Son père se tenait sur la
terrasse, en contrebas de la véranda. Steve pouvait le voir de dos, assis avec
des amis, à travers l’une des croisées de la salle de sport, aménagée dans ce
qui devait être un salon … Friedhelm se trouvait aussi sur la terrasse. Il lui
a fait signe du reste. Steve ne s’est pas étonné outre mesure. Il faisait beau,
le jardin, un boulevard au-delà du mur, le lac en contrebas. Tout était donc
normal …
Steeve
s’est réveillé trempé de sueur, au milieu de l’auréole moite que son corps a
imprimée sur le drap. Il a donc transité, son double, Oméga, une scène de
jeunesse. La sensation était toutefois différente, une sorte d’adéquation
métaphysique entre lui et lui. Il ne connaissait pas de père à Steve, il ne lui
savait pas cette jeunesse confortable. Il a reconnu le lieu, un vieux palace,
récemment intégralement salopé par une rénovation intempestive, un investisseur
qatari, quartier sous gare, Lausanne. Steeve s’est laissé glisser au bas du
lit, le bourdonnement du silence autour de lui. Il est encore tôt. Il fait
froid, une fenêtre ouverte quelque part, les bruits de la ville, douleurs dans
les membres, sexe amorphe. Steeve jette un œil à son smartphone, deux-trois
whatsapp, un appel manqué, numéro allemand. Un message dans sa boîte.
« Friedhelm, à coup sûr », pense-t-il. Steeve a vaguement fait du
ménage la veille. Il perçoit la rumeur d’une salle de restaurant, conversation
littéraire, il lui faut prêter attention. On parle autoédition, diversité
culturelle, tartes à la crème et bons sentiments. Et ça se souhaite « bon
appétit », pourquoi pas « bon caca » ! Steeve a tout de
même appris deux ou trois trucs aux cours
de ses « aventures ». Il suit encore d’une oreille distraite
tout en se préparant un café « est-allemand ».
« L’intelligentsia début XXIème » soupire-t-il. Il se pince le nez,
souffle, manœuvre de Valsalva, la communication est coupée. Un nouveau jour
d’une couleur ancienne, passée s’ouvre à lui. Il sent le souvenir de son rêve
« transifitif » au creux de l’esprit, une viennoiserie sortie du four
dont on croit encore deviner la chaleur dans l’estomac. Steeve se sent presque
normal à lui-même. Un truc a merdé, c’est sûr, il en a été l’instrument et il a
rattrapé le coup il ne sait trop comment. Il était parti en Oméga, il avait
nidifié dans un scaphandre, il faisait corps avec lui jusqu’à ce qu’il ne
change d’avis parce que son corps en Alpha, et qu’un corps n’est pas qu’un bout
de viande !
Il va
faire comme si … parce que ça fait du bien de se conformer à une routine, des
actes qui s’enchaînent, qui s’emboîtent les uns dans les autres pour former une
journée, une semaine, mois, années, etc., le tissage minutieux du temps avec
ses grands motifs. L’expérience des fentes de Young, soit, mais il faudrait pouvoir tracer la trajectoire
des électrons et la croiser avec les trajectoires d’électrons bombardés à
partir d’un axe perpendiculaire, former une trame, puis de la trame déduire le
dessin. Steeve n’est pas physicien, ni philosophe. Il a ramené un bruit de fond
à-quoi-bonniste de son séjour musilo-viennois et un voile mélancolique dans le
regard à avoir joué les auteurs gazeux dans la bonne ville voisine. Il se
traîne à la salle de bains où il découvre une cuvette de WC fendue et l’armoire
à pharmacie manque lui écraser le pied en se décrochant du mur, finir en petit
morceau sur le sol. L’Agence ou son avatar n’y sont pas allés de main morte. Il
doit y avoir une brosse et une ramassoire dans le placard de la cuisine qu’il
retrouve … en vrac. La pelle est bien là mais plus de brosse ?! « Va
falloir se montrer créatif », mettre la main sur tout ce à quoi il n’a pas
pensé, produit douche, déo, gel capillaire, slip, chaussettes, chargeur pour le
smartphone. Steeve n’avait anticipé que la séquence « petit-déjeuner, café
est-allemand ». Dans un autre placard, dans la chambre, il trouve quelques
vêtements et, dans un sachet plastic, tous les menus accessoires de la vie
quotidienne avec une carte, un mot « Avec les compliments de
Friedhelm ». Une fois habillé, Steeve a glissé dans sa poche le petit
bristol comme un fétiche, la preuve qu’il n’est pas fou. Et, puisque tout
semble être rentré dans l’ordre ou affecte de l’être, Steeve se dirige vers les
bureaux de la société de surveillance qui lui fournissait une couverture, avant
son départ pour Oméga.
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