Par moment,
ça lui semble très clair, il sait exactement ce qu’il a à faire, la suite des
événements, il est même certain de ce qu’il veut, ce qu’il attend. La plupart
du temps, ça redescend comme un vieux soufflé tiède et il se demande ce qu’il
peut bien y foutre. Tout l’embarras de sa situation se concentre dans ce
« y » dont le sens varie de la vie
que Steeve mène, au sens ultime de son existence, l’avenir d’Oméga, son
activité professionnelle, l’Empire, l’Agence, la résistance jusqu’à la carrière
littéraire du mec gazeux. Steeve s’attarde en contrôles inutiles au musée des
Beaux Arts, parfois une toile lui parle un peu, lui glisse un mot, comme les
parents « de l’autiste », « le père » et « la
mère », par Félix Vallotton, chacun son tour susurre que c’est une erreur,
une invraisemblable erreur, ils n’ont rien à ajouter, ils ne comprennent pas,
que pourraient-ils dire ? Ils sont des gens plutôt simples même s’ils
vivent dans une certaine aisance. Steeve pose une main amicale sur l’épaule du
« père », le rassurer, tout va bien, Félix va bien, il a du succès,
et Paul s’occupe de vendre les toiles de son frère. Tout est pour le mieux. Il
n’a pas les chiffres en tête mais ils vivent aussi bien que s’ils avaient une
pharmacie. A la « mère », Steeve dit que Félix a épousé une femme
bien qui contribue à son succès et qui lui a donné une famille. Steeve omet de dire à vieille que Gabrielle
Vallotton a donné à son second époux les enfants conçus avec le premier. Steeve
se perd dans le décryptage de la bibliothèque de l’autiste, il ne reconnaît pas
la femme qui farfouille parmi les rayons en désordre, la bibliothèque est une
vitrine dont les portes sont garnies de rideaux verts. Une fois refermées,
personne ne peut deviner le désordre. La femme se tait, une main plongée parmi
les livres. Steeve la sent agacée mais elle se réfrène. Tu parles de balises,
Félix les a « amorcées » – ce genre de choses s’amorce comme une
grenade – n’importe comment pour emmerder, ses modèles, les transitaires,
Oméga, l’Agence, etc. A présent, la femme de dos marmonne quelque chose, Steeve
fait le mort. Il sait qu’elle sait qu’il est là mais il ne se sait pas observé,
lui aussi, par une femme dans la salle, près de 60 ans, élégante, en tailleur
jupe écossais beige, maquillée, un peu, quelques bijoux. « Vous entrez
véritablement dans la toile, n’est-ce pas ? Je ne suis jamais parvenue
jusque là. » Steeve sursaute, se retourne, la femme lui tend une main,
« Appelez-moi Adélaïde, j’ai fini par adopter ce prénom mais c’est une
longue histoire … » Elle pensait bien que Steeve était là pour des raisons
professionnelles, aussi. La peinture, c’est un peu le domaine d’Adélaïde, son
père était galeriste, ainsi que sa grand-mère par alliance mais rien n’est
resté, pas même une petite collection. « Je connais les amateurs d’art,
leurs manies, leur mise-en-scène mais vous semblez vraiment communier avec la
toile. » Steeve se présente, explique son travail et le lien qu’il a su
développer, avec le temps, vis-à-vis de la peinture, de la littérature, l’art …
« Si je vous disais ce que je crois. Les œuvres ont une vie propre, les
lieux, les personnages, les situations ont une existence pas moins réelle que
nous. Et on se croise avec un tableau, une page de texte. » Steeve fixe
brièvement Adélaïde, soulagé, content qu’elle ne soit pas un membre de l’Agence
ou de n’importe quel bureau de l’administration impériale. Elle ajoute une
dernière chose dont Steeve se doutait bien, « Faites-en ce que vous
voulez, mais la guerre a commencé, peut-être le combat final. Pour l’instant,
on en est encore aux questions de stratégies, alliance de dernière minute, la
foire aux dupes. Le premier coup finira par partir … Passez me trouver un de
ces jours. »
samedi, mars 28, 2020
lundi, mars 23, 2020
L'homme sans autre qualité - chapitre 1, seconde partie
Les jours
se sont ajoutés aux jours, ou plus exactement à l’absence de jour sous un ciel
bas, le stratus plombé qui coupe les montagnes à l’horizon et assourdi la
palette. Et maintenant, c’est fini, à moins qu’il n’entame un nouveau chapitre,
le charme de la petite histoire de rien, légèrement triste, la douceur amère de
souvenirs effacés. Il a rencontré, fortuitement, le mec gazeux dans le nouveau
grand Musée des Beaux Arts du coin, une nef de béton, façades garnies de
briques de grès gris. Steeve venait vérifier le nouveau système de surveillance
vidéo, le mec gazeux promenait son spleen et un manuscrit à la cafétéria,
derrière une tasse de Assam. Steeve s’est assis en face de lui. « Au fait,
c’est un rendez-vous » a lancé l’auteur gazeux. « Friedhelm ? »
a répondu Steve. Et son vis-à-vis d’acquiescer. Steeve s’est alors lancé dans
un comparatif entre ce musée et celui de son dernier transit. Steve, oui,
Steve, le double de Steeve, avant la Volatilisation, la Grande Marche et l’immigration
aux Etats-Unis du Mexique, vivait dans la région. Si Alpha se met à
reconstruire ce qui a disparu en Oméga dans une sorte de rétro-avancée, ça
ouvre de nouvelles perspectives aux héros sans qualité particulière. Dommage qu’un
mal indiagnostiqué lui grignote le côté droit de la tête ; Steeve n’est
pas au point de se rouler par terre. Il reste un peu abasourdi par le silence d’Oméga.
L’auteur gazeux se tord les mains comme une jeune fille, ses prochaines
publications n’ont de cesse d’être reportées. Franchement, ces histoires
cantiques de mondes parallèles sont en train de l’éloigner de son travail, ce
pour quoi il est fait, de l’autofiction gaillarde et chantournée. Il avait déjà
bien assez de contradicteurs, s’il faut encore y ajouter les agents du côté
obscur de la force … Heureusement, il y a les chiens, ils vont bien. Parfois, l’auteur
gazeux se dit qu’ils s’occupent de tout dans la maison. Bref, Friedhelm a dit « on
ne va pas vers le beau, les cols risquent d’être fermés ». Steeve semble
réfléchir avant de lâcher « Il veut certainement dire qu’il est temps de s’équiper
de chaînes » mais ni Steeve, ni l’auteur n’ont de voiture. Ils ne vont pas
même à la montagne. A travers les baies de la cafétéria filtre un jour rare,
gris, il est 17h. Les deux hommes ont la tête pleine de héros discrets et
désillusionnés aux gestes mesurés. Des taiseux, des blessés et, sous la croûte,
des petits garçons délicats. C’est aussi l’heure bleue des rendez-vous
adultérins, les petits secrets des femmes mariées, bien comme il faut que l’on
rencontre fraîches encore à cette heure dans les transports publics. Tout cela
est très cliché, téléphoné et dépassé même. Steeve prend congé, il va aller
promener un peu ses crépitements à travers la ville puis il compte se coucher
tôt. Le mec gazeux va tenter d’imaginer une suite plausible, il a accepté la
mission. Il comptait écrire un truc à propos de Berlin, le buste de Néfertiti,
des histoires de portes symboliques mais ça lui a échappé. Steeve devra se
débrouiller tout seul.
L'homme sans autre qualité - chapitre 33
Samedi mou,
le premier de novembre, ni transit, ni translation, juste le parfum puissant du
souvenir d’Oméga, l’ancien Oméga de son adolescence que Steeve traîne de pièce
en pièce, son vieil appartement aux tapisseries ruinées, le canapé silencieux,
un peu d’ordre dans la cuisine et une chambre, un vrai lit aux draps propres.
Du reste, la machine tourne dans la salle de bain. Ce n’est pas que ça le
dérange mais tout de même, ce crépitement qui, subitement, se met à hurler dans
son oreille droite et le quitte par intermittence. Il en a parlé à l’hôpital, à
l’occasion d’une visite à Mirim, il doit consulter, en attendant on lui a
glissé une boîte d’anti-inflammatoires. Il dort, il mange, il fait ce qu’il a à
faire pour entretenir le mythe merveilleux de la normalité. A-t-il refermé la
porte ? Il susurre « …I need your love » sur la musique de
Porter. Il ne saurait du reste à qui adresser ces mots. Steeve se dit qu’il
finira peut-être avec autant de dignité que son oncle alcoolique, la
bibliothèque dont il a hérité, son invraisemblable épopée. Personne ne sait
quels sont les effets des transits sur la santé à long terme, quels sont les
risques accrus de cancers, infarctus, attaques cérébrales, autres. Steeve s’en
fout. Tant qu’il peut marcher. Il sent qu’il y est allé, un centre balnéaire
avec spa et un peu plus, une jolie campagne, une colline, un bout de ville, de
vastes champs au-delà et une rue adossée, à un vieux mur, une rue qui mène à
l’hôtel, l’entrée du parc. Il y a aussi un type plus vieux, et le reste …
confus … à décanter ! Comme un vin de garde que l’on n’a pas laissé
maturer suffisamment longtemps, les arômes restent confus. A bien y réfléchir,
il y a une ville, pas loin, d’un genre plutôt allemand. Il la connaît. Il sort
de la gare, coupe à travers une friche urbaine, atteindre un musée. Deux types
le suivent, il y a de l’embrouille, Steeve se souvient d’une soirée dans les
souterrains du musée, un bastringue cul-alternatif-artisteux … C’est à cette
occasion que s’est nouée l’embrouille. Le jeune mec doit être le tapin du vieux
et Steeve a dû secouer ce dernier à un moment … On peut pénétrer dans l’espace
muséal soit par un ascenseur panoramique, soit par une entrée au sous-sol,
second accès qu’emprunte Steeve, filer sous le nez des deux jobards qui l’ont
tout de même devancé. Un guichet sécurisé, Steeve passe sa carte, un préposé lui
dit qu’il y a un problème. Un problème ?! quel problème ? S’il s’agit
de ces deux messieurs ? Steeve les avait « bousculés » ?
Dans l’enceinte du musée ? non, mais à l’occasion d’une soirée, dans un
espace mis en location par le musée. Il s’agissait d’une proposition, comment
dire … inconvenante. Ça n’a toutefois rien à voir avec l’espace muséal. Le gardien acquiesce,
laisse passer Steeve et les deux importuns de tourner les talons. Durant sa
visite, Steeve se laisse surprendre par un autre visiteur taquin, un petit système
amusant aménagé au détour d’un couloir, un vitrine remplie de masques et de
mannequins en buste, grandeur nature, la vitrine est à l’angle d’un escalier,
aménagée de même en escalier et si l’on y prête garde … Par l’arrière, une
ouverture ménagée permet à quiconque de se glisser, la tête, les épaules ou
jusqu’à la poitrine afin de surprendre les autres visiteurs par un cri, un
mouvement. Et Steeve de se faire avoir, s’en amuser. Le musée est une vaste
expérience, une sorte de mise en abîme de la notion de musée, une coulisse, un
espace en voie d’aménagement. Le clou, le « salon des paysages », une
salle comme un séjour et la vue sur la ville jusqu’à ce que cette vue indique
un mouvement, le musée avance le long de la rue. Nouveau tour de passe-passe,
les fenêtres n’en sont pas mais des écrans. Une femme admire le montage,
émerveillée, Steeve entame la conversation. Accélération, le musée semble
s’envoler, les écrans fenêtres diffusent un ciel, un vol, un survol, puis une
baie. « New York » s’exclame Steeve avant de se raviser, la baie de
Genève dans la lumière orange d’un coucher estival. Il en pleure d’émotions.
dimanche, mars 22, 2020
L'homme sans autre qualité - chapitre 32
Marcher
dans Berlin, le long de boulevards ensoleillés, quelques passants, de très
rares touristes parce qu’on se trouve dans un quartier chez les vrais gens,
loin des rues commerçantes, des bastringues à toutous. Marcher face au soleil,
plein Ouest, comme dans un happy-end, fondu-enchaîné avec le générique, un film
d’aventure surfilé de philosophie pratique, une belle histoire qui se termine
par l’ouverture à un autre chose doux, agréable, un sentiment proche de
l’ivresse légère que procure un verre de vin rouge. La BO ? Porter,
« Surround me with your love, surround me with your words … » Steeve
serait ce héros magnanime et anonyme capable de comprendre et consoler. Il
serait le « bras armé » de l’auteur. Il serait sans âge, c'est-à-dire
vieux, comme ces bagnoles pas assez vieilles encore pour valoir quelque chose
mais déjà sans plus de cote à l’argus. Steeve retourne en Oméga, dans
l’enfance, la jeunesse de son avatar. Combien sont-ils comme lui, à entretenir
l’existence d’Oméga par le souvenir et la répétition continuelle de saynètes
charmantes. « Hello, can you hear me ? » Reçu cinq sur cinq. Il
est le type banal par qui coïncideront Alpha et Oméga, genre solution hydrofuge
qu’il faut émulsionner énergiquement pour que cela fasse un tout. Chaque crise
sera l’occasion de faire un, en dehors. Alpha, Oméga et toutes les lettres qui
peuvent les séparer ne forment qu’un catalogue de possibles. Steeve a choisi
son scénario, minimaliste, évident, pas besoin de le définir à grand renfort de
« à la fois » et autres syntagmes contradictoires. Il a décidé qu’il
serait lui et personne d’autre. Il a, effectivement, trouvé une boîte de
pralinés, une carte dactylographiée, « Avec les compliments de
Friedhelm ». Un peu léger a-t-il pensé, à peine crédible dans le scénario,
l’auteur gazeux a dû caller dans le récit, à moins que lui, Steeve, ne soit en
train de rêver « Alpha » en possibilité séduisante de sa logique de
vie.
Rentrer,
rentrer chez soi, en ressortir et marcher, encore, dans le jour bas d’une fin
octobre. Il a dû prendre des avions, des trains … Il aimerait bien en rester
aux transports urbains, un métro par exemple, descendre dans une station du
Marais parce que, à l’instant, l’air sent Paris en automne, Paris comme elle
sentait en automne à la fin du XXème et plein d’espoirs confus, d’envies, de
désirs, la vie urbaine que Steeve aurait dû connaître et pas sa trentaine
miteuse, impécunieuse, ratatinée et aigrie. Le bruit des cafés, la clameur des
grands magasins, la saveur d’une rencontre. Voilà exactement ce que l’on doit
vivre, comme tout le monde, quand on est un type sans qualité particulière. Il
regrette même – c’est de saison – cette période avant qu’il n’y croie, aux
transits et tout le reste. La nostalgie d'antan, le bon vieux temps, meilleur,
le temps, depuis qu’on l’a tout bien reconditionné façon tranche du jambon
périmée (retaillée, remballée). Steeve va trouver sa mère, l’appartement
mi-miteux en banlieue, une certaine dignité … une indigence bien peignée depuis
que l’intéressée est à la retraite et boit plus de thé que de mauvais rouge. Et
Mirim, déménagée dans un joli service de légumineux moyens, antenne
hospitalière décentrée en banlieue verte.
dimanche, mars 08, 2020
L'homme sans autre qualité - chapitre 31
A Berlin,
dans la « perpétuelle » - c’est ainsi que l’on désigne Berlin à
l’Agence, rapport à la présence d’un … vortex cantique, un passage perpétuel
entre Alpha et Oméga – à Berlin donc, Steeve a « remonté » le
scénario, quasi le même. Même zone pour son logement, mêmes activités, même
timing. Juste une petite distorsion. Au cinéma, il a vu « Noureev »,
le biopic du plus sublime Solor depuis la première de « La
Bayadère ». Steeve se rappelle avoir pris des notes en son temps, à ce
propos, dans son petit carnet à « vocabulaire et autres
choses ». Après le cinéma, il est allé dîner dans un restaurant voisin de
celui dans lequel il avait dîné, les deux établissements proposant de la
cuisine autrichienne. Il est aussi allé s’entraîner dans un fitness dont il pouvait
observer la salle depuis sa chambre d’hôtel, le séjour quand tout a dérapé, und
was noch ? Tous les petits riens qui seraient advenus s’il avait pris le
bon chemin. Il était le chat mort de Schrödinger, il doit redevenir le chat
vivant, se réaligner sur la matrice. Et puisqu’il croit en la pythie
cinématographique, Pouchkine,
l’enseignant de Noureev, dans le film, glisse à
son élève que les gestes ne doivent pas juste être exécutés, même à la
perfection, ils portent chacun leur logique, qui appelle un geste suivant, il
faut connaître le but de la chorégraphie, le sens inné de chaque chose, à
savoir un récit, une histoire. Steeve doit raccommoder son histoire, l’histoire
d’Alpha, d’Oméga, du mec gazeux, de Mirim, de sa mère et, pourquoi pas, même de
quatre-pattes, le petit chef podagre emporté dans les scandales de l’Agence.
Steeve laisse tomber ; il ne va pas se mettre à courir après des pourquoi,
des comment. Il a fait fausse route, rien ne sert de tergiverser. S’il doit en
tirer un enseignement, celui-ci s’imposera à lui ; ça fera sens. Il est
doué, il sait transiter, il pratique la grande cabriole, il en est presque
arrivé au transit intégral. Il slide comme on se brosse les dents. Il est si
doué qu’il arrive, clou du clou, à passer au travers de son talent et à
refermer la porte. Ce soir, il est un homme sans autre qualité, un type à
l’approche de la cinquantaine, quelques restes qu’il porte pas mal, une sorte
d’Ulysse de lui-même retrouvant enfin la Pénélope qui tisse patiemment en lui.
Il va rentrer dans son austère chambre d’hôtel, il sait qu’il trouvera un mot
de Friedhelm, des instructions, des nouvelles ou une boîte de chocolats, à
moins que les nouvelles ne soient dans le chocolat. Steeve se couchera
et dormira pour lui, peut-être visitera-t-il d’autres réalités, d’autres
récits, aussi probables, aussi certains que n’importe quel possible.
lundi, février 24, 2020
L'homme sans autre qualité - chapitre 30
Narcìs Puget Viñas, autoportrait. |
Parfois,
elle ouvre les yeux et bat des paupières. Elle est aussi capable de suivre le
mouvement du doigt qu’un chef de clinique lui met sous le nez. Steeve est
arrivé après la toilette, dans son joli costume de « men in black »,
et ça le fait, surtout avec les lunettes noires et un bouquet de roses. Légèrement
« too much » pense-t-il. Il est resté un instant à la regarder dormir
paisiblement. Elle n’est pas particulièrement pâle. Elle a l’air plutôt … en
forme, à peine amaigrie. Steeve finit par lui faire la lecture, un article
climatosceptique reçu via un réseau social. En fait, l’académie des sciences
impériales (en Oméga) a émis l’hypothèse dans un rapport destiné à l’Agence que
les modifications climatiques dues à la grande volatilisation seraient peut-être
à l’origine du réchauffement en Alpha. Steeve glisse son smarphone dans sa
poche et raconte deux ou trois des trucs bizarres qui lui sont arrivés
dernièrement. Il s’attarde un peu sur son séjour viennois, Musil, Schiele,
Ulrich et Dio… non, pas un mot sur Diotime ni sur Bonadea. Et, oh oui ! il
a rendu Oméga caduc, à cause d’un transit prohibé. A ce chapitre, il eut
préféré revenir sur la tentative d’assassinat de Mirim, le cousin Agron, morale
clanique, cinq ans déjà ! Cinq ans de coma pour sa « belle ».
Steeve aurait voulu la faire « migrer » mais il faut être conscient
pour nidifier dans un scaphandre. Steeve aimerait retrouver des habitudes, un
rythme, le charme de l’ennui plutôt que les grandes orgues de la tragédie et la
souillure du surnaturel. On ne l’imagine pas vraiment ainsi mais les mondes
parallèles, la métempsychose, les petits martiens, les trous de ver et tout le
bataclan sont parfaitement répugnants. Incongru comme de l’ail dans une
pâtisserie et répugnant comme une couche pleine au milieu d’un étal de
boulangerie ! Il était finalement plutôt heureux dans la peau d’un vigile
amoureux d’une belle alba’, un peu raté, un peu trafficoteur, un peu con-con.
On n’imagine pas le confort à être banal. Commun. Transparent. Steeve caresse
un peu la main de Mirim. Il est fini le temps béni quand on pouvait le
confondre avec la tapisserie. A peine le temps de faire les courses dans une
supérette qu’on l’envoie dans une île des Baléares, vérifier l’installation
vidéo d’un musée d’art local. Steeve remarque pour lui, au passage, qu’il a
pris du grade dans ses proto-activités de vigile : il est attaché à la
surveillance vidéo de lieux d’expositions. Finies les soirées teuf déguisés en
néo-flics ou, même, costume noir cintré. Il se retrouve, face à la mer, ineffable,
un hôtel de moyenne catégorie, et vaguement un moment par-ci, par-là, durant
les heures d’ouverture du musée Puget, vérifier l’angle et le bon
fonctionnement des caméras. Ça sent la mission prétexte et l’autoportrait du maître s’est adressé à
lui, un message de Friedhelm, la connexion directe reste difficile mais il est
toujours possible depuis Oméga de passer par les balises. Narcìs Puget Viñas n’a jamais
cultivé une pensée politique, il a surtout voulu travailler pour l’Espagne à
travers sa peinture. Son fils, Puget Riquer, est resté de même en dehors de la
critique antifranquiste.
-
Même
le caudillo savait qu’il y avait autre chose, qui nous dépassait tous … On m’a
dit de vous dire de ne pas vous inquiéter. Maintenant que les balises sont en
voie d’être toutes raccordées … on vous expliquera les détails, j’ai peur de
m’embrouiller. Et, dernière chose, vous êtes attendu à Berlin, allez-y
directement, vous changerez de vol à Barcelone, les billets vous attendent à la
réception de votre hôtel.
Steeve fixe
les traits du vieillard, mise-en-scène classique de l’artiste alors que sa
peinture est bien plus novatrice par la forme, les tons employés, la patte
néo-impressionniste. Steeve passe rapidement d’une toile à l’autre, des rires
s’en échappent, une clameur de foule, les pas ferrés d’une mule, une litanie
façon « récitation du rosaire ». Toute la bonne vie ibizienne s’offre
à lui, irréelle et intemporelle à la fois, à des années lumière du tohubohu
festif coké extasié de la « saison ». Nous sommes l’ancien monde glisse une femme dans son costume
traditionnel, la jupe sombre ourlée de blanc, le bustier et le tablier
richement brodé, la cape à capuche en cas de pluie. Nous portons des valeurs immuables souffle-t-elle encore. Et Puget
Viñas de surenchérir : Pourquoi
croyez-vous que mon œuvre parle aux transitaires ? Oméga, comme vous le
nommez, est LE MODÈLE abouti. Puis le silence, un léger grésillement dans
l’oreille droite, Steeve assure au directeur que le musée est parfaitement
surveillé, les caméras couvrent tout l’espace d’exposition, les images sont
stockées dans un cloud sécurisé où toutes ces toiles doivent s’interpeler dans
la plus grande confusion, recomposer le monde et l’histoire dans une
instantanéité surnaturelle, les lois sibyllines de la physique cantique … Il ne
sait pas trop combien de musées, de galeries, de collections privées sont ainsi
reliées, interconnexion de toutes ces balises, du portrait historique au
paysage surréaliste, de la scène de genre à la fresque allégorique, des peintures
pariétales animalières de Lascaux à l’expressionisme non-figuratif. De la
puissance de l’image, de la représentation « artificielle » en
matrice du réel et non en expression de celui-ci. D’un jour à l’autre, les
œuvres « fliquées » ne doivent pas se ressembler, elles doivent insensiblement
changer d’aspect. Sur la base d’une modélisation mathématique de ces
micro-changements, il serait possible d’extrapoler un algorithme permettant de
définir … l’air du temps ? l’avenir ? Steeve n’en sait trop rien. Il
rentre à l’hôtel, remplit sa valise en vrac et passe le reste de la soirée
enroulé dans un plaid, sur la terrasse, face à la mer, bercé par de la musique
lounge.
jeudi, février 13, 2020
The new pope
On ne
s’était plus parlé depuis quelque temps, mis à part via « L’homme sans
autre qualité ». J’ai un peu perdu l’habitude de t’interpeler comme ça, comme un vieux copain, on
mettra ça sur le compte de l’âge, ou de la pudeur, ou de la fatigue, cette
raideur qu’elle imprime dans les membres et la pensée. Bref.
Je sors du
visionnement de la mini série « The new pope », la suite de
« The young pope ». Le récit débute là où il en était resté au
dernier épisode de la saison précédente. Pie XIII (Jude Law) est dans le coma,
il lui faut un successeur, ce sera François II, chantre de la pauvreté forcenée
et de l’accueil de l’autre jusqu’au coupable oubli de soi. Ce nouveau pape
meurt aussi rapidement que Jean-Paul Ier en son temps et lui succède, après
quelques atermoiements, Jean-Paul III (John Malkovich), souverain pontife
fragile, pusillanime, héroïnomane et mélancolique, Rajoutez à cela une touche
de chic anglais décadent punk et vous obtenez un personnage aux dialogues
savoureux et à la psychologie complexe. On retrouve tout le savoir faire de
Paolo Sorrentino, une photographie soignée, une mise-en-scène toujours à la
limite du surréalisme, une BO qui donne envie de bouger, des costumes, des
décors, une direction d’acteur, le tout impeccable. Carton plein !
Je ne vais
pas m’étendre sur les mérites évidents de cette production. Je ne suis pas
assez documenté. Pour faire simple, on retrouve l’esthétique et la narration
extatique de La grande bellezza,
mâtinés d’almodovarisme. Sorrentino eût pu donner dans le « où cours-je,
où vais-je, dans quel état j’erre ? » version catholo-vaticane. Il va
bien plus loin. Soit, l’Eglise est un Etat, une organisation aussi beurk que
tous les Etats et les organisations du monde entier mais Notre très Sainte Mère
l’Eglise catholique romaine et apostolique a quelque chose de plus, d’autre et
de merveilleux à nous offrir : une vérité mystique ! Ce merveilleux
cadeau n’efface pas les manquements, les abus, et blablabla mais transcende
tout cela.
Je suis
persuadé que « The new pope » parle à chacun. Le diocèse, ma paroisse
sont touchés par … une épreuve ? un scandale ? une histoire
légèrement pouerk. Prenez un bon curé, son goût de la bonne chair, sa
jovialité, son filleul, des week-ends de ski au chalet, un prélat naïf et/ou
maladroit, de la presse à l’affût et, oui, il s’est passé un truc, comment
communiquer sur le « truc », la justice se met en marche et, en attendant,
du côté de Morges, on reste dubitatif et silencieux les yeux baissés sur
l’affreux carrelage de pizzeria de notre bonne église Saint-François-de-Sales.
« The
new pope » pose avec un certain baroque les mots que chaque fidèle attend
depuis, oh ! depuis toujours. La compromission politique n’interdit pas
une parole libératrice. Au dernier épisode, lors de son allocution publique, avant
la prière dominicale de l’Angélus, depuis la place Saint-Pierre, le pape
Jean-Paul III se lance dans une formidable exhortation aux oubliés, aux
rejetés, aux mal-aimés, aux négligés, aux humiliés, qu’ils viennent se joindre
à lui car l’Eglise a besoin d’eux. John Malkovich a certainement joué là la
meilleure réplique de sa carrière. Peu avant, Jude Law alias Pie XIII, dans
toute la majesté obsolète pontificale, juché sur un trône à porteurs, paré de
lourdes étoffes cramoisies rebrodées d’or et de pierreries, encadré par les
éventails en plumes d’autruches de la tradition pré-vatican II, le pape émérite
Pie XIII, donc, adressait une harangue au collège des cardinaux, ou comment
être plus intelligent que l’ennemi – le plus dangereux, celui qui est en nous –
il nous déroulait le plan de bataille que l’on aimerait connaître à l’Eglise.
L’espace d’une
mini-série, j’ai oublié certaines petitesses de l’organisation ecclésiastique
catholique-romaine, des mesquineries de sacristie, le carrelage de pizzeria de
Saint-François-de-Sales, la maladresse d’un prélat et les écarts d’un bon
prêtre. Si j’étais évêque à la place de notre évêque, je m’économiserai bien
des paroles malheureuses et j’organiserai des projections publiques de « The
new pope » dans tout le diocèse.
mardi, janvier 28, 2020
L'homme sans autre qualité - chapitre 29
« Démobilisé », il se sent
démobilisé, certainement un effet de la saison, l’été indien, ses virées à Neu
York, le charme de sa vie minable en Alpha. Ça l’a pris en fin de matinée, un
truc a bougé, au fond, une certitude tout imprégnée de la saveur d’Oméga, un-deux
transits la nuit précédente et celle d’avant. Il était Steve, il avait 25-28
ans, une silhouette travaillée, il déplaçait des tables torse nu avant de
passer un t-shirt et un chandail vert sapin. Dans un autre
« souvenir », il portait une alliance en or jaune mat, il y avait
deux autres anneaux, or rose et or blanc, et deux garçons, une bague pour
chacun, un groupe de musique ? ou une affaire plus intime ?
« Démobilisé », en attendant les prochaines batailles. Il en chiera,
il prendra des coups, assurément, mais quoiqu’il arrive, il sera lui dans la
tête ou le corps de …, mais fondamentalement lui, un type qu’il commence à
connaître. Il le couche dans un lit propre, le nourrit correctement, lui fait
faire de l’exercice, l’assoit prendre un café dans l’après-midi, la Grande Rue
de la bonne ville voisine, et deux petits chiens qui courent vers ce corps,
vers lui en somme, et lui lèche les mains. Le mec gazeux est à l’autre bout des
laisses, l’air un peu entamé, pas particulièrement surpris. Il commence par un
« Friedhelm m’a dit de vous dire … », ce à quoi Steeve répond
« le peintre FV m’a dit de vous dire … » et ils ont donc pris un café
ensemble, mine de rien, se passant les chiens, tantôt l’un, tantôt l’autre sur
leurs genoux. L’auteur gazeux lui donne encore quelques nouvelles d’Oméga, des
trucs qui lui sont venus. Les transits ne sont plus possibles qu’avec l’Agence
qui, en dépit des critiques et de l’inculpation de ses dirigeants, a repris du
service. L’empereur va bien, les négociations avec les irrédentistes albanais
avancent. Le cessez-le-feu est respecté depuis six mois. Friedhelm a été envoyé
aux Etats-Unis du Mexique comme représentant de la couronne auprès des autorités.
L’empereur a rappelé à leur président qu’il était, tout de même, son vassal et
les Mexicains ses sujets. « C’est un chapitre que j’ai écrit
hier », conclut le mec gazeux. « Je dois être votre nouveau
relai », allez savoir lequel a créé l’autre ? « Il faudrait
aussi que vous fassiez de la politique, c’est encore confus mais j’y
pense ». Ils se sont quittés sur les quais, un soleil glorieux d’arrière
saison et Steeve se sent toujours aussi délicieusement démobilisé, à l’aise,
cool comme un clip des années 80. Le mec gazeux lui a encore glissé une
révélation, un scoop et un gag à la fois : comment lui était venu le
projet d’écrire « La Lumière des Césars », une furieuse envie d’évoquer
le rêve américain de son adolescence, « Careless Whisper » de George
Michael et ses paroles prophétiques : There’s
no comfort in the truth. Le mec gazeux lui a jeté, mi-figue, mi-raisin, « peut-être
que mon adolescence foireuse à attendre résultait d’un scénario mal ficelé ;
je n’ai pas eu la chance de rencontrer mon auteur, moi. »
Démobilisé,
dégagé, dans le sens de « libéré de tout engagement », le Steeve se
sent démobilisé, prêt à attaquer un nouveau récit, une aventure sympa au cours
de laquelle il aimerait se la jouer héros, classe, mystérieux, avec de l’humour
et de la culture. Il va se retaper, se plonger dans deux ou trois toiles,
penser à son vieux cul et reprendre l’initiative du récit. Il aimerait aussi
une scène d’introspection-révélation, un tête-à-tête avec lui-même après une
visite à Mirim, son coma. Steeve se dit alors qu’il devrait quand même se
sentir un peu plus concerné.
jeudi, janvier 09, 2020
L'homme sans autre qualité - chapitre 28
Autoportrait, Félix Vallotton, 1885 |
Le doute est permis, le doute devrait même être
obligatoire. Steeve traverse la bonne
ville prise de chantiérite aigüe, grues et palissades à chaque coin de rue. Il n’a
pas trop idée de la durée de la parenthèse. Il reconnaît des visages dans la
foule, des anonymes métronomiques ; Steeve ne les connaît pas mais les
rencontre avec autant de régularité qu’un trolleybus de la ligne 6 ou de la 8
en un lieu et un moment donnés. Serait-ce un motif d’ennuis ? de
dépression ? A ce tarif-là, la course des astres est le défilement des
saisons seraient des présages ?! Steve atteint son bureau, sur le
boulevard du bas. Il retrouve même fortuitement un badge d’accès dans sa poche
et les gestes, le parcours, appuyer sur le bon bouton dans l’ascenseur, le
prénom d’un tel, la routine d’un début de journée. Et personne ne semble
étonné, tant mieux, ni mensonge, ni explication. Steeve est simplement de
retour, dans sa vie, son vieux corps, derrière une rangée d’écrans, le poste de
commande, son bureau. Il supervise personnellement la mise en service de la
surveillance vidéo du nouveau musée des Beaux Arts. Il a en visuel la salle
dédiée à une gloire locale, un peintre d’ici monté à Paris où il y est devenu
quelqu’un, avant la Première et après, surtout. Il est mort avant la Seconde …
Le grand artiste porte le même patronyme que le type gazeux, les mêmes
initiales. Son autoportrait à 17 ans fixe Steeve avec insistance à travers l’écran
et lui dit de rester à sa place, il n’a pas envie de compagnie, il n’a besoin
de personne, peut-être d’un ami, discret, rien de plus. L’autoportrait dit
encore qu’il est de la même souche que le mec gazeux et, donc, de la même
souche qui lui, Steeve, et c’est tout ce qu’il avait à lui dire. Le reste ne
lui appartient pas. Lui aussi rêvait, et espérait, il a du reste peint un grand
nombre de couchers pour cette raison, la douceur de la fin du jour parce que le
reste dépasse ses forces et offusque sa nature mélancolique. Cela rappelle à Steeve
qu’il doit encore dire à Steve que le récit est non-linéaire. Chaque chapitre
contient le texte en son entier. Il suffit donc de déposer sa petit cuillère à
gauche ou à droite de la tasse pour réécrire l’histoire dès les premiers mots,
et il y a autant d’histoires que de possibilités de déposer sa cuillère dans la
sous-tasse, contre la tasse. Steeve détourne le regard, troublé, prêt à
basculer dans la spirale du sentiment d’un cauchemar sans fin mais, non,
finalement. Il se fait à l’idée d’une catastrophe imminente. A moins que sa
nouvelle culture n’offre une échappatoire originale et créative à la pauvre
narration à laquelle il est attaché, un tour de non-passe-passe en mode Musil.
Il est urgent de ne rien faire, juste glisser une parole ici ou là, pacifier
par une nouvelle « fiction » et laisser entrapercevoir les peut-être
merveilleux d’Oméga, réformer Alpha dans la foulée. Il pourrait se servir de la
puissance évocatrice du mec gazeux, l’auteur qu’il a squatté, ses mille
déceptions et le refuge qu’il a offert à Oméga à travers un petit tas de
manuscrits. Il y a aussi une méprise, le récit des origines, la possibilité d’aller
et venir, comme une porte ouverte, une porte malencontreusement laissée
ouverte. Steeve interroge encore l’autoportrait de FV, « débrouille-toi »
lui répond-il. Objectivement, une occurrence s’est ouverte, Friedhelm a pu
arranger deux ou trois choses et il est bloqué quelque part ; à moins que Steeve ne soit coincé dans une
narration ? « Et le Verbe se fit chair » mais l’inverse est imaginable,
un encodage de la chair, en faire une information, la dématérialiser, la
stocker, la répéter, la renouveler, etc. Ça rappelle à Steeve le fétichisme des anciens
Egyptiens pour leur image, le cartouche personnel, les portraits funèbres, la
possibilité de « tuer » les morts à travers leur souvenir. Steeve se
souvient aussi de la mémère, à Berlin, la reine des mendiants, une responsable
locale de l’Agence. Elle lui avait dit un truc à propos de Néfertiti, son
portrait. Il avait pris ça pour un délire mystique en son temps, ou une fausse
piste pour l’occuper. La vieille prétendait que « Berlin est une porte »,
« allez chercher du côté d’Akhenaton » en conclusion. Bof. Steeve
aurait encore préféré un délire à la Star bidule, avec sabres laser et
soucoupes volantes.
samedi, décembre 21, 2019
L'homme sans autre qualité - chapitre 27
Son père se tenait sur la
terrasse, en contrebas de la véranda. Steve pouvait le voir de dos, assis avec
des amis, à travers l’une des croisées de la salle de sport, aménagée dans ce
qui devait être un salon … Friedhelm se trouvait aussi sur la terrasse. Il lui
a fait signe du reste. Steve ne s’est pas étonné outre mesure. Il faisait beau,
le jardin, un boulevard au-delà du mur, le lac en contrebas. Tout était donc
normal …
Steeve
s’est réveillé trempé de sueur, au milieu de l’auréole moite que son corps a
imprimée sur le drap. Il a donc transité, son double, Oméga, une scène de
jeunesse. La sensation était toutefois différente, une sorte d’adéquation
métaphysique entre lui et lui. Il ne connaissait pas de père à Steve, il ne lui
savait pas cette jeunesse confortable. Il a reconnu le lieu, un vieux palace,
récemment intégralement salopé par une rénovation intempestive, un investisseur
qatari, quartier sous gare, Lausanne. Steeve s’est laissé glisser au bas du
lit, le bourdonnement du silence autour de lui. Il est encore tôt. Il fait
froid, une fenêtre ouverte quelque part, les bruits de la ville, douleurs dans
les membres, sexe amorphe. Steeve jette un œil à son smartphone, deux-trois
whatsapp, un appel manqué, numéro allemand. Un message dans sa boîte.
« Friedhelm, à coup sûr », pense-t-il. Steeve a vaguement fait du
ménage la veille. Il perçoit la rumeur d’une salle de restaurant, conversation
littéraire, il lui faut prêter attention. On parle autoédition, diversité
culturelle, tartes à la crème et bons sentiments. Et ça se souhaite « bon
appétit », pourquoi pas « bon caca » ! Steeve a tout de
même appris deux ou trois trucs aux cours
de ses « aventures ». Il suit encore d’une oreille distraite
tout en se préparant un café « est-allemand ».
« L’intelligentsia début XXIème » soupire-t-il. Il se pince le nez,
souffle, manœuvre de Valsalva, la communication est coupée. Un nouveau jour
d’une couleur ancienne, passée s’ouvre à lui. Il sent le souvenir de son rêve
« transifitif » au creux de l’esprit, une viennoiserie sortie du four
dont on croit encore deviner la chaleur dans l’estomac. Steeve se sent presque
normal à lui-même. Un truc a merdé, c’est sûr, il en a été l’instrument et il a
rattrapé le coup il ne sait trop comment. Il était parti en Oméga, il avait
nidifié dans un scaphandre, il faisait corps avec lui jusqu’à ce qu’il ne
change d’avis parce que son corps en Alpha, et qu’un corps n’est pas qu’un bout
de viande !
Il va
faire comme si … parce que ça fait du bien de se conformer à une routine, des
actes qui s’enchaînent, qui s’emboîtent les uns dans les autres pour former une
journée, une semaine, mois, années, etc., le tissage minutieux du temps avec
ses grands motifs. L’expérience des fentes de Young, soit, mais il faudrait pouvoir tracer la trajectoire
des électrons et la croiser avec les trajectoires d’électrons bombardés à
partir d’un axe perpendiculaire, former une trame, puis de la trame déduire le
dessin. Steeve n’est pas physicien, ni philosophe. Il a ramené un bruit de fond
à-quoi-bonniste de son séjour musilo-viennois et un voile mélancolique dans le
regard à avoir joué les auteurs gazeux dans la bonne ville voisine. Il se
traîne à la salle de bains où il découvre une cuvette de WC fendue et l’armoire
à pharmacie manque lui écraser le pied en se décrochant du mur, finir en petit
morceau sur le sol. L’Agence ou son avatar n’y sont pas allés de main morte. Il
doit y avoir une brosse et une ramassoire dans le placard de la cuisine qu’il
retrouve … en vrac. La pelle est bien là mais plus de brosse ?! « Va
falloir se montrer créatif », mettre la main sur tout ce à quoi il n’a pas
pensé, produit douche, déo, gel capillaire, slip, chaussettes, chargeur pour le
smartphone. Steeve n’avait anticipé que la séquence « petit-déjeuner, café
est-allemand ». Dans un autre placard, dans la chambre, il trouve quelques
vêtements et, dans un sachet plastic, tous les menus accessoires de la vie
quotidienne avec une carte, un mot « Avec les compliments de
Friedhelm ». Une fois habillé, Steeve a glissé dans sa poche le petit
bristol comme un fétiche, la preuve qu’il n’est pas fou. Et, puisque tout
semble être rentré dans l’ordre ou affecte de l’être, Steeve se dirige vers les
bureaux de la société de surveillance qui lui fournissait une couverture, avant
son départ pour Oméga.
lundi, décembre 09, 2019
L'homme sans autre qualité - chapitre 26
Ça a
fait « plop » et il est rentré chez lui, le vaste appartement en vrac
le long des voies, Lausanne, la bonne ville qui se donne des airs. Il a poussé
du pied un tas de lettres – entre ce qui a été glissé sous la porte et le
courrier monté là, de sa boîte. Il a claqué la porte et s’est jeté sur son
canapé bavard. Le babil crépitant de mille histoires qui ne lui appartiennent
pas. Il aimerait soupirer théâtralement et s’exclamer « Quel cauchemar ! »
avant de sonner, qu’on apporte le thé. Il a dû choper ces manières dans la peau
d’Ulrich. Il ne va pas même tenter de faire un saut dans la bonne ville
voisine, voir si le mec gazeux existe pour de bon. Il faut qu’il mette la main
sur des papiers, son portefeuille, carte d’identité, bancaire, de crédit … le
petit château de cartes qui nous accompagne partout avec son équilibre
instable. Il va finir philosophe new age des bacs à sable, avec sa photo dans
les magazines et des plateaux télé. En attendant, il mangerait bien un truc, il
n’ose imaginer l’état de la cuisine. En Oméga, quand il était Wesley, il avait
une maid dans son loft de Süd Harlem. C’était le bon temps mais pas la bonne
vie et il est bien dans sa peau mais pas dans le bon espace-temps. Tous ses
beaux souvenirs mélancoliques sont en train de se faner parce qu’il n’a plus la
foi, la niaque, l’enthousiasme de son jeune âge. Un bataillon de martiens a dû
le déposer il y a cinq derrière sa porte et voilà le travail : un
appartement dont on a retourné les tiroirs, bousculé les meubles, vidé de leur
maigre contenu les armoires. Il y a même des scellés rompus sur la porte de sa
chambre. On y a trouvé son cadavre ? Le coup du chat de Schrödinger ?
Par bonheur, le légiste ? la marée-chaussée ? la fée Clochette a eu
la bonne idée de virer tout ce qui était périssable dans la cuisine. Le frigo
et le congélo sont même débranchés, nettoyés, portes ouvertes. Un téléphone
sonne, un smartphone, quelque part, sur une table, Steeve manque se prendre les
pieds dans une chaise renversée. Il décroche, « cher ami … » mais
oui, biensûr, la crème de la crème de l’Agence, des services impériaux et du
contre-espionnage : Friedhelm ! Steeve en pleurerait de joie, « …
pas eu le temps pour le ménage … prochain rendez-vous … passé quelque chose …
ligne de crédit illimité … on s’entend … » Steeve a raccroché, envie d’une
clope, d’une bière, de mauvaise bouffe double-gras. Envie de se rappeler qu’il
a une mère dans la banlieue Ouest, une petite amie dans le comas, une chambre
pleine d’appareillage au CHU, les hauts de la ville, envie de rattraper les
épisodes manqués et de trouver dare-dare une femme de ménage.
dimanche, décembre 01, 2019
Intervention au Congrès de l'UDC Vaud, Palézieux le 28 novembre
Tout d’abord merci à M. Pilloud d’être venu à
notre rencontre à l’occasion de notre congrès vaudois, merci à lui de nous
apporter des arguments en faveur d’une pénalisation de la discrimination et de
l’incitation à la haine en raison de l’orientation sexuelle. Je remercie aussi M. Ziehli pour l’orientation
légaliste de son argumentaire. Non pas que je craignais des propos homophobes,
ce n’est pas le genre de notre parti. L’UDC est le parti de toutes les
Suissesses et de tous les Suisses, que nous soyons de culture latine ou
germanique, quelle que soit notre genre, notre confession religieuse, notre
couleur de peau ou notre orientation sexuelle. Il suffit de regarder notre
assemblée.
Si je retourne à l’argumentaire de M. Ziehli,
j’entends bien l’aspect peu conventionnel sur le plan du droit que représente cette
modification du code pénal, comme une sorte d’exception qui pourrait en appeler
d’autres. Toutefois notre droit est suffisamment solide pour supporter ce type
d’adjonction et je crois nos parlementaires suffisamment sages afin de ne pas
lancer de nouvelles modifications du droit visant à la pénalisation de
discriminations fantasques ou imaginaires. L’homophobie n’est pas un fantasme,
c’est une réalité que le droit suisse ne reconnaît pas aujourd’hui. J’en ai été
victime, au sein même de l’Etat de Vaud. Je suis un grand garçon, j’ai trouvé
des aides adéquates et je me suis battu mais j’aurais aimé que cette loi qui
nous est proposée ait déjà été une réalité. Je n’aurais pas eu à me défendre,
le simple fait qu’une loi existe aurait vraisemblablement empêché toute
discrimination à mon endroit du fait de mon orientation sexuelle.
De plus, notre famille UDC a aussi été à
l’origine d’une bizarrerie, constitutionnelle en l’occurrence :
l’interdiction de construire des minarets. Nos opposants avançaient l’argument
que ce type d’interdiction n’avait pas sa place dans la Constitution, que les
plans d’affectation communaux étaient bien largement suffisants mais le peuple
nous a suivis, il avait compris qu’il ne s’agissait pas que d’une question de
règlement de construction. Et, depuis, notre Constitution n’a pas été encombrée
de nouvelles interdictions de construire, par exemple des étables, des églises
évangélistes, des boucherie-charcuterie, des usines de moutarde en tubes, que
sais-je. La modification du code pénal qui nous est proposée n’a pas moins de
pertinence.
Parlons cash, l’homosexualité vous pose …
problème, vous considérez l’acte sexuel entre deux personnes du même sexe comme
immoral. Soit. C’est votre conviction, cela vous regarde. Je ne vais pas même
chercher à vous convaincre que vous avez tort, ni Monsieur Pilloud du reste et
la modification du code pénal dont il est question n’a pas pour but de vous
faire changer d’avis. Sentez-vous libre mais n’oubliez pas que si vous soutenez
l’initiative contre cette modification, initiative lancée par l’UDF, vous
enverrez un message extrêmement dommageable à nos électrices lesbiennes et nos
électeurs gay. L’UDC n’est pas l’UDF. Je le répète, nous sommes le parti de
toutes les Suissesses et de tous les Suisses. J’aimerais bien que nous, l’UDC
Vaud, témoignions de notre soutien à la pénalisation de la discrimination et de
l’incitation à la haine en raison de l’orientation sexuelle parce que cette loi
tombe sous le sens et parce que ce serait un témoignage de l’ouverture d’esprit
dont nous sommes capables. Néanmoins, je serai déjà très satisfait si nous ne
donnions aucune instruction de vote sur ce sujet. Ce ni pour, ni contre me
rappelle le « don’t tell, don’t ask » - n’en parlez pas, ne le
demandez pas - qui était appliqué dans l’armée américaine. Cette grande
institution a ainsi évité de se priver du talent et du courage de soldates
lesbiennes et de soldats gay, en échange les concernés ne témoignaient pas de
leur orientation sexuelle. C’est toutefois du passé, aujourd’hui l’armée
américaine reconnaît les mariages entre personne du même sexe.
Applaudissements.
Le président sortant de l’UDC Vaud, Jacques Nicolet, glisse une petite remarque
quant à la longueur de mon intervention. Pas de dérapage dans le reste du débat,
une question d’Yvan Perrin – devenu simple membre de l’UDC Vaud même s’il reste
citoyen neuchâtelois de la Côte-aux-Fées – Yvan Perrin donc pose une question
par la bande à Romain Pilloud, (président des jeunes socialistes) puis le
député Yvan Pahud propose que l’assemblée ne vote pas sur un mot d’ordre mais
sur la liberté de vote sur le sujet, histoire de ménager tant l’aile
conservatrice que l’aile progressiste et l’assistance d’accepter. Je nourris la
vanité de croire que j’y suis pour quelque chose.
mardi, novembre 19, 2019
L'homme sans autre qualité - chapitre 25
Objectivement,
ça ne se mesure pas. Pas de test pour ce genre de choses, par d’échelle, de
tabelles après l’emploi d’un révélateur x, y ou z. Je pourrais dire « qu’il
ne va pas bien », « qu’il reste allongé, abandonné à de sombres
rêveries », « en proie à de sourdes craintes un petit chien contre
lui » mais ce « lui », c’est moi, le type qui a vécu de drôles
de choses, l’auteur qui sait que ce qui ressemble à un délire va bien au-delà
de la simple fantaisie. Par moment, ça colle bien, tout a l’air normal, pour
trente secondes, une minute puis ça se met à cloquer et je dois me battre pour
ne pas passer à la troisième personne du singulier. Je suis ballotté au gré de
petits mouvements intérieurs crainte-ennui-crainte-amorce de
terreur-crainte-ennui-paix-ennui-etc. Cette nui, je suis retourné « de l’autre
côté », je ne sais pas s’il s’agissait d’un transit ou d’une « simple »
possession. J’étais membre d’une famille recomposée, un immense appartement, à
la campagne, un rez avec jardin. Je suis un adolescent de 13-14 ans accueilli
par cette famille, très à l’aise. Ils ont une fille qui vit avec son ami dans
une sorte de studio attenant, il y a les jumelles métisses qui ont leur chambre
et moi, qui occupe une chambre avec sa propre salle de bain, de l’autre côté,
vue sur le lac mais je trouve la campagne bien plus belle. Mes « parents »
occupent la chambre la moins confortable, au bout d’un couloir, murs violets ou
cerise et de grandes taches d’humidité. Je suis choqué qu’ils soient si mal
logés ; ils semblent touchés et répondent que la chambre est saine
toutefois. Je n’y vois rien de métaphysique ou allégorique. La géographie de
cette campagne m’était inconnue, l’espoir qu’Oméga existe encore/à nouveau ?
On est dans un schéma quantique, d’où les choix x/y et non x et y ou x ou y. Je suis face à un catalogue de
possibles indifférenciés. J’étais bien dans ce rêve, en totale adéquation avec
mon personnage et, surtout, le bonheur de cette campagne ; le chien d’un
voisin est même venu me lécher la main. Je pouvais ressentir le paysage, le
vivre, le goûter bien mieux que ma réalité présente qui se dérobe en saynètes
grotesques et délavées, dans une répétition dénuée de sens. On va dire que j’ai
accepté une mission, d’un genre particulier. Sous couvert de divertissement –
un roman uchronique fantasque – je dois raconter Oméga afin de préparer sa
révélation … son dévoilement. Si je mène bien bravement ma mission avec succès,
j’aurai le droit de retourner dans ma vie, celle de mon personnage en l’occurrence.
Je me
souviens clairement des paroles de l’autre bellâtre déguisé en intello de
gauche avec quelques envies de faire carrière derrière la tête. C’était une
conférence pédagogique au cours de laquelle était discuté le programme d’un
support de cours. J’ai dû avancer un truc du genre « l’interprétation de l’histoire
est une question de point de vue … » et l’autre nouille de se rengorger
parce que mon propos était dénué de pédigrée, qu’il n’y avait du reste pas
assez de références dans le support de cours en question, le chapitre évoqué,
certainement un texte de mon cru. Point de salut hors la note de bas de page !
J’eusse dû lui gerber dessus, pratiquement, lui rendre physiquement la monnaie
de sa pièce virtuelle. Impossible de lui dire « écoute, Dugenou, je viens
d’une autre possibilité, j’ai testé grandeur nature la notion de point de vue
et vous, là, en Alpha, avec vos petites disputes mesquines et vos courtes
visées (je n’ai pas dit p’tites bites), vous êtes coincés dans l’interprétation
la plus merdique que vous puissiez faire de la situation ». Non, vraiment,
impossible.
dimanche, novembre 17, 2019
La servante écarlate
Elisabeth Moss alias June |
Depuis
combien de temps ne s’est-on plus parlé ? vraiment parlé ? Ça doit remonter aux Clochetons, mon
vieil appartement, la vue sur le lac, l’été étouffant, les murs jaunis mais
cette flamme, ce quelque chose que j’avais avec toi, mon lecteur … Je ne sais
plus exactement depuis combien de temps nous nous rencontrons sur ce blog, sur le
monde de Frevall. C’était hier, avant-hier mais si je fixe mon reflet, je ne
suis pas sûr de me reconnaître. J’en ai partagé des crises avec toi. La fin de
mon histoire viennoise, mon cauchemar dans le bled d’homophobes chez Mme de S.,
etc. Des joies aussi. Je ne sais pas pourquoi j’ai cessé de te parler ? Je
ne voulais pas t’embarrasser, entre la gêne et l’orgueil. Et pour te dire
quoi ? Le doute, la fatigue, l’usure, l’ennui et les ors passés de la
jeunesse ! Des regrets peut-être, aussi, et le mal-être, comme une tache
de beurre sur le pantalon, bien imprégnée, une auréole plus large à chaque
tentative de nettoyage. Et tu vas encore t’inquiéter, et je devrais te rassurer
… On se connaît depuis assez longtemps pour que je t’avoue que je me suis déjà
senti mieux.
Dans le
même registre, je n’arrive plus à te parler avec autant de franchise de ce qui
me touche, vraiment. Cela fait plus d’une année que j’ai commencé à visionner
la série « La servante écarlate », une production Hulu, le site de
vidéo à la demande, dans un genre Netflix hybridé avec « Bad Robot »,
la société de production de Fringe,
Person of interest, Westworld, etc. Bref, du lourd, du divertissement pour
la forme et des questions fondamentales dans le fond. Le pitch se résume en
quelques mots : dans un proche avenir, les Etats-Unis, frappés comme tous
les pays de l’hémisphère nord d’une chute de la natalité, basculent dans la
guerre civile et la mise-en-place d’un nouvel ordre basé sur une interprétation
rigoriste et dictatoriale de la bible. Les femmes fécondes dont on juge les mœurs
discutables sont réduites à l’état de servante, méticuleusement violée de
manière rituelle par des commandants alors que leurs épouses, sur le lit
conjugal, maintiennent les bras des servantes. Ces Messieurs peuvent besogner
leur servante cravaté et le pantalon juste entrouvert. On est au niveau zéro de
l’érotisme.
Sur trois
saisons, bientôt une quatrième, on suit June, une servante, au prise avec le
système, le désir de vivre, tout de même, en dépit du fait qu’elle est séparée
de son mari qui a réussi à fuir et qu’elle est aussi séparée de sa fille,
placée dans une autre famille. Rajoutons à ce système que les femmes ont l’interdiction
de lire et de travailler en dehors de leur foyer. Le viol rituel est issu d’une
scène biblique, Sarah donnant sa servante égyptienne Agar à son époux, Abraham,
afin qu’il connaisse la joie d’une descendance. « … et elle enfanta sur
ses genoux ». Toute la folie sectaire des évangélistes et leur peu de jugeote
dans l’interprétation des textes de l’Ancien Testament !
Ce monde n’est
pas si éloigné et nous sommes tous des servantes écarlates, quel que soit notre
sexe. Dans un tel système, le « violeur » n’est pas moins abusé que
sa « victime ». Et si le commandant n’honore pas son esclave sexuelle
durant sa période de fécondité, il s’expose à une condamnation. Je ne vais pas
refaire ici tout le scénario mais les auteurs ont habilement liés intégrisme
évangéliste, intégrisme écologiste et morale patriarcale afin d’imaginer cette
société hyper fliquée, hiérarchisée et persuadée non seulement d’être dans le
juste mais de détenir la SAINTETÉ.
Je n’étais
déjà pas au mieux avec moi-même quand j’ai commencé à regarder cette série, je
crains que les trois saisons n’aient pas contribué à une amélioration
quelconque. L’ombre du dictat de la bienpensance couvre déjà nos écrits, nos
pensées, nos échanges et la presse. Un effroyable rouleau-compresseur « bienveillant »
venu aplatir toutes nos différences est déjà en train de nous broyer les jambes
et nous n’aurions pas même le droit de hurler – ça n’entre pas dans les schémas
de la communication non-violente. Je viens de terminer le dernier épisode de la
saison 3, je ne peux, mon lecteur, que t’enjoindre de visionner à ton tour
cette série. Je n’ai pas les mots pour t’expliquer l’urgence et la nécessité à
prendre conscience du danger qui rôde. Tu trouveras donc, pour ton édification,
les trois saisons en question sur un célèbre site de streaming basé dans les
îles Tonga ( .to)
dimanche, novembre 10, 2019
L'homme sans autre qualité - Chapitre 24
Je me
résume. Selon la formule consacrée, je résume pour moi-même la situation, ce
qui m’y a mené et, à la fois, comme Yahvé faisant « tsim-tsum », je
me rétracte en moi-même pour laisser de la place à cette vie. Donc, tout a commencé il y a très longtemps, dans mon
enfance, durant les nuits de laquelle j’ai beaucoup rêvé. Fantasmagories ou
monde parallèle, mystère. Il est juste arrivé un instant T à la suite duquel le
papier peint a décollé et j’ai vécu dix-quinze ans dans le texte que j’ai
écrit, la vie de mes personnages, une vie selon mes sensations et mon souvenir
pas moins vraie que mon existence actuelle. S’il s’agissait d’un délire à
caractère schizoïde, j’aurais vraisemblablement « atterri » dans une
jolie petite chambre capitonnée, une clinique au fond d’un parc et un
traitement fait de cachets rigolos. Je vais partir de l’idée que tout est vrai.
Je vais donc aussi disqualifier l’explication façon « Lost », à
savoir je suis mort mais ai recréé avec quelques autres une réalité tout aussi
vraie que celle que nous connaissions de notre vivant. Je rejette aussi l’explication
façon « Vanilla Sky » même si, çà et là, j’ai l’impression qu’il y a
un accroc dans la moquette, un truc qui ne colle pas. Je me rêverais une vie
idéale plutôt merdique, ça n’a pas de sens. Au chapitre des « déjà vu »,
il y aurait l’explication en mode Matrix ou allégorie de la caverne de Platon :
là-bas se trouvait la vraie vie, ici n’est qu’un théâtre d’ombres chinoises. Il
y a encore la théorie des cordes, on se rapproche du vraisemblable. J’ai donc,
durant une légère absence, été un menuisier-flic-raté-agent-de-sécurité, une
sorte d’agent triple bidimensionnel baladé entre l’Empire, l’Agence et la
Résistance. J’ai aussi été enseignant transfuge dans la peau de mon double et
un demi-malfrat ici bas. J’ai, clou du clou, été un jeune homme noir de 25 ans
de l’autre côté avant que je ne décide de revenir. Il y a encore la « parenthèse »
de l’homme de quarante ans qui se retrouve dans la peau d’un danseur de 17 ans !
Je mets de côté cet épisode, c’est une bizarrerie que l’on dira connexe. « Et
maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? » comme le disait le mec de la
publicité pour la super-glue collé au plafond. Je ne suis absolument pas en
état de reprendre le fil de cette vie … ma vie. Se réveiller, se lever, se
préparer, prendre des transports, pratiquer une activité lucrative à caractère
pédagogique parmi … des collègues pour qui l’Histoire appartient à des débiles
de spécialistes, des crétins qui se laissent berner par les sources, des
preuves bidouillées et orientées par les vainqueurs, quelle que soit la guerre.
En gros, il faut avoir le droit d’avoir une opinion. Quelle vie dénuée de sens,
en dépit de la sincère affection que je peux porter aux proches que j’ai
retrouvés.
lundi, novembre 04, 2019
Des nouvelles de "Credo"
Reculer
pour mieux sauter … De la
déception ? non. De l’impatience assurément. Il était prévu que
« Credo » sorte en novembre, il sortira à la rentrée de janvier, chez
l’Age d’Homme comme prévu. Pas d’inquiétude, donc. Ce report, un supplément de
temps pour garder encore un peu ce texte auprès de moi. Je ne vais pas vous
faire le coup du « je ne me suis jamais tant livré », il s’agit
toujours d’un essai à caractère autofictif, mise-en-scène et réagencement à la
clef. Toutefois, j’y suis peut-être plus … cash. Je me disais, hop, ça sort en
novembre, un entrefilet par-ci, une demi-interview par-là, un peu de curiosité,
la considération de mes pairs et l’affaire sera vite classée avec le tohu-bohu
des fêtes de fin d’année. Satisfait sans trop se mouiller. En janvier, ça
risque de mieux se voir. Avoir des lecteurs, soit, susciter la curiosité, des
questions, y répondre, voilà une autre affaire.
Dans « Credo »,
tout y passe, la politique, les convictions, les rancœurs, les obédiences, deux
ou trois griefs. Avec le temps et l’âge, on accumule : souvenirs, kilos en
trop, contradictions, compromissions, casseroles, regrets. Ecrire soulage et
allège. Ça ne fait pas maigrir mais ça permet de montrer qu’on a compris que la
prise de masse est dans l’ordre des choses. On ne va pas s’astreindre à des
régimes forcément promis à l’échec sur la durée comme certains auteurs à bonne
gueule que la jeunesse fuit insensiblement et qui tentent désespérément de la
retenir par le brushing et le contrôle alimentaire. C’est grotesque, surtout
lorsque l’intéressé vous la joue « rebelle ». Remarquez, j’ai autant
d’aversion pour les repentants qui confessent une jeunesse ceci ou cela en
bavant sur leur famille au passage. Tous les auteurs se remboursent au passage,
avec plus ou moins d’habileté mais de là à se justifier, le petit genre
psy-psy-beurk d’un dossier d’instruction judicaire. Laissez-moi vomir.
« Credo »
n’est pas tendre ; néanmoins, il n’est ni revanchard ni gratuit. Vous
connaissez mon amour de l’état des lieux, « rendre sur le vif »,
témoigner des moindres choses et donner du sens. Je n’ai pas envie d’en
débattre, me faire salir ma version par des peigne-culs ou des pisse-froids. A
la relecture, j’ai eu quelques vapeurs, j’ai même hésité à sabrer ceci ou cela,
ne pas passer pour un vieux con. Et puis non, mes critiques ne sont pas
gratuites, elles ne tiennent pas de la provocation « pour faire
genre » à caractère picaresque. Ce
qui est écrit, est écrit, plus moyen de me couper la parole ou de kidnapper mon
opinion dans un débat contradictoire au cours duquel des jobards me prouveront
A + B au carré à quel point ce que je pense est tendancieux parce que je ne
suis pas sociologue, machin-chouetteologue ès pédanterie bienpensante. Il y a
de la gloriole aussi. J’ai mis un point d’honneur à être moi à chaque mot de ce
texte, moi en légèrement augmenté pour bien tout couvrir le champ. Un regret
peut-être, je n’ai pas assez parlé des toc-tocs, des fêlés, des cabossés, des
tordus et de ceux dont on ne veut pas parce qu’ils ne font pas partie des « bonnes »
victimes.
dimanche, octobre 27, 2019
L'homme sans autre qualité - chapitre 23
Le Renard - Der Alte |
Il est
rentré de Berlin. Je suis rentré de Berlin, un séjour de plus, visite à la
Berlinische Galerie, Hasir où, apparemment, j’ai mes habitudes, visites à Li.,
dîner avec cette dernière et Frau Dr. von J., sa mère ; un peu
d’amusement ; la musique de la ville, sa magie. Et tout est dit. Il est
rentré en vrac et soulagé, de la peine à dire « je », cette identité
qui n’a pas plus d’existence dans un texte que l’évocation d’un éléphant rose
ou le récit de l’un ces songes si réalistes, mon Oméga, le pays d’ailleurs que
je visite encore, parfois, avec moins de régularité. J’ai reçu un message d’ un
autre éditeur, voir les détails de la publication de « La lumière des
Césars », mon odyssée limite délirante à travers les couloirs d’une autre
possibilité. Une otite me bave à travers l’oreille droite, j’entends des
choses, le crépitement insistant d’un incendie qui bouronne. Je ne serai pas le
moins du monde étonné lorsque les flammes jailliront. Excellente excuse pour ne
rien faire et regarder toute les séries policières franchouilles, britouilles
et teutonnes que diffusent une bonne quinzaine de chaînes … indigentes pour la
plupart. J’aime le cliché du/de la commissaire, tics et manies, et le monde de
tous les jours en toile de fond. J’ai peut-être eu un trouble schizoïde à force
de rester collé derrière le petit écran ? Entre « Le Renard » et
« Poirot », je sors les petits chiens, me traîner dehors parmi cet
été qui commence à prendre du plomb dans l’aile. Il faut en profiter … parce
que sous peu, il doit reprendre le chemin du boulot. Ni agent de sécurité, ni
flic, ni marchand d’art ou retraité : il enseigne ! Configuration
plutôt classique pour un auteur ; il est loin le temps quand la
littérature nourrissait son homme.
Je suis de
retour, pour de bon, à peine abasourdi par trois-quatre mois d’absence ?
deux ans ? dix ans ? absence à moi-même. J’ai durant tout ce temps,
agi de manière tout à fait normale, « en pilote automatique ». J’ai
mis des chaussettes, me suis brossé les dents et ai même exercé des activités
pédagogisantes à caractère lucratif. J’avais déjà « débloqué » dans
le genre durant mon enfance, mon adolescence. Je me rappelle qu’on me trouvait
déjà bizarre. Je suis allé trouver un ORL pour mon conduit auditif droit en
plein marasme, vraisemblablement la porte par laquelle je suis passé …
Intrication
et non-localité, mes nouveaux mots d’ordre, à moins que je ne sois dans l’état
du chat de Schrödinger, vivant et mort à la fois ?! Normalement, il nous
arrive des trucs qui tombent d’on ne sait où, « la faute à la
fatalité » selon le bon mot de Charles Bovary à propos de la mort d’Emma.
Je sait qu’il s’agit d’un état d’équilibre. Comme deux particules qui se
rencontrent ? s’intriquent ? s’emboîtent ? existant l’une par
l’autre. Si l’une est rouge, l’autre est verte ; si l’une devient verte,
l’autre vire au rouge. Pourquoi en ai-je conscience ? pourquoi la
dyslexie ? pourquoi une conformation du système nerveux selon un schéma
autistique Asperger ? On va dire qu’il s’agit de mon « petit »
talent. On s’est bien occupé de moi durant mon absence, j’aurai pu me retrouver
en plus mauvais état. Je découvre tous les jours qui je suis et le nombre d’activités à la c… dans lesquelles je
me suis investi. A croire que je craignais de ne pas exister en dehors de ces
activités. Disons que tout cela est le résultat de mes choix.
lundi, octobre 14, 2019
L'homme sans autre qualité - chapitre 22
Il a lu un
joli volume, verbe mesuré, de belles images, la force d’un récit biblique, « La
seconde mort de Lazare ». Il l’a trouvé chez le mec gazeux … l’auteur …
chez lui, l’envoi d’un éditeur. Ça l’a touché, profondément touché. Il est
lui-même, une sorte de Lazare, pareil et si différent dans ce supplément de vie
qu’il reconnaît peu à peu comme la sienne. Peut-être qu’Alpha-Oméga, l’Agence,
et tout le reste n’est que fumisterie. A ce tarif-là, le « soleil vert »,
c’est de la chaire humaine ! Trouver une porte à Berlin ?! une porte
vers une autre dimension, façon « Stargate » ; Steeve aimerait
en rire. Il devrait demander discrètement à son entourage s’il n’a pas un peu
changé, genre « j’ai pris le puck ». Les tableaux qui parlent, les
objets vivant, un petit monde façon « Alice au pays des merveille »,
tout cela s’est calmé, comme lissé, disparu. Il ne se rappelle plus exactement
quand cela a commencé, peut-être lors de la vision de presse de « Matrix »,
ils avaient juste manqué la scène initiale Follow
the white rabbit, comme le signal qu’un hypnotiseur donne au début de son
numéro. Du coup, il n’est jamais sorti de son état modifié de conscience, vingt
ans ou plus à côté de ses pompes, une prouesse ! Il a aussi vu, au Delphi
Lux, un nouveau cinéma, dans un nouveau bâtiment, derrière la gare de Zoo, il a
donc vu un film façon « Alice au pays de Berlin », une histoire de « merveilles »
résilientes dans laquelle une jeune femme court après une horloge qui permet de
remonter le temps (choix retardé de Wheeler ?!). Il est donc venu à Berlin
soit : 1. pour accepter cet épilogue cinématographique qui tendrait à lui
prouver que la vie de Steeve est aussi belle que n’importe quelle autre et qu’il
n’a pas à « sauver » l’univers mais à vivre son bonheur … 2. pour
rejeter cette conclusion foireuse mise en scène façon « Fabuleux destin d’Amélie
Poulain » choucrouteuse et, de ce fait, errer quasi à poil, au bord de la
folie, dans un monde hostile et incohérent. Il aurait dû aller voir le
documentaire sur la numérisation des œuvres d’art, le buste de Néfertiti en
affiche. Il aurait eu des réponses, des indices, le mystère des pyramides, un
peuple disparu, la grande loge, société secrète, l’Agence, etc. A la place, il
est allé voir une bluette dans une salle remplie de bonnes femmes soit gâteuses
soit assoupies.
A-t-il
seulement envie de courir après le fantôme d’Akhenaton ? jouer les Indiana
Jones flapi quoiqu’il ne soit pas physiquement en pire état qu’Harrison Ford à
présent. Tant qu’une momie ne vient pas lui taper sur l’épaule, il en reste à
son état d’auteur mineur, la petite cinquantaine, sans sexualité particulière,
un léger délire derrière lui. Il ne finira pas comme Maurice Leblanc qui se
barricadait dans sa chambre à coucher de peur d’être assassiné par son
personnage, Arsène Lupin. Il est con, l’autre ! Tout le monde sait parfaitement
que Lupin ne tue pas ; au pire, il séduit. Et Steeve de s’imaginer faire
un pas de deux en robe fourreau avec Georges Descrières. Il retrouve des
souvenirs d’enfance, l’enfance de l’autre, le mec gazeux, l’auteur, lui-même
donc, des souvenirs d’enfant sage, derrière la télé, maman coud à la machine
sur la table derrière, dans l’espace salle à manger. Il sait que cet autre qu’il
est à présent a aimé le personnage de Lupin, son aisance à être, son humour,
son baroque et le fait de faire tourner les moralisateurs en bourrique. « Passer
à travers … » : les règles, les interdits, les lois de la physique,
les tabous, le ridicule et quelques autres décors peints. Il serait à ses
propres yeux un Lazare et que va-t-il faire de ce temps de rab ? Tout d’abord
cesser de regarder le monde avec des yeux de merlans frits puis se mettre au
travail, être le personnage qui écrit la vie de l’auteur. Il est LA porte, à
Berlin, dans sa bonne ville, dans la « Grande » ville voisine, à Tel
Aviv ou Lyon. Partout. Il n’est pas question de remonter le temps mais de le
réinterpréter, de relever les indices. Il est question de sens, de retour de
sens (commun, propre ou figuré, qu’importe). L’histoire est la trame du temps.
Sans récit, tout fout le camp ou rien n’advient.
mardi, octobre 08, 2019
L'homme sans autre qualité - chapitre 21
La
température est redescendue, il est en vacances, quelques semaines, et il se
fait à son nouveau … statut. Dans la nuit, bien avancée, alors que Lou’
sommeille allongé dans son lit, contre lui, il regarde une série à la
télévision, une série britannique, « Downton Abbey » ou les
pérégrinations existentielles d’une famille d’antan, le titre, le château, le
domaine à travers la modernité post-apocalyptique de l’après 18. La déférence
de chacun des protagonistes le touche, leur manière d’être bons sans
sentimentalisme, leur foi en ce qui leur paraît juste doublée de compassion,
comprendre l’autre … Steve eût aimé être le scénariste d’un tel récit. Ça le touche profondément, mieux que
l’expérience des fentes de Young ou de la gomme quantique à choix retardé de
Wheeler. Steeve rend les armes avec Everett – le physicien auteur de la
théorie des mondes multiples – et,
lorsque Steeve regarde un épisode de « Downton », il a envie
d’adhérer à cette réalité si peu réelle, admettre une version en particulier
comme admettre un penchant. Il emporte de cette douceur avec lui lors de
proto-transits, des mondes où ce n’est pas grave et qu’il fréquente avec
bonheur, de vieilles habitudes qui lui réchauffent le cœur. Lou’ ronfle et
s’agite. Steeve écoute le battement d’une horloge, le tic-tac d’un réveil de
voyage à calendrier, un modèle 8 jours, cet appartement est rempli
d’instruments de mesure, il y a même un coffret débordant de montres au fond
d’un placard de la garde-robe, et une quinzaine de théière en étain, acier,
porcelaine, faïence, argent, etc. Entre « Le tour du monde en 80 jours »
et « Alice au pays des merveilles ». Le pompon : il va publier,
sous peu, dans une bonne maison de la place, il s’agit d’un petit paquet de
convictions au fil desquelles sont convoqués comme témoins des films, des
toiles, d’autres séries. Tout était donc minutieusement préparé à moins que ce
ne soit un piège ou sa « petite » folie. Steeve est résolu à tenir
son rôle, ce rôle. L’éditeur lui a demandé de réfléchir à une couverture, Steeve
a failli rétorquer « … celle que j’ai en ce moment n’est pas crédible ? je
ne suis plus auteur ? »
puis il a fait le lien avec le texte à paraître, il a promis de trouver une
photo, fouiller des registres numérisés, peaufiner son … rôle, sa couverture.
Puis il s’invente des histoires, dans un lieu qui lui dit quelque chose, dans
une compagnie plus ou moins choisie, un petit détour narratif. Un bistrot plus
ou moins à la mode, à la Croix-Rousse, et le malaise diffus qui lui agrafe les
organes internes les uns aux autres, surtout en bas, et la promesse de « demain »,
le mot sonne comme un tour de clef dans une porte que l’on s’apprête à ouvrir.
C’est tout de même joli, cette vie-là,
il serait tenté de s’y attacher. Ça fait des nœuds, à l’intérieur, comme dans un
scaphandre mal formaté. Tant qu’il est dans l’appartement de grand-mère, parmi
les théières, les horloges, les montres et les tableaux, ça le fait, il se sent
quasi normal. Plus il s’éloigne de sa base, plus il se sent mal, exception
faite des territoires germaniques, partout où l’on parle allemand le monde
tourne rond lui dit son ventre.
Hors les
cafés, bistrots, bouchons, etc., à Lyon, il y a le musée des Beaux Arts,
remplis de balises muettes à présent mais si sensibles, figées dans l’instant
T, la dame triste du boudoir bleu par Jacques-Emil Blanche. Elle fixe l’auteur
pour un rendez-vous manqué et Steeve pour avoir rendu Oméga caduc, pour avoir
figé les choses, jusqu’à nouvel ordre, dans leur pire version. Steeve
surinterprète peut-être, rapport au pire. Ne serait-ce pas la nostalgie de ce
qui aurait pu advenir ? Et si, et si, la valse des « si »,
richesse des probabilités, le cadeau dont on n’a pas encore défait le paquet,
ficelle, papier de fête et, à l’intérieur, le présent, toutes les hypothèses
réduites à un maintenant, un ici.
On lui a
encore souhaité bon anniversaire puis on est rentré de Lyon. Steeve a retrouvé
la chambre aux mille objets, les commodes remplies de manuscrits, la
conversation des horloges, les théières dans la cuisine, du repos. Comme le
combiné qui retourne sur sa base. Il n’en sait pas plus. Il est peut-être une
version librement consentie de lui-même. Si c’est le cas, il doit se prouver,
afin d’adhérer au récit, qu’Alpha et Oméga ont correctement fusionné, qu’il n’y
a plus de dangers, jusqu’à la prochaine diffraction. Steeve a lu dans le
manuscrit le récit de sa vie, avant, celle qui de fait n’existe plus. Steeve a
donc lu qu’il avait compris et accepté l’existence d’Oméga à Berlin, avec des
histoires de portes … Il va y retourner, à pieds, enfin en avion, physiquement,
avec ses pieds-pieds et pas éthériquement planqué dans les synapses d’un
quidam.
Inscription à :
Articles (Atom)