Une anecdote, exactement de celles qui me frappent et que je
conserve pieusement. La scène est tirée des « New Avangers », la
dernière mouture de « Chapeau melon et bottes de cuir ». Steed est à
terre, on lui a tiré dessus ; Purdey a tout vu. Elle rejoint Steed, éplorée,
persuadée qu’il est mort ; à peine décoiffé, notre homme reprend
conscience et se relève. Purdey s’émerveille de ce miracle avant que Steed ne
sorte de sa poche un étui à cigarettes et dise « Je ne fume pas moi-même
mais je porte toujours ce genre de chose sur moi pour mes amis qui cultivent ce
vice ». Je rêve aujourd'hui encore de pouvoir faire montre d'une telle souveraineté dans les contradictions de la vie. Le raffinement, l’élégance désintéressée du geste, de l’accessoire font de Steed un héros affable, faillible (on lui tira tout de même
dessus) et paradoxalement invincible.
Patrick MacNee alias John Steed est présent dans mes plus
lointains souvenirs. Il fut mon premier modèle, place à peine disputée par le
très sexy Robert Conrad, alias James West (Les
Mystères de l’Ouest). Un homme accompli ne pouvait que s’habiller, se
mouvoir et parler comme Steed ; j’en étais convaincu à cinq ans, à sept
ans, à quinze ans et jusqu’à aujourd’hui. Il me fut toutefois donné de
constater assez tôt qu’il ne s’agissait pas du modèle dominant… Je me
construisit en rapport avec ce personnage suranné, son univers choisi, son
esprit décalé et sa préciosité. Quoique je fisse, je restai toujours un peu
Steed - la Rolls antique, le respect et la situation en moins. Certains petits
garçons choisissent Zorro, Musclor ou Ronaldo comme héros universel. Ils les
portent, les vivent, en parlent, les imaginent dans toutes les circonstances de
la vie. Mon héros était une figure aimable que, jamais, je n’imaginai en
pyjama, dans son intimité ou, pire, dévêtu !!! Parfois, le téléspectateur
pouvait entrapercevoir Mr. Steed en
« négligé », à savoir bras de chemise, gilet et cravate.
Mon héros, mon modèle, est une sorte de dieu flegmatique et
plein d’humour, jouissant d’un sens de la répartie lui faisant dire « Vive
la reine » alors que, découvert au milieu d’une assemblée de fanatiques
nazis, il se voyait menacé. Dans un épisode de la période Tara King, il perdit
la mémoire se rappelant néanmoins confusément de … « mère-grand », le
chef de sa section, un étrange vieux bébé en chaise roulante. Steed se demanda
goguenard et ironique s’il était donc un petit-fils indigne ? Chaque
épisode portait son bon mot, sa chute amusante en épilogue, surtout du temps de
Mrs Peel. On luttait contre l’ennemi de toujours, le communiste, le russe, le
soviétique, un quarteron de nostalgiques du IIIème Reich, parfois un trafiquant
d’opium chinois, des savants fous, des proscrits rancuniers, une tripotée de
traîtres prêts à vendre jusqu’aux culottes de la reine pour quelques livres ou
de simples espions aux méthodes fantasques. « Chapeau Melon et bottes de
cuir » était l’une de ces institutions télévisuelles du samedi après-midi
au même titre que « Cosmos 1999 » ou « Bonanza », l’une de
ces machines à rêver qui m’ont appris à grandir avant de passer à Green, Mann,
Mauriac ou Musil.
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