Les jours
se sont ajoutés aux jours, ou plus exactement à l’absence de jour sous un ciel
bas, le stratus plombé qui coupe les montagnes à l’horizon et assourdi la
palette. Et maintenant, c’est fini, à moins qu’il n’entame un nouveau chapitre,
le charme de la petite histoire de rien, légèrement triste, la douceur amère de
souvenirs effacés. Il a rencontré, fortuitement, le mec gazeux dans le nouveau
grand Musée des Beaux Arts du coin, une nef de béton, façades garnies de
briques de grès gris. Steeve venait vérifier le nouveau système de surveillance
vidéo, le mec gazeux promenait son spleen et un manuscrit à la cafétéria,
derrière une tasse de Assam. Steeve s’est assis en face de lui. « Au fait,
c’est un rendez-vous » a lancé l’auteur gazeux. « Friedhelm ? »
a répondu Steve. Et son vis-à-vis d’acquiescer. Steeve s’est alors lancé dans
un comparatif entre ce musée et celui de son dernier transit. Steve, oui,
Steve, le double de Steeve, avant la Volatilisation, la Grande Marche et l’immigration
aux Etats-Unis du Mexique, vivait dans la région. Si Alpha se met à
reconstruire ce qui a disparu en Oméga dans une sorte de rétro-avancée, ça
ouvre de nouvelles perspectives aux héros sans qualité particulière. Dommage qu’un
mal indiagnostiqué lui grignote le côté droit de la tête ; Steeve n’est
pas au point de se rouler par terre. Il reste un peu abasourdi par le silence d’Oméga.
L’auteur gazeux se tord les mains comme une jeune fille, ses prochaines
publications n’ont de cesse d’être reportées. Franchement, ces histoires
cantiques de mondes parallèles sont en train de l’éloigner de son travail, ce
pour quoi il est fait, de l’autofiction gaillarde et chantournée. Il avait déjà
bien assez de contradicteurs, s’il faut encore y ajouter les agents du côté
obscur de la force … Heureusement, il y a les chiens, ils vont bien. Parfois, l’auteur
gazeux se dit qu’ils s’occupent de tout dans la maison. Bref, Friedhelm a dit « on
ne va pas vers le beau, les cols risquent d’être fermés ». Steeve semble
réfléchir avant de lâcher « Il veut certainement dire qu’il est temps de s’équiper
de chaînes » mais ni Steeve, ni l’auteur n’ont de voiture. Ils ne vont pas
même à la montagne. A travers les baies de la cafétéria filtre un jour rare,
gris, il est 17h. Les deux hommes ont la tête pleine de héros discrets et
désillusionnés aux gestes mesurés. Des taiseux, des blessés et, sous la croûte,
des petits garçons délicats. C’est aussi l’heure bleue des rendez-vous
adultérins, les petits secrets des femmes mariées, bien comme il faut que l’on
rencontre fraîches encore à cette heure dans les transports publics. Tout cela
est très cliché, téléphoné et dépassé même. Steeve prend congé, il va aller
promener un peu ses crépitements à travers la ville puis il compte se coucher
tôt. Le mec gazeux va tenter d’imaginer une suite plausible, il a accepté la
mission. Il comptait écrire un truc à propos de Berlin, le buste de Néfertiti,
des histoires de portes symboliques mais ça lui a échappé. Steeve devra se
débrouiller tout seul.
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