La
température est redescendue, il est en vacances, quelques semaines, et il se
fait à son nouveau … statut. Dans la nuit, bien avancée, alors que Lou’
sommeille allongé dans son lit, contre lui, il regarde une série à la
télévision, une série britannique, « Downton Abbey » ou les
pérégrinations existentielles d’une famille d’antan, le titre, le château, le
domaine à travers la modernité post-apocalyptique de l’après 18. La déférence
de chacun des protagonistes le touche, leur manière d’être bons sans
sentimentalisme, leur foi en ce qui leur paraît juste doublée de compassion,
comprendre l’autre … Steve eût aimé être le scénariste d’un tel récit. Ça le touche profondément, mieux que
l’expérience des fentes de Young ou de la gomme quantique à choix retardé de
Wheeler. Steeve rend les armes avec Everett – le physicien auteur de la
théorie des mondes multiples – et,
lorsque Steeve regarde un épisode de « Downton », il a envie
d’adhérer à cette réalité si peu réelle, admettre une version en particulier
comme admettre un penchant. Il emporte de cette douceur avec lui lors de
proto-transits, des mondes où ce n’est pas grave et qu’il fréquente avec
bonheur, de vieilles habitudes qui lui réchauffent le cœur. Lou’ ronfle et
s’agite. Steeve écoute le battement d’une horloge, le tic-tac d’un réveil de
voyage à calendrier, un modèle 8 jours, cet appartement est rempli
d’instruments de mesure, il y a même un coffret débordant de montres au fond
d’un placard de la garde-robe, et une quinzaine de théière en étain, acier,
porcelaine, faïence, argent, etc. Entre « Le tour du monde en 80 jours »
et « Alice au pays des merveilles ». Le pompon : il va publier,
sous peu, dans une bonne maison de la place, il s’agit d’un petit paquet de
convictions au fil desquelles sont convoqués comme témoins des films, des
toiles, d’autres séries. Tout était donc minutieusement préparé à moins que ce
ne soit un piège ou sa « petite » folie. Steeve est résolu à tenir
son rôle, ce rôle. L’éditeur lui a demandé de réfléchir à une couverture, Steeve
a failli rétorquer « … celle que j’ai en ce moment n’est pas crédible ? je
ne suis plus auteur ? »
puis il a fait le lien avec le texte à paraître, il a promis de trouver une
photo, fouiller des registres numérisés, peaufiner son … rôle, sa couverture.
Puis il s’invente des histoires, dans un lieu qui lui dit quelque chose, dans
une compagnie plus ou moins choisie, un petit détour narratif. Un bistrot plus
ou moins à la mode, à la Croix-Rousse, et le malaise diffus qui lui agrafe les
organes internes les uns aux autres, surtout en bas, et la promesse de « demain »,
le mot sonne comme un tour de clef dans une porte que l’on s’apprête à ouvrir.
C’est tout de même joli, cette vie-là,
il serait tenté de s’y attacher. Ça fait des nœuds, à l’intérieur, comme dans un
scaphandre mal formaté. Tant qu’il est dans l’appartement de grand-mère, parmi
les théières, les horloges, les montres et les tableaux, ça le fait, il se sent
quasi normal. Plus il s’éloigne de sa base, plus il se sent mal, exception
faite des territoires germaniques, partout où l’on parle allemand le monde
tourne rond lui dit son ventre.
Hors les
cafés, bistrots, bouchons, etc., à Lyon, il y a le musée des Beaux Arts,
remplis de balises muettes à présent mais si sensibles, figées dans l’instant
T, la dame triste du boudoir bleu par Jacques-Emil Blanche. Elle fixe l’auteur
pour un rendez-vous manqué et Steeve pour avoir rendu Oméga caduc, pour avoir
figé les choses, jusqu’à nouvel ordre, dans leur pire version. Steeve
surinterprète peut-être, rapport au pire. Ne serait-ce pas la nostalgie de ce
qui aurait pu advenir ? Et si, et si, la valse des « si »,
richesse des probabilités, le cadeau dont on n’a pas encore défait le paquet,
ficelle, papier de fête et, à l’intérieur, le présent, toutes les hypothèses
réduites à un maintenant, un ici.
On lui a
encore souhaité bon anniversaire puis on est rentré de Lyon. Steeve a retrouvé
la chambre aux mille objets, les commodes remplies de manuscrits, la
conversation des horloges, les théières dans la cuisine, du repos. Comme le
combiné qui retourne sur sa base. Il n’en sait pas plus. Il est peut-être une
version librement consentie de lui-même. Si c’est le cas, il doit se prouver,
afin d’adhérer au récit, qu’Alpha et Oméga ont correctement fusionné, qu’il n’y
a plus de dangers, jusqu’à la prochaine diffraction. Steeve a lu dans le
manuscrit le récit de sa vie, avant, celle qui de fait n’existe plus. Steeve a
donc lu qu’il avait compris et accepté l’existence d’Oméga à Berlin, avec des
histoires de portes … Il va y retourner, à pieds, enfin en avion, physiquement,
avec ses pieds-pieds et pas éthériquement planqué dans les synapses d’un
quidam.
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