Dans les représentations de la médecine chinoise, le rein est le siège
de la force vitale et de l’équilibre physique. Arrivé dans son milieu de vie (
entre 40 et 50 ans), le patient – particulièrement celui qui travaille du
chapeau – se trouve pris d’une faiblesse du rein qui « produit la moelle
et remplit le cerveau » (selon le commentaire d’une encyclopédie de
médecine orientale en ligne). Une sexualité effrénée (et compensatoire) durant
les décennies précédentes, le poids du monde, l’inquiétude, le dépit vous vide
le rein de son yin aussi sûrement que les impôts vous gobent votre treizième
salaire et vous vous retrouvez sur les plots ! L’un de mes éditeurs, le
plus bouillant, le plus enthousiaste, le plus délicat a décidé, du reste, de
poser les plaques … pour un temps, et se refaire. Je rêve de suspendre mon
sacerdoce d’auteur de la même façon. J’ai bataillé pour un petit tas de convictions,
une certaine vision des choses, durant plus de vingt ans d’autofictions et d’essai ;
je confesse une fatigue certaine. J’ai revisité quasi toutes les versions
officielles de l’univers socioculturel dans lequel je baigne. Je les ai toutes
méticuleusement retournées au pire, recalibrées au mieux. Cela ne m’a apporté
ni la fortune, la célébrité, la paix de l’esprit ou du cœur. Rien. Sauf le
respect de mes pairs, c'est-à-dire tout. Mes « boucles », mes récits,
mes textes, l’œuvre serviront peut-être à nourrir le rein de quelque lecteur
fourbu, tant mieux. Si ce n’est pas encore le cas, cela viendra, bien après
moi. Ce « Credo » vient conclure et compléter un cycle débuté par « Appel
d’air » (titre qui tient du yang), en
passant par « La Dignité », « Tous les Etats de la mélancolie
bourgeoise », « Journal de la haine et autres douleurs » et
« Escales ». Quasi une marche à suivre.
Je suis pile dans mon « milieu de vie », selon les critères
médicaux chinois et je me sens la tuyauterie se débiner, comme un nœud endolori
par en bas et la furieuse envie de ne pas bouger de ma couche, couette et
couverture en fourrure polyester, le chien posé dessus ou dessous, son
ronflement léger et la rediffusion de la saga « Angélique » à la
télévision. L’oubli si ce n’est le bonheur. Est-il raisonnable d’avoir voulu
réécrire le monde sans les outils de la philosophie ou de la sociologie
officielles ?! Objectivement non, je m’y suis vidé le rein mais j’aurais
eu des regrets à ne pas l’avoir fait. Sans Juda, pas de trahison, pas de
crucifixion, pas de résurrection pascale, pas d’accomplissement des prophéties.
Ma foi, il fallait bien que quelqu’un prenne le rôle de l’énervé de service.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire