dimanche, avril 23, 2017

Elections au Grand Conseil vaudois 2017




Dernière ligne droite avant les élections, les résultats tomberont dimanche prochain. Deux possibilités se présentent à moi. La première, au hasard, je suis élu ! Je reste conscient, à l’instant où je vous écris, des chances très relatives de mon succès face aux urnes. Donc, je suis élu, je deviens l’un des 150 députés de ce canton. Que vais-je faire dans ce cénacle ? parmi les rangs de « ce parti ! », comme ils disent, ceux qui se donnent le droit de penser, de prendre la parole, de pérorer du haut de leur bien-pensance et de faire la morale à tout un chacun. Certains d’entre eux lancent « tout, sauf l’UDC » sans aller plus loin, restant ouverts à toutes les dérives sectaires qu’imposent leur vision du monde ; une vision généreuse, altruiste, pensent-ils. Mais qu’en savent-ils ? Se sont-ils déjà retrouvés face à un réfrigérateur vide le 15 du mois sans savoir comment le remplir d’ici la prochaine paie … ou les prochaines indemnités chômage, ou l’aide sociale ? Ils se gargarisent de mixité depuis le salon de leur petit pavillon de banlieue à dentistes, antiphonent les louanges de la mobilité douce, des transports publics alors qu’ils se rendent au travail en berline hybride … Et savent-ils ce que c’est d’être gay dans certains milieux ? dans certains quartiers ? Comme disait grand-maman, les chevaux se battent à l’écurie quand il n’y a plus d’avoine.

La maison ne brûle pas, encore. Certains jouent avec des allumettes, parce qu’ils se croient très malins ; d’autres laissent un peu partout des bougies allumées, sans surveillance, ils trouvent que ça fait joli dans la nuit, « c’est plus accueillant pour le visiteur inattendu ». Bref, j’ai choisi le parti qui a décidé d’installer un extincteur à poudre dans l’entrée, des couvertures étouffe-feu dans la cuisine et des détecteurs de fumées dans les chambres, tout en prévenant sur les dangers d’incendie domestique. J’ai choisi un parti qui me laisse m’exprimer, qui, au risque de me répéter, accepte mon orientation sexuelle, ma foi catholique et un esprit parfois piquant. Mon histoire personnelle, mon milieu (modeste), mon parcours m’ont rendu attentif à deux ou trois choses, je crois savoir lire entre les lignes, j’y ai laissé quelques illusions, une certaine innocence mais pas la foi, ni la conviction de pouvoir être utile, savoir prodiguer les soins que l’on m’a parfois sèchement refusé … Pas de pathos. Je ne suis pas un révolutionnaire, je ne suis plus un révolutionnaire, je me suis converti à la realpolitik.


Seconde possibilité, le cas de figure le plus vraisemblable, je ne suis pas élu. Il me faudra, dans un premier temps, supporter les petites phrases amicales du genre « mais tu n’avais aucune chance » ou  « les gens veulent autre chose », sous-entendu « n’importe quoi sauf toi » ou « c’est pas un peu frustrant toute une campagne, autant d’efforts pour rien ? » Mais bien évidemment, je suis la reine des quiches, c’est sûr, j’ai voulu me faire mousser, j’ai vu de la lumière, les petites bougies du précédent paragraphe et j’ai voulu rentrer. Ah ! les amis, les proches, les soutiens de toujours et leurs pensées positives. Du coup, ça donne envie d’aller voir ailleurs. Si je ne suis pas élu, j’ai décidé de prendre des cours de catalan et de flamenco. Dès la fin de mon mandat de conseiller communal, je mettrais volontiers le cap sur la Catalogne. La très catholique Espagne, un climat plus clément, pour peu que je décide Piou-piou à me suivre, Lou’ adorerait courir sur la plage. J’aime Barcelone, j’aime ce peuple, j’aime l’Espagne et j’aimerais susciter un parti royaliste catalan. Je me verrais bien mener les Catalans à un accord avec Madrid du genre Autriche-Hongrie, une unité avec la couronne et tout le reste de séparé … La suite au prochain épisode.

dimanche, avril 16, 2017

"Garten der Sterne", film de Stéphane Riethauser et Pasquale Plastino.

 « Laissez les morts enterrer leurs morts » disait-Il, et à raison. Par contre, il n’est pas interdit de leur rendre visite, de vivre parmi eux, de les accueillir dans le fil de notre vie, notre récit, et s’en retourner honorer leurs tombes au cimetière, un espace social comme un autre.

Il existe à Berlin, dans mon cher Schöneberg, derrière la Hauptstrasse, le fitness, le cinéma Odéon, la librairie d’antiques et d’occasion, il existe ce lieu paisible découvert par le hasard d’une promenade, un cimetière ancien, à la fois perché sur une petite colline et paresseusement adossé à son enceinte. Nous l’avons parcouru avec Christine, admirant les monuments funéraires Bidermeier, les belles essences, les parterres toujours entretenu. Il est vrai que l’on peut « parrainer » une tombe ancienne, on devient son jardinier, on garde la pierre propre, on fait tout comme s’il s’agissait de la tombe d’un proche.

L’Alter Sankt-Matthäus-Kirchhoff offre d’autres originalités. Il y a son carré des enfants morts-nés, son carré gay et un café, le café Finovo, jouxtant un commerce de fleurs. Il s’agit d’un café « funéraire », comme il en existe chez nous, ou presque, de ces tea-rooms accueillants et nostalgiques juste en face du cimetière, où l’on finit toujours par finir d’enterrer nos morts dans le café, le thé, la pâtisserie et, parfois, encore une petite goutte de jaja. A Berlin, on est pragmatique et poète à la fois, le café se trouve donc DANS l’enceinte du cimetière. On pourrait croire qu’il a toujours existé, que nenni, il est l’œuvre de Bernd, grand ordonnateur laïque de rites à inventer et nouveau Charon.

Et c’est ici qu’intervient la magie des réseaux sociaux. J’entretiens une amitié désincarnée avec Stéphane Riethauser, réalisateur genevois d’adoption berlinoise. Il y a quelques semaines de cela, il annonce fièrement la sélection de son film « Garten der Sterne », co-réalisé avec le scénariste Pasquale Plastino,  au Achtung Berlin Festival. Ma curiosité est éveillée, je vais regarder le trailer sur Vimeo et me retrouve dans le fameux cimetière de Schöneberg, où, entre autres, sommeillent les frères Grimm. Ni une, ni deux, je contacte Stéphane en message privé, lui demandant quand sortira le film en Suisse, et où, pour combien de temps, et …, et … , et l’intéressé de me passer un lien magique que je puisse visionner son film en streaming à défaut d’un grand écran.

Le duo Riethauser-Plastino a du talent, incontestablement. Le récit est resserré sur un conte des frères Grimm. Le spectateur est invité à découvrir les lieux, l’histoire de Bernd et de feu son compagnon Ovo, les ravages de la pandémie sida dans les années 80, comment Bernd a eu l’idée d’ouvrir un café dans le cimetière, et le carré des enfants morts-nés, les étoiles de ce jardin, tout un rite à inventer, et le « squat » de tombes historiques par des défunts d’aujourd’hui, et le carré gay où il est permis de trouver des tombes communes indiquant « ci-gisent X, pilote de chasse, et Y, maître coiffeur ».


La maîtrise de la caméra se fait avec ce qu’il faut de lyrisme et de naturel. Le spectateur passe d’une saison à l’autre, de très beaux plans séquences qui chapitrent le conte des frères Grimm, l’histoire de l’homme pauvre qui donne la mort pour parrain à son dernier-né. Parfois une saynète comique ou surprenante, comme un interlude, puis le regard calme et doux de Bernd, les parents près de la tombe de ces enfants partis avant même d’arriver. A Berlin, ceux-là aussi ont une place. L’échos assourdi de la bonne vie wilhelminienne résonne entre les allées, la Berlin au-delà de toutes les catastrophes, celle des bonnes gens, avec ou sans chapeau à plumes.

dimanche, mars 26, 2017

Alors, facho ? Campagne d'élection au Grand Conseil vaudois


La campagne vient de commencer, un premier, un second marché, chez moi, à Morges, une distribution de pommes un lundi matin, tôt, 6h30-7h30 à la gare, avec le candidat Nicolet et un petit flyer glissé sur FB, trois fois riens, mon portrait suivi du logo de … l’UDC-Vaud !

Pour faire simple, je rappelle à la foule en délire que l’UDC est le premier parti de Suisse et que, donc, si je suis facho, je fais partie d’une majorité de fachos. Quel plaisir de faire, pour une fois, partie de la majorité ! Habituellement, je suis un croyant dans un océan d’impiété, un catholique pratiquant au milieu de foules hérétiques, un végétarien sans cesse en bute à la majorité carniste et un gay, assumé, casé, très pépère dans notre mode de vie avec Piou-Piou et le chien, notre Lou’, dans une société hétérocentriste. Laissez-moi juste trente secondes pour jouir du très rare bonheur de faire partie d’une majorité. Rhaaaaaa.

Plus sérieusement, la sus-mentionnée majorité, plus précisément l’extrait que nous représentons sur le district de Morges est composé … de gens, d’individus, ni bas-plafond, ni extrémistes ni, forcément, agriculteurs. Soit, il y en a, il s’agit du corps de métier le mieux représenté dans notre groupe mais notre canton n’est-il pas entré dans l’ère industrielle grâce à son agriculture ? Herr Dr. Nestlé n’a-t-il pas lancé le premier grand programme industriel du canton du fait même de sa production laitière ? Sans vaches, pas de lait condensé. A la section, nous donnons donc dans la viti-, l’agri- et la culture ! et deux ou trois autres bricoles.

Un quart d’agriculteurs, deux œnologues, un caviste, un entrepreneur indépendant, un chef d’entreprise, un représentant en produits phytosanitaires, un paysagiste, un retraité, un mécanicien sur machines agricoles, un enseignant spécialisé, un enseignant du post-obligatoire, une libraire et un auteur : ce qui nous fait un total de 17 ! Avec la liste n°2 UDC-district de Morges, on vous propose 17 casquettes pour 16 candidats. Qui dit mieux ? Et encore, je n’ai pas fait la liste des attributions politiques, on va du conseiller communal au député en passant par la syndicature. On manque peut-être de dames mais nous ne sommes pas du genre à remplir artificiellement une liste d’une moitié de candidates prétextes. Question diversité, on est pas mal, on compte tout de même un Hongrois. Vous me direz qu’il y en a qui se targuent de présenter une Uruguayenne à l’exécutif. Pas mal, mais attendez que je sois candidat au National, l’UDC-PAI Vaud pourra se vanter de présenter un péquin qui a lu les 2000 pages de « L’Homme sans qualité » de Robert Musil. Combien de partis sont aussi lettrés ?

Je tiens à relever que je n’ai aucune ambition politique, je m’arrêterai au Conseil Fédéral où j’irai faire avec Piou-Piou la tournée des pays homophobes, présentant à des rangées de dignitaires apoplectiques mon homme, le chien sous le bras. Ça fera jazzer mais c’est le but, et je leur ferai la morale, sur deux ou trois autres points encore : antisémitisme, misogynie, violence contre les populations autochtones. J’aurai le droit, je m’en fous de ma cotte de popularité ; quand on ferraille en politique sous les couleurs de l’UDC, la susmentionnée cotte ne dépasse en général pas le deuxième sous-sol. D’ici là, si je suis recalé au scrutin du 30 avril, je n’en ferai pas une maladie. Sur la base de certaines données, j’ai calculé que j’avais à peu près 7,2% de chance d’être élu. Deux sortants sur trois se représentent, le climat est propice à l’obtention d’un quatrième siège, donc deux sièges hypothétiques pour 14 candidats, une chance sur 7 qu’il faut encore modaliser rapport à certains candidats nettement plus en vue que moi. La dame de la liste par exemple, l’exécutif vaudois enrôlerait là une excellente recrue. Avec moi, il ne gagnerait que des surnoms piquants pour une grande partie de ses 150 députés.

Comme me le disait l’une des élues morgiennes du parti typiquement morgien que j’ai quitté : « Tu n’as aucune chance ! ». Merci. Je le sais déjà. On ne se lance pas dans une campagne au législatif pour sa propre pomme. On le fait pour le groupe, je le fais pour ce groupe qui, n’en déplaise aux détracteurs de l’UDC, ne trouve strictement rien à redire à mon mode de vie, ni à la couleur de mes chaussettes, ni au fait que je suis sans cesse obligé de leur quémander le transport (n’ayant pas de voiture et il faut toujours qu’on se réunisse au diable-vaux-vert, ce qui n’est pas pour me déplaire, la campagne vaudoise, le pied du Jura sont si beaux). Bref, ce sont de bonnes gens, sincèrement, et j’espère en faire entrer un maximum dans notre parlement cantonal. Accessoirement, je ne suis pas contre le fait d’y entrer moi-même.



dimanche, mars 12, 2017

La Lumière des Césars - extrait

Le type gazeux rentre faire des bulles à la maison, suivi de son petit chien trottinant, le pas encore plus alerte qu’à l’aller, le contact a été pris, on ne risque plus l’implosion. Le type se fait une tasse de thé et interpelle sa moitié à propos du voisin, rencontré derrière une plate-bande de « Weisse Berliner ». La moitié s’en fout, prend toutefois la peine d’émettre un « mmmh », genre « oui-oui » ou « ah, tiens ». Le type gazeux l’a dit pour le dire, comme s’il s’agissait d’une révélation miraculeuse, en prendre conscience par le simple effet d’une verbalisation. En Oméga, une pièce claire, une maison blanche en retrait de la plage, « Poble sec », Barcelone, l’immédiateté impériale de la Catalogne, un homme est penché sur son journal. Il écrit : Nous mesurons le monde qui nous entoure à l’aune de nos perceptions, et ce monde n’est jamais plus vaste que lorsque nous interrogeons notre cœur.  A côté de lui refroidit une autre tasse de thé, il lève la tête, fixe l’horizon, voir au-delà, au-delà des formes, du règne, des malheur du règne. Il n’est pas doué, tant mieux, il n’aurait pas pu tenir sa place avec le don, le talent d’un Steeve. Il sait toutefois, il ressent cet autre, à l’autre bout, cet apaisement et l’appel incoercible de l’unité, celle qui sera un jour, car « je suis l’Alpha et l’Oméga » a dit le Très Haut, d’où la mission « AEIOU » des Habsbourgs, et des deux côtés afin d’être assuré que survive la double dynastie pour mener à bien le projet. Il ne sait pas quand … lui peut-être ? ou son neveu ? son petit-neveu ? Franz Ferdinand der Zweite pense à son double, le type gazeux, son innocence et l’immense privilège  qu’il lui a obtenu, mieux qu’un royaume, la jeunesse éternelle ou le courage du lion, un petit chien en apparence. Il reprend son récit. La figure de Juda n’est pas celle du traitre mais celle de l’infini sacrifice ; comment le miracle de la Résurrection et le don gratuit de la Rémission eussent pu illuminer la Création sans l’intervention de Juda, le réprouvé. J’ai rencontré mon « assassin ». Les circonstances de son forfait lui sont encore troubles. Il fallait cet acte – fondateur – pour que suive sa venue en Oméga et toutes les péripéties dont il a été témoin et/ou l’acteur. Les signes sont clairs … « Nous sommes tous des étoiles, nous sommes tous des empereurs. »

Le bruit du ressac emplit la pièce, Franzi pose ses lunettes, se lève, respirer l’air du large, se sentir vivre, sans uniforme, sans protocole. L’Espagne (et accessoirement la Catalogne) est une terre éminemment habsbourgeoise. Franzi, comme son double, aime marcher dans le sable, voir s’allonger les ombres au sol. Barcelone le lui rend bien, peut-être un effet de l’immédiateté impériale mais plus certainement un effet de la bonne vie espagnole, un cœur chaud et la tête froide, du sens pratique avec le sens de l’honneur et la commisération propre aux petits peuples catholiques, c’est encore plus vrai en Alpha. L’empereur n’a pas le droit de transiter, c’est constitutionnel, même le slide est proscrit, le souverain garantie suprême de l’unité et de la permanence de l’empire car la fin contient le début mais le début ne peut présumer de la fin. « Je suis l’Alpha et l’Oméga » proclamait le Très Haut, via l’Apocalypse, prémisse de la Grande Conjonction mais Franzi laisse la mystique aux professionnels de la chose, il se contente d’envier Steeve, en pleine « illumination », selon le vocabulaire consacré, fixant une plate-bande de « Weisse Berliner », et les vastes prairies de l’histoire s’étendant à l’Ouest, vers l’avenir, la course du soleil. Franzi se raconte une histoire, s’invente une petite, toute petite vie, de celle qui tienne debout, sur deux jambes, tout enroulées autour du corps d’un garçon, avec du poil brun, un peu de barbe, des yeux intelligents et une lueur mélancolique, un garçon avec des goûts de garçon, un peu moins de trente ans, le prototype de l’ « honnête homme », selon l’archétype moliérien. En Oméga, Molière est un philosophe du Grand Règne, l’un des premiers auteurs français à avoir compris l’intérêt, la nécessité de la domination impériale. Trêve d’histoire … Franzi retourne à sa songerie, une bonne gueule, un corps sain, un peu de culot mais, surtout, sa vie en Alpha parce que la jeunesse est du côté d’Alpha, même quand on est vieux.

dimanche, février 26, 2017

Retour de Paris, février 2017

Rien à déclarer, ou si peu … La fête parisienne est belle et bien finie, depuis longtemps déjà mais la nouvelle donne sécuritaire a fini de plomber l’ambiance. Arrivée gare de Lyon, des policiers, quatre réservistes en treillis pas très réglementaire, chaussures sales et pantalons trop longs, quelques doutes quant à leur efficacité si l’arme est aussi en ordre que la tenue ! L’exposition Frédéric Bazille au Musée d’Orsay m’a attiré dans la ville ex-Lumière. Un peu plus de trois heures en TGV, un trajet agréable, collation, service impeccable, en première, soit, mais je n’ai jamais eu le souvenir d’avoir été tant considéré sur le chemin de Paris. L’impression va perdurer dans le métro, à la réception de l’hôtel, place de la Bastille, dans les grands magasins, au restaurant.

Les rues sont plutôt propres, pas une poubelle ne déborde, rien ne traîne, la voirie semble efficace et très discrète mais persiste une impression de crasse. Je n’ai jamais vu les rames de métro aussi bien  tenues et, pourtant, cela me dégoûtait de tenir les barres de sécurité. La foule n’existe plus à Paris, même aux heures de pointe, un peu de presse mais rien à voir avec la cohue du M2 lausannois ou des grandes gares romandes. La baisse du tourisme est visible, on soigne le client du reste, j’ai eu droit à une suite junior en lieu et place de mon placard à balai standard. L’agence franco-suisse auprès de laquelle j’avais réservé m’a un peu « baladé », j’ai fait montre d’un certain mécontentement, concluant que, la prochaine fois, je ferais comme d’habitude, je réserverais via Booking. Résultat : un généreux surclassement.

Partout, de manière compassée, lassée : serviabilité et amabilité ; parfois de la bonne humeur, de l’enthousiasme de la part d’une surveillante du musée ou d’un garçon de buffet à l’hôtel. Les parigots ont les pattes cassées, il n’y a que les touristes asiatiques qui vous marchent dessus et se montre sans égard comme la foule d’antan. Et au musée, inutile d’acheter des tickets coupe-file, il n’y a plus de file, vous n’en avez pas pour plus de trois minutes d’attente. Un tout prochain billet suivra à propos de la rétrospective Bazille. Au retour du musée, beaucoup de sirènes, lointaines, tournoyantes, comme une vieille urgence. J’ai appris le soir, en regardant les nouvelles, qu’il y avait eu « une manifestation monstre et des violences du côté de la place de la Nation », quasi hors les murs, rien qui ne semblait frapper les passants lors de ma promenade. Du reste, je trouve le commentaire alarmiste totalement décalé face à la réalité que j’ai perçue. Et il y a aussi Bobigny, au bout de la ligne 5, mais les automobiles incendiées sont déjà froides.

Deux jours, deux nuits, quelques courses, une belle exposition, un déjeuner, deux dîners, pas l’énergie d’aller au cinéma, le confort de ma suite m’a retenu derrière un téléviseur HD, Canal Cinéma en clair et « Le Professionnel » avec Belmondo au programme. Une promenade, tout de même, du côté du boulevard Saint-Antoine, une matinée ensoleillée, attraper encore quelques conversations par-ci, par-là, banalisation des rapports conflictuels. Par exemple, un type dans un café raconte à deux amis son arrestation par une dizaine de policiers, plaqué au sol, menotté, alors qu’il sonnait à la porte de celui qu’il croyait encore son petit ami, étrange façon de signifier sa rupture ?! Deux adolescents, sur un banc, place des Vosges, derrière moi, sans complexe, l’un parle de son cousin, de ses trafics, de sa fiancée que le cousin a mis sur le trottoir, et l’autre ado’ de demander si le cousin a déjà été en « garde-à ». Quant à monsieur et madame Tout-le-Monde, ils échangent beaucoup sur les moyens de frauder le fisc, d’économiser, d’acheter à bon prix, de vivre mieux pour pas cher …


Etrange vertige dans le train du retour, impression d’avoir erré dans le scénario d’un film catastrophe, l’introduction, on pose le décor, l’action ne va pas tarder, comme l’incendie qui roule discrètement sous la cendre.

jeudi, février 09, 2017

"Rebecca" de Daphné du Maurier

Ce récit m’avait frappé, très vivement frappé, je devais avoir … douze ans, peut-être treize, nous étions à la fin de l’été, début de l’automne, le dernier épisode coïncidait avec l’ouverture du comptoir. C’était une production de la BBC, les couleurs passées, poudrées de l’image, une atmosphère très particulière, très prégnante, on reconnaît ce genre de série au premier coup d’œil. J’avais été totalement subjugué par l’intrigue, le poids du non-dit et cet impératif de dignité imposé à chaque personnage. J’aurais aimé, aussi, être attaché à une tradition, une grande maison, Manderlay …

Plus de trente ans plus tard, une nouvelle traduction du chef-d’œuvre de Daphné du Maurier m’a décidé d’entreprendre cette lecture : Rebecca ! Quel choc, quelle expérience, quel suspens ! et pourtant, je connaissais l’intrigue, je vous vends la mèche, cela se termine par l’incendie du château après mille et uns rebondissements à fleuret moucheté entre la narratrice et cette garce de Mme Danvers, la camériste, la confidente, la nounou de l’absente à tout ce texte puisqu’elle est déjà morte lorsque débute le roman, à savoir Rebecca. Quel tour de force pour l’autrice, quelle habileté dans la construction. Figurez-vous que la narratrice – nous avons à faire à un roman en « je » - nous reste anonyme de la première phrase au point final. Elle devient assez rapidement Mme de Winter, seconde épouse de Maxim de Winter, veuf apparemment inconsolable de sa belle et brillante épouse (grande, brune, athlétique, charmeuse, excellente cavalière, marin aguerri, hôtesse remarquable, éduquée, cultivée, drôle, etc. et parfaitement insupportable au final et grosse p… à ses heures). Rebecca est de quasi toutes les pages, elle a tout fait à Manderlay, la grande demeure enchanteresse que toute la Grande-Bretagne admire. Elle a fait aménager les jardins, elle a redécoré l’ensemble du château, le meublant de pièces remarquables, fauteuils aux tapisseries anciennes, buffets sculptés, vases d’albâtres, bibelots de porcelaine précieux, tapis, tableaux, tentures etc. Et parmi tout ça, débarque une godiche à cheveux mous !

Et la godiche, récit en « je » oblige, c’est vous, c’est moi ! Je conçois que le roman plaise et frappe avant tout un public féminin ; les hommes ont beaucoup de peine à se glisser dans la place d’un autre, ils se croient … uniques ?! Il était quasi impossible à l’époque de Daphné  qu’un homme jeune épouse une femme bien plus âgée que lui, une maîtresse-femme, et enfile les pantoufles de son mari défunt. Aujourd’hui encore, il y aurait une sorte de « renouveau » du récit, même si cela se déroulait dans une noble demeure pétrie de traditions. Par contre, les femmes sont socialement coutumières de ce genre de situation (phallocratie et blablabla, on aura compris le laïus féministe). Toutefois, il existe une catégorie d’hommes capables de se retrouver dans une telle situation, de s’ébaubir sur de la brocante, des chevaux et des parterres d’hortensias, une catégorie à laquelle j’appartiens : les gays ! J’ai commencé ma vie amoureuse avec des hommes plus âgés que moi (recherche du père ? merci, Dr. Freud, vous pouvez disposer), je venais forcément à la suite de … , devant subir la comparaison avec mon prédécesseur, devant supporter sous un cheveu flagada et sapé comme une godiche (et une pauvresse) les soirées organisées par ma moitié du moment ; et les autres qui, en dépit de votre air emprunté, vous en veulent de votre jeunesse.  Pas une page, pas une phrase, pas un mot de ce roman que je ne porte et dans ma chair et dans mon histoire !

Rebecca paraît pour la première fois en 1938. Je ne connais pas les détails de sa réception par  le public mais je ne peux qu’imaginer l’engouement des lectrices d’alors. Ce titre figure dans le palmarès des romans … policiers ? Décidemment, je suis brouillé avec les étiquettes de genres. Il est vrai que le suspens n’est toujours pas éventé, que vous avez de la peine à lâcher le livre, que vous êtes sur les rotules après les mille et un rebondissements de l’intrigue (un chouïa trop alambiquée mais qu’importe). Oui, qu’importe au regard de la psychologie ciselée des personnages, les femmes surtout, les hommes ont tendance à être monolithiques et inexpressifs. Vous avez la puissance tutélaire et maléfique de Rebecca, son suppôt, l’irascible Mme Danvers et la narratrice, un hybride de Jeanne la pucelle et de David, armé de sa seule fronde. D’autres personnages féminins valent le détour : la grosse van Hopper (la narratrice était sa dame de compagnie au début du texte), la sœur et la grand-mère de Maxim et Clarice, la petite bonne. Maxim semble bien gentil  mais si inexpressif, comme pétrifié. Franck Crawley, le régisseur, a la souplesse d’un bout de bois, il y a tout de même du progrès par rapport à son patron. J’oubliais le beau-frère, un rondouillard jovial à qui Rebecca, alias super-salope, avait fait une gâterie alors qu’ils faisaient seuls un peu de voile sur le bateau de celle-ci. Le seul individu de sexe masculin qui ne semble pas avoir abdiqués de ses attributs, c’est le salaud de service, un butor nommé Favell, cousin et amant de super-salope, maître chanteur accessoirement, porté sur la bouteille et incendiaire présumé.

Je terminerai avec un mot sur Manderley, personnage non-humain, entité indépendante sur laquelle va se greffer l’expression de la volonté de Rebecca. Pour Maxim, il devient une prothèse à son orgueil défaillant. Il s’agit quasi d’une métaphore des mœurs bourgeoises britanniques. Maxim savait qu’il avait épousé une nymphomane ; en échange de ses incartades et autres parties de jambes en l’air, elle lui avait promis de faire de sa maison un lieu très en vue, le joyau du West Country. Pari tenu. Et une jeune femme amoureuse, sincère finira par crever tous ces faux-semblants.
                                                                                                                  


samedi, janvier 21, 2017

"L'homme sans qualité", de Robert Musil, suite et fin.

Il faut savoir poser le point final, il faut savoir mettre un terme à sa lecture. 2000 pages, deux volumes, mal pratiques, un roman fleuve quoiqu’inachevé, « L’homme sans qualité » est une expérience, une expérimentation, une façon d’être lecteur. J’ai passé plus d’une année avec Ulrich, l’anti-héros de Musil, et sa sœur Agathe, la cousine Diotime, le vieux camarade et général Stumm von Bordwehr, le directeur de banque Léon Fischel, le comte Leinsdorf, le sous-secrétaire Tuzzi, etc. Un texte long offre quelques belles possibilités d’intimité avec les personnages, ils deviennent des familiers. Si vous rajoutez encore l’usure d’une action qui piétine, comme un jour après l’autre, ils vous énervent comme des familiers. L’immersion est à ce prix.

Je n’ai pas le culot de vous jeter un lapidaire « c’était bien » ou, pire, « chouette roman ». Cette désinvolture s’accorderait si bien au but recherché par l’auteur, une sorte de prise de conscience en creux où la subtilité de l’analyse se le dispute à la passivité. Quel est, aujourd’hui, l’intérêt de lire 2000 pages à propos d’un empire disparu ? L’Autriche-Hongrie n’est pas une nation dissoute suite au diktat de Versailles, c’est une métaphore des sociétés libérales parlementaires, des Etats trop nourris et trop ennuyés qui finissent par perdre le sens même de leur survie. Dans ce pays – la Cacanie, dans le texte – il est impossible d’appliquer tous les règlements et leurs directives sans que cela ne bloque le système. Du coup, chacun s’arrange pour que ça marche, et ça fonctionne !

Les exégètes, surtout français, ont voulu lire une critique, la mise à plat de l’absurde de la gloriole impériale et obsolète, sous-entendu « ces gens-là sont à l’Ouest », « hu, hu, cher ami, cher ami … ». Le principal traducteur de « L’homme sans qualité », Philippe Jaccottet, n’est du reste pas français, même s’il vit à Paris. Il est vaudois, de Moudon, au Nord du canton, dans la Broye, là où l’influence germanique affleure sous l’identité latine (l’histoire du canton est un mille-feuilles latin-germain). Jaccottet comprend de l’intérieur la multi-culturalité de l’Etat K und K, impérial et royal, de sa pieuse unité en dépit d’oppositions irréductibles entre ses peuples. Il a su rester fidèle à la légèreté ironique musilienne. Le texte n’est pas un réquisitoire philosophico-moralisateur mais un constat, amusé, tendre souvent, un témoignage rédigé à postériori sans nostalgie notable. La catastrophe est une épreuve inéluctable, qu’importe son origine. La question : comment conserver son indépendance au cours des épreuves. Comment garder un regard émerveillé et l’appétit d’un enfant face à la vie. Ulrich et Agathe sont deux grands orphelins qui tentent de trouver la recette miracle.

Il y a une mystique musilienne, le parcours de l’auteur, son irrésolution ou, plutôt, sa volonté funambulesque à être, sans étiquette, sans rien déranger, observer et se réjouir, avec l’autre. Ne surtout pas condamner. Comprendre. Comprendre pour aimer … cette vie, l’autre, la source de tout ennui. Il y a de grands instants, le lyrisme d’un épisode, le vent novateur de la Sécession Viennoise. Si je me réfère à mes notes de lectures, p. 689, ch. 52 (tome 2, éditions Points), « Souffle d’un jour d’été » : symbolisme, quintessence du roman. Il s’agit des variantes et ébauches des années 1938-1942 destinées à compléter la troisième partie du roman. Savoir donner, ne rien faire qu’apprendre, apprendre à sourire rien que pour le geste sans vouloir le reste … Là où le hasard de la programmation d’un canal télévisé populaire (dans le mauvais sens du terme) vous glisse les paroles d’un tube de Florent Pagny et résume les intentions d’un homme sans qualité. Je n’ai pas achevé exactement ma lecture, au diapason de l’inachèvement du texte. Ne pas rentrer dans les arguties académiques. J’ai posé un point final. Je reviendrai, certainement, sur les notes et variantes qui restent encore … le temps que revienne l’Empire, quel que soit le nom qui lui sera donné, retour à cette cordiale et joyeuse mésentente brouillonne, le ciment européen et le charme discret de la bourgeoisie pour tous, quand l’histoire viendra parachever le grand roman de Musil.



lundi, janvier 02, 2017

« Nourrir le rein », épilogue rédigé en fin d’après-midi du 30 décembre au Cercle



Dans les représentations de la médecine chinoise, le rein est le siège de la force vitale et de l’équilibre physique. Arrivé dans son milieu de vie ( entre 40 et 50 ans), le patient – particulièrement celui qui travaille du chapeau – se trouve pris d’une faiblesse du rein qui « produit la moelle et remplit le cerveau » (selon le commentaire d’une encyclopédie de médecine orientale en ligne). Une sexualité effrénée (et compensatoire) durant les décennies précédentes, le poids du monde, l’inquiétude, le dépit vous vide le rein de son yin aussi sûrement que les impôts vous gobent votre treizième salaire et vous vous retrouvez sur les plots ! L’un de mes éditeurs, le plus bouillant, le plus enthousiaste, le plus délicat a décidé, du reste, de poser les plaques … pour un temps, et se refaire. Je rêve de suspendre mon sacerdoce d’auteur de la même façon. J’ai bataillé pour un petit tas de convictions, une certaine vision des choses, durant plus de vingt ans d’autofictions et d’essai ; je confesse une fatigue certaine. J’ai revisité quasi toutes les versions officielles de l’univers socioculturel dans lequel je baigne. Je les ai toutes méticuleusement retournées au pire, recalibrées au mieux. Cela ne m’a apporté ni la fortune, la célébrité, la paix de l’esprit ou du cœur. Rien. Sauf le respect de mes pairs, c'est-à-dire tout. Mes « boucles », mes récits, mes textes, l’œuvre serviront peut-être à nourrir le rein de quelque lecteur fourbu, tant mieux. Si ce n’est pas encore le cas, cela viendra, bien après moi. Ce « Credo » vient conclure et compléter un cycle débuté par « Appel d’air » (titre  qui tient du yang), en passant par « La Dignité », « Tous les Etats de la mélancolie bourgeoise », « Journal de la haine et autres douleurs » et « Escales ». Quasi une marche à suivre.


Je suis pile dans mon « milieu de vie », selon les critères médicaux chinois et je me sens la tuyauterie se débiner, comme un nœud endolori par en bas et la furieuse envie de ne pas bouger de ma couche, couette et couverture en fourrure polyester, le chien posé dessus ou dessous, son ronflement léger et la rediffusion de la saga « Angélique » à la télévision. L’oubli si ce n’est le bonheur. Est-il raisonnable d’avoir voulu réécrire le monde sans les outils de la philosophie ou de la sociologie officielles ?! Objectivement non, je m’y suis vidé le rein mais j’aurais eu des regrets à ne pas l’avoir fait. Sans Juda, pas de trahison, pas de crucifixion, pas de résurrection pascale, pas d’accomplissement des prophéties. Ma foi, il fallait bien que quelqu’un prenne le rôle de l’énervé de service.


vendredi, décembre 23, 2016

The Young Pope


Série choc, véritable événement télévisuel, « The Young Pope » est une merveille de dix épisodes, casting de grande classe, photographie impeccable, dialogues ciselés, bande originale subtile et éclectique, le tout au service d’un message coup de point. Du grand art produit par Canal+ et réalisé par Paolo Sorrentino.

Un léger coup de mou, comme une impression d’être crucifié de l’intérieur, et c’était avant Berlin, ciel bas, la saison m’a fait refluer dans la paix de mes petits appartements, au lit, sous une sainte famille par Pierre et Gilles, avec le chien sur ou sous la couette et les dix épisodes de « The young Pope », coffret DVD disponible à la vente dès le 10 décembre, pile le jour quand j’ai reçu la commande passée en ligne quelques jours plus tôt.

Sorrentino, évidemment, « La grande Bellezza », le goût d’une mise-en-scène sophistiquée, onirique et touchante … prophétique. En tête de gondole, on trouve Jude Law en jeune pape sexy-pétasse réactionnaire, grand amateur de la pompe à la Pie XII, rite tridentin, éventails, baldaquin, trône porté à épaules d’homme et tout le tralala de brocart de la garde-robe pontificale. Il est secondé par la religieuse qui l’a élevé, Sœur Mary interprétée par Diane Keaton. Gravitent autour de Sa Sainteté une responsable de la communication (Cécile de France), l’épouse d’un garde suisse (Ludivine Sagnier). On peut encore citer une tripotée de cardinaux, entre l’ex-mentor amer car coiffé au poteau dans sa course à la tiare papale (James Cromwell), un cardinal secrétaire d’Etat, Voiello (Silvio Orlando), le véritable maître du Vatican, et comme un petit air de Joseph Bergoglio le goût du faste en plus. Il y a aussi le doux cardinal Gutierrez (Javier Cámara), effrayé face au monde, légèrement porté sur la bouteille et gay.

Et que fait tout ce petit monde ? Il cherche Dieu, il l’invoque, le convie, interprète ses silences et s’enivre de ses miracles. Le Saint Père est peut-être le plus incrédule de tous. Il déambule dans les jardins, les couloirs, clope au bec, et foudroie qui un cardinal, un proche, une religieuse dévouée à son service avec la même violence que le Yahvé du deutéronome, privilège de la jeunesse aimante et jalouse. Il se cache quelques mini-intrigues entre deux déclarations lapidaires de Sa Sainteté. Lorsqu’il ne fait pas la chasse aux gays, il excommunie les femmes qui ont avorté. Il prend le peuple des fidèles de haut, se moque de tout plan marketing et reste obnubilé par la recherche de ses parents, qui l’ont abandonné à l’âge de huit ans. C’est un homme tour à tour malheureux, saint thaumaturge, philosophe de l’amour ou cynique comme deux Dr. House.

Où se posent les après-midis de mai ? Ici, répond la Vierge désignant une chapelle vaticane. Et, entre deux démonstrations d’intolérance, sectarisme, la grâce d’une révélation, quelques paroles, simples, une image, délicate, douce, évidente et belle comme une promesse réalisée, la grâce que, nous, le peuple des croyants, les baptisés au sein de Notre Sainte Mère l’Eglise, recevons, parfois, lors de la messe, les petits riens de notre relation au Christ. « The young Pope » nous les offre avec quasi la même charge mystique. Et quel décor ! quelle composition, l’œil et le goût infaillible de Sorrentino.


L’Eglise a pour devoir d’aller vers l’autre, le tout autre, y compris le pécheur, surtout le pécheur, et le sourire de Dieu pour seule réponse, entre ironie et amusement face aux interdits de la morale catholique. On ne ressort pas indemne de « The young pope », à la fois blessé et guéri, touché et interrogé. Je ne sais pas ce qu’en dit l’Eglise, le Saint Siège, une fiction de plus, une sorte de conte émerveillé et peut-être la meilleure préparation à la venue de Notre Sauveur … Un conte pour l’Avent.

lundi, décembre 12, 2016

Westworld, saison 1


Il fallait forcément s’attendre à quelque chose de spectaculaire et de … mystique avec la société de production « Bad Robot » qui comptait déjà le coup d’essai d’Alias, les coups de maître de Lost, Fringe et Person of interest. Avec Westworld, on monte en puissance. Les amateurs de fantastique … les vieux amateurs de fantastique qui ont un minimum de mémoire se rappelleront le film « Mondwest » de Michael Crichton avec Yul Brynner dans un rôle principal d’androïde de divertissement assassin.  La signature de Bad Robot, son fonds de commerce : nous suggérer que quelque chose se cache de l’autre côté, là, juste derrière et le papier peint se met à décoller. Il ne s’agit pas d’un simple effet de scénario mais d’une réflexion nourrie dans laquelle résonne la question fondamentale : où se situe la réalité de l’essence humaine ? Avec Lost, entre les tours et détours du scénario, le téléspectateur était invité à visiter la réalité fantasmatique d’une troupe de défunts, de leur accident d’avion jusqu’à leur glorieuse prise de conscience et leur départ pour une vie d’éternité. Fringe explorait la théorie des cordes, des mondes parallèles et quasi simultanés, la possibilité de soumettre le passé, de le piller comme une lointaine colonie. Person of interest, avec sa première saison poussive, a rapidement pris de la vitesse et nous interrogeait sur la réalité de la conscience artificielle, « big brother is watching you » en petite musique de fond et le machiavélisme de la fin justifiant les moyens en garniture.

Westworld, donc, un parc d’attraction version western où vous pouvez vous taper tous les androïdes que vous voulez ou les buter un peu, comme ça, par jeu, on s’en fout, on a payé pour. La vraie vie comme aux temps bénis et obscurs des pionniers, l’idéal pour une société trop policée, trop cadrée. Dommage, je n’aime pas les westerns mais le « Mondwest » de 1973, avec  Yul, m’avait tout de même plu. On ne jouait que sur les aspects flippants de robots humanoïdes avec des guns à la main, genre « qui a peur de l’homme noir », et ça courait de-ci, de-là en gueulant avec quelques scènes de flingage en gros. Mouais. Mais, avec Westworld, on passe un cran au-dessus. Une distribution haut de gamme, une réalisation de Jonhatan Nolan, LE Jonhatan Nolan d’Interstellar, ça vous pose de suite les bases d’une série haut-de-gamme.

Au cours de cette première saison, nous suivons William (Jimmi Simpson) faisant ses premiers pas dans ce disneyland avec sexe, sang et alcool. William n’est pas seul, il est accompagné de son très riche beau-frère Logan (Ben Barnes), un sale gamin gâté qui saute sur tout ce qui bouge, une bouteille de whisky à la main. Les deux jouvenceaux ne sont pas là pour la gaudriole mais pour affaire ; la compagnie de papa, beau-papa compte acheter des parts du parc. William est un jeune homme réservé, doux, fragile, attachant et paumé, rôle que son physique sert admirablement bien. Il va rencontrer et tomber amoureux de Dolores Abernathy (Evan Rachel Wood), une hôtesse (ainsi que sont nommés les androïdes). En parallèle, on suit les aventures de Maeve Millay (Thandie Newton), une mère maquerelle au port de reine, une hôtesse aussi, dotée de certaines facultés supplémentaires à celles accordées à la majorité des androïdes. Son personnage est certainement le plus attachant et le plus complexe. Chez les dirigeants du parc, on trouve Anthony Hopkins alias Dr. Robert Ford, l’un des deux fondateurs, le second s’est suicidé avant l’ouverture du parc. Dans la coulisse s’activent, entre autres, Therea Cullen (Sidse Babett Knudsen) et Bernard Lowe (Jeffrey Right). Ce monde de l’ombre est traversé de luttes de pouvoir, est régulièrement bouleversé par les lubies du grand maître. Rien de glorieux dans les ateliers où l’on rafistolent les hôtes butés par jeu par les clients ; on se les tape en passant, comme un petit air de nécrophilie. Miam-miam.

" Nous sommes notre propre piège ", sur ces mots se termine la saison une et, accessoirement sur un retournement de situation spectaculaire, typique de la marque « Bad Robot », un indice tout de même : réfléchissez au temps de la narration. Tout, du reste, est affaire de narration. Les hôtes développent leur conscience sur la base d’une petite histoire se rapportant à leur première implication dans une mise-en-scène. Effacez leur mémoire à chaque réaffectation mais donnez-leur la faculté de rêver et ils se mettront à être hantés par leurs vieux démons, leur prime personnalité. Et si nous n’étions que des machines, les jouets d’un petit récit formateur inculqué par …les parents, l’école, la société, les mythes, la télévision, les groupe djihadistes, les luttes politiques ?! A suivre. Voir la prophétie de la saison 2.

mercredi, novembre 16, 2016

Motif - évocation en filigrane du 13 novembre

L’autre soir, la lumière orangée d’un haut réverbère, le froid léger et pénétrant, la triste guérite d’un arrêt de bus, le temple de Morges, un croisement. Je porte Lou’ dans son sac, je suis en retard, préparation du Conseil Communal au bar de l’Hôtel de la Fleur du Lac. Je tiens là un « motif », moins qu’un instant, au-delà de la banalité. Pourquoi en dire plus ? Il suffirait d’allumer une clope mais j’ai arrêté de fumer, c’est con. Même si j’en rallumais une, cela n’empêcherait pas que j’ai arrêté, j’ai rompu avec une certaine qualité de désespoir. Le crépitement du tabac, la moiteur d’une salle bondée, un sous-sol quelconque, une boîte, et la musique qui noie et agglomère tout : l’envers du susmentionné motif. Eviter le pire, car il y a pire, le désespoir d’un boulanger d’origine maghrébine, sa boutique dans le quartier du Bataclan, son incrédulité, sa foi douloureuse, la posture sordide de la double … de la triple victime innocente ! Violence aveugle, honte des siens, honte de ses propres limites à comprendre le monde. Quoiqu’il arrive, je sais qu’il y aura dans l’air nocturne piquant de l’hiver, la lumière orangeasse écrasante d’un réverbère au-dessus de l’affreuse guérite d’un arrêt de bus, l’arrêt « Temple », desservi par le 701 et le 702. A quoi bon comprendre monde, dans la fatigue de la fin du jour, le début de la nuit, lorsque les rues se sont vidées. L’heure de la prière pour le boulanger maghrébin ? Trop tard ? je n’en sais rien, ça change tous les mois, la sixième prière doit avoir lieu peu avant la fermeture des commerces quoiqu’à Morges les magasins ferment à l’ancienne, à 18h30, 20h le vendredi. Puis la solitude de la guérite, le temple en arrière plan, sa silhouette élégante, clocher à bulbe, façades néo-classiques, de belles proportions, un  édifice protestant authentique et pas l’une des églises catholiques captées et détournées par l’occupant bernois, les pasteurs à sa botte. J’y venais enfant, quand on me comptait encore parmi les fidèles à temps très partiel de la foi réformiste. Je n’étais pourtant pas baptisé.

            A l’heure de mon « motif », le boulanger maghrébin doit se morfondre chez lui,  derrière le téléjournal, goûtant au réconfort d’une cigarette, un café ou un thé trop sucré, un cachet et hop au lit. J’ai aussi été désespéré étant jeune, quand je fumais encore, et parfois l’angoisse cédait parmi l’oubli de la musique, les corps qui se frôlent et vibrent, à moins que ce ne fussent les cachets qui faisaient effet. Séduire, danser, se faire aimer, sur place ou chez lui, celui qui … mieux que moi et à ma place, et peut-être ne plus avoir peur. Mon « motif » ne me fait pas peur. Je goûte de manière perverse à sa banalité, sa solitude, je partage ce « non-instant » qui ne connaîtra jamais de suite de soirée en boîte, les corps, l’oubli. Je peux faire une place dans ma vie à de tels motifs, je peux les accueillir, j’arrive même à faire redémarrer mon récit intime à partir de ce léger sordide. J’ai de la religion, comme le boulanger maghrébin, je n’ai pas besoin d’un almanach pour connaître les horaires de ma pratique religieuse, je sais que Saint-François de Sales est ouvert, et bien jusqu’à 19 heures le vendredi, il y a vêpres comme je l’ai appris. Par le même hasard qui m’a fait rencontrer mon « motif », j’ai voulu m’asseoir dans la pénombre enveloppante de la nef. J’ai hésité dans le vestibule, la procession des offrandes venait juste de se terminer. Je suis tout de même entré, me suis assis parmi l’assistance, suivre la fin de la célébration. C’était la chose la plus naturelle à faire, la plus évidente : vivre la gratuité de la foi, son évidence. N’importe où, dans n’importe quelle ville, quel pays, je me serais assis de la même manière, avec le même naturel et j’aurais suivi la fin de la messe quelle que fût la langue du prêtre. Quoiqu’il arrive, même si des attentats venaient à me réduire au désespoir du boulanger artisanal des alentours du Bataclan, je saurais trouver le banc d’une église, le miracle de la Communion.

lundi, octobre 24, 2016

La conversion de saint Louis, récit d'une conversion anti-carniste


 
Mais qui, par pitié, fera fermer et interdire les abattoirs ?! Quel gouvernement et/ou instances morales, religieuses fera interdire le génocide de milliers d’êtres sensibles dans des conditions de violence et d’inhumanité que nous croyions disparues depuis la libération des camps de la mort ?

Il y a une année de cela, comme vous le savez si nous sommes amis sur les réseaux sociaux, un petit chien est entré dans ma vie ; avec Cy. nous avons accueilli un petit être adorable, intelligent et capable de sentiments variés. Il s’appelle Lou’. Dans les faits, ses papiers indiquent Lôo. Nous n’avons pas changé son nom, il y répondait et nous ne nous sentions pas le droit de le débaptiser. A ce propos, ayant toujours de l’eau bénite à la maison, j’ai procédé au baptême de notre Lou’. Cela n’est pas très orthodoxe ni même catholique mais, dans l’absolu, chacun peut donner le baptême. Je lui ai donc donné – au nom du Père, du Fils et du saint Esprit –  le prénom de Louis, en référence à saint Louis, Lou’ en est la contraction même si parfois je l’appelle Wolfi. Mon geste tient en partie de la plaisanterie anodine … Quoique…  Profondément, j’ai toujours considéré les êtres animaux comme des amis, des individus sincères, des alliés, des témoins muets de la gloire du Très Haut. Leur affection indéfectible est certainement la meilleure image de l’amour de Dieu pour les hommes.

J’ai été fumeur, j’ai été carniste. Autant je ne regrette aucune cigarette fumée - je garde tout de même de beaux souvenirs de cette relation destructrice, autant chaque bouchée de mammifères et d’ovipares terrestres avalée me pose problème, pèse sur ma conscience et fait de moi si ce n’est un assassin du moins un complice d’assassinat. Le « je ne savais pas » ne représente qu’une vague circonstance atténuante. Dès l’âge de raison, je pouvais faire le lien entre la chaire baignant dans le gras de sauce à la mode française que je trouvais dans mon assiette et l’être assassiné qui l’avait fournie. Aujourd’hui, je sais ; aujourd’hui, j’ai décidé de ne plus détourner le regard ; aujourd’hui, j’assume ma culpabilité et ai décidé de m’amender.

Heureux les végétariens, végétaliens, véganes qui n’aimaient pas la viande. Combien sont-ils à nous raconter leur martyr, enfant, lorsqu’on les forçait à manger de la VIANDE ! Personnellement, j’ai toujours été un omnivore, un omni omnivore, goûtant, essayant, mangeant de tout. Légumes bizarres, préparations improbables, abats étranges, tout, avec une prédilection pour la bonne charcuterie vaudoise, le saucisson, la saucisse aux choux, au foie, les petits pâtés savoureux, le boutefas et le salami tessinois, la viande séchée des Grisons, la coppa, etc. Je ne regrette pas de ne plus en manger mais je conserverai ma vie durant une nostalgie de ces délices particuliers et barbares. J’aimais beaucoup les émincés, celui de porc, et la chasse, la volaille. La viande rouge, les steaks, romsteaks, aiguillettes, entrecôtes et autres passaient plus difficilement. J’aimais la viande rouge quasi incinérée. Les végétariens, végétaliens et autres véganes  qui n’aimaient pas la viande n’ont donc que peu de mérite. Même si la qualité d’un choix moral ne repose pas sur une méritocratie ou ne donne pas droits à de bons points. Les susmentionnés désignés pourraient faire preuve de plus de compréhension vis-à-vis de leurs nouveaux amis carnistes repentis qui, toutefois, mangent encore qui du poisson, des laitages, des œufs. En dépit de tout ce que l’on dit un changement de régime, de comportement aussi radical est difficile à mettre en œuvre, à vivre tous les jours. Pas impossible mais difficile.

Je me perds dans les étiquettes. Quand j’étais enfant, il y avait les végétariens ; c’étaient des gens qui ne mangeaient pas de viande mais du poisson, des œufs, des laitages. A l’époque, ces « hurluberlus » semblaient réaliser un incroyable tour de force tellement il y avait de la viande dans tout, partout. Aujourd’hui, l’intégrisme et la bienpensance véganienne ne leur jetterait qu’une vague étiquette de flexiste à la tête. Allez donc trouver votre dose de protéines quand les cantines, les restaurants, le commerce de détails ne savent toujours pas ce qu’est une légumineuses et ne savent rien vous proposer de préparé, prêt à manger, composé de tofu, des fruits à coques, d’humus, etc. Pour les ploucs carnistes – le pendant du serré-du-cul végane – un sandwich végétarien c’est une feuille de salade entre deux tranches de pain ! Merci l’équilibre.

Je me fous des étiquettes. Elles sont réductrices et contradictoires. Je suis catholique, gay, membre de l’UDC (N.D.R. parti populiste suisse pour mes lecteurs non-suisses) … Mises bout à bout, ces étiquettes n’ont aucun sens. Je suis gay, question de nature, comme j’ai les yeux bruns, même si je me suis entendu dire par un merdeux d’élève sous l’influence perpétuelle du THC que « c’était dans la tête » ! Je suis catholique suite à un épisode de révélation suivi du choix de mon  baptême et de la confirmation ; j’ai rejoint les rangs de l’UDC un peu par boutade, fanfaronnade et parce que dans le canton de Vaud, c’est un parti minoritaire avant tout motivé par le bon sens (combien ça coûte ? à quoi ça sert ?). C’est dans cette même logique que j’ai abandonné la viande. Connaissez-vous la théorie des cercles ?
 
 
L’anti-spécisme est fondé sur cette théorie de l’ouverture aux cercles suivants. Soi (le premier cercle), les parents et le conjoint, la famille, les proches, amis, connaissances, la ville, la région, le pays, la zone culturelle, le continent, les autres continents, la Création … Les animaux –  êtres sensibles non-humains – interpénètrent ces cercles de manière plus ou moins importante. Afin de justifier d’une différence de traitement radicale, ils sont classés dans l’ordre des animaux de compagnie ou des animaux d’élevage, de bouche, à fourrure, etc. Ces cercles, dans les premières civilisations organisées, ne s’adressaient qu’aux hommes, évidemment. Les femmes en étaient exclues, et je ne parle pas même des esclaves. Le tabou de l’anthropophagie entrave aujourd’hui encore l’archéologie et l’anthropologie ; bouffer l’autre était vraisemblablement plus répandu qu’on ne l’imagine. On parle de rites … de pratiques guerrières … Il s’agit juste de manger de la chair. Remarquez, si vous avez ce penchant pervers, qui vous dit que votre semblable ne va pas vous mettre à son menu un de ces quatre ? Bon, on va éviter de manger les gens de sa tribu, les hommes libres s’entend, puis les prisonniers de guerre, les vaincus du village voisin, les esclaves ; bref, on a évité de manger des individus humains. De nos jours, dans la civilisation occidentale carniste, il est hors de question de manger du chat, du chien, du cheval pour certains, du cochon d’Inde pour d’autres. A propos d’Inde, les vaches ayant un statut sacré, hors de question d’y consommer du bœuf et, en Chine, on mange de tout, mais vraiment de tout, on raconte même qu’on y mangerait des fœtus.

Notre civilisation occidentale judéo-chrétienne s’est bâtie sur de solides fondations de violence et d’obscurantisme (dont les « Lumières » ne sont pas exemptes). On revient de très loin. Chronologie express : Rome, la république puis l’empire, est un Etat de droit depuis 450 av. JC ; au XVIIIème siècle, l’empereur Léopold décida que tous les citoyens juifs de ses Etats jouiraient des mêmes droits que les chrétiens ; la France interdit enfin l’esclavagisme en 1848, sous la présidence de Louis-Napoléon Bonaparte, futur Napoléon III ; le droit de vote au niveau fédéral fut accordé aux femmes suisses en 1971 ; en ce début de XXIème siècle, après l’horreur génocidaires nazie et stalinienne, l’opinion publique prend enfin conscience du droit à la vie et au respect des êtres sensibles non-humains. Il y a encore du travail, ne nous cachons pas la vérité, toutefois les choses changent, par bonheur.

Pratiquement, comment vivé-je cette conversation végéto-végano-végétatruc ? Sous l’ironie de vieux cons, l’incompréhension de mes proches, la hauteur des véganes ultras. L’un d’eux, l’une plus exactement, sympathique au demeurant, je la rencontre souvent lors de la promenade du Lou’, mon Louis, la dame sort aussi deux petits chiens. Je lui explique ma conviction du respect de la vie animale, je ne mange plus de viande, des œufs tout de même, pas de lait, du poisson parfois … « Mais vous n’êtes pas végétariens, vous n’êtes rien ! » Hors l’église point de salut, la jeune dadame excuse tout de même ce « rien », du fait de mon grand âge (elle doit avoir 25-28 ans mal conservés). « Il est plus facile pour des gens jeunes de changer de régime », poursuit-elle. J’abonde dans son sens, « surtout que pour des jeunes gens comme vous, avant d’adopter une alimentation végane, vous avez surtout été habitués à manger n’importe quoi, de la junkfood, des produits industriels, on quitte bien plus facilement ce type d’alimentation. » Et toc, bécasse, cela s’appelle la réponse de la bergère au berger.

Pratiquement, donc, je ne mange plus de viande de mammifères, ni de volaille ou de n’importe quel oiseau, du poisson parfois, même si les poissons sont aussi des êtres sensibles, je ne me suis pas encore ouvert à leur cercle. Je mange des œufs issus de coopératives, des volailles élevées en plein air qui finissent assurément assassinées lorsqu’elles ne sont plus assez productives ... Et les produits laitiers ? Le lait ? berk mais difficile d’échapper au fromage, d’autant plus lorsqu’on a arrêté le saucisson mais je ne supporte plus l’assassinat des veaux ni la manière dont ils sont retirés à leurs mères. Je limite, drastiquement, il est vraiment urgent que je m’achète des livres de cuisine végane. Je n’arrêterai jamais le miel, produit par les ruches communales ou ma « Heilpraktikerin » berlinoise ou n’importe quel producteur non industriel. Et le cuir ? La laine ? La soie ? Je ne vais pas jeter mes sacs en cuir, j’en prends soin, ils ont été produits avec la peau d’êtres sensibles, si je me débarrassais de tous mes accessoires en cuir, ces êtres seraient mort deux fois. Quant à les vendre d’occasion ou les donner, leur repreneur n’en ferait peut-être pas grand cas. Autant les conserver. Et les chaussures ? comment être élégant sans de belles chaussures en cuir ? Je viens de faire l’acquisition de ma première paire « végane »,  faite d’une sorte de caoutchouc bleu filigrané, semelles en gomme. J’ai encore – beaucoup – de stock et le temps de voir venir, de trouver … chaussure à mon pied. Cela fait longtemps que je ne crois plus au 100% pure laine vierge. La rayonne, la viscose (fibres de bois), le polyester, le coton, l’acrylique, l’élasthanne, le chanvre, le lin, la sparte, le raphia, les céramides, le pet (laine polaire), tous les mélanges sont possibles pour toutes les textures et tous les usages. La laine n’est souvent maintenue en proportion négligeable qu’à des fins marketing.   

J’ai arrêté de fumer le 1er novembre 2001, suite à une grosse bronchite de trop. Mon médecin avait noté cette date, « vous serez heureux de vous en rappeler dans dix ans ». C’était le 3 ou le 4 et je me suis dit que, jamais plus, je n’arriverais à écrire. Je fumais partout et à tout propos. La cigarette était la compagne de mes petits et grands heurs. Il ne se passe pas un jour sans que je constate à quel point l’exploitation animale et la violence qui en découle est présente dans nos moindres habitudes, toutes celles dont il faudra se défaire. La tâche paraît aussi impossible que, pour le fumeur, de renoncer à la première clope avec le café matinal, autant arrêter le café ! Avant-hier encore, je me suis demandé de quoi était composée exactement l’encre de ma plume ? s’il me faudrait passer au crayon ? et si c’est animal, existe-t-il un moyen de prélever cette encre sans faire de mal ? Non, évidemment, l’exploitation reste de l’exploitation. Les textes bibliques ne m’offrent pas de réponse, il n’est question dans l’Ancien Testament que d’étripage de bovidés et d’ovins pour les livrer « en holocauste » à Yahvé. Vous me direz qu’on y génocidifie gaillardement le Philistin et les Égyptiens premiers nés de même. Accessoirement, dans la brocante du Deutéronome, on y condamne à mort celui qui porte un vêtement fait de deux textiles différents (laine et lin par exemple). Il y a, heureusement, le Nouveau Testament qui renouvelle l’Alliance sans appel au meurtre, sans razzia, sans sacrifice. Il y a l’Aimé, le Très Doux qui chasse les marchands (de bêtes sacrificielles entre autres) du Temple, qui cueille des figues, glane du blé avec les apôtres, mange un poisson grillé avec eux encore après sa résurrection. Ni oiseaux, ni mammifères à son menu et on ne sait pas si les sandales étaient en cuir ou en sparte ? Et sa tunique ? ou le saint Suaire ? du lin, blanc, virginal, assurément. Il ne manque que l’exégèse anti-carniste des Évangiles. Le pape François a récemment consolé une petite fille suite à la mort de son chien (ou son chat ? son canari ?), lui assurant que le petit être aimé était à présent au paradis. A chaque fois que je croise le corps inerte d’un oiseau défunt, d’un petit rongeur, chat victime de la circulation, hérisson, autres,  j’ai une prière à saint François, qu’il accueille l’âme de cet être au paradis des animaux. J’assure aussi les maîtres éplorés d’animaux décédés de l’intercession du saint d’Assise qui prêchait aux oiseaux. Au même chapitre, on trouve saint Antoine de Padoue qui, lui, s'adressait aux poissons … Je crois que je vais aussi arrêter d'en manger.

 








mardi, octobre 11, 2016

Séance d'installation du conseil communal (selon un conseiller lambda)

La brève suivante a été rédigée pour le 25ème numéro de « Reflets » , le bulletin d’information de la ville de Morges. Je vous livre  la version originale, la version à paraître a été modifiée, simplifiée non sans élégance, rapport au lexique trop sophistiqué ! Prochaine sortie de « Reflets » en fin d’année, mes lecteurs morgiens pourront donc comparer.

Séance d’installation du conseil communal (selon un conseiller lambda)

Premier devoir de vice-président du Conseil Communal (second devoir plutôt, le premier a consisté à trancher du saucisson à l’occasion du Caf’Conc’ fin août), devoir donc du premier vice (car il y a un second vice … -président) : raconter cette belle séance d’installation de l’intérieur. Ne connaissant pas le conseiller Lambda, je ne sais pas même à quel parti il appartient, je vais donc vous la faire façon exercice de style.

Version courte : c’était en juin, il faisait beau, un peu trop chaud dans la salle, on a pris un verre à la fin.

Version ironique : toute l’assemblée était sur son trente-et-un et chacun sur une chaise de concert modèle empilable, le casino de Morges, la grande salle de spectacle, nos édiles, la préfette, une pasteure, un peu de musique et des discours dans lesquels on a filé la métaphore avec des bonheurs divers ; c’était juste un peu trop long, histoire de marquer la solennité du moment.
Version emphatique : les élus tout nimbés de leur légitimité électorale ont officiellement prêté serment, se mettant ainsi au service de la collectivité, oublieux de leurs intérêts particuliers, au nom des valeurs ancestrales et démocratiques de notre pays !


Le sentiment de chacun se situait quelque part entre ces trois versions, ou un peu des trois à la fois. Mais tous, assurément, nous ne voulions et ne voudrons qu’une chose : travailler au bien de Morges et des Morgiens.

samedi, octobre 01, 2016

"L'homme sans qualité", work in progress

1200 pages, un bon tiers de plus que pour le premier volume, pas très pratique mais l’éditeur se fiche de l’aspect pratique, qui peut bien lire Musil ? On l’achète encore, on l’étudie parfois mais le lire ?! Je ne sais pas exactement ce qui m’a plu chez son héros, Ulrich, sa nationalité peut-être ? autrichienne de chez K und K. J’aime aussi son indécision, ça le rend touchant, et son milieu, un garçon bien né, sans fortune excessive, juste de quoi rester rentier et dépenser son temps en activités au-dessus de ça … Le « ça » fourre tout des sociétés libérales, ses petits avantages pratiques et son rang sans gloire.

C’est à peine si Musil a déguisé son personnage, il est cet Ulrich, pas même un patronyme, quelques circonstances et un regard distancié sur le monde, ce qu’il essaie d’en connaître. Ulrich s’en fait une idée comme on regarde la télévision. Il n’est pas nécessaire d’épiloguer, peut-être évoquer quelques figures dont le texte parcourt les mondes. Il y a les inflexibles, les garants de l’ordre des choses … mais quelles choses ? Ces choses qui font la société enfin, cela tient de la probité, de la morale, du sens de la dignité et de la mesure ; quitte à étirer le canevas ancestral jusqu’aux aspects les plus novateurs du temps. Musil raconte si bien le désarroi sexuel des femmes honnêtes qui rejettent simplement l’idée de la fatalité, de la farce bourgeoise de Monsieur et ses maîtresses, Madame et ses amants et les quelques mots aimables que l’on s’échange à la table du petit-déjeuner. La psychiatrie et ses ravages précoces sont passés par là. La belle Diotime en fait les frais alors qu’elle pourrait simplement coucher avec Ulrich, son cousin. Son statut d’égérie et de dame patronnesse en chef de l’Action parallèle, une organisation mollette chargée officieusement de donner un thème au jubilé du règne interminable de Franz-Joseph, ce statut donc la remplit aussi sûrement que des ballonnements.

Parmi la galerie exposée, on trouve le général versé dans la chose à caractère culturel, l’homme d’affaire philosophant ou le philosophe faisant des affaires, une altesse de secours, genre « roue de secours », la sœur d’Ulrich, sa passion manquée et son second mariage qui la dégoûte ; une paire d’amis, elle abusée par un « penseur de son temps », lui abusé par la musique de Wagner et combien d’autres « déçus de la vie », selon une logique de télé-réalité. Ici réside le double … le triple intérêt que je peux porter à cette œuvre : le témoignage historique des petits riens de la vie à Vienne sous l’empire, le goût néo-autofictif du récit et la promotion discrète des vertus de la double royauté et empire. On est dans la demi-teinte, la délicatesse, une touche de nostalgie et pas de pieds sales, de d’jeunes qui dégueulent partout, de pouilleux qui veulent crier qui ils sont …


J’allais oublier de dire un mot de l’anti-héros, l’assassin Moosbrugger, une force primale et violente, une force d’une vitalité éclatante, un contre-point si séduisant aux sociétés raisonnables et policées, une envie agacée de s’encanailler, cela rappelle la douleur légère d’une gencive irritée que l’on ne peut s’empêcher de travailler au cure-dents, à croire que l’on peut en extirper cette délicieuse douleur.

mardi, septembre 13, 2016

"Frantz" de François Ozon


Un jour, François Ozon est apparu au monde, il m’est apparu parmi ce monde, nimbé d’une aura paradoxale, comme si l’on devait toujours évoquer son nom avec quelques clins d’œil. C’était à Berlin, évidemment, en automne je crois ; j’ai assisté avec Chris. à la projection en « avant-première » de Angel, le récit fougueux et pathétique d’un auteur au début du XXème siècle, une jeune femme venue aux lettres du simple fait de son immense talent et de sa propension à vouloir échapper à l’univers étriqué, petit-bourgeois et pense-menu de son milieu, sa mère tenait une épicerie. La séance avait lieu au Kino International, une salle mythique. Depuis cette lointaine soirée d’automne, je porte toujours sur moi le motif de la pugnacité de l’auteur à vouloir plier le monde à son récit, quitte à se mentir, jusqu’à la ruine, jusqu’à la mort.

Les critiqueux cinématographesques dont j’ai eu fait partie ont apparemment oublié Angel alors qu’ils y vont de leurs commentaires sur Frantz, le dernier Ozon, « premier film en costume du réalisateur ». Je vous l’ai dit, les critiqueux ont la mémoire courte ou manque de culture. L’histoire débute en Allemagne, Queldingburg, Sachsen-Anhalt, une jeune fille en noir, visite au cimetière et quelques fleurs sur la tombe de feu son fiancé ; on est en 19, ou en 20. Les fleurs ont été déposées par un inconnu, un homme qui se glissera dans le rôle d’un ami français du défunt – Frantz ayant étudié à Paris. Se méfier des faux-semblants, ne pas se raconter un scénario trop joliment écrit ; je ne sais rien de M. Ozon mais je le connais, je connais sa pétulance, l’ivresse de l’aisance et sa maîtrise à la façon de … qui il veut. Le jeune homme français, Adrien Rivoire (Pierre Niney), n’est pas celui qu’on croit, c’est un saint, c’est un monstre, un fou tel qu’il se conçoit.

Il y a l’Allemagne aussi, son meilleur rôle muet ; il y a Hans (Ernst Stötzner) et Magda (Marie Gruber), les Hoffmeister, les parents de Frantz, et la presque veuve, Anna (Paula Beer). Parfaits. Tout tombe juste, jusqu’au service à café en Strohblumenmuster au milieu de tant de douleur mutique. Les vieux parents voient dans la personne de cet ami du fils disparu un peu de celui-ci, retour d’une timide douceur, et Adrien tient si bien le rôle. On s’imagine déjà Anna l’épousant. La guerre leur a pris Frantz, la France leur rend un fils et un promis. Jusqu’à l’Eglise catholique de cette bonne Allemagne trahie et dépecée qui sait trouver les mots apaisants. Le scénario est en miroir. A la quête d’Adrien en Allemagne répond la quête d’Anna. Les mêmes vexations, la même suspicion. Toutefois, le vainqueur roule des mécaniques ou joue de la fausse ingénuité, grotesquement drapé dans l’étendard de sa victoire à la Pyrrhus dans les deux cas, vous reprendrez bien un peu de cocorico, et de la muflerie en prime.

Angel se terminait sur la mort de la protagoniste, ultime parade pour ne pas déchoir au destin qu’elle s’était écrit ; Frantz se termine sur la fin des illusions et une rédemption pour Anna au final. La guerre est condamnée dans les deux cas, la Première s’entend, comme le lieu où s’est noué le malentendu. Ni la peinture, ni la musique, ni la littérature, la poésie toutes quatre présentes dans les deux films ne réussissent à disperser ce fameux malentendu. Frantz, un film à voir de préférence dans une BELLE salle, au Kino International par exemple ou, plus proche, à l’Odéon (Morges).

dimanche, août 28, 2016

Retour de Berlin (août 2016)

Je me fends, traditionnellement, d’une bafouille sur mon blog lorsque je rentre de voyage, donner mes impressions en matière de proto-sociologie, impressions, ressenti, état des lieux à propos d’un pays, d’une ville, une région. Je l’ai fait un certain nombre de fois à propos de Berlin et je chantais son charme, sa liberté, son agrément, etc. Cela fait plus d’une semaine que j’en suis rentré, fatigué, lassé peut-être, il y a tout de même eu de très bons moments, le pique-nique à l’ambassade de Suisse, la rencontre avec Mme l’ambassadrice, le thé au Café Einstein de la Friedrichstrasse avec Frau Dr. B. D., responsable d’un cours à la Humboldt Universität, la messe à St. Thomas ou St. Ludwig, la superbe soirée au Literarisches Colloquium, le lieu surtout, deux ou trois menus bonheurs… Plus d’une semaine, donc, et pas un billet, pas la moindre envie d’en parler … Il y a eu les deux pauvres filles, dans les vingt ans, moches, biscornues, trop nourries, mais surtout moches de leur médiocrité gourmande, leurs réflexions toutes faites, « ça me soûle trop », leur manière hargneuse d’être au monde et toujours leur médiocrité. Si la présence de ces deux bécasses lausannoise ou environ s’était signalée dans le 100 ou le 200, deux lignes de bus à toutous, je n’eusse pas été choqué mais elles siégeaient dans leur graisse et leur stupidité parmi les premiers rangs de l’impériale du M85, montées à Steglitz, là où normalement on ne rencontre pas ce genre de bestiau ! Je me suis retrouvé dans le cauchemar d’une ligne des TL (Transports Lausannois). En descendant à Kleist Park, j’a regardé un peu autour de moi et me suis aperçu que Berlin était devenue une ville comme une autre. Elle n’a plus besoin de moi, de ma plume tout du moins. On ne va pas épiloguer ; se surimprime une course d’une journée au Römerholz, la villa  Reinhart, Winterthur. Parti à 10h, rentré à 19h, à peu près, trois heures aller, trois heures de visite, trois heures retour. J’étais, une fois de plus, le « wanderer » de ma propre représentation du monde qui trouva, par un mercredi après-midi peu fréquenté, la paix nécessaire à la cicatrisation de ses plaies … des égratignures en fait. J’ai pu me raconter des histoires tout à loisir devant le portrait de Mateu Fernández de Soto par Picasso, période bleue, une patte post-vangoghienne, et un bouquet dans un vase transparent par Manet, quasi toute l’histoire de la peinture parmi ces fleurs, quelques Van Gogh, pas de grande émotion picturale, un certain confort esthétique, et le café sur la terrasse, la demi-solitude du petit parc, le chemin de retour vers la gare à pieds ; à un croisement, quelques objets proposés, donnés, offerts, proprement disposés dans un carton, une gentille petite villa, des vêtements d’enfant sur cintre, une pancarte polie, comment vider un fond de placard et faire des heureux. Je suis reparti avec un verre, une coupe, cristal vraisemblablement, , et un livre de chants illustré, « Kindersang, Heimatklang », mon Allemagne idéale, celle que je connus à Berlin et à travers les « Buddenbrooks », fin XIXème, avant l’erreur, fondamentale ; le XIXème s’est achevé en 1918 …