« Il est de retour » est de retour, après le roman
désopilant et bien mené de Timur Vermes, les écrans allemands ont droit à la
primeur de l’adaptation cinématographique. Passer du texte à l’image n’est pas
chose facile, rentre en ligne de compte le respect du roman , de l’idée que l’on
s’en fait, sans parler de la dimension choquante du propos, l’intimité de la
lecture n’a rien à voir avec une projection en salle, du moins tant que le film
n’est pas disponible en dvd ou en streaming. Le pitch (égal à celui du livre),
Adolf Hitler se réveille en 2014 exactement là où son corps avait été incinéré
en 45. Difficile pour un homme en uniforme nazi et ressemblant trait pour trait
à Adolf Hitler de passer inaperçu dans notre société filmée 24 sur 24, de manière
volontaire ou non. Très rapidement, notre protagoniste va savoir tirer parti de
ce diktat addictif de l’image tout en
flattant la vanité de ceux qui vont l’aider.
Le réalisateur (David Wnendt) rend parfaitement l’esprit du
texte, tout en le poussant au-delà de la bonne pochade par un travail de
mise-en-abîme subtile et philosophique. Il incite le spectateur à se poser les
bonnes questions ; où se trouve la limite entre la parodie et la
conviction ? quelle est finalement la responsabilité de tout Allemand ?
cette responsabilité dépasse-t-elle le cercle du peuple allemand ? Hitler
revenu d’entre les morts lance à Sawatzki, un jeune assistant producteur de
télévision timide, l’un des premiers promoteurs de son retour sur le devant de
la scène, il lui lance donc « vous ne pouvez pas me supprimer, car je suis
une part de vous tous, et pas forcément la plus mauvaise ». Le film se clôt
quasi sur cette scène, puis une traversée triomphale du Führer dans une
Mercedes décapotable à travers Berlin où les passants lui font tantôt des
doigts d’honneur tantôt de petits signes amicaux de la main ou, même, un franc
salut nazi (il s’agit de vrais passants et pas de figurants, certaines scènes ayant
été tournées en milieu « naturel »).
Scénario rondement mené, rythme et gags, dérision de la
culture allemande (sous-culture diront les mauvaises langues), le film repose
néanmoins sur la prestation d’Oliver Masucci qui campe un Hitler encore
meilleur que Bruno Ganz. La gestuelle, la posture, le phrasé, tout y est, jusqu’à
cette assurance du regard qui ne semble pas être le fait d’un comédien. A
propos de Bruno Ganz, coup de projecteur sur une scène reprise et réadaptée de « Der
Untergang ». Rappelez-vous lorsque le Führer dans son bunker, acculé par
la nouvelle de sa défaite prochaine se lance dans une diatribe enflammée, invectivant
ses généraux. Remplacez Hitler par un directeur de programme ambitieux acculé
lui aussi à une reddition prochaine du fait des mauvais résultats d’audience et
vous le verrez se comporter exactement de la même manière qu’Adolphe, les mêmes
cris, les mêmes menaces, la même violence. Hitler est parmi nous …
Question débat, le film suscite quelques réactions, guère
plus que le livre ou la pièce. Entre Pegida, la crise des migrants et la guerre
en Syrie, Vermes et Wnendt font figure de Cassandre. Un leader populiste,
droit, intègre, passionné et écologiste de surcroît ferait florès, et peut-être
mieux qu’en 33. Et pas seulement en Allemagne. En surimpression de la traversée
de Hitler à travers Berlin, une mosaïque d’images tirées de l’actualité
récente, Marine Le Pen, Nigel Farage, La lega del Nord, et d’autres encore, des
purs produits de nos démocraties libérales : tout ce qu’il y a de plus
officiellement élus par les déçus du système, les déclassés qui votent encore,
les laissés-pour-compte qui tentent de protester une dernière foi. En fait, il
n’est pas de retour, il n’est jamais vraiment parti.
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