Je me
fends, traditionnellement, d’une bafouille sur mon blog lorsque je rentre de
voyage, donner mes impressions en matière de proto-sociologie,
impressions, ressenti, état des lieux à propos d’un pays, d’une ville, une
région. Je l’ai fait un certain nombre de fois à propos de Berlin et je
chantais son charme, sa liberté, son agrément, etc. Cela fait plus d’une
semaine que j’en suis rentré, fatigué, lassé peut-être, il y a tout de même eu
de très bons moments, le pique-nique à l’ambassade de Suisse, la rencontre avec
Mme l’ambassadrice, le thé au Café Einstein de la Friedrichstrasse avec Frau
Dr. B. D., responsable d’un cours à la Humboldt Universität, la messe à St.
Thomas ou St. Ludwig, la superbe soirée au Literarisches Colloquium, le lieu
surtout, deux ou trois menus bonheurs… Plus d’une semaine, donc, et pas un
billet, pas la moindre envie d’en parler … Il y a eu les deux pauvres filles,
dans les vingt ans, moches, biscornues, trop nourries, mais surtout moches de
leur médiocrité gourmande, leurs réflexions toutes faites, « ça me soûle
trop », leur manière hargneuse d’être au monde et toujours leur
médiocrité. Si la présence de ces deux bécasses lausannoise ou environ s’était
signalée dans le 100 ou le 200, deux lignes de bus à toutous, je n’eusse pas
été choqué mais elles siégeaient dans leur graisse et leur stupidité parmi les
premiers rangs de l’impériale du M85, montées à Steglitz, là où normalement on
ne rencontre pas ce genre de bestiau ! Je me suis retrouvé dans le
cauchemar d’une ligne des TL (Transports Lausannois). En descendant à Kleist
Park, j’a regardé un peu autour de moi et me suis aperçu que Berlin était
devenue une ville comme une autre. Elle n’a plus besoin de moi, de ma plume
tout du moins. On ne va pas épiloguer ; se surimprime une course d’une
journée au Römerholz, la villa Reinhart,
Winterthur. Parti à 10h, rentré à 19h, à peu près, trois heures aller, trois
heures de visite, trois heures retour. J’étais, une fois de plus, le « wanderer »
de ma propre représentation du monde qui trouva, par un mercredi après-midi peu
fréquenté, la paix nécessaire à la cicatrisation de ses plaies … des égratignures
en fait. J’ai pu me raconter des histoires tout à loisir devant le portrait de
Mateu Fernández de Soto par Picasso, période bleue, une patte post-vangoghienne,
et un bouquet dans un vase transparent par Manet, quasi toute l’histoire de la
peinture parmi ces fleurs, quelques Van Gogh, pas de grande émotion picturale,
un certain confort esthétique, et le café sur la terrasse, la demi-solitude du
petit parc, le chemin de retour vers la gare à pieds ; à un croisement, quelques objets
proposés, donnés, offerts, proprement disposés dans un carton, une gentille
petite villa, des vêtements d’enfant sur cintre, une pancarte polie, comment vider
un fond de placard et faire des heureux. Je suis reparti avec un verre, une
coupe, cristal vraisemblablement, , et un livre de chants illustré, « Kindersang,
Heimatklang », mon Allemagne idéale, celle que je connus à Berlin et à
travers les « Buddenbrooks », fin XIXème, avant l’erreur,
fondamentale ; le XIXème s’est achevé en 1918 …
dimanche, août 28, 2016
vendredi, août 05, 2016
Quelque chose à dire, second extrait de "Credo"
Le passé est un thé noir, profond, genre Assam, qu’il faut
travailler longtemps avant qu’il ne puisse déployer son arôme complet. Je ne sais
pourquoi je me suis souvenu de Maigret au retour du sauna, ni même de mon désir
de banalité d’alors ? Le souvenir était cueilli, fermenté, séché,
conditionné et ma mémoire l’a infusé, et quand le thé est infusé, il faut le
boire ! Toujours mieux que de « boire le bouillon ». Trêve de
métaphore, jeux de mots, calembours, ‘ y a un truc qui, néanmoins, reste
coincé. Herr Dr. au cigare l’attend ; quant à vous, je n’en sais trop
rien, peut-être par curiosité mal-placée ? L’autofiction est un genre qui
repose sur le lavage de linge sale en public, sur la révélation crac-boum et
quelques effets lacrymaux. Pour preuve, cette quiche d’Edouard Belle-Gueule qui
nous a raconté du haut de ses vingt ans sa jeunesse de prolo gay victime de son
milieu mais qui baisait à qui mieux-mieux avec son cousin à grosse teub. Dans
un second opus, il nous racontait comment il avait été violé une nuit de Noël,
par un jeune Arabe beau comme un astre ! Dans le troisième, il va nous
annoncer sa séropositivité ? son mariage avec une femme enceinte de lui
dans le quatrième ? le divorce fracassant dans le cinquième ? la
garde des enfants dans le sixième ? sa tentative de suicide dans le
septième ? ses regrets dans le huitième, assorti de la VRAIE vérité ?
On a de quoi tenir. Remarquez, avec moi aussi, d’ici que j’aie fait halte dans
toutes les bonnes villes d’Allemagne et du reste du Saint-Empire ! Et les
croisières, la Thaïlande qui forcément arrivera, la Bretagne, Saint-Pétersbourg
en solo, plus toutes les expositions de peinture. Ha ! J’ai plus de coffre
que l’autre petit affabulateur.
Depuis la Café Kandler bruissant du claquement de dentiers
de retraitées en rosâtre ou orangeasse, j’ai la vue sur la Marktplatz, le grand
et très cher magasin Breuninger. Je bois une petite théière de « Theodore
Fontane », un mélange de ce qu’il y a de mieux en Assam, Ceylan et Darjeeling.
Voilà mon idéal : les livres de Fontane, un emballage pseudo-romanesque,
quasi pas d’intrigues, des personnages bien campés mais, surtout, le témoignage
de son temps. Je n’ai rien à raconter de spécial, je suis incapable de nouer la
moindre intrigue, je n’y crois pas. Je vois les éléments s’aligner, se
juxtaposer mais ça ne vous tricote pas le moindre bout d’histoire. J’empile,
comme la vaisselle, des images, des instants, des situations, des atmosphères ;
je réalise parfois des assemblages mais rien de percutant, pas le moindre secret,
ni amant, meurtre, vice inavouable, rien ! Je vais vous laisser un
instant, le temps de me rendre au « Museum der bildende Kunst »,
poursuivre l’empilage et le rien … Je laisse la place alors qu’un stabilo
géant, 28-30 ans (pantalon pomme, sweat à
capuche vert fluo, chaussettes moutarde à pois, baskets bleues à lacets
turquoise) vient de s’attabler face à moi. Il est d’un physique avenant, blond,
yeux bleus, une alliance acier et noir, gay plus qu’assurément. Il a
certainement, lui, des choses difficiles à raconter … avec une telle attifée.
Il parle discrètement à une blonde, cinq kilos de trop, même âge, de la
confidence, un truc qui doit lui plomber le moral et, thérapeutiquement, il s’entoure
de couleurs criardes.
La folie de Lovis Corinth ! Voilà un type qui en avait
à raconter, avec ses six ou huit mioches, son goût des grands formats, l’énergie
de son trait et un penchant pour la boisson, présumé-je. Je le retrouve dans
une salle du Museum précité, une petite salle où se réunissent quatre toile du
maître, scène de descente de croix, portrait de Jean le Baptiste, Salomé avec
la tête du précédent et portrait de Mme Douglas, bien comme il faut, correcte,
assise sur une chaise, chapeau, robe de mousseline, collier de perles de dame
vraiment très comme il faut mais le regard ! Des yeux cernés profond de
bleu, comme une tête de lendemain d’hier. Le regard pèse une tonne et elle est
sur le point de nier. C’est bien elle qui a servi de modèle pour Salomé, les
seins offerts, le regard embué car elle avait bu ou pris de l’opium. Elle
portait des fleurs dans les cheveux, comme une prostituée, l’ivresse afin de
supporter le client ; et que je vous trifouille la tête, la paupière du
défunt encore chaud, en deux parties, le corps aux pieds tordus qu’on
débarrasse et le chef dans un large plat, offert à l’autre garce ; une
dame de sa suite fait de l’œil au bourreau, bon boulot, qui lui rend l’œillade sans
s’arrêter sur les nichons exhibés et ballotant de la trop stone. Le bourreau,
comme tous les mecs qui aiment le cul, veut une femme vivante, pas un orifice
passif … Elle doit avoir à en raconter, Mme Douglas. Couche-t-elle avec Lovis ?
Voudrait-elle coucher avec lui ? Corinth le géant que je conçois croyant
et fidèle à son épouse a-t-il joué de l’autre pinceau dans le feu de l’action ?
samedi, juillet 23, 2016
"Interlude", extrait de "Credo"
Interlude. J’en ai le droit. Je suis l’auteur et blablabla …
Je l’ai déjà écrit dans « Escales », je m’en souviens, suis pas
encore gâteux. Villa Noailles, et tout serait dit, l’été, la vue sur Hyères, le
souvenir de Marie-Laure, décédée en 1970, l’année de ma naissance.
Accessoirement, j’ai 46 ans aujoud’hui. Le lieu est simplement beau, le luxe de
l’évidence mais un malaise diffus, la France tout alentour peut-être ? la
vanité des visiteurs ? Je leur ai damé le pion, j’ai moi-même fait selfies
et autoportraits placés illico sur les réseaux sociaux parce que je me suis
offert un forfait roaming 4G pour les vacances. Ni Cy., ni ses parents ne m’ont
accompagné, On n’allait pas laisser le chien seul. Tant mieux. J’aime la visite
solitaire des lieux de culture. Qu’ont fait les Noailles durant la guerre ?
me demandé-je. La seconde, il s’entend ; le second volet de la Guerre
mondiale et ça n’est pas, à mon avis, encore terminé. Ce n’est pas là l’origine
de mon trouble. J’ai tant aimé la France, sa culture, Mitterrand, etc. L’impression
d’avoir été trahi … on s’est bien foutu de nous ! Je n’en suis pas encore
à l’abhorration, un dégoût toutefois, vous reprendrez bien un peu de dessert ?
Burp. Il y a quelque chose de pourri au royaume de France, peut-être son
anti-germanisme primaire et passé, son universalisme passé … son passé ?!
En matière de politique et /ou de
société, on considère mes propos comme émanant de la bouche du dernier des
débiles, on fait mine de ne pas m’entendre dans le fil de la conversation, je
ne suis pas assez ceci ou cela, consensuel-mou du genou, couille-molle
hypocrite, faux-cul flagorneur, courtisan en somme. J’ai eu adhéré au grand
bazar paneuropéen, ça m’a vite passé, comme la mitterrandie. Depuis, j’ai un
petit peu creusé la chose et de manière critique, l’histoire en indépendant,
inculte à ses débuts. Bref, l’Europe Unie : non ! Le Saint-Empire dans
sa dernière forme, l’Empire austro-hongrois : oui et virez-moi la perfide
Albion qui s’est exclue d’elle-même du bazar, et la France peut sortir ;
elle n’a aucun intérêt dans le Saint-Empire, elle peut y avoir une place d’allié
privilégié mais son centralisme cocoricotant, son économie d’État ne sont pas
adaptés à une collaboration sincère avec la nouvelle couronne des Césars, ou
son avatar paneuropéen. Comment ce pays, à l’origine du démantèlement
scandaleux de l’Autriche-Hongrie, pourrait se soumettre à l’évidence d’un
nouvel empire. Elle porte la responsabilité du diktat de Versailles. Sans
parler de sa coupable laïcité qui laisse la porte ouverte à une sorte de probabilisme
religieux duquel n’émerge que la voix de celui qui gueule le plus fort. Sans le
démantèlement de l’Autriche-Hongrie, il n’y eût pas eu de Seconde Guerre
mondiale, ni de guerre des Balkans. Je ne lis pas notre réalité politique et
sociale sur les trente, quarante dernières années, je la déchiffre dans le
dégagement d’un profond champ narratif.
On s’est
fourvoyé ! Quand je dis « on », je pense « eux », les
baby-boomers, ceux qui nous ont tout bien bouffé nos perspectives d’avenir.
Tant pis, j’assume pour eux, leur inculture, leur avidité, leur paresse et j’en
passe. Surtout leur courte-visée et leur nature jouisseuse, l’orgueil des
nantis, leur impiété aussi. Ah ! La villa Noailles, ses jardins, j’observe
Hyères en contrebas ; on passe me prendre. Le grand soleil du Sud exalte le
parfum des fleurs et enlumine l’horizon. Il faut se concentrer pour percevoir
ces odieux clapiers à lapins concentrationnaires, du logement de pauvres,
surtout du logement de méprisés, alors que la ville est si belle. Comment ne
pas échapper à l’humiliation par la voie de la violence ? J’ai grandi dans
une telle horreur, ma mère y vit encore. Avec la gentrification des quartiers
prolos morgiens, ça a presque l’air élégant. On aurait pu faire mieux,
tellement mieux pour guère plus cher. Tasser de la populace dans un clapier de
pauvres me semble la marque ultime du dédain, surtout lorsque le politique vous
antiphone les psaumes de la sainte laïcité républicaine. « Tous égaux mais
vous êtes de la merde » semblent proclamer crânement les barres d’immeubles
à la lisière de la ville historique de Hyères. Si l’on avait été injuste au nom
de principes non-démocratiques, ça passerait mieux , style : voyez
les Noailles, leur belle villa avant-gardiste, etc., c’est normal, ils étaient
nobles, riches et catholiques, les trois à la fois … et pas vous !
vendredi, juillet 08, 2016
"La Lumière des Césars", premier extrait.
"La Lumière des Césars", projet uchronique, se divise en trois romans, dans un premier temps, il y en aura peut-être d'autres. "L'Affaire Julia" est le premier roman de cette saga en devenir, prise de contact avec le personnage central, son univers, ses origines. Le passage ci-dessous et le tout début de ce texte.
« Le
grand Thomas a dit sans les mains, le
grand Thomas a dit sans les dents, le
grand Thomas a dit avec la langue … »
Steeve se soulève violemment de son oreiller, repousse les draps, reprend son
souffle en se tenant la tête. « Merde ». Il entend encore la voix
nasillarde lui crier les ordres d’un jeu obscène. Il jette une main devant lui,
disperser la grimace d’un faciès de Grand-Guignol. Il fait trop chaud dans
cette chambre, fenêtres fermées, store baissé. On entend nettement la musique
qui s’échappe des voitures arrêtées aux feux, en contrebas. La circulation
n’est pas plus dense que d’habitude. Steve se lève et renverse une bassine qui
roule sous le lit. Le jour touche à son extrême fin. « L’heure
bleue », susurre-t-il, « l’heure exquise des amants secrets … »
Un « cinq-à-sept » pense-t-il in fine et reste nu dans la pénombre,
ruisselant de sueur, aussi trempé que son plancher. Hier au soir, le couple de
vieux maboules du dessus l’a inondé. Vieilles carnes négligées par leurs
enfants pas loin d’être aussi grabataires qu’eux. A eux deux, les maboules font
dans les 189 ans. Elle est sourde et prend de puissants somnifères ; lui a
une ouïe encore bonne mais souffre de démence sénile. Chaque nuit, il déplace
les meubles, joue avec le mixer, essaie du peu de force qui lui reste de mettre
en fuite la mort qui passe des moments de plus en plus longs auprès de lui.
Hier soir, à plus de 2h du matin, il n’a rien trouvé de mieux que de faire
couler l’eau en cataracte. La colonne d’évacuation de la maison étant sclérosée
par près de soixante-dix ans de vaisselle graisseuse et de restes alimentaires,
l’évier des maboules du dessus a débordé jusque dans l’appartement de Steeve.
mercredi, juin 22, 2016
Installation
Cela avait un peu plus d’allure que ma première
assermentation, le ton était plus proche de l’entrée de Thomas Buddenbrook au
parlement lübeckois. Mardi 14 juin, installation des nouvelles autorités
morgiennes, séance au casino, la belle salle roccoco-Art Nouveau. J’ai changé
de groupe (voir mes précédents billets « La veste » et « Lettre
ouverte aux (politiques) morgiens/nes »), je me tiens au premier rang,
comme à la messe, une habitude, personne ne veut jamais occuper ces places. Je
me tiens donc au premier rang, tout à la gauche … donc à la droite de la
municipalité. Cy. et ma mère sont aussi entrés au conseil communal, situation
amusante, il ne manque que le chien et du thé pour être à la maison.
Au cours de la cérémonie, assermentation du Conseil, des
autorités municipales, bafouille d’une pasteuse (pasteur au féminin) qui file
la métaphore sur « faites vos jeux », rapport au casino, je ne sais
pas si elle est sérieuse ? Sait-elle que ce casino, comme toutes les
salles de spectacles multi-fonctions de Suisse romande, porte ce nom de
« casino » en référence à la maison de divertissement que les princes
faisaient construire au fond du jardin, une petite maison, « casino »
en italien, une sorte de « Trianon » où l’on va danser, écouter de la
musique, dîner entre amis et, accessoirement, jouer aux cartes.
« Kursaal » en allemand, salle de cure, le lieu de divertissement
dans les villes thermales et balnéaires. Le terme allemand collerait mieux au
monument morgien, le principal édifice des quais que l’on faillit démolir avant
une rénovation complète et une exploitation bradée à un privé pour 50 ans ou
plus.
Je me perds un peu dans ces réflexions, Mme la préfette
préside et anime adroitement la cérémonie. Elle termine en « installant »
le jeune et élégant président du Conseil Communal, une charge annuelle,
précédée d’un mot de présentation par un membre de son parti, portrait aimable,
élection tacite, chaque parti propose à tour de rôle un deuxième
vice-président, qui deviendra un premier vice-président puis président sur un
cycle de trois ans. Je m’apprête à commencer en tant que premier
« vice », le petit groupe que j’ai rejoint m’a proposé le rôle … le
poste. Le petit groupe que j’ai quitté a passé son tour, personne n’a envie
d’aller aux charbons. Vient donc mon tour, mon élection à bulletin secret,
certains hésitent à bouffer le billet, d’autres à se moucher dedans, des
distraits ne tracent que mon patronyme … Il y a deux Vallotton au Conseil à
présent. Bref, je suis élu, avec un score … minable, le second vice avec un
score stalinien – qu’il ne manquera pas de signaler sur les réseaux sociaux
dans un style documentaire dont il sure à peine une pointe d’orgueil. La
présidente de mon groupe me demande si j’ai envie de dire quelques mots,
« non », ne pas rallonger la cérémonie. Le vice bis, après la
proclamation de son résultat, je l’observe en coin, fait déjà mine de se lever
pour remercier l’assemblée ; le nouveau président pense pareil que moi,
avancer dans cette séance festive, soit, mais un peu longuette. Il passe au
point suivant, le second vice se rassoit. Je me dis que je vais écrire quelque
chose à propos de mon expérience politique, cela s’intitulera « Berlin sur
Morges » ou « La dignité lémanique du sénateur Buddenbrook », rien
du secret de la fonction ne sera dévoilé, je me contenterai de relever les
circonstances, de déterminer des caractères.
Après la partie officielle, une verrée chichement dînatoire
nous est offerte. Cy. rejoint notre amie L., nouvelle élue socialiste. Ma mère s’est
éclipsée, rentrer chez elle. Nous n’occupons – pas encore – un hôtel
particulier au centre ville, selon le modèle buddenbrookien. Une
« amie », élue socialiste, vient immédiatement me saluer et
m’expliquer que mon mauvais résultat s’explique par le fait que beaucoup d’élus
n’apprécient pas que les gens changent de parti, et surtout pas pour l’UDC. Je
lui réponds que mon mauvais résultat s’explique surtout par le fait que
beaucoup n’ont écrit que « Vallotton » sur le bulletin, confusion entre
Frédéric et Jacqueline, le tout avec un grand sourire. La dame passe son
chemin ; j’adore l’excuse que je viens de sortir. Je sens que je vais bien
m’amuser dans mon travail d’observation. Entre les Tartuffe, les faux humbles,
les faux simples, tous les souriants qui ont des idées qui leur dépassent de
derrière la tête, je sens que j’ai vais pouvoir écrire un pavé.
Nous avons « fait la fermeture » avec Cy., L. et
l’un de ses collègues de parti, le jeune B. Nous avons encore pris un dernier
verre à la maison, conversation animée sur les différentes orientations de la
gauche, j’avoue souvent partager les opinions tranchées de la gauche de la
gauche. Le vin faisant, Cy. et L. en viennent à proposer au jeune B. de jouer
dans ma pièce métaphysique anti-théâtre. Je lui ai envoyé le texte, pas de
nouvelles, c’était prévisible une fois les vapeurs du vin dissipées. Ce soir,
en retirant mes boutons de manchettes, l’intimité de mes « petits
appartements », m’est venu à l’esprit l’expression « Dieu vomit les
tièdes ». Je me fendrai d’une bafouille au Conseil, rapport à mon
élection, histoire de faire pendant au mot de remerciements que le second vice’
ne manquera pas de faire … des devoirs de l’humilité dirons-nous. Je
commencerai donc le mot inaugural de ma
vice-présidence par cette extrapolation de la parole de saint Jean dans l’Apocalypse
3:15.
samedi, juin 11, 2016
"Les Chevaux sauveurs" de Pierre Yves Lador
La littérature est une émotion qui repose sur elle-même, une
sorte de cinquième goût, LE cinquième goût que l’on nous révèle tous les mois,
en sus du sucré, salé, amer et acide. On nous sort le glutamate, le gras, le
je-ne-sais-trop-quoi … En vérité, je vous le dis, et saint Mathieu de même, le
cinquième goût, c’est la littérature ! « What else ?! » et
tout le reste n’est que garniture, à savoir l’intrigue, le suspens, les scènes
de turlutes, les révélations, etc. Le dernier Lador est hors d’atteinte, hors
circuit, hors temps et donc parfaitement essentiel. « Les chevaux sauveurs »
ou le recueil ultime de notre très nécessaire PYL, ou les meilleures nouvelles d’une
plume d’une délicieuse incontinence.
Plus sérieusement, les amateurs y reconnaîtront le
savoir-faire du maître, les néophytes découvriront une introduction aux univers
ladoriens. Le verbe est efficace, propre à susciter émotions et réflexion, à
inviter à la poursuite de la composition de ces mondes, à suivre le regard de
Pierre Yves sur les riens de ses promenades, des riens auxquels s’attache son
esprit. Le maître n’a plus rien à prouver à personne, il n’a pas besoin du coup
de gueule ou d’éclat qui le fera appeler sous la lumière aveuglante des
plateaux télé, faire le singe savant, évoquer un parcours « atypique ».
Ah ! le journalisme prêt-à-porter et ses formules toutes faites qui vont
quasi à tout le monde et bien à personne. Il pourrait choisir un vêtement ou
une posture fétiche, une maque, un logo … Sa barbe fleurie en mode Charlemagne ?!
Pas mal. A charge des éclairagistes de la RTS de rendre le modelé, le ciselé de
la chose avec la même exactitude que l’auteur a à nous raconter la moindre anfractuosité
rencontrée au fil de ses déambulations.
Il y a de la bibliothèque universelle chez Lador, celle qu’il
compose et redéfinit chaque jour que Dieu lui prête, comme un cheminement
innovant qu’il imagine à l’attention du lecteur-promeneur de son œuvre et de
celle de tous les autres. Déformation pédagogique du bibliothécaire, sagesse
bienveillante de l’instruit et tant plus que nous autres, les bonnes troupes de
la littérature romande. Qui pourra jamais rendre à Lador ce qu’il a donné sans
compter aux lettres de ce coin de pays. Il en a découvert des jeunets prêt à
bouffer le monde (et il l’ont bouffé), des sauvages, des lointains, des
rêveurs, etc. Pas un, je vous le dis et saint Mathieu de même, qui n’ait un
souvenir avec PYL le Grand, le débonnaire, pas un qui ne lui doive un coup de
pouce, une attention, un mot encourageant. Et notre auteur nous signe un
recueil de nouvelles aussi frais que la prose d’un nouveau venu. On souhaite
que cela continue ; à quand le suivant ? A quand sa prochaine visite,
mine de rien, verdeur perpétuelle et mot taquin. Que ferait-il des honneurs ?
Un roman homérique ou une aimable page, un peu de cette littérature savoureuse
dont il a le secret et dont nous sommes tous friands.
mardi, mai 31, 2016
"Mémoires de Hongrie" de Sándor Márai
Le texte s’ouvre sur l’une de ces scènes de confortable vie
K und K, un dîner, Buda, la ville, le pays sous la coupe nazie mais l’intelligentsia
n’est pas dupe ; en 44, l’issue de la guerre ne fait aucun doute. Et quel
avenir pour la Hongrie ? Vaisselle de Meissen, vin du Balaton, cuisine frugale
mais toutefois bourgeoise et, chic du chic, un chandelier de cristal français !
Toutes les opinions circulent autour de la table, la bonne assure un service
discret, plusieurs des onze convives ne survivront pas à la fin de la guerre.
Sándor (à prononcer Chandor,
je le tiens de Libussa, une amie berlinoise dont la mère est Serbe de la
Voïvodine, donc magyarophone), Sándor, donc, nous raconte une ville, un pays,
une histoire … une tragédie ! Pas d’atermoiements gratuits néanmoin, on n’est
pas dans du récit commémoratif à caractère auto-satisfait, suivez mon regard,
oui, à l’Ouest, tout à l’Ouest du continent, du côté par là où on a déjà bradé
la Hongrie – entre autres – à la fin de la Première Guerre mondiale. Bref,
Sándor et son épouse ont traversé les violences nazies, la collaboration des
Croix fléchées puis l’insurrection russe. Sur ce dernier point, notre auteur
raconte les événements avec la précision d’un entomologiste, observant le
nouvel occupant dans ses exactions, sa déshumanisation, ses tics, manies,
fétichismes, violences gratuites, mode de fonctionnement. Sándor nous rappelle
par la bande que le monde n’est pas tartiné d’une populace protéiforme
mondialisée mais de peuples, de groupes d’individus façonnés par l’histoire, la
langue, la culture. Certaines de ces logiques sont irréconciliables. Sortir de
l’angélisme universaliste démocratoc … tique.
« Mémoires de Hongrie », les bien nommés,
racontent ce pays trois fois martyres : l’occupation turque et l’holocauste
qui s’en suivit (1541-1699, quasi trois millions de Hongrois déportés dans l’empire
ottoman et réduits en esclavage), le « coupachage » allié consécutif
au Diktat de Versailles (traité dit de paix signé en 1919, imposé par la France,
la Grande-Bretagne et les Etats-Unis) et la honte de l’abandon de tout l’Est de
l’Europe à la dictature stalinienne, abandon validé par le précédent trio qui n’est
pas à ça près. Márai vient nous rappeler sans rage ni pathos le destin
malheureux de son « petit peuple », des vertus qu’il porte, de sa
singularité. Accessoirement, il permet au lecteur contemporain de mettre en
perspective l’attitude du gouvernement hongrois actuel : conservatisme
fascisant, euro-scepticisme, etc. La Hongrie requiert la compassion européenne,
les excuses de certains des membres de l’Union européenne et une parole
libératrice plutôt qu’une condamnation verticale de la bien-pensance commune. Que
l’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas le propos de notre auteur. Il a fait ses
adieux à la Hongrie, à l’Europe, se sauvant vers les Etats-Unis, sauvant
surtout ce qu’il représente et porte du patrimoine de la langue hongroise.
Accessoirement, Márai témoigne d’un après, l’après 39-45,
une brève visite en Suisse dont l’opulence l’oppresse mais il loue toutefois l’adresse
et la résistance du pays qui a su se maintenir hors de la catastrophe et n’a
pas à avoir honte de sa réussite. L’Italie ravagée lui réchauffe le cœur. A
Paris, il se souvient de sa jeunesse échevelée et impécunieuse, il en profite
pour évoquer les grands noms de la littérature d’alors. Il prend conscience –
ou reprend conscience – de son sacerdoce, la langue hongroise, la littérature
hongroise, une dimension qui dépasse sa simple personne. Rentrer au pays. Il s’imagine
dans un premier temps qu’on le laissera garder le silence dans la Hongrie
communiste jusqu’à ce qu’il comprenne que l’autorité fantoche à la tête du pays
le récupérera d’une manière ou d’une autre ; il se résout donc à l’exil. Lire
Sándor Márai ou rendre à la Hongrie ce que l’on attribuait à César.
mardi, mai 24, 2016
Nouveau retour de Berlin (et un mot sur Mannheim)
On ne mesure jamais le monde qu’à l’aune de nos propres
perceptions ; le sédentaire concevra le lointain selon ses craintes, ses
sympathies et une bonne dose de clichés … Quoique, dans la grande tradition des
« anthropologues en chambre », il est possible d’avoir une idée
précise de l’ailleurs sans y avoir mis les pieds. Personnellement, je crois au
génie de l’instant, à la rencontre, au ressenti comme instrument de précision.
Il y a dix ou douze ans, je rencontrai Berlin. Je ne peux articuler une date
exacte : la capitale allemande est entrée dans ma légende, tant
personnelle que littéraire. Les circonstances sont toutefois précises, je peux
revivre mentalement mes premiers pas dans la ville, les premières heures, les
premiers jours, de quelle manière s’est nouée notre relation.
Retour de Berlin, un de plus, le lien est indéfectible, le
rite est installé, et je mène dans la capitale allemande une vie qui évolue
dans des formes sans cesse renouvelées. De nouveaux points de chute, de
nouveaux cafés, de nouvelles priorités. Je me refuse à la complainte du
« c’était mieux avant ». Soit, la ville se normalise, enfin ! je
me permets de rappeler que la guerre est finie depuis 1945, un peu plus de
soixante ans, il est donc temps pour Berlin de retrouver un tissu urbain « raccommodé »,
« reprisé » dans le respect de sa structure d’avant les
bombardements. Tout ne me plaît pas, la spéculation immobilière tient
absolument à refaire d’Alex la brocante urbanistique qu’elle était avant 42.
Cette même spéculation multiplie les appartements de luxe, rase les habitations
populaires ou rénove à grands frais pour une clientèle étrangère aisée qui
regarde Berlin comme un vaste parc d’attraction pour adultes.
Il y a les mieux évidents, le secteur de Nordbahnhof par
exemple, sinistre il y a quatre-cinq ans, quelques bâtiments d’habitation
limite sordides, ni café, ni commerce, un désert social sur lequel aujourd’hui
a refleuri un quartier peuplé de vraies gens, des Berlinois de souche ou
débarqués. Néanmoins, peu de touristes, il n’y a rien à voir, il y a tout à
vivre, la banalité de la grande ville, la petite musique de l’anonymat
confortable, si loin de la période héroïque de la reconstruction, les grands
chantiers, l’espace, la créativité brouillonne. Moins de panache. C’eût été
parfait pour moi, je n’ai plus trente ans, ni même trente-cinq, terminé le
petit genre « jeune adulte » à fond dans l’événement. Cette fois-ci,
je suis descendu dans un hôtel dans Schöneberg, un établissement …
« hétéro-friendly », une chambre noiraude, une sorte de grande salle
de bains avec jeux de transparence et le lit dans un coin. Effet grotesque
garanti … ou en néo-lupanard. Mauvais choix.
Oserai-je évoquer mon séjour à Mannheim il y a quelques
semaines de cela, une ville qui ne va pas si bien en dépit de son aisance
économique. Un centre-ville abandonné par les classes moyennes, une place
historique et centrée, rien que des restaurants turcs ou quasi, il est 23h,
envie d’un künefe, avec un verre de blanc. Je rentre dans l’un de ces restaurants,
je m’installe, peu ou pas de femmes dans la salle, un serveur aimable, je passe
ma commande et demande un verre de vingt blanc sec. « Quelle eau minérale
voulez-vous ? » Je répète, « VIN BLANC SEC ». Le serveur
attrape rageusement une carte des boissons, le doigt sur la liste des eaux
minérales. Je cherche une page consacrée aux vins, rien, je comprends que je
suis dans un restaurant sans alcool, un établissement tenu par un patron pieux,
destiné à une clientèle pieuse, même le fait d’évoquer le nom du breuvage
interdit est péché ! Je commande donc un thé turc et soupire après Hasir,
ma bonne cantine turque de la Maassenstrasse, Berlin, où l’on prend un peu le
client occidental de haut mais où coulent le vin rouge, blanc et la bière. Je
repense à un mot de Chris., une citation « baise la main que tu ne peux
éloigner de toi », un conseil de réalpolitique qui en dit long sur la
situation à Mannheim.
Retour à Berlin, le temps se couvre, la météo l’avait
prévu ; la ville offre de nombreux abris, des restaurants confortables et
honnêtes, regarder tomber une pluie métaphorique depuis l’une des banquettes de
velours cramoisi du Kant Café, bonne carte et nombreux journaux. La spéculation
et les touristes compliquent la vie des Berlinois, dénaturent le charme de la
ville mais elle y retrouve de sa nature cosmopolite, un phare pour tout l’Est
du continent, une certaine pensée du monde et de la bonne vie, celle que nous
finirons par mener à nouveau, attablés en terrasse, sous un soleil renouvelé.
mercredi, mai 04, 2016
"Kaamelott", la série au-delà des répliques culte
Désopilant, tordant, piquant, à mourir de rire ! Et
quoi d’autres ? Extrêmement touchant, sensible, émouvant et jusqu’aux
larmes. Le sentiment est toujours juste, porté de main de maître par Alexandre
Astier. Je veux parler de Kaamelott, bien évidemment. 2005-2010, six saisons, du
format sketch à des épisodes de trois-quarts d’heure pour la dernière livraison.
La relecture de la légende arthurienne, sous des aspects décalés, à coup de
dialogues haut en couleurs s’avère des plus justes, certainement plus proche de
ce quelle était au XIIème siècle, la petite histoire des relations humaines
dans un groupe d’individus fédérés par un projet total, idéal, la recherche du
Graal !
On commence tout en
douceur, histoire de faire connaissance avec la petite bande, en vrac et dans
le désordre : Arthur (Alexandre Astier) en honnête homme porté sur la
turlute et néanmoins conscient de son destin ; Guenièvre (Anne Girouard) sa
cruche/potiche d’épouse et néanmoins amoureuse ; Léodagan et dame Séli
(Lionnel Astier et Joëlle Sévilla), les beaux-parents en couple infernal franchouille
âpre aux gains, bête et méchant ; Perceval et Karadoc (Franck Pittiot et
Jean-Cristophe Hembert) Laurel et Hardy médiévaux ; Yvain le beauf’ ado’
attardé (Simon Astier) ; Lancelot (Thomas Cousseau), le pur, le courageux
chevalier blanc dont il faudrait toujours se méfier (trop parfait) et Merlin
(Jacques Chambon) en enchanteur version Lagaffe. Il faut rajouter, au fil des livres
(chaque saison représente un nouveau livre, un certain nombre de récurrences,
du paysan geignard à l’inquisiteur sadique, du légionnaire romain au bandit de
grand chemin, du tavernier boutiquier à l’acariâtre mère d’Arthur. Au début, à
moins que vous ne soyez médiéviste, hormis Arthur, vous patinez un peu parmi
les noms et les rôles, pourtant vous ne perdez rien du cocasse des situations
ni du sens, de la finesse des répliques. C’est le premier effet Astier !
Après trois saisons, vous retenez que le gros dégueu qui
bouffe tout le temps se nomme Karadoc et que son pote débile, fidèle et attaché
à la personne du roi comme un chien stupide – stupide car il prend les
« coups de pieds au cul » métaphoriques d’Arthur pour des marques
d’affection se nomme Perceval. Sans oublier Bohort, la chochotte dont on n’a
jamais vu la femme. Bref, après une période d’accoutumance, le plus dispersé
des téléspectateurs est prêt à entrer dans le cœur-même de la légende
arthurienne. D’autant plus que le jeu des acteurs est fluide, la connivence
certaine. Vous aurez remarqué une forte présence de la tribu Astier à
l’écran ; le père, la mère, le frère d’Alexandre « à la ville »
tiennent des rôles de premier plan, la dynamique ne s’essouffle jamais.
Deuxième effet Astier.
Le scénario reprend les grands thèmes de la légende
arthurienne telle que portée par la tradition française et le XIXème siècle.
Lorsqu’on l’observe dans le détail, la narration s’avère bien plus subtile qu’il
n’y paraît, multi-référencée, frottée de légendes anglo-normandes, du style
galant à la mode d’Aquitaine, de christianisme primitif. Alexandre Astier, au
fil des livres, y incorpore aussi de fréquents clins d’oeil à la culture
populaire de la seconde moitié du XXème
(cinéma, bande dessinée) ; il est donc en parfaite adéquation avec le
folklore des récits de la table ronde, chacun accommandant les aventures
arthuriennes à sa sauce, histoire de faire passer l’amertume des déceptions
humaines. Troisième effet Astier.
Ce n’est pas la bonne poilade d’une série à sketchs qui m’a
poussé à prendre le clavier pour évoquer Kaamelott.
Soit, on rit, beaucoup, intelligemment, du premier au dernier épisode. On rit
de la bêtise des uns, du grotesque de la situation des autres, de dialogues
d’anthologie, d’expressions colorées et percutantes, de remarques décalées, du
désespoir d’un roi maladroit mais le sentiment général est nettement plus
nuancé. Au détour d’une tirade, d’une engueulade homérique, tombe une réplique
d’un regret poignant, blessure intime, délicatesse froissée. Une scène de
repas, le roi, ses proches, le duc d’Aquitaine, venu à Kaamelott retirer l’épée
qu’Arthur a replantée dans le rocher. Dame Séli apporte le dessert, aspect
étrange, Léodagan chipote, le roi de même, le duc d’Aquitaine en dépit de
l’aspect peu engageant de la chose et des protestations de son hôte, se résout
à manger, par politesse, et c’est bon. Dame Séli conclut contre son propre
intérêt qu’elle souhaiterait que le duc retire l’épée et devienne roi, ça
changerait des brutes malapprises qui l’entourent, enfin quelqu’un avec un
minimum d’usage ! Le compliment, gratuit, est un cri du cœur, la petite
humiliation, voir nos actes anodins toujours déconsidérés, critiqués, l’usure
du reproche.
Il y a aussi la recherche éperdue d’Arthur, une éventuelle
descendance, tournée des maîtresses, des coups d’un soir et sa profonde
tristesse lorsqu’il apprend avoir été le père d’une petite fille, morte
quelques mois après sa naissance. A froid, platement raconté, ça n’a l’air de
rien, tout juste de quoi faire pleurer Margot mais imaginez Guenièvre à ses
côtés, silencieuse et tellement honteuse de ne pas arriver à consoler son
Arthur à qui elle pardonnera jusqu’au secret de son mariage – d’amour – romain.
Les masques tombés, les déguisements retirés, la pantomime terminée, il reste
le désarroi humain, la sortie de scène et le téléspectateur lambda se retrouve
dépositaire d’une tragédie … de LA tragédie alors qu’il avait signé en 2005
pour une pantalonnade plutôt bien tournée.
dimanche, mai 01, 2016
Extrait de "La Lumière des Césars", triptyque uchronique
Le café est prêt, Richie a enfin cessé de se balancer. Il a
posé l’une de ses grandes pattes sur la chaise voisine, bottine bordeaux
étroite hybride de richelieu dont la claque est marquée de la célèbre découpe.
« Frimeur » lui dit Wesley ce à quoi l’intéressé répond qu’il a près
de trente-cinq et qu’il ne passe pas son temps au gymnase. Ça fait pas mal de temps que
Richie s’approche des trente-cinq ans, son horloge tourne au ralenti. Autre
bizarrerie, il n’a quasi pas le sens du goût, très peu, le café, le tanin, la
viande rôtie, le chocolat et la note fraîche du melon ou de la pastèque, un
petit défaut de nidification qui explique sa maigreur, son peu d’intérêt pour
la nourriture. Il ne peut pas s’empêcher de regarder Wesley en caleçon avec un
regard de maquignon, les scaphandres se sont pas mal améliorés, il y a du
progrès … « Hey, c’est fini de me regarder comme un
canasson !? », le ton est amusé, Wesley sait qu’il n’y a rien de
louche dans cette manière d’être maté ; il aime bien se trouver beau dans
le regard de son pote, son « associé », un boulot de couverture,
Wesley gère une boutique de vêtements pour homme dont Richie est le
propriétaire. Il y a des dizaines d’entreprises plus ou moins bidon de ce genre
à Neu York, Mexico-Stadt, Schikago, Neu Orleans, San Francisco, sur tout le
continent ; toutes soutenues par l’Agence. Richie a décidé d’offrir aux
Allemands des Etats-Unis du Mexique la mode qui plaît chez les déclassés du
pays, les anglo-américains, la minorité anglophone stigmatisée, il faut dire
que leurs ancêtres n’ont pas eu le beau rôle. Wesley a du reste choisi ce
prénom-là par toquade, l’habitude d’être en minorité, d’être du mauvais côté
de la barrière. La couleur (Wesley est noir) n’est pas tant le critère
discriminant mais bien plutôt lorsqu’il parle anglais dans la rue. Ça ne dérange pas franchement, ça
surprend tout de même les badauds qui passent d’une manière encore plus
anonyme que d’habitude.
Sortir de chez soi pour courir ou se promener, ou faire des
courses était déjà une aventure en soi. Richie lui offre vraiment le grand
frisson, mine de rien, et pas une once d’équivoque non plus dans son ressenti.
Le monde version Oméga est une sorte de Disneyland eighties' oscillant toujours
entre folklore ploum-ploum tralala et une Amérique idéalisée, celle des
couchers de soleil infinis, des immenses avenues, des perspectives glorieuses
et des grands espaces. Richie lui explique les mille riens qu’il ne pouvait pas
connaître dans sa bulle surprotégée de « transitaire ». A Omégaland,
la subversion s’appelle Rick Astley, sans rire, même bonne frimousse, même
énergie, même look, et la chevelure royale rousse et le sourire, mi-taquin,
mi-gourmand, un grand gamin au déhanché souple et aux vestons croisés
super-épaulés. Il est aussi chanteur mais pas dans le genre crooner pour grande
surface : il dénonce la ségrégation dont les wasps sont victimes sur tout
le territoire mexicain, le mépris dont les autorités font montre face à la
minorité anglophone. Dans les petites agglomérations des Etats du Sud, il n’est
pas rare que l’on refuse de servir des anglophones dans les magasins ou les
cafés, on leur interdit l’accès aux transports publics ; on raconte même
que les enfants anglophones sont interdits d’école. Astley est devenu le
porte-drapeau des réprouvés, des rejetés que la jeunesse bien comme il faut
d’ascendance germanique écoute avec passion. Il est leur idole, leur espoir
d’un « monde plus juste » et tous veulent adopter son style
vestimentaire, exactement ce que Wesley vend dans la boutique de Richie et ce
n’est pas une idée de l’Agence qui s’est montrée enthousiasmée par la
crédibilité de la couverture. Pour Richie et Wesley, ils ont si bien nidifiés, que ça n’a rien d’un exercice en « comme si », c’est pour de vrai,
pour de bon et ils comptent changer ce
monde parfait pour le rendre un peu moins parfait, un peu plus proche
d’Alphaland, question de nostalgie peut-être ou d’expérience de quantité
négligeable.
mardi, avril 19, 2016
A propos de "Escales", mon dernier texte publié chez Olivier Morattel
Vous reprendrez bien un peu d’autofiction ? Rebelote
cette année avec un récit de voyages quelque peu plus riant que « Journal
de la haine et autres douleurs », ma publication morattelienne de l’année
dernière. Vous y retrouverez mes marottes, mes goûts de vieille fille, ma
langue de vipère. Au cours de ces « Escales », nous allons prendre le
thé, médire un peu, visiter des expositions de peinture et vous aurez l’immense
plaisir de m’entendre me plaindre des masses, de la mauvaise éducation des
foules, de l’artificialité de la jeunesse, de la cuisine française, italienne,
etc. Vous aurez droit à votre ration de germanophilie avec énumération des
merveilleux mérites de ma chère Allemagne. Et comme si cela ne suffisait
pas, je vous ferai – en bonne ménagère – la visite in-té-grale de notre logis,
à Cy., Lou’(notre chien) et moi. Le moindre bibelot vous y sera détaillé, les
habitudes de la maison, le voisinage, la vue, et tous les buts de promenades de
Morges et environs.
Dans « Escales », vous ne trouverez ni turlute
sauvage, ni méga-teuf, ni name-droping prestigieux, tirage de coke, suspens
insupportable, voiture rouge qui fait vroum, success story ou intrigue
policière. Et en plus, je vais vous assommer avec des expressions consacrées totalement
tombées en désuétude, un vocabulaire vieilli qui vous forcera à jouer du
dictionnaire, sans parler des douze-mille-cinq-cent-soixante-quinze
(soixante-quinze, oui, et pas septante-cinq, et je suis un pur produit vaudois,
d’une souche remontant à 1491, première citation de mes ancêtres de Veley dans
le cartulaire de Romainmôtier, ils étaient au service de Notre sainte Mère
l’Eglise, et je dis soixante-quinze), bref des très, très, très nombreuses
références culturelles qui me sont régulièrement contestées par de vieux peigne-culs
soixante-huitards hugolâtres.
Mais pourquoi acheter « Escales » ?! Vous ne
serez pas plus beau, plus séduisant, plus intelligent, plus prompt à rencontrer
le succès après sa lecture. Toutefois, vous serez peut-être
« affranchi » ; peut-être aurais-je réussi à vous glisser dans
une poche ce qui m’a été offert messe après messe, un peu de cette confiance,
de cette paix qui découlent de la Foi. Je ne chercherai ni à vous convaincre,
encore moins à vous convertir : juste vous raconter ma boussole, un petit
accessoire bien commode lorsqu’on ne cesse d’aller de ci, de là. Et je vous
livre mes secrets de maquignon, de quelle manière je vous soupèse une pétasse –
homme ou femme, le terme est épicène, n’en déplaise à certaines féministes,
comment contrer le bestiau, se payer sa fiole pour de vrai ou symboliquement,
comment contrer sa délétère influence et rester libre. Etre libre !
mardi, avril 12, 2016
"Montecristo" de Martin Suter
J’avais beaucoup aimé « Le dernier des Weynfeldt »,
excellente peinture – sans jeu de mot – de la bonne société discrète et
compassée zurichoise, une saveur bien particulière, une sorte de prolongation
du « Mars » de Fritz Zorn. Erreur d’aiguillage pour ne pas dire
déception avec « Montecristo », divertissement à caractère littéraire
de bien 500 pages, aux éditions Bourgois pour la version française. A ce
propos, la traduction doit être aussi lourde que la version originale, vous
entendez presque le gros accent râpeux du züüüüritütsch, on n’est pas dans
Goethe, de loin pas.
Le pitch, en deux mots, un journaleux vidéo qui nourrit
quelque espoir de réalisation (du cinéma suisse, vous voyez le niveau du talent
…) se trouve – Oh ! – par hasard en possession de deux billets de 100.-
dont le numéro de série est identique et se retrouve – re-Oh ! – témoin d’un
accident de personne dans le train Bâle-Zürich et, bingo, les deux faits auront
un lien. Le protagoniste s’appelle je ne sais plus comment, il est le prototype
du néo-bobo cool dans la comm’ et la culture, il en a tous les accessoires et
Suter nous assomme de descriptions inutiles quant à son intérieur de bobo de
base, résultat de la fréquentation intensive de broki-shops. Et, histoire de
remplir les 500 pages susmentionnées, durant tout le récit, le lecteur a droit à
un catalogue de binches, blondes, brunes, exotiques, etc. et comment boire
cette foutue bière, sans parler du menu détaillé de tous les personnages et le
tout n’apportant strictement rien à la narration. Le pompon, la rencontre du
journaleux-vidéo dont j’ai oublié le nom avec une blonde charmante dans la comm’
et l’event, le couple phare zürichois par excellence. Le lecteur aura aussi
droit à l’amorce de quelques scènes proto-torrides.
Evidemment, il y a une histoire de conspiration, à un très
haut niveau, tout le monde y trempe, même les sept, au sommet, on touche au
thriller politico-financier dont la morale est … « vouais, vouais, vouais,
tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes confédéraux ! » La
chute n’est même pas drôle, banalement immorale, condamnable, entendue. J’ai
néanmoins passé d’excellents moments avec ce titre ; j’ai, à plusieurs
reprises, mouillé la chemise, suspens garanti, car le propos général est bof
mais le savoir-faire de l’auteur certain. C’est ici qu’il faut rager du gâchis
de tant de talent pour une visée aussi commune. J’ai passé une semaine et
demie, deux semaines sur ce livre mais, au final, que m’a-t-il apporté ?
Rien. Néant. Pour le même résultat, je regarde M6 en faisant mon repassage.
J’ai trouvé dans ma bonne librairie d’occasions et d’antiques
de la Hauptstrasse, Schöneberg, Berlin, « Lila, Lila », un Martin
Suter que je n’ai pas encore lu. Dans le U, j’ai commencé à le lire, tout de
suite pris dans l’action, la description talentueuse, le mouvement du texte.
Arrivé à mon logement, j’ai jeté ce volume. J’allais passer une douzaine d’heures
de lecture à un divertissement sans suite alors que m’attendent le journal de Sándor
Márai ou le second volume de 800 pages de « L’Homme sans qualité ».
Je suis lassé que l’on confonde sans cesse littérature et divertissement (même à
caractère littéraire). La littérature vous nourrit, vous appelle à une
réflexion, témoigne de son temps, de problématiques universelles et vous rend
plus … intelligent, éveillé et pas simplement distrait !
mercredi, avril 06, 2016
Extrait de "La Lumière des Césars", troisième épisode de la série éponyme.
Il y est arrivé, il y arrive toujours, de manière
moyennement peu glorieuse ou héroïque mais qu’importe. Il a pris un paquebot à
peine rouillé jusqu’en Islande, puis un zeppelin pour Friedrichshafen. Le
brouillard était profond en-dessous, tant mieux, cela évite de se faire tirer
comme une perdreau ; Wesley n’a pas perdu les bonnes habitudes de Steeven,
à savoir ne jamais avoir l’air surpris – rapport à son inculture d’antan – au
risque de passer pour un imbécile à longueur de journées. Il a donc vite déduit
que la ville natale du dirigeable était devenue un « hub », un super aéroport avec ses
tours d’amarrage en mini « tour Eiffel », ses ascenseurs à cabine
lambrissée, et un nœud ferroviaires par la même. Steeven ne connaissait pas le
lac de Constance, Wesley découvre. Ça
n’a rien du brillant de l’univers de ses songes, c’est même un peu pouilleux
sur les bords. Il concède un sens certain de la mise-en-scène mais pour le
reste, c’est prolo-land comme dans son enfance et, ici, il est un mec lambda,
pas moyen de se repeindre le plafond en rose après un petit somme, transit
consécutif. Il est même un sans-papiers, ou papiers pas vraiment vrais, il a
fait « un peu » chanter Richie, en toute amitié, après leur nuit de
gonflée. Ça sert d’avoir
potassé des livres d’histoire ; ça lui donne aussi un rien de référence
dans cette vieille Europe ravagée, plus vieille que ravagée selon ce qu’il
observe. Il descend dans le grand hôtel Zeppelin, un gratte-ciel renaissant aux
façades recouvertes de fresques. Richie lui a négocié un super-forfait avec la
traversée et son vol. Le sommet de la tour est perdu dans la brume, la pluie
sent les eighties’ en banlieue et un vague espoir derrière. Wesley a voulu
passer à travers, comme à l’habitude de Steeven, mais, là, il est au bout, face
à un mur, celui de ses fuites métaphysiques. Il s’attendait vraiment à du balaise
avec vaisseaux intergalactiques et pétoires laser, au risque de se répéter, le
tout en combi moule-burnes avec des pratiques sexuelles inédites, des hybrides
à triple sein, des trucs festifs mais on baise pareil de ce côté-ci de
l’univers, peut-être un peu moins. Le sommet de la subversion consiste à danser
sur de l’acid-schlager en culotte de peau et chaussettes fluo ! Wesley se
sent à la fois pris d’un vertige et d’une sorte de constipation psychique, il
ne voit pas quoi faire d’autres … Il a voulu ce monde, il l’a eu ! Il
voulait être seul dans lui-même, fatigué des sauts temporels, des histoires de
résistance, de l’Agence, complots, etc. Il a tout bien tout fermé toutes les
portes et balancé la clef, évidemment. Il n’a pas même envie de se mettre la
tête en dedans, rien, le gris et la pluie, et ce petit lac calme et étale,
quelques flots aciers. Wesley occupe une jolie chambre Art Déco, comme il se
doit, au 18ème étage, sous les appartements impériaux, au cas où Sa
Majesté ferait un petit saut dans le coin, ou l’un de ses représentants à la
cour. L’empereur ne se déplace plus que pour des visites d’Etat. La presse le
dit à Saint-Pétersbourg, parti rencontrer le prince régent et tuteur de son
cousin le jeune tzar … « Mauvais plan » se dit Wesley, il aurait dû
rester à Neu York, à faire vrombir sa voiture rouge avec Rick Astley, fitness,
restau’, son joli triplex à Süd Harlem. « Quelle quiche » se dit-il
encore, « pas une de droite » et son scaphandre qui décolore, qui
devient aussi manche et irrésolu que Steeven, quel était l’intérêt à changer de
corps, de vie, de dimension. Y’a pas à dire, c’était mieux avant, même un avant
jamais advenu. Pour se distraire, Wesley descend de sa tour, faire une
promenade en ville, voir comme on vit dans l’empire. […]
lundi, mars 28, 2016
Lettre ouverte aux (politiques) Morgiens/nes
Je suis venu à la politique de manière tout à fait
« abracadabrantesque », selon la formule chiraquienne consacrée. Peu
après mon réveil, opération des sinus, les vapeurs de la narcose, et une
question, via msn, un ami facebookien, à peine une connaissance qui me
demandait si j’étais intéressé à entrer au conseil communal morgien ? Je
dis oui et, sous les couleurs de « Morges Libre », je suis entré en
tant que vient-ensuite au conseil, parmi le groupe de l’ « Entente
Morgienne », le bon parti centriste local, 50 bougies soufflées il y a
peu, une formation ayant rejoint la mouvance « Vaud Libre », mouvance
à laquelle « Morges Libre » appartient … Vous me suivez ?
Il y aurait donc sur le territoire morgien deux partis centristes, l’un bien
installé et l’autre tout neuf, à peine quelques membres, dont moi recruté via
facebook afin de sceller dans les faits par mon entrée au sein du législatif
communal l’union de tous les centres en terres morgiennes. Nous voilà rendu là
où le récit devient épique, baroque, picaresque, totalement branque.
« Morges Libre » avait alors un bouillant président, celui-là même
qui me proposa mon entrée en politique, une sorte de touche-à-tout, homme
orchestre plutôt sympathique quoique s’adonnant à des stratégies byzantines
auxquelles je n’ai toujours rien compris. Dans la foulée, le monsieur me fit
prendre la place qu’il occupait au sein du comité de « Vaud Libre »,
peu après avoir déclenché une brouille avec l’Entente, me mettant ainsi dans
une situation inconfortable. Je ne vais pas entrer dans les détails
politico-politiciens, je ne peux que vous dire mon embarras croissant car le
bonhomme trouva à se brouiller avec Vaud Libre avant de claquer la porte de
Morges Libre. Il y eut quelque échange de nom d’oiseau, mon embarras
grandissait encore, et me voilà président de Morges Libre, réorienté structure
centriste au niveau du district de Morges. Je ne vous dis pas les sourires que
mon joli titre de président d’une coquille vide – le parti est en passe d’être activé pour les
élections cantonales de 2017 – suscita chez mes collègues de parti et du
Conseil Communal. J’avais nettement l’impression d’être le président installé
par une grande puissance à la tête d’une république bananière. Et la presse,
évidemment, en rajouta une couche, faisant d’une brouille politique une
véritable affaire d’Etat. Sur ces entrefaites arrivent les élections communales,
l’Entente Morgienne perd un siège, le mien apparemment, je ne suis pas réélu,
manque de visibilité, de réseau, que sais-je. Je suis donc le président d’une
coquille vide, sans siège, membre du comité d’un parti centriste aux assemblées
duquel je n’arrive pas à participer, pris par le temps. De plus, je fais
doublon puisque l’Entente a l’un des ses membres qui représente les intérêts
locaux au sein de la fédération de Vaud Libre.
Qu’on ne se méprenne pas, je n’ai aucun compte à régler.
J’ai siégé durant une année parmi une équipe sympathique et très soucieuse du
bien public. « Ni de gauche, ni de droite » dit l’Entente et c’est
vrai. Il faut voir le respect qui entoure cette formation atypique. Pareil pour
Vaud Libre, pas une rancœur à leur encontre à vous livrer, rien, pas même au
bouillant ex-président de ma coquille vide. On pourra dire ce que l’on voudra
de son comportement, il n’empêche qu’il a un flair politique extrêmement
sensible et qu’il avait senti deux ou trois choses. Parallèlement à cela, Cy.
décida, lui aussi, de se mêler de la chose politique. Il hésitait, il penchait
pour les méchants, les vilains, le petit groupe tout à la droite de la salle du
conseil, non, pas les anciens libéraux du groupe PLR, les autres … Si, si,
ceux-là même. Il faut dire qu’ils venaient de recruter un excellent candidat à
la municipalité, quelqu’un pour qui j’ai respect et sympathie. Et le reste du
groupe ne m’est pas antipathique. La couleur politique, dans un exécutif
communal, n’est de loin pas aussi tranchée qu’au parlement. A Morges,
l’ambiance de travail du conseil est particulièrement cordiale. Les bonnes
idées de tout bord rencontrent toujours un large consensus. Il y a bien un
léger effet de blocs - je pense au bloc rose (pâle) et au bloc bleu (de même
pâle), effet qui se signale par une ou deux demi-lubies sur les votes en séance ;
à côté trois autres formations de petites tailles, chacun comptant une dizaine
de conseillers, un peu plus ou un peu moins, à savoir les Verts, l’Entente et –
roulement de tambour – l’UDC ! les méchants du conseil qui, après
observation, n’ont de méchant que l’étiquette. Pour un parti a la réputation
xéno- et homophobe, il fait fort. On compte dans ses rangs des Suisses
d’origine : américaine, russe, portugaise, italienne et, peut-être
française, je ne suis pas sûr de cette dernière nationalité ; la
présidente de la section morgienne porte un patronyme portugais, elle a épousé
un Portugais. Les femmes représentent 40% des membres du groupe élu.
« Last but not least », mon homme est venu compléter pile à temps la
liste des candidats et devinez quoi ? Il a été élu ! La section UDC Morges
compte certainement le taux le plus élevé d’étrangers et de gay(s) dans les
rangs des partis morgiens.
Retour sur les bons moments de la campagne, les marchés du
samedi matin, je fis bravement le planton de 10h à 12h30-13h parmi les tentes
des cinq formations (plus un indépendant) actives sur l’échiquier morgien. Nous
avons tous passé des moments formidables. J’eus ainsi l’occasion de
« pratiquer » mes collègues d’une manière plus informelle et de les
découvrir taquins, drôles, de bonnes commandes, dévoués quel que soit le parti.
Il y avait aussi des « anciens édiles» de Morges et des communes
avoisinantes venus soutenir les candidats de leur parti d’élection, au sens
propre et figuré. C’est ainsi que j’appris de la bouche d’un député UDC
retraité le pourquoi de la disparition des bintjes de nos tables, la précieuse
pomme-de-terre à tout faire, la variété s’est épuisée à force d’exploitation.
Dans ce coin de Suisse, l’UDC est la nouvelle déclinaison de l’ancien parti des
Paysans, Artisans et Indépendants ; des gens à la tête froide, parfois
rétifs à ceci ou cela mais jamais vindicatifs. On reste entre « honnêtes gens ».
Le plus drôle, durant la campagne des élections communales, un débat organisé
avec tous les candidats (treize) à la municipalité de Morges sur le plateau de
la télévision locale. Un mot de présentation à propos de chaque candidat, la
présidente de la section UDC Morges faisait partie des treize, le journaliste
évoque sa franchise de ton et d’opinion, reprend l’un de ses propres termes,
« je suis UDC par défaut », lui demande si cette affirmation est
vraie ? « Oui » Silence d’une à deux secondes du journaliste
décontenancé par … autant de franchise.
Il faut savoir qu’un parti politique, n’importe lequel, a
tendance à fonctionner comme une équipe de foot de ligue. Lorsqu’on estime
qu’un joueur est de qualité, on essaie de l’obtenir. En politique, ça ne se
monnaie pas, pas de manière sonnante et trébuchante, on propose des postes de
candidat, une liberté d’actions, de pensées, de paroles, etc. On fait cela pour
tout nouveau venu ou tout venu qui n’est pas encore figé dans une trop longue
habitude de son parti. Les propositions perdurent si vous êtes un centriste et
reviennent métronomiquement si vous vous acquittez correctement et activement
des tâches dévolues à tout conseiller lambda (commissions, réunions, rapports,
interventions, etc.). Tous les partis, groupes, tendances m’ont fait du pied de
manière plus ou moins marquée, me vantant les mérites de leur formation, y
compris l’UDC qui présageait sans malignité aucune la diminution du nombre
d’élus de l’Entente. « Viens chez nous, il y aura des sièges à repourvoir
… » Les urnes ont parlé, dix candidats, onze sièges, celui perdu par
l’Entente, et moi dessus.
Je vous laisse relire mon billet « La Veste », dimanche
d’élections, les résultats en soirée, l’air satisfait de certains.
J’accompagnais Cy., quelques membres de son parti, ils attendaient les
résultats à la maison. Peu après la publication des chiffres, un nouvel
élu/réélu se tourne vers l’un de nos invités et l’interpelle goguenard quant au
bon score de son parti, « Il faudra assurer ! », petit geste du
menton, l’air de dire « l’UDC a gagné ces voix par hasard, vous ne serez
pas capable de tenir un rôle sérieux au conseil ». J’hésitais encore mais
cette simple démonstration de suffisance moralisatrice me décida : j’acceptai
ce siège vide.
J’en ai parlé, ici ou là, j’ai eu droit à un charroi de
réactions … dogmatiques, assortis de mise en garde. Parmi le florilège des plus
débiles je retiens « que vont penser les gens de toi ? », bof,
en tant que gay et catholique, j’ai déjà tout entendu ; « tu
cautionnes la politique fédérale de l’UDC », non, de toute manière entre
la section morgienne de l’UDC et le groupe parlementaire, il y a un monde,
quelques galaxies, deux ou trois univers même. Au cas où il y aurait
éventuellement interaction, j’expliquerai à Messieurs Maurer et Parmelin mon
point de vue sur un certain nombre de sujets. Si l’on part de l’idée qu’un
parti transforme ses adhérents, les adhérents ont de même la compétence de
transformer le parti. C’est assez peu me connaître que d’imaginer qu’on puisse
ainsi me « changer ». Les Vallotton sont des Vallorbiers, des têtes
de pioche. Plus sérieusement, j’ai déjà expliqué mes motivations à qui était
prêt à les entendre. Après une année de conseil communal, je commence enfin à
comprendre le fonctionnement global de la chose, à maîtriser les dossiers en
cour, à connaître et reconnaître les différents acteurs politiques et au sein
de l’administration communale. Si je raccrochais de suite, ce serait aussi
idiot que de quitter la salle de sport après l’échauffement. Je suis un
vient-ensuite dans la liste de l’Entente et je pourrais attendre sur le banc de
touche une année ou deux, ou trois que l’on me rappelle aux affaires et d’ici
là, j’aurai perdu le fil. Plus vraisemblablement, je me serai lassé et aurai
laissé tomber. Il faut battre le fer quand il est chaud et tant pis pour ma
« réputation politique », je n’ai pas d’ambition particulière dans ce
domaine, une législature complète et je passerai la main. Dans l’intervalle, je
poursuivrai dans mon action, à savoir « à problème pratique, solution
concrète ! » Au conseil, tout le monde se pose les mêmes
questions : à quoi ça sert ? combien ça coûte ? Selon les réponses,
on dit oui ou non. Le fait que l’UDC soit une petite formation au conseil
communal morgien représente un autre critère qui m’a poussé dans ses rangs. Les
Verts m’auraient fait la même proposition, j’aurais accepté, d’autant plus que
j’apprécie particulièrement le courant décroissant de ce groupe.
Fais-je preuve d’opportunisme politique ? Si consacrer
une vingtaine d’heures par mois pour quatre cents francs par an en moyenne au
risque de se faire appeler Arthur est une opportunité, alors oui. Les
conseillers communaux sont des miliciens, je ne connais pas exactement les
motivations de mes petits camarades de jeu, elles ne sont certainement pas très
éloignées des miennes. Je suis entré en politique afin de payer mon écot,
assumer ma part dans une société qui garantit les libertés fondamentales, paie
mon salaire, assure un cadre perfectible mais agréable à ma vie, subventionne
parfois et même très souvent la publication de mes romans. A ma mesure, je
rembourse en me préoccupant d’histoire de peinture de réverbère et de crottes
de chien sur les quais. Je poursuivrai selon mes convictions et l’Ente, et Vaud
Libre trouveront toujours un ami politique en ma personne. Cela me rappelle une
charmante anecdote citée par le père Joseph, de ma bonne paroisse berlinoise de
Sankt Ludwig : un jeune séminariste débarque tout énervé dans le bureau de
l’évêque et futur saint François de Sales et lui demande inquiet que peut-il
faire pour la paix, la paix confessionnelle, la paix dans le diocèse de Genève
d’où les fidèles catholiques ont été chassés, et François de répondre
« Commence par fermer doucement la porte ! » Pour conclure, je
dois vous avouer que j’aime beaucoup l’idée que mon homme et moi siégions
ensemble au conseil, dans les rangs d’un parti, et je me répète, dit
« homophobe ».
dimanche, mars 20, 2016
Rénovation du bâtiment n° 1-3 de la rue Saint Louis, à Morges
Retour sur une rénovation réussie au cœur de Morges.
Là où se signale un authentique travail d’architecte, mieux qu’une
réhabilitation, une révélation.
Une
citadelle ? un cloître ? une maison forte ? Une construction
simple, sans artifices, ornement, effets verre-acier, etc. Le bâtiment des n° 1 et 3 de
la rue Saint-Louis, dans sa version réactualisée ne souffre que d’un
défaut : il n’a pas de nom. Ce n’est pas un édifice construit ex-nihilo,
il est le résultat de la mue adroite et élégante du bâtiment
« Bataillard ». Dans sa forme première, ce locatif du centre ville
était l’exemple parfait du niveau 0 architectural. Façades jaunasses au crépi,
de trop nombreuses petites fenêtres garnies de volets bruns, un immeuble qui
n’aurait pas même valu le prix de sa démolition. A force, on ne le voyait plus,
il était devenu une verrue sèche – pas même purulente – au coin des rues
Charpentier et Saint-Louis. Un truc moche.
Lorsque l’on vit
quelque agitation autour de la chose, plus d’un Morgien bénit le bienfaiteur
qui prenait à sa charge la démolition de ce manifeste de la médiocrité
architecturale : que nenni ! On ne démolissait pas, on rénovait, et
avec quel talent ! ARCK Architecture SA, sur une base aussi indidgente, a
réussi le tour de force d’une réhabilitation élégante. Le bâtiment a gagné un
penthouse, signalé par un bandeau anthracite de la largeur de l’étage. L’existence de la terrasse est révélée par des escaliers
métalliques en vis côté square des Charpentiers. Ce dernier étage a la
particularité d’avoir été entièrement réalisé en bois. Il jouit de plus d’une
plus grande hauteur sous plafond que les étages inférieurs. Côté rue des
Charpentiers, il porte un oriel carré ; les fenêtres de ce dernier niveau
reprennent le rythme des façades sans pour autant reproduire la disposition
disgracieuse des fenêtres d’origine. Les magiciens de chez ARCK auraient
peut-être aimé les ordonner différemment mais il eût fallu revoir tout
l’aménagement intérieur. Toutefois, afin d’atténuer l’effet
« casemate » et tromper l’œil du passant, donner du caractère à une
façade qui n’en avait aucun, chaque meurtrière … chaque fenêtre, pardon, a été
pourvue d’un volet métallique rouge ! Effet garanti sur la façade blanche.
La présence d’un
bâtiment dans le tissu urbain implique bien plus qu’une façade quelconque à tel
ou tel numéro d’une rue. Il s’inscrit dans un ensemble, il apporte sa voix à un
dialogue renouvelé, promenade urbaine, déambulation. La « citadelle
Bataillard » (j’opte pour ce surnom) « dépasse » ici ou là,
signale sa présence et enrichit le point de vue par les effets du talent d’ARCK
Architecture SA.
lundi, mars 14, 2016
"La part de l'autre" de Eric-Emmanuel Schmitt
Je ne savais pas le bon, le doux et toujours souriant
Eric-Emmanuel germanophile ? peut-être plus que moi ! étonnant pour un auteur français, certainement un effet de son ascendance alsacienne. Dans son roman
uchronique, La part de l’autre
(mi-pochade, mi-travail littéraire), le
bonhomme nous tricote le double récit de Hitler peintre reçu à l’Académie de
Beaux-Arts de Vienne et de Hitler, le dictateur classique. Nous suivons les
deux protagonistes de 1908 à leurs morts respectives. Le procédé est en théorie
intéressant, il l’est de fait pour les jeunes années du Hitler historique et du
Hitler peintre. Leurs vies sont si proches, si peu les différencie. Schmitt
s’est bien documenté, l’époque est peinte avec de belles couleurs, le détail
est truculent, les vicissitudes de l’un comme de l’autre sont drolatiques. J’ai
ri et pour de vrai.
Les trois-cents première pages passent comme de rien, on en
redemanderait presque. La Première Guerre offre de véritables morceaux de bravoure. Le
Hitler historique et son chien, Foxl, qui sera mortellement blessé par l’ennemi, le Français planqué de l’autre
côté de la tranchée ; au petit matin, Hitler se résout à l’achever d’une
balle. Pas un mot de faux dans cette tragédie anodine et universelle,
fondamentale pour la psyché romancée du futur chancelier Hitler. Je serai
incapable de relire ce passage tant il me bouleverse. Le plus obtus des lecteurs
ne pourra que vivre la détresse, la douleur et la peine de la situation. Vérité
de l’émotion, rigueur syntaxique, saveur originale du verbe. Ça se gâte par la
suite ; l’auteur nous assomme de son petit genre artisteux et donne dans
la rallonge inutile, de la phrase à caractère littéraire, une sorte
d’amoncellement d’images cocasses et boiteuses. C’est un festival … disons
plutôt une brocante de métaphores bricolées à contre sens de la phrase-même. On
finit sur du grotesque et de la pantalonnade, le Hitler historique devenu sourd
suite au dernier attentat, ou percevant déjà l’échec de sa guerre et, illico
après, un nouvel et bref épisode de littérature, « Der Untergang »,
la fin du Führer dans le bunker de la chancellerie.
Notre auteur s’est tout de même fendu d’un justificatif
historique, une bafouille tendant à prouver que son invention tient la route, à
peu près, plus ou moins. La fin uchronique de Hitler peintre n’est pas pour me
déplaire. Berlin est la New York de cette autre possibilité, Babelsberg Hollywood,
le premier homme à avoir marché sur la lune est allemand, und so weiter.
Deutschland über alles, ce qui, aujourd’hui, hormis les deux ou trois petits
riens show-off de la culture populaire dominante, est le cas. Notre doux
Eric-Emmanuel va jusqu’à rendre à l’Allemagne les territoires indûment
attribués à la Pologne après le Première Guerre mondiale. Y aurait-il de sa
part une certaine inimitié envers les Polonais ?! Pas un mot sur les
Sudètes. Dans sa rondeur, notre bon écrivain a encore replâtré l’hypothèse que,
durant tout le IIIème Reich, les civils allemands n’étaient pas au courant de
l’extermination massive des juifs !? Le Hitler dictateur serait devenu par
hasard antisémite, suite à la lecture d’une revue pangermaniste … Mouais, voilà
une interprétation plutôt olé-olé des événements qui permet au lecteur (français) de faire
l’économie de l’antisémitisme crasse de la France d’avant 1945.
Dernier point, une question que vous pourriez vous
poser : pourquoi diable me suis-je embarqué dans la lecture des 500 pages
de « La part de l’autre » ? Par ouverture d’esprit, pardi, à
force de me gausser en classe de l’œuvre de M. Schmitt qui, au demeurant, est
un homme charmant et des plus sympathiques en dépit de son succès irritant,
œuvre donc que l’on a tenté de faire remonter dans mon estime en me vantant le
titre dont il est question ici.
Pari perdu et, du coup, mes élèves du gymnase du soir se retrouvent avec cette
lecture au programme ! Il faut aussi qu'ils se frottent à de la littérature populaire.
samedi, mars 05, 2016
Elections communales vaudoises 2016 ou la veste
Plus jamais je ne
pourrai relire froidement le récit de l’armistice de 18, signé par un petit
matin brumeux, glacial : Erzberger, von Oberndorff, von Winterfeldt, von
Grünnel et Vanselow, reçus avec hauteur dans le wagon de l’état-major français,
la forêt de Compiègne, reddition sans condition. Ne nous cachons pas la vérité,
j’ai pris une veste aux dernières élections communales, et pas sûr qu’elle ne soit
bien taillée. Il faisait froid de même, devant l’hôtel de ville. Il a fallu
attendre, un verre à la main tout de même, et des résultats d’abord publiés sur
le site de l’Etat de Vaud, allez donc consulter la chose sur l’écran d’un
smartphone, et pas de classement par partis, un classement par candidats dans
l’ordre des résultats. 1, 2, 3, 4, 5, 6 … 10 sièges pour le parti sous la
bannière duquel je me suis présenté, il faut chercher parmi des cohortes de
socialistes, de libéraux-radicaux, d’écolos … Et il m’en manque un, refaire le
tour du listing déroulant, parmi les cris de joies et les trépignations d’élus verts découvrant leur accession au législatif
communal. Je ne serai pas des leurs. Je ne suis pas élu. Je me demande si les
verts triomphants feront montre d’autant d’allégresse lorsqu’ils seront
retenus, otages, d’une commission bout de tuyau avec des commissaires tatillons qui n’en finissent pas d’ergoter sur rien. Je me vois remplacé par
des nouveaux venus, des potes de copains de connaissances de candidats (tout parti confondu) , une joyeuse
clique que l’on rencontre collée sur toutes les terrasses de la Grand-Rue. Je tiens cette révélation de mon assistant lors du dépouillement, s'esclaffant à plus d'un bulletin, me signalant "Truc, Chose et Machin, et encore Bidule" qu'il croise parmi les habitués de tel ou tel débit de boissons. C’est ici qu’il faut s’avouer que la fréquentation de la messe et du fitness
rendent nettement moins populaire que la fréquentation de bistrots de
traîne-patins. Désolé, je n’ai pas de réseau de serveuses ou de potes de
bitures pour doubler mon nom (et/ou biffer celui des autres; pratique à propos de laquelle j'ai été affranchi il y a peu).
L’électeur a toujours
raison et s’il est mauvais, la faute aux politiques ! Mon homme, fraîchement
élu au sein d’un parti en vogue, m’explique encore que les Morgiens veulent de
nouvelles têtes, ou qu’ils ont voté bidule parce qu’il est beau, ou parce que
tout le monde le connaît … Je résume, je n’ai pas été réélu parce que je suis
un cageot que l’on ne connaît pas mais que l’on n’a plus envie de voir ?! Un détail m’échappe … Il paraît que c’est un plus, pour un parti,
que de renouveler ses troupes, ses élus; et, me dit-on encore, les
proches viennent-ensuite finissent toujours par siéger quand les nouveaux-venus
jettent l’éponge, rapport aux commissions bout de tuyaux trépidantes, ou quand
partent les vieux du parti qui ne se sentent plus chez eux. Dans les deux cas,
le signal n’est pas très engageant, cela fait légèrement « roue de
secours », ou pauvre à qui l’on fait la charité de ses vêtements vieux ou
passés de mode. Il faut encore affronter la tête des candidats qui vous connaissent et qui, après s’être
assurés de leur propre réélection, vous saluent avec ce petit quelque chose de
particulier que l’on adresse aux faillis ou aux perdants. Jusqu’à l’hypocri... euh, la diplomatie de certains qui hésitent avant
de monter dans leur voiture, se ravisent tout de même, s’en tiennent à des
propos d’une grande banalité, faisant mine de ne pas connaître les résultats,
ne s’étonnent même pas lorsque vous dites que votre parti a perdu un siège et
que ce siège était le vôtre. « Dans six mois, une année … », les
calendes grecques promises aux viennent-ensuite.
Premier conseil
communal d’après élection, le ton est léger, badin, quelques malades
diplomatiques, ballottage général à la municipalité, deux ou trois
interventions, des rapports expédiés en deux-quatre-sept. Les partants comptent
les conseils, les séances, les commissions dans lesquelles ils siègent ;
les réélus tirent des plan sur la comète, des alliances à venir, se demandent à
quoi ressembleront les nouveaux venus des autres partis … L’électeur a toujours
raison, même quand il a tort. Je ne parle pas pour moi, fermez-moi la porte au
nez, je rentrerai par la fenêtre, c’est un peu mon rôle de centriste, un
véritable 4x4 de la politique. Je pense avant tout à ces conseillers de longue date, investis et
désintéressés, sincères et balayés par un vote, parce que « pas assez sexy »,
pas de réseaux bistrot non plus, pas de titres, pas d’amis influents, pas de
profil sexy, selfie avantageux, etc. Balai neuf balaie bien, et le dévouement
civique ne vaut alors pas plus qu’une feuille morte.
dimanche, février 28, 2016
Retour de Toulouse
![]() |
"David" par Antonin Macié |
Pas facile de trouver quelques jours de libres en pleine
campagne communale vaudoise, d’autant plus que je ne suis pas le seul à me
présenter devant les électeurs, Cy. a été appelé par un parti de droite. Nous
occupons donc le pavé le samedi matin, jour de marché, dans des stands
différents. Et pour les relâches, nous sommes partis quatre jours à Toulouse
avec ses parents. La ville rose … ocre délavé sous la pluie, la météo n’étant
pas radieuse.
Difficile de vraiment « communier » avec les lieux
lorsque l’on est en groupe. A plus de deux,
le nombre importe sa propre logique, ses conversations, ses équilibres.
Toutefois … parfois … une fenêtre, un moment vide à la table d’un restaurant,
une brasserie, quelques mots de la conversation voisine. Toulouse fait
indéniablement partie du réseau des
bonnes villes de France, de ces capitales régionales, à la personnalité propre
et en constant dialogue avec LA CAPITALE, tantôt jalouse, tantôt prétentieuse,
un petit jeu touchant qui laisse Paris de marbre et force ces bonnes villes à
s’interroger sans cesse sur leur place dans le monde et dans le cœur de leurs
habitants.
Arrivée par un après-midi pluvieux, taxi, gymkhana sur
l’autoroute de contournement, appart’hôtel à deux pas de la Halle aux Grains,
encombrée de camions de France télévision, « Victoires de la musique
classique » oblige. La ville s’offre assez facilement aux visiteurs
occasionnels, il suffit de se diriger vers le centre pour tomber sur une
référence locale, « Père Léon », un lieu aimé des Toulousains,
une majorité de locaux dans la salle, une vaste terrasse chauffée sur laquelle
s’arrêtent des fumeurs mi-pressés, le temps d’un express, le temps d’une
cigarette assis et à l’abri.
Scène de rue, des punks à chiens qui mendient mine de rien,
avec leur bête au poil soigné, des animaux doux et timides, surtout doux, comme
leurs maîtres, d’un naturel sympathique, un peu honteux des aboiements de leurs
compagnons. La police veille au grain et défile lentement en voiture dans les
rues piétonnes. Il pleut toujours. Les agents observent tout de leur véhicule,
se contentent de quelques signes à un Rom, plus loin, assis sur un carton,
devant une grande enseigne, la sébile tendue sans conviction. Et le Rom de
regimber silencieusement par quelques grimaces à l’adresse de la maréchaussée
qui insiste d’un froncement de sourcil. Et le Rom de partir en soupirant, son
carton pose-fesses sous le bras. Mes punks à chiens avaient déjà filé. Et cet
autre Rom, pieds nus, couché, recroquevillé, la tête couverte et mimant
maladroitement des tremblements de froids. La pluie avait cessé et la
température devait avoisiner les … 12°. Le lendemain, temps dégagé, soleil
intermittent, 15°, et mon Rom toujours pieds nus, ou plutôt en lambeaux de
chaussettes, toujours dans son rôle d’homme réfrigéré, mimant tant bien que mal
le grand froid. Détail piquant, il avait le peton soigné, propre, propre ! alors qu’il est
sensé aller … pieds nus et, de plus, la plante lisse, sans cale, un pied qui
saurait certainement attendrir les fétichistes de ce genre d’extrémité.
La foule toulousaine est … urbaine, réceptive à son milieu,
bourrue lorsqu’elle est pressée, le plus souvent pleine d’attention. Et lorsque
le Toulousain est en service, il est d’une parfaite amabilité (restaurants,
musées, magasins) ; il aime son métier et ne fait pas/ne semble pas faire
de différence entre le local et le touriste. Pas un tag sur les murs, une ville
calme et heureuse … Quoiqu’un nombre non-négligeables d’arcades commerciales
étaient fermées, faillies, barrées de vieilles planches, sur la place du
Capitole même. Peu de femmes voilées mais, au détour de rues moins fréquentées,
de ces jeunes hommes en survêtements de marque, ce genre que l’on prête à … la
banlieue. Ils ont l’air d’attendre ou de comploter. Ils n’aiment pas le
touriste, ni le passant du reste, pas de geste inconsidéré, pas un mot, juste
un regard et cette mine fermée propre à ceux qui se méfient de l’irruption
soudaine des forces de l’ordre. Je ne connais rien de la politique locale, de
l’étiquette des gouvernants. Il s’agit peut-être d’un calme trompeur … Il faut
encore évoquer le grand nombre d’églises historiques, les ravages de la
Révolution et de l’affairisme sur celles-ci, deux musées assez bons, l’un
public et l’autre privé, quelques belles toiles dans les deux, une salle
entière consacrée à Bonnard dans la fondation privée, un David vainqueur de
Goliath, héros des plus jeunes et troublant au détour d’un escalier dans le
musée public ; l’œuvre est d’un artiste du cru, Antonin Mercié. Voici tout
le charme de la province officielle, capable de produire et admirer benoîtement
ce qui, objectivement, ressort de l’érotisme le moins avouable.
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