vendredi, octobre 23, 2015

"Il est de retour", le film

« Il est de retour » est de retour, après le roman désopilant et bien mené de Timur Vermes, les écrans allemands ont droit à la primeur de l’adaptation cinématographique. Passer du texte à l’image n’est pas chose facile, rentre en ligne de compte le respect du roman , de l’idée que l’on s’en fait, sans parler de la dimension choquante du propos, l’intimité de la lecture n’a rien à voir avec une projection en salle, du moins tant que le film n’est pas disponible en dvd ou en streaming. Le pitch (égal à celui du livre), Adolf Hitler se réveille en 2014 exactement là où son corps avait été incinéré en 45. Difficile pour un homme en uniforme nazi et ressemblant trait pour trait à Adolf Hitler de passer inaperçu dans notre société filmée 24 sur 24, de manière volontaire ou non. Très rapidement, notre protagoniste va savoir tirer parti de ce diktat addictif de l’image  tout en flattant la vanité de ceux qui vont l’aider.
 
Le réalisateur (David Wnendt) rend parfaitement l’esprit du texte, tout en le poussant au-delà de la bonne pochade par un travail de mise-en-abîme subtile et philosophique. Il incite le spectateur à se poser les bonnes questions ; où se trouve la limite entre la parodie et la conviction ? quelle est finalement la responsabilité de tout Allemand ? cette responsabilité dépasse-t-elle le cercle du peuple allemand ? Hitler revenu d’entre les morts lance à Sawatzki, un jeune assistant producteur de télévision timide, l’un des premiers promoteurs de son retour sur le devant de la scène, il lui lance donc « vous ne pouvez pas me supprimer, car je suis une part de vous tous, et pas forcément la plus mauvaise ». Le film se clôt quasi sur cette scène, puis une traversée triomphale du Führer dans une Mercedes décapotable à travers Berlin où les passants lui font tantôt des doigts d’honneur tantôt de petits signes amicaux de la main ou, même, un franc salut nazi (il s’agit de vrais passants et pas de figurants, certaines scènes ayant été tournées en milieu « naturel »).
 
Scénario rondement mené, rythme et gags, dérision de la culture allemande (sous-culture diront les mauvaises langues), le film repose néanmoins sur la prestation d’Oliver Masucci qui campe un Hitler encore meilleur que Bruno Ganz. La gestuelle, la posture, le phrasé, tout y est, jusqu’à cette assurance du regard qui ne semble pas être le fait d’un comédien. A propos de Bruno Ganz, coup de projecteur sur une scène reprise et réadaptée de « Der Untergang ». Rappelez-vous lorsque le Führer dans son bunker, acculé par la nouvelle de sa défaite prochaine se lance dans une diatribe enflammée, invectivant ses généraux. Remplacez Hitler par un directeur de programme ambitieux acculé lui aussi à une reddition prochaine du fait des mauvais résultats d’audience et vous le verrez se comporter exactement de la même manière qu’Adolphe, les mêmes cris, les mêmes menaces, la même violence. Hitler est parmi nous …
 
Question débat, le film suscite quelques réactions, guère plus que le livre ou la pièce. Entre Pegida, la crise des migrants et la guerre en Syrie, Vermes et Wnendt font figure de Cassandre. Un leader populiste, droit, intègre, passionné et écologiste de surcroît ferait florès, et peut-être mieux qu’en 33. Et pas seulement en Allemagne. En surimpression de la traversée de Hitler à travers Berlin, une mosaïque d’images tirées de l’actualité récente, Marine Le Pen, Nigel Farage, La lega del Nord, et d’autres encore, des purs produits de nos démocraties libérales : tout ce qu’il y a de plus officiellement élus par les déçus du système, les déclassés qui votent encore, les laissés-pour-compte qui tentent de protester une dernière foi. En fait, il n’est pas de retour, il n’est jamais vraiment parti.

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