Désopilant, tordant, piquant, à mourir de rire ! Et
quoi d’autres ? Extrêmement touchant, sensible, émouvant et jusqu’aux
larmes. Le sentiment est toujours juste, porté de main de maître par Alexandre
Astier. Je veux parler de Kaamelott, bien évidemment. 2005-2010, six saisons, du
format sketch à des épisodes de trois-quarts d’heure pour la dernière livraison.
La relecture de la légende arthurienne, sous des aspects décalés, à coup de
dialogues haut en couleurs s’avère des plus justes, certainement plus proche de
ce quelle était au XIIème siècle, la petite histoire des relations humaines
dans un groupe d’individus fédérés par un projet total, idéal, la recherche du
Graal !
On commence tout en
douceur, histoire de faire connaissance avec la petite bande, en vrac et dans
le désordre : Arthur (Alexandre Astier) en honnête homme porté sur la
turlute et néanmoins conscient de son destin ; Guenièvre (Anne Girouard) sa
cruche/potiche d’épouse et néanmoins amoureuse ; Léodagan et dame Séli
(Lionnel Astier et Joëlle Sévilla), les beaux-parents en couple infernal franchouille
âpre aux gains, bête et méchant ; Perceval et Karadoc (Franck Pittiot et
Jean-Cristophe Hembert) Laurel et Hardy médiévaux ; Yvain le beauf’ ado’
attardé (Simon Astier) ; Lancelot (Thomas Cousseau), le pur, le courageux
chevalier blanc dont il faudrait toujours se méfier (trop parfait) et Merlin
(Jacques Chambon) en enchanteur version Lagaffe. Il faut rajouter, au fil des livres
(chaque saison représente un nouveau livre, un certain nombre de récurrences,
du paysan geignard à l’inquisiteur sadique, du légionnaire romain au bandit de
grand chemin, du tavernier boutiquier à l’acariâtre mère d’Arthur. Au début, à
moins que vous ne soyez médiéviste, hormis Arthur, vous patinez un peu parmi
les noms et les rôles, pourtant vous ne perdez rien du cocasse des situations
ni du sens, de la finesse des répliques. C’est le premier effet Astier !
Après trois saisons, vous retenez que le gros dégueu qui
bouffe tout le temps se nomme Karadoc et que son pote débile, fidèle et attaché
à la personne du roi comme un chien stupide – stupide car il prend les
« coups de pieds au cul » métaphoriques d’Arthur pour des marques
d’affection se nomme Perceval. Sans oublier Bohort, la chochotte dont on n’a
jamais vu la femme. Bref, après une période d’accoutumance, le plus dispersé
des téléspectateurs est prêt à entrer dans le cœur-même de la légende
arthurienne. D’autant plus que le jeu des acteurs est fluide, la connivence
certaine. Vous aurez remarqué une forte présence de la tribu Astier à
l’écran ; le père, la mère, le frère d’Alexandre « à la ville »
tiennent des rôles de premier plan, la dynamique ne s’essouffle jamais.
Deuxième effet Astier.
Le scénario reprend les grands thèmes de la légende
arthurienne telle que portée par la tradition française et le XIXème siècle.
Lorsqu’on l’observe dans le détail, la narration s’avère bien plus subtile qu’il
n’y paraît, multi-référencée, frottée de légendes anglo-normandes, du style
galant à la mode d’Aquitaine, de christianisme primitif. Alexandre Astier, au
fil des livres, y incorpore aussi de fréquents clins d’oeil à la culture
populaire de la seconde moitié du XXème
(cinéma, bande dessinée) ; il est donc en parfaite adéquation avec le
folklore des récits de la table ronde, chacun accommandant les aventures
arthuriennes à sa sauce, histoire de faire passer l’amertume des déceptions
humaines. Troisième effet Astier.
Ce n’est pas la bonne poilade d’une série à sketchs qui m’a
poussé à prendre le clavier pour évoquer Kaamelott.
Soit, on rit, beaucoup, intelligemment, du premier au dernier épisode. On rit
de la bêtise des uns, du grotesque de la situation des autres, de dialogues
d’anthologie, d’expressions colorées et percutantes, de remarques décalées, du
désespoir d’un roi maladroit mais le sentiment général est nettement plus
nuancé. Au détour d’une tirade, d’une engueulade homérique, tombe une réplique
d’un regret poignant, blessure intime, délicatesse froissée. Une scène de
repas, le roi, ses proches, le duc d’Aquitaine, venu à Kaamelott retirer l’épée
qu’Arthur a replantée dans le rocher. Dame Séli apporte le dessert, aspect
étrange, Léodagan chipote, le roi de même, le duc d’Aquitaine en dépit de
l’aspect peu engageant de la chose et des protestations de son hôte, se résout
à manger, par politesse, et c’est bon. Dame Séli conclut contre son propre
intérêt qu’elle souhaiterait que le duc retire l’épée et devienne roi, ça
changerait des brutes malapprises qui l’entourent, enfin quelqu’un avec un
minimum d’usage ! Le compliment, gratuit, est un cri du cœur, la petite
humiliation, voir nos actes anodins toujours déconsidérés, critiqués, l’usure
du reproche.
Il y a aussi la recherche éperdue d’Arthur, une éventuelle
descendance, tournée des maîtresses, des coups d’un soir et sa profonde
tristesse lorsqu’il apprend avoir été le père d’une petite fille, morte
quelques mois après sa naissance. A froid, platement raconté, ça n’a l’air de
rien, tout juste de quoi faire pleurer Margot mais imaginez Guenièvre à ses
côtés, silencieuse et tellement honteuse de ne pas arriver à consoler son
Arthur à qui elle pardonnera jusqu’au secret de son mariage – d’amour – romain.
Les masques tombés, les déguisements retirés, la pantomime terminée, il reste
le désarroi humain, la sortie de scène et le téléspectateur lambda se retrouve
dépositaire d’une tragédie … de LA tragédie alors qu’il avait signé en 2005
pour une pantalonnade plutôt bien tournée.
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