A Berlin,
dans la « perpétuelle » - c’est ainsi que l’on désigne Berlin à
l’Agence, rapport à la présence d’un … vortex cantique, un passage perpétuel
entre Alpha et Oméga – à Berlin donc, Steeve a « remonté » le
scénario, quasi le même. Même zone pour son logement, mêmes activités, même
timing. Juste une petite distorsion. Au cinéma, il a vu « Noureev »,
le biopic du plus sublime Solor depuis la première de « La
Bayadère ». Steeve se rappelle avoir pris des notes en son temps, à ce
propos, dans son petit carnet à « vocabulaire et autres
choses ». Après le cinéma, il est allé dîner dans un restaurant voisin de
celui dans lequel il avait dîné, les deux établissements proposant de la
cuisine autrichienne. Il est aussi allé s’entraîner dans un fitness dont il pouvait
observer la salle depuis sa chambre d’hôtel, le séjour quand tout a dérapé, und
was noch ? Tous les petits riens qui seraient advenus s’il avait pris le
bon chemin. Il était le chat mort de Schrödinger, il doit redevenir le chat
vivant, se réaligner sur la matrice. Et puisqu’il croit en la pythie
cinématographique, Pouchkine,
l’enseignant de Noureev, dans le film, glisse à
son élève que les gestes ne doivent pas juste être exécutés, même à la
perfection, ils portent chacun leur logique, qui appelle un geste suivant, il
faut connaître le but de la chorégraphie, le sens inné de chaque chose, à
savoir un récit, une histoire. Steeve doit raccommoder son histoire, l’histoire
d’Alpha, d’Oméga, du mec gazeux, de Mirim, de sa mère et, pourquoi pas, même de
quatre-pattes, le petit chef podagre emporté dans les scandales de l’Agence.
Steeve laisse tomber ; il ne va pas se mettre à courir après des pourquoi,
des comment. Il a fait fausse route, rien ne sert de tergiverser. S’il doit en
tirer un enseignement, celui-ci s’imposera à lui ; ça fera sens. Il est
doué, il sait transiter, il pratique la grande cabriole, il en est presque
arrivé au transit intégral. Il slide comme on se brosse les dents. Il est si
doué qu’il arrive, clou du clou, à passer au travers de son talent et à
refermer la porte. Ce soir, il est un homme sans autre qualité, un type à
l’approche de la cinquantaine, quelques restes qu’il porte pas mal, une sorte
d’Ulysse de lui-même retrouvant enfin la Pénélope qui tisse patiemment en lui.
Il va rentrer dans son austère chambre d’hôtel, il sait qu’il trouvera un mot
de Friedhelm, des instructions, des nouvelles ou une boîte de chocolats, à
moins que les nouvelles ne soient dans le chocolat. Steeve se couchera
et dormira pour lui, peut-être visitera-t-il d’autres réalités, d’autres
récits, aussi probables, aussi certains que n’importe quel possible.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire