherché
il y a une heure à peine, alors que j’étais passé acheter le second volume de « L’Homme
sans qualité » et terminer la lecture des trois dernières pages du tome 1,
que j’ai oublié à Vevey dans l’un ou l’autre des établissements où je « prêche ».
Je suis donc sorti avec un nouveau pavé de plus de 1200 pages sur l’air de « nul
n’est prophète en son pays ». Je n’en retire ni gloriole, ni dépit. Au
chapitre des préoccupations égotiques, j’ai cherché mon nom dans une somme, une
épaisse recension à propos de la littérature romande. Je m’y suis trouvé, par
deux fois, perdu dans une énumération d’auteurs, la première sous une
affirmation fallacieuse. Le responsable de ce docte dictionnaire n’a
certainement jamais eu connaissance de mon premier texte, de l’autofiction, il
y a 20 ans. C’était osé de la part de cette maison d’édition, j’avais eu droit
à un bel article dans le Nouveau
Quotidien, normal, j’avais 25 ans mais l’époque n’était pas aussi jeuniste
qu’aujourd’hui, on m’a vite oublié. Je m’étais même fait remettre à l’ordre par
l’éditeur en personne, on me reprochait mes initiatives de promotion auprès des
libraires. Finalement, je crois que la maison en question regrettait la
publication d’une autofiction gay et cherchait à la faire oublier.
Ce livre existe. Les huit suivants de même. Peut-être pas
aussi aimés qu’ils le devraient, je suis un père négligent. Parfois, j’accepte
l’expédient de la maison participative ! Voilà qui est assurément pire que
la vente de poireaux sur un étal de marché. J’ai des lecteurs par
inadvertances, des rencontres par hasard. Alors que certains ont de belles
formules toute faite et bien rôdées pour un titre coup de poing, je me retrouve
derrière les piles immobiles de cinq ouvrages aux dénominations étranges,
exotiques sans être séduisantes. On s’arrête, plus souvent pour moi que pour
mes romans, et je raconte un peu la trame de celui-ci, de celui-là, la
non-intrigue du dernier, raconté comme cela, le texte me paraît plat, je manque
pouffer de rire, je repense à l’une des scènes culte du Père Noël est une ordure, « Vous m’avez raconté cette soirée
avec brio ! Avec qui ? Avec brio, c’est une expression … ». Je
me pince l’intérieur de la joue et poursuit la présentation alors que mon très
improbable lecteur a déjà les yeux qui glissent sur un titre qui l’a accroché
et le propos assorti qui fait mouche.
Neuf titres en vingt ans, dix si j’y compte mon feuilleton
en ligne, « Dernier vol au départ de Tegel ». Je les ai alignés sur
le boukhara au pied de mon lit, un tapis aux reflets précieux et discrets,
exactement ce qu’il faut à … mon œuvre. Je voulais juste voir « ce que ça
faisait », tous alignés, dans leur ordre de parution. Et j’en ai fait une
photo, pas mal. Je ne sais pas vendre mon travail mais je sais communiquer sur
mon réseau social favori ; je me suis dit que je profiterai de l’image
pour illustrer un billet, celui-ci, dès que j’aurais le temps, le calme, le
salon d’été et la vue sur le port, le lac, la frise des montagnes. Dire merci
comme il se doit aux organisateurs du Livre sur les Quais pour leur invitation,
leur intérêt, leur attention ; dire merci aux potes, mes pairs, pour leur
bonne compagnie ; dire merci à mes lecteurs, ceux que j’ai pu rencontrer
et ceux qui, avec discrétion, ont pris l’une ou l’autre de mes dernières
publications. Merci à vous tous. Je ne participerai pas à la 7ème
édition, je me contenterai du cocktail
inaugural en tant que conseiller communal, pour peu que les Morgiens mes
concitoyens me réélisent. Je travaille au dernier volet d’un roman uchronique,
Hélice Hélas quand tu nous tiens ! Rien qui ne sera sous presse avant l’automne
2016, ou Noël, ou le printemps 2017. A tantôt, donc.
jeudi, septembre 03, 2015
"La nouvelle fuite à Varennes", roman
On parle si souvent de roman de la maturité ou de texte coup
de poing ou … que sais-je. « La nouvelle fuite à Varennes » est si
loin de ce genre de qualificatif ; elle connaîtra certainement peu de presse car c’est un roman honteux. Pensez
donc, de l’édition « participative » ! Cela veut dire que j’ai
payé le papier et l’encre, que j’ai fourni la couverture, une œuvre que Jacques
Bonnard a spécialement réalisée pour l’occasion. Le livre existe, sous l’isbn
979-10-203-0678-4 ; il est référencé et même distribué par Hachette, pour
pas cher, 16,50 euros en France, je ne sais pas pour combien en Suisse. Avec ce
titre, et un autre publié il y a bien des années, j’existe sur Amazon et,
peut-être, même à la FNAC des Halles, Paris.
L’histoire n’est pas facile, pas vendeuse, trendy, bandante,
main stream. Je m’en f… Je raconte le récit de la névrose quotidienne des
laborieux romands, secteur tertiaire, l’administration genevoise en
particulier. Mon héros, une héroïne, une femme anonyme de plus de cinquante
ans, célibataire, sans histoire, sans famille, banale. Ni violée, ni assassine,
ni vamp, ni philosophe à temps partiel entre les rayons d’une supérette, ni
salope divine faisant des trucs pas possibles avec de la courgette bio et
locale. C’est une femme qui a sa culture pour elle. Et de la décence. De la
dignité. J’ai passé beaucoup de temps à l’observer, de loin, ne pas interférer
dans sa vie, ne rien déranger, le monde est déjà bien assez bordélique. J’ai pu
prendre la mesure de sa détermination.
Il n’y a pas que cette femme, il y a « la grande
Adélaïde », l’aïeule parfaite, la femme de toutes les situations, passées à
travers deux guerres, de Vienne à Zürich, via Berlin et pas mal de
souffrances, dominées. Adélaïde, une sorte d’ « Angélique marquise des
anges » k und k. Elle, je l’envie, j’envie sa résolution mais je lui
préfère une certaine femme de plus de cinquante ans, en jupe écossaise. Je l’ai
filée à travers Genève, je l’ai suivie jusqu’à Constance, puis Berlin, elle m’a
même traîné à Dresde. Elle m’a appris à regarder … vivre la peinture, communier
avec la toile, vivre l’émotion de l’artiste. Je ne connais pas son nom. Nous
n’avons pas été présentés … mais elle fait partie de ma vie.
Je vous la raconte un peu, depuis le salon d’été et je me
souviens de ses premiers pas à travers mon manuscrit. J’écoute ce que
j’écoutais alors, Casserol Band, Under
sailor, le batteur du groupe était l’un de mes élèves. Je pourrais vous remplir
cinq billets à propos de cette musique, confidentielle, tant de talent, un rien
de naïveté, pas vraiment le son qui encombre les ondes. Je pourrais vous
raconter un retour de Constance en train, Cy. endormi contre moi, c’était une
belle journée d’hiver glaciale et transparente ; je pourrais vous raconter
les mois passés à rédiger ce texte, le bonheur à sentir grandir cette réalité, ce petit
morceau du monde et les rebuffades, les camouflets, la petite histoire d’un
texte que j’ai fini par porter et en accoucher seul. Je ne connais même pas le
nom de mon héroïne, je n’ai jamais osé l’aborder, ne pas troubler cette femme
tout en mine de rien et pourtant ! Elle m’est presque devenue une parente
selon le schéma improbable des familles croisées, recomposées.
Je la revois, sereine, heureuse, quelques amies autour
d’elle, une réception à la Villa Mon-Repos, au milieu du parc ; les extras
lui font du plat en dépit de ses cinquante ans et plus. Elle y répond avec ce
qu’il faut de coquetterie. Elle est vraiment heureuse. Elle a su surmonter
toutes les « contradictions de la vie » comme son aïeule par
alliance, la grande Adélaïde.
mardi, août 25, 2015
"Les cartes du boyard Kraïenski" d'André Ourednik
De un, c’est un ami, de deux un excellent auteur, de trois
le livre m’avait gracieusement été offert en service de presse par l’éditrice
en personne, un beau volume rose passé - fraise écrasée dont la couverture
présente un portrait énigmatique, un masque ? un visage ? Le titre,
le nom de l’auteur en Glasket, une
police un rien sécessionniste, élégante, novatrice et inquiétante à la manière
d’un progrès que l’on ne maîtrise pas complètement et que l’on méprise un peu
de ce fait. Cela fait plusieurs mois que je me consacre à la lecture sans fin
de « L’Homme sans qualité » du prophétique Musil, pourquoi aurais-je
envie de passer à autre chose ? Mes amitiés littéraires romandes et une
certaine mauvaise conscience m’ont incité à laisser Vienne à ses viennoiseries
pour me tourner vers le plus mitteleuropa des auteurs romands, le très docte et
surprenant André Ourednik, un génie slave nous a été donné, un talent multidisciplinaire
dans une grande tradition habsbourgeoise et multikulti … Et le très talentueux
Monsieur Ourednik est une personnalité fascinante, intrigante et "sans faux-col",
tout à l’image de son texte
Le roman commence dans un genre réaliste-naturaliste
post-houellebecquien. Un homme, jeune encore, avatar de l’auteur ?
peut-être, et une mission aux confins de l’Europe. Le Dr. Joachim Brik, notre
héros, est géographe et sa mission consiste à scanner – à l’aide d’un scanner
particulier, le second personnage principal du roman – des cartes anciennes
détenues par le boyard Kraïenski, vieux noble dacénien vénéré par une
population ahurie, touchante et postsoviétique … Très rapidement, le texte
décolle des préoccupations néo-spleeniteuses du non-héros standard occidental
pour entrer dans le ton de la littérature ineffable, de ces récits hors le
temps, les lieux, hors champs. On retrouve tout l’esprit slave d’Ourednik (il m’a
confié que son patronyme voulait dire bureaucrate en tchèque), esprit qui se
déploie avec des reflets kafkaïens, maráïens (pour Sandór Máraï) mâtiné d’un
lyrisme géographique gracquien. L’auteur nous emmène soit aux confins de l’Europe,
dans un pays imaginaire légèrement arriéré, orthodoxe et failli, la Dacénie,
mais il nous entraîne surtout aux limites culturelles objectives de notre
européanité, au-delà de l’influence romaine, aux limites de notre Saint-Empire,
là où la civilisation russo-byzantine tient encore tant bien que mal un
avant-poste, le comptoir de pionniers vers un ailleurs à conquérir, le flou d’un
territoire mouvant et revêche.
Le légo européen s’est emboîté du Sud au Nord, puis d’Ouest
en Est et l’on est passé de Rome à l’empire, empire chrétien, morcèlement,
recomposition, déploiement, nouveau morcèlement, puis redéploiement, à l’Est,
la glorieuse couronne des Césars habsbourgeois, l’Europe unie sans la perfide
Albion sur un mode strudel-knödel-bortsch ; un empire multiconfessionnel, multiculturel
et polyglotte paradoxalement régénéré par le génie politique bonapartiste. Avec
sa Dacénie métaphorique, André nous raconte un peu la Tchéquie, la Hongrie, la
Pologne, la Roumanie, la Moldavie et l’Ukraine, et pourquoi pas la Serbie, le
Monténégro, la Bulgarie ? Cette Europe exotique immémoriale semble quasi
anachronique dans le bazar mondialisé. Et cela se terminera d’une manière
incroyable, et légendaire pour le boyard et le projet du Dr. Brik, là où le
conte nous explique les limites objectives du découpage spatial d’un
territoire, d’une terre, l’arbitraire si fragile d’une frontière tracée sur une carte.
« Les cartes du boyard Kraïenski », un premier
roman à l’écriture fluide, volontairement saccadée par moments, avant de s’envoler
en une ou deux grandes belles phrases déliées d’un équilibre périlleux, morceau
de bravoure ! Premier roman ? Oui mais je peux me tromper. Notre
auteur s’est récemment fait remarquer avec son « Wikitractatus », une
expérimentation poético-encyclopédique, une forme à la limite du romanesque. Et,
pour revenir aux « Cartes du boyard … », André Ourednik montre le
même goût du détail, un trait qui n’est pas pour me déplaire et qui rendra réel
le château de Kraïenski au lecteur. Il y a surtout la couleur particulière de
ce style, une nuance que je rapproche de l’œuvre polonaise de Kieślowski, des tons fanés
ou travaillés de sorte à ce qu’ils paraissent adoucis, assourdis « en
clair », vaporeux, un effet au service d’un texte à goûter comme une fable
fantastique contemporaine.
dimanche, août 23, 2015
Rondo veneziano, suite de l'extrait du cahier vert
[…]
J’ai pris quelques photos, parmi les crânes luisants d’Italiens chauves à torse
nu et attitude néanmoins crâne, me frayant un passage entre des « jocondes »
occasionnelles, pose à peine travaillée devant l’objectif marital. Il m’a fallu
recadrer ces clichés, les « déflouter » afin d’en faire des souvenirs
de vacances suffisamment alléchants pour qu’ils éveillent l’intérêt des mes
amis numériques. Il y aura polémique du reste. J’y reviendrai. Je comptais
écrire quelques forts chapitres durant la croisière même mais n’en ai pas eu le
loisir … le temps… Il faut occuper le blaireau la journée entière, ne pas lui
laisser l’occasion de se confronter à lui-même, à sa vacuité. D’une manière
inversée, je compte « rentabiliser » ma présence sur ce navire, ma
participation à une activité de masse moyennement peu glorieuse. Ecrire est une
excuse et un motif à toutes les circonstances de la vie. Cela permet de se
dédouaner à ses propres yeux, de prendre un petit air fin et de se justifier en
cas de contradiction.
Je ne suis plus encombré de ma tasse : je l’ai
confiée, vide, à la mère de Cy. Je suis plus à l’aise pour prendre des photos
et je tenais à voir défiler les grands monuments vénitiens alors que je buvais
du thé, plutôt mauvais au demeurant, histoire de « faire du
souvenir » original, décalé, très moi-même, soigner mon personnage. Au
sortir de la lagune, j’ai abandonné la place, me mettre à l’ombre, reprendre ma
tasse vide, observer de coin tous ces autres, dans leur vanité haïssable,
désirable, indifférente, séparément, tour à tour, tout à la fois.
Rétrospectivement, je ne saurais rien évoquer de plus au sujet de ces premières
heures à bord. Il y a encore l’incident du fer à repasser, un petit accessoire
de voyage que la sécurité a retenu, certainement du fait de la concurrence
qu’il représentait par rapport au service de pressing/blanchisserie payant
proposé à bord. Il m’a fallu descendre, monter, tourniquer en compagnie d’un
employé de la réception, plutôt embarrassé, surtout lorsque je lui ai demandé
une justification claire et précise à propos du danger que représentait mon fer
à repasser ?! Au sortir d’un sous-sol – où ma valise ne se trouvait pas –
un agent de sécurité a demandé à l’employé de la réception sur un ton peu amène
pourquoi je ne repartais pas avec l’un ou l’autre des bagages ? ce à quoi
je lui ai répondu sur un ton encore moins amène et en anglais que ma valise ne
se trouvait pas là ! Des difficultés à concevoir une évidence sortant d’une
logique standardisée. J’ai alors relevé pour moi-même qu’à clientèle
généralement débile, règles et personnel encore plus débiles.
mardi, août 18, 2015
"Rondo Veneziano", extrait du "Cahier vert", retour de croisière
Autour de la piscine, au restaurant, sur les coursives, dans
les bars, au théâtre du navire, partout, l’affront de la jeunesse, 15-25 ans à
peu près, un peu plus. Des garçons poseurs, préoccupés de leur propre pose, et
paradoxalement resplendissant ; des garçons bruns, châtains, bien faits,
bronzés, élégants, séduisants. On ne brille pas de cette manière avec son
cerveau, ou sa culture. Ces garçons vont si bien avec la mer, l’horizon, le
ciel et la décoration un peu vulgaire du « Musica », décoration parfaitement
identique à celle des autres navires d’une catégorie identique de la flotte
MSC.
Bon nombre de ces merveilleux garçons occupaient le pont
supérieur bâbord, lors de la sortie du port de Venise. Ils étaient perdus parmi
la masse des croisièristes photographiant à qui mieux mieux la Sérénissime en
contrebas. Je me tenais parmi cette foule, au second rang, encombré d’une tasse
de thé. Le bateau s’est dirigé sur la Giudecca , l’a dépassée, puis a contourné
Saint-Marc avant de filer vers le large et quelques îles que je n’ai pas su
reconnaître. J’ai été frappé par l’inclinaison marquée, voire dangereuse de
plus d’un clocher.
La ville était belle, attirante, intrigante, souvenir de « La
Mort à Venise », évidemment, forcément et souvenir d’une conversation
facebookienne récente au cours de laquelle je disais mon peu d’admiration pour
la cité des doges, noyées sous le tourisme de masse et l’aqua-alta, comme une
célèbre courtisane dans le coma après un AVC et néanmoins entreprise par des
cohortes de touristes asiatiques au milieu de son incontinence. Je ne retire
rien à mon jugement ; je relève in petto que, si j’en avais le temps, j’ « entreprendrai »,
moi aussi, volontiers la comateuse. Les passagers – mes compagnons – de ce HLM
flottant agitaient joyeusement la main en signe d’au revoir à l’attention des
fourmis humaines cheminant tout en bas ou empilées dans les vaporetti. Seuls
leurs répondaient d’autres touristes alors que les Vénitiens tentaient de faire
mine de ne pas voir cette espèce d’orque obèse de trois-cents mètres sur trente
(maître-bau), sur soixante, à vue de nez, animal contre-nature au sommet duquel
je me tenais avec quelques centaines d’autres, Cy. et ses parents ; ces
derniers un peu plus en retrait du bastingage, à l’ombre.
samedi, août 08, 2015
"A plat" de Jean Chauma
« À
plat » de Jean Chauma, un petit roman noir qui « trucule » à la
manière d’un film de Zidi ou de dialogues d’Audiard. Tout serait dit mais l’auteur
nous raconte aussi une banlieue, les tours, des punks à pétards dans l’escalier,
Louisette et ses trois filles, la grosse Marcelle, un boudin mais la reine des
pipes !
Evidemment, Chauma ne dresse pas le portrait d’un monde très
« ganz raffiniert », on n’est pas dans le seizième arrondissement. On
n’est pas non plus dans les romans noirs et prétendument « rock’n’roll »
ou des pervers habillé en Gucci découpent en lanières des fillettes hurlant de
douleurs et de terreurs avec un scalpel design. Avec Jean, on donne dans un
genre un peu plus «jambon-beurre », tout en rondeur, en sympathie, en
authenticité. Pas de vapeur d’alcool, de drepou, de noirceur brumeuse mais la
beauté des choses les plus simples. On se retrouve dans la France que l’on
pouvait aimer, encore, la France franchouille et sympa qui regarde Jacques
Martin à la télé le dimanche midi, un pays de gens évidents qui se débrouillent
pour avancer, un jour après l’autre ; de vraies personnes qui bataillent
avec eux-mêmes, leur triste horizon et les quelques opportunités que la vie
peut leur offrir, même s’il faut souvent se servir soi-même.
Jean Chauma est un peintre, un peintre de genre ; ni
petit ni mauvais, le genre, sincèrement attachant. Chaque personnage brille de son
éclat propre, marbrés de quelques ombres. Trois fois riens, et Jean, le gentil
caïd au sexe lourd, le géant débonnaire toujours impeccable sur lui et toujours
prêt à bander pour une femme : vieille, grosse, moche, boiteuse pourquoi
pas mais une femme pour laquelle il bandera et contre laquelle il pressera ses
cent kilos mi-muscles, mi-gras, une femme qu’il saura aimer et faire jouir,
parce qu’il aime toutes les femmes, comme l’un des mâles dominant d’une meute,
d’un territoire, son territoire mais il n’est pas exclusif. Jean est dans l’immédiat,
le sensible, pas assez intello pour être jaloux.
L’auteur a-t-il des revendications ? Non, pas de ce
pipeau-là. A quoi cela pourrait-il bien servir ? Jean, Louisette,
Marcelle, Franky, Momo et les autres en seraient-ils meilleurs ? plus
beaux ? plus vrais ? plus profonds ? Non, on s’en tape ; la
rédemption … l’appel à la rédemption n’a pas besoin de discours. C’est un
sentiment, parmi d’autres, parmi la foules de sensations et de pensées qui nous
traversent, une impression fugace que Jean n’arrive pas à isoler, un matin
heureux, assis tout contre le mur turquoise de la cuisine, derrière la table du
petit-déjeuner, comme une envie de tout remettre à plat.
129 p. et pas une de trop, bsn Press
jeudi, juillet 30, 2015
Retour de Berlin
Pas même une semaine … je suis rentré il y a six jours, une
nouvelle théière, quelques boîtes de thé, un trench-coat, un blazer, un
presse-papier dans mes bagages en sus du linge sale, de quelques mots peu
amènes contre une autre ville, magnifique pourtant. Je suis rentré de Berlin où
j’ai … berlinisé, à savoir j’ai marché, bu du vin blanc sec, visité une
exposition de peinture, suis allé à la messe, au cinéma, au fitness, ai très
copieusement déjeuné ou dîné avec Mmes von Jena mère et fille, avec Christine
et ses parents, son frère. Et je me suis tant de fois retrouvé à table seul
avec Berlin, derrière un schnitzel, une soupe de lentilles ou une salade de
pommes-de-terre accompagnée de deux viennes. Et les petites pauses café,
quelques aperol-spritz, une tranche de strudel. Marcher dans et avec Berlin.
Il y a peu, à la radio, on m’a fait remarquer que Berlin,
c’était la nuit qui n’a pas de fin, la scène électro, la fête … Pour les
touristes peut-être, les noceurs de haut-niveau qui courent les capitales de
boîtes en festivals comme on courait les opéras dans le passé. Je n’ai jamais
eu ce snobisme et ne suis jamais allé « en boîte » que pour « emballer ».
Etant marié, je suis exonéré de la nécessité de la fréquentation de tels lieux.
Et, même, si j’étais célibataire, je profiterais du sens pratique de Berlin qui
connaît bien une quinzaine d’établissements de … cruising. Je ne vais pas vous
faire un dessin, vous n’avez qu’à vous documenter sur le sujet. Berlin, avec
son pragmatisme bon enfant, est une ville d’un autre siècle. La première
puissance européenne a pour capitale une ville de la Belle Epoque. On a beau y
multiplier les gratte-ciels, les parallélépipèdes rectangles de verre et
d’acier, l’ombre des Guillaume plane encore sur la ville.
J’ai fait des infidélités à la Winterfeldstrasse. Après ma
pause pragoise, j’ai loué dans l’Akazienstrasse un adorable rez-de-chaussée
agrémenté d’un jardin de curé, moussu, traversé à la nuit tombée du vol furtif des
chauves-souris. J’ai respiré l’air précieux de Berlin du fond d’un lit
Louis-Philippe, j’ai aspiré ce fluide merveilleux aux vertus quasi-magiques, et
sur ma couette, « L’Homme sans qualité », le récit sans pathos de la
débâcle à venir, à demi-mot les vertus d’une époque. Musil adorerait la Berlin
d’aujourd’hui, ma Berlin, ma petite ourse affectueuse et maladroite. Musil
passerait certainement beaucoup de temps à observer les gens dans les cafés,
les touristes aux abords des grandes attractions. Il saurait analyser avec le
sérieux et l’ironie nécessaire la politique européenne actuelle.
A Berlin, j’ai berlinisé ; j’ai laissé filer le temps
entre deux rencontres, entre un aller et un retour, entre les courses et de
pseudo-obligations. J’ai pris la pose, un peu, je vais plutôt bien dans le
décor. Depuis le temps, je fais partie du paysage. Et je me suis fais à l’idée
que je ne reviendrai pas avant, oh ! pas avant novembre.
vendredi, juillet 24, 2015
Retour de Prague (Pattaya-sur-Knödel)
Après la foule des boulevards centraux, j’ai retrouvé le
calme ; il faut dire que la « National Galery in Prague » ( je
suis incapable de vous l’écrire en tchèque et ma tablette de la retranscrire
avec les caractères adéquats) est fort peu fréquentée : peu de touristes
et encore moins de locaux. Peut-être est-ce dû à la communication extraordinairement
déficiente entourant ce lieu, quasi hors les murs, les anciennes galeries du
commerce, une œuvre en vieux moderne, au-delà du centre historique. J’ai
commencé ma visite par le 5ème étage où sont présentés les plans et
les maquettes des projets que l’architecte tchèque Lubor Marek réalisa. Un bel
esprit dans la conception, une esthétique novatrice, un petit air de Favarger
(architecte lausannois contemporain de Marek et cousin par les projets). La
Tchécoslovaquie – c’était encore la Tchécoslovaquie – était un Etat communiste
« dur » ce qui, apparemment, n’interdit pas la créativité, voire une
certaine coquetterie, rapport aux « jolis » détails des plan exposés.
Cela n’empêchait pas des mandats internationaux ni le recyclage d’une vision
très « Bidermeier » du confort. La société soviétisante de
l’après-guerre s’inscrivait dans la suite de la Sécession … Sécession
viennoise, il va sans dire.
Je déambule le long des coursives de ce paquebot de
béton ; une guide tchèque fait la visite à un groupe de locaux, je me demande
où résident ces Pragois « lambda », 5-6 personnes toutes de plus de
40 ans. Je présume qu’elles sont pragoises du fait de la familiarité qu’elles
semblent entretenir avec les lieux. Je les compare à ce que j’ai rencontré dans
le centre depuis mon arrivée, il y a deux jours de cela. Comment Prague
a-t-elle pu faire si bon marché de la dignité impériale ? La couronne des
Habsbourgs fit de l’obscure capitalette de Bohême un joyau de l’Europe de l’Est
et vu ce que ce peuple est en train d’en faire, je serais presque tenté de
regretter les chars soviétiques de 68. Les nombreux palais qui se suivent le
long des grandes avenues, s’ils ne sont pas ruinés et portes murées, vitres
brisées, toits crevés, voient leur rez-de-chaussée occupé par les commerces les plus vils :
bazars attrape-touristes où l’on vous vend de la bimbeloterie en cristal
certifiée tchèque, des babioles d’une laideur telle que la Chine n’est pas
capable de la reproduire. Il y a aussi ces très nombreuses échoppes de
« massages » thaïs où le toutou de base pourra, en vitrine, s’offrir
une séance de fish-spa. Je soupçonne d’autres activités dans les arrières
salles ! Il y a aussi ces nombreuses boîtes et discos improbables pour
lesquelles des rabatteurs déguisés font de la retape au milieu du trottoir dès
16h. Et parmi ces cabarets, il va de soi, bon nombre sont des bordels !
Prague devrait être rebaptisée Pattaya-sur-Knödel. On n’aime pas le touriste,
on veut juste le baiser.
De quoi vit exactement la Tchéquie, oups, pardon, la
République tchèque. Et de quoi vit la région de Prague ? Je suis arrivé en
train et, dès la frontière, le long de la voie, je n’ai vu qu’usines
désaffectées, en ruine, domaines agricoles négligés, villes et villages peu
avenant. , à la limite de l’abandon. Je comprends, à présent, le désir de la
Slovaquie de quitter la Tchécoslovaquie. Je sais que, malheureusement,
l’économie slovaque est à la traîne du fait de son orientation agricole. Et
pourquoi donc cette « République tchèque » européenne n’a pas encore
adopté l’euro ? Serait-elle si attachée à ses couronnes, plus petit commun
dénominateur qui, pourtant, ne fait pas d’elle une nation, à peine un peuple.
Je m’explique. Tout pays porte une sorte de nom officiel représentatif de sa
nature politique : Royaume du Danemark, République française, Canton de
Vaud, etc. La République tchèque refuse de porter, logiquement, le nom de
Tchéquie. Il faut à chaque fois se fendre du
« préfixe » République comme si la Confédération helvétique refusait
de se faire appeler Suisse. Cela prouve bien que les Tchèques, en dépit de leur
unité de langue (quoique, de nombreuses minorités existent), ne sont pas encore
prêts à être une Nation. Ils sont une ethnie au sens qu’on lui donnait du temps
de l’Empire autrichien. Devenus indépendants, suite à la honte de Versailles (synonyme
du Traité du même nom), agglomérés aux Slovaques, les élites tchèques ont
poursuivi dans la logique « K und K » qui leur avait plutôt réussi.
L’Autriche diminuée, affaiblie ne put protéger la Tchécoslovaquie des appétits
nazis. Après la guerre, le glacis soviétique maintint l’ordre à coups de triques
et laissa le pays poursuivre, d’une certaine manière, dans sa lancée
sécessionniste, je veux dire en rapport avec le mouvement de la Sécession
viennoise. Devenus indépendants en 1993, les Tchèques n’en sont pas devenus
matures pour autant, voir le gâchis de Prague … de Pattaya-sur-Knödel.
La ville est l’un de ces paradis traversés de vieux
touristes américains célibataires et ivres dès 18h. La moitié d’entre eux sort
accompagnée – n’ayons pas peur des mots – d’un jeune tapin. On trouve beaucoup
d’autres messieurs difformes et directifs, d’un âge plus qu’avancé et d’une
indignité proportionnelle ; ils sont russes, hongrois ou locaux. Il y a
aussi la question de la drogue et de son trafic, aussi fréquent qu’à Lausanne,
c’est dire l’ampleur du problème. Les vendeurs sont des migrants africains avec ou sans papier. Ils attendent le client
à l’orée des passages souterrains et dans les ruelles peu fréquentées. On
retrouve aussi ces mêmes migrants déguisés en Chinois (retape sur la voie
publique pour les « spas » asiatiques), déguisés en marin (retape
pour des croisières sur la Moldau) ou dans des costumes voyants et ridicules
(retape pour les « boîtes de nuit »). Cette misère et cette indécence
ne semblent pas toucher Josefov, le quartier juif, au Nord-Ouest de la vielle
ville. Les troupeaux de touristes semblent réfrénés par la noblesse des façades
fleuries de bâtiments Art Nouveau parfaitement entretenus. Enseignes de luxe et
commerces atypiques occupent les rez-de-chaussée. J’y ai trouvé un antiquaire-horloger,
sur la Maiselova, accueil un peu froid mais en français, montres suisses
anciennes en état à un prix imbattable.
Ces belles rues sont épargnées, de même, par un autre mal social typiquement
pragois : le punk fasciste. Souvent pris de boisson, la crête courte, il
arbore cet air décidé des abrutis déclassés. Etonnamment, il ne s’en prend ni
au juif, ni au gay ; il se contente d’agresser le touriste de couleur.
Quant à la misère classique, celle des sdf, elle se fait discrète. Elle se rencontre
çà et là assise calmement sur un banc. Elle boit du vin à même le carton d’une
brique, elle donne de l’eau à son chien, elle retire pour un instant ses
chaussures douloureuses. Lorsqu’elle est toxicomane, elle passe d’une démarche
boiteuse et toutefois alerte vers son dealer, son prochain fix. Le clou de ce
périple pragois a sans doute consisté en la visite du « château »,
vaste complexe royal, doublé de la cathédrale Saint-Vitus, un sommet dans la
débilité concentrationnaire touristique. Vous êtes approximativement accueilli
par des militaires néo-soviétiques qui marchent aux pas de l’oie et des
matrones qui ne parlent qu’anglais ou russe en sus du tchèque. La cathédrale,
lessivée par le défilé incessant des visiteurs, est aussi propice au recueillement
qu’un hall de gare. Interdiction aux visiteurs de profiter des bancs, ils
pourraient les user ou les salir de leur impur séant étranger et, sommet de la
grossièreté, ils pourraient peut-être se laisser aller à quelque oraison intime
ou prier pour le salut de cette ville. Quant au château, oui, soit, je ne suis
pas très vieille brique moyenâgeuse mais l’effet « hall de gare »
persiste. Il n’y a rien à voir à part quelques meubles rustiques en faux vieux,
des salles riantes comme une antichambre de sous-préfecture et, partout, dans
les commentaires affichés, de la retape pour la grandeur ( ?) du royaume de Bohême. Silence sur la dynastie
des Habsbourgs qui réorganisa cet état féodal en un royaume moderne. Silence de
même sur Joseph II et sa réforme progressiste de l’empire. C’est à la Synagogue
espagnole (de style arabo-andalou, d’où le nom) que, enfin, j’ai lu quelques
propos sur l’appartenance de la Tchéquie au glorieux Saint Empire
romain-germanique.
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Notre-Dame des Neiges |
Je compte revenir à Prague … tout de même. En dépit de tout
ce qui précède. Il faut regarder passer le temps assis au Jardin franciscain,
derrière Notre-Dame des Neiges, simplement rester assis dans la paix de ce
cloître ouvert au public. Des moines franciscains occupent encore les bâtiments
conventuels et assurent deux messes quotidiennes à Notre-Dame des Neiges, une
nef comme une lanterne aux ogives transparentes, posée un peu en hauteur. Ici,
on y rentre sans payer, on peut s’y asseoir aussi longtemps qu’on le veut. Peu
avant le début de l’office, un moine à la recherche d’un servant de messe est
venu me demander mon aide … c’eût été difficile, je ne parle pas un mot de
tchèque. Au dehors, à la limite extérieure du cloître, s’étend la rue Vodičkova, avec ses cinémas.
On peut du reste gagner le Jardin franciscain par une galerie commerciale, un
passage qui mène à l’un de ces cinémas à l’ancienne, entre une boutique de
maroquinerie et un restaurant chinois un peu « designant ». Par
bonheur, le touriste se fait plus rare. Le Pragois est – encore – chez lui. J’ai
regretté de ne pas parler tchèque, je serais allé voir « Woman in gold »,
avec la sublime Helen Mirren dans le rôle principal, c’eût été le bon endroit
et la bonne circonstance pour ce film.
Prague, c’est aussi la magie d’une lumière particulière au
crépuscule, une lumière douce et triste de fin de règne, à observer depuis l’un
des nombreux ponts qui enjambent la Moldau. J’ai emprunté au hasard de mes pas
le pont Legli qui se prolonge par le boulevard Vitěznà, au pied de la colline boisée de Malà Strana,
une forêt au milieu du Ring. Lorsque le toutou de base plein de bière est déjà
bien rangé dans son hôtel ou entreposé dans un établissement de nuit, les
façades se remettent à parler, un chuchotis discret qui raconte les riches
heures d’une capitale d’empire, d’une cité multiculturelle, prospère, pleines
de questions à défaut d’avoir été heureuse. La tristesse de la ruine de rues
entières est moins grande. Le tourisme est une malédiction qui ne rapporte pas
suffisamment pour occuper toutes les boutiques du centres. Des pâtés de maisons
entiers restent vides et mornes avec leurs longs alignements de fenêtres
noires, parfois un œil crevé, carreaux brisés. Il faut donc aimer Prague malgré
les touristes et les Pragois.
mercredi, juillet 15, 2015
"Que faites-vous à Berlin ?"
« Mais que faites-vous à Berlin ? » J’y vis
ma vie berlinoise, quelque chose qui n’est pas très éloigné de mon séjour
morgien. De préférence, je loge à Schöneberg, Berlin ex-ouest, mélangé et
peuplé de vrais gens, des Berlinois et pas cette engeance touristique qui va
boire à bon compte et dégueuler partout de Kreuzberg à Friedrichshain, ou ces
affreux « Schwaben », comme on dit, avec leur délire écolo-bobo et
leurs mouflets mal nourris (fétichisme vegan oblige) et encore plus mal élevés.
Et j’ai mes habitudes au n° 11 de la Winterfeldstrasse, je ne suis pas loin de
mon fitness de la Hauptstrasse, je suis à côté de la Maassenstrasse, du Bério,
de Hasir, de mon indien mi-pouilleux de la Goltzstrasse, du Café Kalwil (ex
Steiner Café), de la Viktoria-Luise-Platz, de la Hohenzollernplatz, de ma bonne
paroisse Sankt Ludwig, de la sombre silhouette de Sankt Matthias, du
café-brocante fifties, sixties Sorgenfrei, du Kino Odeon, de Steglitz via le 48
et le 85, Steglitz avec ses centres commerciaux, le café Baier, le restau’
Thaïlandais Cida (oui, je sais, ça surprend toujours) et, dans l’autre sens, je
rejoins en deux-quatre-sept la Hauptbahnhof (85) ou Alex (48) via Kulturforum-Potsdamerplatz-Leibzigerplatz.
Ma vie berlinoise, c’est aussi/surtout le cadre de mon œuvre
littéraire… - ici, de même, j’en suis conscient, « œuvre littéraire »
sonne de manière aussi surprenante que « Cida », le restaurant thaï.
Une œuvre donc, je donne suffisamment de moi-même, de mon temps, pour
m’autoriser l’emploi de ce terme que des auteurs académiques vautrés dans
l’hypocrisie de leur fausse humilité qualifient de pompeux ! Si raconter
la haine, le rejet, la peine, le deuil et les infimes riens de notre temps est
« pompeux », soit, je suis un auteur « pompeux ». Et je traîne cette « pompe »
lorsque je regarde sur les quais, Alt Tegel, Teglersee, une poule d’eau
quémandant l’affection d’une congénère en courbant la tête pour qu’elle lui
lisse les plumes du dessus d’un bec alerte. Je trempe aussi régulièrement ma
« pompe » dans un bol de soupe de lentilles, avec un morceau de pain
au sésame, à chaque fois que je vais dîner dans un Turc. En six titres (romans,
essai, autofictions), une grosse moitié de mon … œuvre publiée et plus de dix
ans, Berlin m’est presque aussi familière que le Pays de Vaud.
Hier soir, effet du hasard, Christine avait à faire à
Friedrichshain ; ses parents, son frère de passage, nous nous sommes donc
vus, tous, du côté de la Simon-Dach-Strasse, dans l’une des cantines que nous
fréquentions à mes débuts avec Berlin. Je crois que la ville est contente de ce
que je dis d’elle. Elle me renouvelle son affection à chacun de mes séjours.
Depuis le temps, je suis l’un de ses nombreux petits oursons. De trimestres en
trimestres, nous avons – un peu – vieilli ensemble. Je me targue d’être un
« Teilzeit Berliner », le temps partiel de mon œuvre, il faut bien
payer les factures et les billets d’avion… Ma relation à la ville est
officielle, du moins en Suisse, Cy. parle même de partir s’installer dans cette
aimable capitale, il en reçoit une carte postale par jour que j’y passe. Pourquoi
pas, pas tout de suite, un projet à la limite entre le moyen et le long terme,
le temps que je termine mon travail de « Vaudois enragé », cette
variété à laquelle je dois appartenir.
mardi, juillet 07, 2015
John Steed/Patrick Macnee: in memoriam
Une anecdote, exactement de celles qui me frappent et que je
conserve pieusement. La scène est tirée des « New Avangers », la
dernière mouture de « Chapeau melon et bottes de cuir ». Steed est à
terre, on lui a tiré dessus ; Purdey a tout vu. Elle rejoint Steed, éplorée,
persuadée qu’il est mort ; à peine décoiffé, notre homme reprend
conscience et se relève. Purdey s’émerveille de ce miracle avant que Steed ne
sorte de sa poche un étui à cigarettes et dise « Je ne fume pas moi-même
mais je porte toujours ce genre de chose sur moi pour mes amis qui cultivent ce
vice ». Je rêve aujourd'hui encore de pouvoir faire montre d'une telle souveraineté dans les contradictions de la vie. Le raffinement, l’élégance désintéressée du geste, de l’accessoire font de Steed un héros affable, faillible (on lui tira tout de même
dessus) et paradoxalement invincible.
Patrick MacNee alias John Steed est présent dans mes plus
lointains souvenirs. Il fut mon premier modèle, place à peine disputée par le
très sexy Robert Conrad, alias James West (Les
Mystères de l’Ouest). Un homme accompli ne pouvait que s’habiller, se
mouvoir et parler comme Steed ; j’en étais convaincu à cinq ans, à sept
ans, à quinze ans et jusqu’à aujourd’hui. Il me fut toutefois donné de
constater assez tôt qu’il ne s’agissait pas du modèle dominant… Je me
construisit en rapport avec ce personnage suranné, son univers choisi, son
esprit décalé et sa préciosité. Quoique je fisse, je restai toujours un peu
Steed - la Rolls antique, le respect et la situation en moins. Certains petits
garçons choisissent Zorro, Musclor ou Ronaldo comme héros universel. Ils les
portent, les vivent, en parlent, les imaginent dans toutes les circonstances de
la vie. Mon héros était une figure aimable que, jamais, je n’imaginai en
pyjama, dans son intimité ou, pire, dévêtu !!! Parfois, le téléspectateur
pouvait entrapercevoir Mr. Steed en
« négligé », à savoir bras de chemise, gilet et cravate.
Mon héros, mon modèle, est une sorte de dieu flegmatique et
plein d’humour, jouissant d’un sens de la répartie lui faisant dire « Vive
la reine » alors que, découvert au milieu d’une assemblée de fanatiques
nazis, il se voyait menacé. Dans un épisode de la période Tara King, il perdit
la mémoire se rappelant néanmoins confusément de … « mère-grand », le
chef de sa section, un étrange vieux bébé en chaise roulante. Steed se demanda
goguenard et ironique s’il était donc un petit-fils indigne ? Chaque
épisode portait son bon mot, sa chute amusante en épilogue, surtout du temps de
Mrs Peel. On luttait contre l’ennemi de toujours, le communiste, le russe, le
soviétique, un quarteron de nostalgiques du IIIème Reich, parfois un trafiquant
d’opium chinois, des savants fous, des proscrits rancuniers, une tripotée de
traîtres prêts à vendre jusqu’aux culottes de la reine pour quelques livres ou
de simples espions aux méthodes fantasques. « Chapeau Melon et bottes de
cuir » était l’une de ces institutions télévisuelles du samedi après-midi
au même titre que « Cosmos 1999 » ou « Bonanza », l’une de
ces machines à rêver qui m’ont appris à grandir avant de passer à Green, Mann,
Mauriac ou Musil.
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