« Mais que faites-vous à Berlin ? » J’y vis
ma vie berlinoise, quelque chose qui n’est pas très éloigné de mon séjour
morgien. De préférence, je loge à Schöneberg, Berlin ex-ouest, mélangé et
peuplé de vrais gens, des Berlinois et pas cette engeance touristique qui va
boire à bon compte et dégueuler partout de Kreuzberg à Friedrichshain, ou ces
affreux « Schwaben », comme on dit, avec leur délire écolo-bobo et
leurs mouflets mal nourris (fétichisme vegan oblige) et encore plus mal élevés.
Et j’ai mes habitudes au n° 11 de la Winterfeldstrasse, je ne suis pas loin de
mon fitness de la Hauptstrasse, je suis à côté de la Maassenstrasse, du Bério,
de Hasir, de mon indien mi-pouilleux de la Goltzstrasse, du Café Kalwil (ex
Steiner Café), de la Viktoria-Luise-Platz, de la Hohenzollernplatz, de ma bonne
paroisse Sankt Ludwig, de la sombre silhouette de Sankt Matthias, du
café-brocante fifties, sixties Sorgenfrei, du Kino Odeon, de Steglitz via le 48
et le 85, Steglitz avec ses centres commerciaux, le café Baier, le restau’
Thaïlandais Cida (oui, je sais, ça surprend toujours) et, dans l’autre sens, je
rejoins en deux-quatre-sept la Hauptbahnhof (85) ou Alex (48) via Kulturforum-Potsdamerplatz-Leibzigerplatz.
Ma vie berlinoise, c’est aussi/surtout le cadre de mon œuvre
littéraire… - ici, de même, j’en suis conscient, « œuvre littéraire »
sonne de manière aussi surprenante que « Cida », le restaurant thaï.
Une œuvre donc, je donne suffisamment de moi-même, de mon temps, pour
m’autoriser l’emploi de ce terme que des auteurs académiques vautrés dans
l’hypocrisie de leur fausse humilité qualifient de pompeux ! Si raconter
la haine, le rejet, la peine, le deuil et les infimes riens de notre temps est
« pompeux », soit, je suis un auteur « pompeux ». Et je traîne cette « pompe »
lorsque je regarde sur les quais, Alt Tegel, Teglersee, une poule d’eau
quémandant l’affection d’une congénère en courbant la tête pour qu’elle lui
lisse les plumes du dessus d’un bec alerte. Je trempe aussi régulièrement ma
« pompe » dans un bol de soupe de lentilles, avec un morceau de pain
au sésame, à chaque fois que je vais dîner dans un Turc. En six titres (romans,
essai, autofictions), une grosse moitié de mon … œuvre publiée et plus de dix
ans, Berlin m’est presque aussi familière que le Pays de Vaud.
Hier soir, effet du hasard, Christine avait à faire à
Friedrichshain ; ses parents, son frère de passage, nous nous sommes donc
vus, tous, du côté de la Simon-Dach-Strasse, dans l’une des cantines que nous
fréquentions à mes débuts avec Berlin. Je crois que la ville est contente de ce
que je dis d’elle. Elle me renouvelle son affection à chacun de mes séjours.
Depuis le temps, je suis l’un de ses nombreux petits oursons. De trimestres en
trimestres, nous avons – un peu – vieilli ensemble. Je me targue d’être un
« Teilzeit Berliner », le temps partiel de mon œuvre, il faut bien
payer les factures et les billets d’avion… Ma relation à la ville est
officielle, du moins en Suisse, Cy. parle même de partir s’installer dans cette
aimable capitale, il en reçoit une carte postale par jour que j’y passe. Pourquoi
pas, pas tout de suite, un projet à la limite entre le moyen et le long terme,
le temps que je termine mon travail de « Vaudois enragé », cette
variété à laquelle je dois appartenir.
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