« Démobilisé », il se sent
démobilisé, certainement un effet de la saison, l’été indien, ses virées à Neu
York, le charme de sa vie minable en Alpha. Ça l’a pris en fin de matinée, un
truc a bougé, au fond, une certitude tout imprégnée de la saveur d’Oméga, un-deux
transits la nuit précédente et celle d’avant. Il était Steve, il avait 25-28
ans, une silhouette travaillée, il déplaçait des tables torse nu avant de
passer un t-shirt et un chandail vert sapin. Dans un autre
« souvenir », il portait une alliance en or jaune mat, il y avait
deux autres anneaux, or rose et or blanc, et deux garçons, une bague pour
chacun, un groupe de musique ? ou une affaire plus intime ?
« Démobilisé », en attendant les prochaines batailles. Il en chiera,
il prendra des coups, assurément, mais quoiqu’il arrive, il sera lui dans la
tête ou le corps de …, mais fondamentalement lui, un type qu’il commence à
connaître. Il le couche dans un lit propre, le nourrit correctement, lui fait
faire de l’exercice, l’assoit prendre un café dans l’après-midi, la Grande Rue
de la bonne ville voisine, et deux petits chiens qui courent vers ce corps,
vers lui en somme, et lui lèche les mains. Le mec gazeux est à l’autre bout des
laisses, l’air un peu entamé, pas particulièrement surpris. Il commence par un
« Friedhelm m’a dit de vous dire … », ce à quoi Steeve répond
« le peintre FV m’a dit de vous dire … » et ils ont donc pris un café
ensemble, mine de rien, se passant les chiens, tantôt l’un, tantôt l’autre sur
leurs genoux. L’auteur gazeux lui donne encore quelques nouvelles d’Oméga, des
trucs qui lui sont venus. Les transits ne sont plus possibles qu’avec l’Agence
qui, en dépit des critiques et de l’inculpation de ses dirigeants, a repris du
service. L’empereur va bien, les négociations avec les irrédentistes albanais
avancent. Le cessez-le-feu est respecté depuis six mois. Friedhelm a été envoyé
aux Etats-Unis du Mexique comme représentant de la couronne auprès des autorités.
L’empereur a rappelé à leur président qu’il était, tout de même, son vassal et
les Mexicains ses sujets. « C’est un chapitre que j’ai écrit
hier », conclut le mec gazeux. « Je dois être votre nouveau
relai », allez savoir lequel a créé l’autre ? « Il faudrait
aussi que vous fassiez de la politique, c’est encore confus mais j’y
pense ». Ils se sont quittés sur les quais, un soleil glorieux d’arrière
saison et Steeve se sent toujours aussi délicieusement démobilisé, à l’aise,
cool comme un clip des années 80. Le mec gazeux lui a encore glissé une
révélation, un scoop et un gag à la fois : comment lui était venu le
projet d’écrire « La Lumière des Césars », une furieuse envie d’évoquer
le rêve américain de son adolescence, « Careless Whisper » de George
Michael et ses paroles prophétiques : There’s
no comfort in the truth. Le mec gazeux lui a jeté, mi-figue, mi-raisin, « peut-être
que mon adolescence foireuse à attendre résultait d’un scénario mal ficelé ;
je n’ai pas eu la chance de rencontrer mon auteur, moi. »
Démobilisé,
dégagé, dans le sens de « libéré de tout engagement », le Steeve se
sent démobilisé, prêt à attaquer un nouveau récit, une aventure sympa au cours
de laquelle il aimerait se la jouer héros, classe, mystérieux, avec de l’humour
et de la culture. Il va se retaper, se plonger dans deux ou trois toiles,
penser à son vieux cul et reprendre l’initiative du récit. Il aimerait aussi
une scène d’introspection-révélation, un tête-à-tête avec lui-même après une
visite à Mirim, son coma. Steeve se dit alors qu’il devrait quand même se
sentir un peu plus concerné.
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