Je ne savais pas le bon, le doux et toujours souriant
Eric-Emmanuel germanophile ? peut-être plus que moi ! étonnant pour un auteur français, certainement un effet de son ascendance alsacienne. Dans son roman
uchronique, La part de l’autre
(mi-pochade, mi-travail littéraire), le
bonhomme nous tricote le double récit de Hitler peintre reçu à l’Académie de
Beaux-Arts de Vienne et de Hitler, le dictateur classique. Nous suivons les
deux protagonistes de 1908 à leurs morts respectives. Le procédé est en théorie
intéressant, il l’est de fait pour les jeunes années du Hitler historique et du
Hitler peintre. Leurs vies sont si proches, si peu les différencie. Schmitt
s’est bien documenté, l’époque est peinte avec de belles couleurs, le détail
est truculent, les vicissitudes de l’un comme de l’autre sont drolatiques. J’ai
ri et pour de vrai.
Les trois-cents première pages passent comme de rien, on en
redemanderait presque. La Première Guerre offre de véritables morceaux de bravoure. Le
Hitler historique et son chien, Foxl, qui sera mortellement blessé par l’ennemi, le Français planqué de l’autre
côté de la tranchée ; au petit matin, Hitler se résout à l’achever d’une
balle. Pas un mot de faux dans cette tragédie anodine et universelle,
fondamentale pour la psyché romancée du futur chancelier Hitler. Je serai
incapable de relire ce passage tant il me bouleverse. Le plus obtus des lecteurs
ne pourra que vivre la détresse, la douleur et la peine de la situation. Vérité
de l’émotion, rigueur syntaxique, saveur originale du verbe. Ça se gâte par la
suite ; l’auteur nous assomme de son petit genre artisteux et donne dans
la rallonge inutile, de la phrase à caractère littéraire, une sorte
d’amoncellement d’images cocasses et boiteuses. C’est un festival … disons
plutôt une brocante de métaphores bricolées à contre sens de la phrase-même. On
finit sur du grotesque et de la pantalonnade, le Hitler historique devenu sourd
suite au dernier attentat, ou percevant déjà l’échec de sa guerre et, illico
après, un nouvel et bref épisode de littérature, « Der Untergang »,
la fin du Führer dans le bunker de la chancellerie.
Notre auteur s’est tout de même fendu d’un justificatif
historique, une bafouille tendant à prouver que son invention tient la route, à
peu près, plus ou moins. La fin uchronique de Hitler peintre n’est pas pour me
déplaire. Berlin est la New York de cette autre possibilité, Babelsberg Hollywood,
le premier homme à avoir marché sur la lune est allemand, und so weiter.
Deutschland über alles, ce qui, aujourd’hui, hormis les deux ou trois petits
riens show-off de la culture populaire dominante, est le cas. Notre doux
Eric-Emmanuel va jusqu’à rendre à l’Allemagne les territoires indûment
attribués à la Pologne après le Première Guerre mondiale. Y aurait-il de sa
part une certaine inimitié envers les Polonais ?! Pas un mot sur les
Sudètes. Dans sa rondeur, notre bon écrivain a encore replâtré l’hypothèse que,
durant tout le IIIème Reich, les civils allemands n’étaient pas au courant de
l’extermination massive des juifs !? Le Hitler dictateur serait devenu par
hasard antisémite, suite à la lecture d’une revue pangermaniste … Mouais, voilà
une interprétation plutôt olé-olé des événements qui permet au lecteur (français) de faire
l’économie de l’antisémitisme crasse de la France d’avant 1945.
Dernier point, une question que vous pourriez vous
poser : pourquoi diable me suis-je embarqué dans la lecture des 500 pages
de « La part de l’autre » ? Par ouverture d’esprit, pardi, à
force de me gausser en classe de l’œuvre de M. Schmitt qui, au demeurant, est
un homme charmant et des plus sympathiques en dépit de son succès irritant,
œuvre donc que l’on a tenté de faire remonter dans mon estime en me vantant le
titre dont il est question ici.
Pari perdu et, du coup, mes élèves du gymnase du soir se retrouvent avec cette
lecture au programme ! Il faut aussi qu'ils se frottent à de la littérature populaire.
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