Ça a
fait « plop » et il est rentré chez lui, le vaste appartement en vrac
le long des voies, Lausanne, la bonne ville qui se donne des airs. Il a poussé
du pied un tas de lettres – entre ce qui a été glissé sous la porte et le
courrier monté là, de sa boîte. Il a claqué la porte et s’est jeté sur son
canapé bavard. Le babil crépitant de mille histoires qui ne lui appartiennent
pas. Il aimerait soupirer théâtralement et s’exclamer « Quel cauchemar ! »
avant de sonner, qu’on apporte le thé. Il a dû choper ces manières dans la peau
d’Ulrich. Il ne va pas même tenter de faire un saut dans la bonne ville
voisine, voir si le mec gazeux existe pour de bon. Il faut qu’il mette la main
sur des papiers, son portefeuille, carte d’identité, bancaire, de crédit … le
petit château de cartes qui nous accompagne partout avec son équilibre
instable. Il va finir philosophe new age des bacs à sable, avec sa photo dans
les magazines et des plateaux télé. En attendant, il mangerait bien un truc, il
n’ose imaginer l’état de la cuisine. En Oméga, quand il était Wesley, il avait
une maid dans son loft de Süd Harlem. C’était le bon temps mais pas la bonne
vie et il est bien dans sa peau mais pas dans le bon espace-temps. Tous ses
beaux souvenirs mélancoliques sont en train de se faner parce qu’il n’a plus la
foi, la niaque, l’enthousiasme de son jeune âge. Un bataillon de martiens a dû
le déposer il y a cinq derrière sa porte et voilà le travail : un
appartement dont on a retourné les tiroirs, bousculé les meubles, vidé de leur
maigre contenu les armoires. Il y a même des scellés rompus sur la porte de sa
chambre. On y a trouvé son cadavre ? Le coup du chat de Schrödinger ?
Par bonheur, le légiste ? la marée-chaussée ? la fée Clochette a eu
la bonne idée de virer tout ce qui était périssable dans la cuisine. Le frigo
et le congélo sont même débranchés, nettoyés, portes ouvertes. Un téléphone
sonne, un smartphone, quelque part, sur une table, Steeve manque se prendre les
pieds dans une chaise renversée. Il décroche, « cher ami … » mais
oui, biensûr, la crème de la crème de l’Agence, des services impériaux et du
contre-espionnage : Friedhelm ! Steeve en pleurerait de joie, « …
pas eu le temps pour le ménage … prochain rendez-vous … passé quelque chose …
ligne de crédit illimité … on s’entend … » Steeve a raccroché, envie d’une
clope, d’une bière, de mauvaise bouffe double-gras. Envie de se rappeler qu’il
a une mère dans la banlieue Ouest, une petite amie dans le comas, une chambre
pleine d’appareillage au CHU, les hauts de la ville, envie de rattraper les
épisodes manqués et de trouver dare-dare une femme de ménage.
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