Samedi mou,
le premier de novembre, ni transit, ni translation, juste le parfum puissant du
souvenir d’Oméga, l’ancien Oméga de son adolescence que Steeve traîne de pièce
en pièce, son vieil appartement aux tapisseries ruinées, le canapé silencieux,
un peu d’ordre dans la cuisine et une chambre, un vrai lit aux draps propres.
Du reste, la machine tourne dans la salle de bain. Ce n’est pas que ça le
dérange mais tout de même, ce crépitement qui, subitement, se met à hurler dans
son oreille droite et le quitte par intermittence. Il en a parlé à l’hôpital, à
l’occasion d’une visite à Mirim, il doit consulter, en attendant on lui a
glissé une boîte d’anti-inflammatoires. Il dort, il mange, il fait ce qu’il a à
faire pour entretenir le mythe merveilleux de la normalité. A-t-il refermé la
porte ? Il susurre « …I need your love » sur la musique de
Porter. Il ne saurait du reste à qui adresser ces mots. Steeve se dit qu’il
finira peut-être avec autant de dignité que son oncle alcoolique, la
bibliothèque dont il a hérité, son invraisemblable épopée. Personne ne sait
quels sont les effets des transits sur la santé à long terme, quels sont les
risques accrus de cancers, infarctus, attaques cérébrales, autres. Steeve s’en
fout. Tant qu’il peut marcher. Il sent qu’il y est allé, un centre balnéaire
avec spa et un peu plus, une jolie campagne, une colline, un bout de ville, de
vastes champs au-delà et une rue adossée, à un vieux mur, une rue qui mène à
l’hôtel, l’entrée du parc. Il y a aussi un type plus vieux, et le reste …
confus … à décanter ! Comme un vin de garde que l’on n’a pas laissé
maturer suffisamment longtemps, les arômes restent confus. A bien y réfléchir,
il y a une ville, pas loin, d’un genre plutôt allemand. Il la connaît. Il sort
de la gare, coupe à travers une friche urbaine, atteindre un musée. Deux types
le suivent, il y a de l’embrouille, Steeve se souvient d’une soirée dans les
souterrains du musée, un bastringue cul-alternatif-artisteux … C’est à cette
occasion que s’est nouée l’embrouille. Le jeune mec doit être le tapin du vieux
et Steeve a dû secouer ce dernier à un moment … On peut pénétrer dans l’espace
muséal soit par un ascenseur panoramique, soit par une entrée au sous-sol,
second accès qu’emprunte Steeve, filer sous le nez des deux jobards qui l’ont
tout de même devancé. Un guichet sécurisé, Steeve passe sa carte, un préposé lui
dit qu’il y a un problème. Un problème ?! quel problème ? S’il s’agit
de ces deux messieurs ? Steeve les avait « bousculés » ?
Dans l’enceinte du musée ? non, mais à l’occasion d’une soirée, dans un
espace mis en location par le musée. Il s’agissait d’une proposition, comment
dire … inconvenante. Ça n’a toutefois rien à voir avec l’espace muséal. Le gardien acquiesce,
laisse passer Steeve et les deux importuns de tourner les talons. Durant sa
visite, Steeve se laisse surprendre par un autre visiteur taquin, un petit système
amusant aménagé au détour d’un couloir, un vitrine remplie de masques et de
mannequins en buste, grandeur nature, la vitrine est à l’angle d’un escalier,
aménagée de même en escalier et si l’on y prête garde … Par l’arrière, une
ouverture ménagée permet à quiconque de se glisser, la tête, les épaules ou
jusqu’à la poitrine afin de surprendre les autres visiteurs par un cri, un
mouvement. Et Steeve de se faire avoir, s’en amuser. Le musée est une vaste
expérience, une sorte de mise en abîme de la notion de musée, une coulisse, un
espace en voie d’aménagement. Le clou, le « salon des paysages », une
salle comme un séjour et la vue sur la ville jusqu’à ce que cette vue indique
un mouvement, le musée avance le long de la rue. Nouveau tour de passe-passe,
les fenêtres n’en sont pas mais des écrans. Une femme admire le montage,
émerveillée, Steeve entame la conversation. Accélération, le musée semble
s’envoler, les écrans fenêtres diffusent un ciel, un vol, un survol, puis une
baie. « New York » s’exclame Steeve avant de se raviser, la baie de
Genève dans la lumière orange d’un coucher estival. Il en pleure d’émotions.
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