Ma rencontre avec l’ouvrage « Capucine », de
Blaise Hofmann tient du hasard, un double hasard. Cela commença par l’annonce
de l’exposition de photographies « Qui se souvient encore de
Capucine » au musée Forel, la bonne institution morgienne à laquelle je
suis … abonné ou avec laquelle je suis ami, à moins que ce ne soit une
association qui s’occupe de prélever des cotisations annuelles en échange d’un
droit de visite illimité. Bref, le musée m’envoie régulièrement une news-letter
par voie électronique et des invitations par voie postale. Il y a un peu moins
de deux mois de cela, j’ouvre l’un de ces courriers et en extirpe le bristol
d’invitation. Il est signalé que l’auteur d’une toute récente biographie de
Capucine sera présent. Capucine, un auteur ?! Je me rappelle d’une
anecdote, quelque chose que j’avais placé dans « Journal de la haine et
autres douleurs », notre voyage à New York avec Cy et sa tante. Nous
avions passé une journée entière à Woodburry Common, une sorte de village de
carton-pâte, un super outlet de toutes les grandes enseignes du centre ville.
Chez Saks, où je fis l’acquisition de quelques accessoires, l’une des vendeuses
avait repéré que je parlais français avec Cy. C’est donc en français qu’elle
s’adressa à moi. Tout naturellement, elle me demanda d’où je
venais, « une ville sur le lac Léman, à côté de Lausanne ». La
vendeuse écarquilla les yeux, répéta « Lausanne » avant d’ajouter
« là où vivait Capucine ». Je découvris alors que la star discrète
qui s’était jetée par la fenêtre de son appartement, au huitième étage d’un
locatif de standing du chemin de Primerose, était vraiment une star.
Après avoir googelisé Blaise Hofmann, j’ai trouvé une
adresse courriel, contacter l’intéressé, lui raconter mon anecdote avec la
vendeuse de chez Saks. J’étais surtout intrigué par l’intérêt d’un journaliste
pour une gloire oubliée au nom de fleur… Je lui ai donc proposé un échange de livres.
Brève rencontre à la cinémathèque, il intervenait en avant projection d’un film
dont Capucine tenait le premier rôle. Nous avons procédé à l’échange puis je
suis rentré, déjà captivé par les premières pages. Je n’ai pas été déçu du
reste, surtout impressionné par le travail d’enquêteur de l’auteur. Reconstitution
minutieuse de la dernière journée de Capucine, remise en contexte de la période
par l’évocation de petits riens (météo, programme télévisé, la une de la presse
romande). On y est, et plus particulièrement le lecteur lémanique qui replonge
dans ses propres souvenirs, essaie de se rappeler de ce qu’il avait bien pu
faire ce 17 mars 1990, un samedi et rien de pire que les samedis lausannois,
leur étroitesse, leur ennui, cette manière épouvantable qu’ils ont à se
refermer sur eux-mêmes dès 18h, 17h à l’époque, heure de fermeture des magasins
et de tant de cafés. Les lieux encore ouverts ne sont pas faits pour les
solitaires, aucune échappatoire ne semble possible. Hofmann relève même qu’on
annonce « Sébastien c’est fou » sur la première en soirée.
Comment une femme coqueluche du Paris d’après-guerre,
mannequin vedette de Hubert de Givenchy et son amie, étoile du cinéma américain
des années soixante, fourrures, robes de créateur, bijoux, villa merveilleuse,
limousines … comment une telle femme a-t-elle pu finir dans le cul-de-sac
existentiel d’une vie à Lausanne ! Et elle avait largement dépassé l’âge
de jouir de l’hédonisme brouillon des nuits de la capitale vaudoise, lorsque le
MAD n’était pas encore une boîte de vieux jeunes entre blaireaux et bobo.
Combien de fois Capucine n’a-t-elle pas dû laisser errer son regard sur le lac,
le cirque des montagnes, cherchant d’où viendrait son sauveur, depuis sa
terrasse, son nid d’hirondelle. Hofmann nous raconte un conte tragique et l’avancée
de ses recherches en parallèle, Saumur où grandit Germaine Lefèvre pas encore
devenue Capucine, Cap’ pour les intimes. On y apprend l’enfance, l’usine de l’oncle
un peu collabo’ sur les bords, le père un peu planqué sur un autre bord, la
mère limite malveillante, certainement jalouse de sa fille, petit monde étroit
et provincial sous l’Occupation. Puis Paris, les petits boulots, un mariage
raté, l’engeance de l’existentialisme, une lubie pour ceux qui sont nés avec
une cuillère en argent dans la bouche, ou ceux qui n’aiment pas danser
frénétiquement jusqu’au petit jour dans les cave à jazz. Il y aura encore la
carrière de mannequin, Hubert de Givenchy, l’ami de toujours, la rencontre avec
Audrey Hepburn, l’amie de toujours. Finalement les Etats-Unis, un agent en père
de substitution, son pygmalion, des rôles magnifiques mais Capucine a-t-elle
été une grande comédienne ?
Mystère. J’ai le souvenir d’avoir vu – dans le délire d’une
fièvre grippale – « What’s new, pussy cat » ; j’avais douze ou
treize ans et la mélodie du générique ne m’a jamais quitté. Capucine était de
cette aventure déjantée, très en décalage avec son emploi d’icône de la femme
sophistiquée. Hofmann nous rend parfaitement le paradoxe de cette comédienne
qui rencontra soit son public mais pas son réalisateur. Elle était une déesse d’un
autre temps, la tragédie de sa vie. Finir seule à Lausanne, ni proches, ni
enfants, quelques mots avec le serveur du « Gros Minet », le bar sur
l’avenue de Cour, un salut à la concierge – Capucine sent très bien que cette
femme ne l’apprécie pas tant, un coup de fil à Audrey qui vit à une dizaine de
kilomètres de là mais l’amie de toujours est encore en déplacement, son travail
d’ambassadrice de l’Unesco. Je n’ai pas vu de film de Capucine depuis que j’ai
terminé la lecture de son excellente biographie ; je ne cherche pas
particulièrement à le faire. La mort de Capucine m’a toujours été une sorte de
motif mythologique. Maladie ? Peine de cœur ? Déception ?
Fatigue ? ou lorsque l’étoile froide de votre gloire éteinte vous laisse
dans l’obscurité, et à Lausanne. Sous l’élégante plume de Blaise Hofmann,
Capucine a enfin trouvé un auteur qui lui sied.
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