dimanche, mars 22, 2020

L'homme sans autre qualité - chapitre 32


Marcher dans Berlin, le long de boulevards ensoleillés, quelques passants, de très rares touristes parce qu’on se trouve dans un quartier chez les vrais gens, loin des rues commerçantes, des bastringues à toutous. Marcher face au soleil, plein Ouest, comme dans un happy-end, fondu-enchaîné avec le générique, un film d’aventure surfilé de philosophie pratique, une belle histoire qui se termine par l’ouverture à un autre chose doux, agréable, un sentiment proche de l’ivresse légère que procure un verre de vin rouge. La BO ? Porter, « Surround me with your love, surround me with your words … » Steeve serait ce héros magnanime et anonyme capable de comprendre et consoler. Il serait le « bras armé » de l’auteur. Il serait sans âge, c'est-à-dire vieux, comme ces bagnoles pas assez vieilles encore pour valoir quelque chose mais déjà sans plus de cote à l’argus. Steeve retourne en Oméga, dans l’enfance, la jeunesse de son avatar. Combien sont-ils comme lui, à entretenir l’existence d’Oméga par le souvenir et la répétition continuelle de saynètes charmantes. « Hello, can you hear me ? » Reçu cinq sur cinq. Il est le type banal par qui coïncideront Alpha et Oméga, genre solution hydrofuge qu’il faut émulsionner énergiquement pour que cela fasse un tout. Chaque crise sera l’occasion de faire un, en dehors. Alpha, Oméga et toutes les lettres qui peuvent les séparer ne forment qu’un catalogue de possibles. Steeve a choisi son scénario, minimaliste, évident, pas besoin de le définir à grand renfort de « à la fois » et autres syntagmes contradictoires. Il a décidé qu’il serait lui et personne d’autre. Il a, effectivement, trouvé une boîte de pralinés, une carte dactylographiée, « Avec les compliments de Friedhelm ». Un peu léger a-t-il pensé, à peine crédible dans le scénario, l’auteur gazeux a dû caller dans le récit, à moins que lui, Steeve, ne soit en train de rêver « Alpha » en possibilité séduisante de sa logique de vie.


Rentrer, rentrer chez soi, en ressortir et marcher, encore, dans le jour bas d’une fin octobre. Il a dû prendre des avions, des trains … Il aimerait bien en rester aux transports urbains, un métro par exemple, descendre dans une station du Marais parce que, à l’instant, l’air sent Paris en automne, Paris comme elle sentait en automne à la fin du XXème et plein d’espoirs confus, d’envies, de désirs, la vie urbaine que Steeve aurait dû connaître et pas sa trentaine miteuse, impécunieuse, ratatinée et aigrie. Le bruit des cafés, la clameur des grands magasins, la saveur d’une rencontre. Voilà exactement ce que l’on doit vivre, comme tout le monde, quand on est un type sans qualité particulière. Il regrette même – c’est de saison – cette période avant qu’il n’y croie, aux transits et tout le reste. La nostalgie d'antan, le bon vieux temps, meilleur, le temps, depuis qu’on l’a tout bien reconditionné façon tranche du jambon périmée (retaillée, remballée). Steeve va trouver sa mère, l’appartement mi-miteux en banlieue, une certaine dignité … une indigence bien peignée depuis que l’intéressée est à la retraite et boit plus de thé que de mauvais rouge. Et Mirim, déménagée dans un joli service de légumineux moyens, antenne hospitalière décentrée en banlieue verte.

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