Près de neuf cents pages, détail anecdotique, peut-être un
peu moins de huit cents finalement, je n’ai pas le volume sous la main. Parmi
cette masse, on ne trouve que quelques pseudos-intrigues amoureuses et le récit
d’un projet sans fond, une coquille vide, la « grande action
nationale » en vue du jubilé de l’empereur. Musil commence la publication
de ce roman en 1930, le début de la rédaction ne doit pas remonter à plus de
dix ans, le moment exact est sans importance, il suffit de retenir que le texte
date de l’entre-deux guerres, d’avant l’accession du chancelier Hitler au
pouvoir. En ces temps-là, le grand Thomas avait publié l’incomplète
« Montagne magique » et reçu le Nobel de littérature. Pour poursuivre
la comparaison, Musil fait très vite comprendre à son lecteur qu’il ne doit pas
s’attendre à une narration linéaire, avec un début, une fin, des personnages
bien campés, une quête intérieure et morale finale à la clef. Que pouick. Musil
est bien plus moderne et radical, quoique dans un genre plus éduqué que Thomas
Bernhard un bon quart de siècle plus tard. Ce dernier partage avec Musil une
analyse froide de la société autrichienne.
Mais que nous apprend l’insaisissable Robert Musil ? un
être mi ceci, mi cela, entre le lard et le cochon, que l’on peut supposer gay,
à bon droit, mais se défilant, pareil pour l’orientation politique, de gauche
mais pas déclaré, suspicieux face aux idéologies triomphantes et plus attaché à
la demi-mesure des possibles k und k d’un État ancien et universel. Notre
Robert s’est projeté dans un avatar flatteur, Ulrich, un indécis de trente ans,
athlétique, séduisant, ni romantique ni Don Juan, platement hédoniste dans un
monde en sursis, une époque sur le fil. Entre sa belle cousine idéaliste et
snob, sa maîtresse nymphomane, l’une de ses amies hystériques et quelques
autres figures féminines guère plus équilibrées, il laisse venir, sans à
priori, avec une curiosité de scientifique. Ces femmes tiennent presque le rôle
d’allégorie des tendances du peuple, de ses aspirations, ses espoirs et Ulrich
représenterait le principe de raison.
Musil ou la métaphore d’une catastrophe annoncée et je ne pense pas à la
première guerre mondiale, une guerre de blocs qui s’est terminée en guerre
anti-allemande, la honte sera pour les alliés.
Il y a bien l’élégance d’un temps de gens éduqués, ce petit
plus qui permettait de supporter l’attente et le vertige de la vacuité, de la
médiocrité, un temps qui, pour la première fois, reconnut du « génie »
à un cheval de course. Imaginez que vous glissiez dans le sommeil, un sentiment
approchant mais, plutôt que le sommeil, vous ne trouveriez qu’une insomnie
hypnotique.
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