« Laissez les morts enterrer leurs
morts » disait-Il, et à raison. Par contre, il n’est pas interdit de leur
rendre visite, de vivre parmi eux, de les accueillir dans le fil de notre vie,
notre récit, et s’en retourner honorer leurs tombes au cimetière, un espace
social comme un autre.
Il existe à
Berlin, dans mon cher Schöneberg, derrière la Hauptstrasse, le fitness, le
cinéma Odéon, la librairie d’antiques et d’occasion, il existe ce lieu paisible
découvert par le hasard d’une promenade, un cimetière ancien, à la fois perché
sur une petite colline et paresseusement adossé à son enceinte. Nous l’avons parcouru
avec Christine, admirant les monuments funéraires Bidermeier, les belles
essences, les parterres toujours entretenu. Il est vrai que l’on peut
« parrainer » une tombe ancienne, on devient son jardinier, on garde
la pierre propre, on fait tout comme s’il s’agissait de la tombe d’un proche.
L’Alter
Sankt-Matthäus-Kirchhoff offre d’autres originalités. Il y a son carré des
enfants morts-nés, son carré gay et un café, le café Finovo, jouxtant un
commerce de fleurs. Il s’agit d’un café « funéraire », comme il en
existe chez nous, ou presque, de ces tea-rooms accueillants et nostalgiques
juste en face du cimetière, où l’on finit toujours par finir d’enterrer nos
morts dans le café, le thé, la pâtisserie et, parfois, encore une petite goutte
de jaja. A Berlin, on est pragmatique et poète à la fois, le café se trouve
donc DANS l’enceinte du cimetière. On pourrait croire qu’il a toujours existé,
que nenni, il est l’œuvre de Bernd, grand ordonnateur laïque de rites à
inventer et nouveau Charon.
Et c’est ici
qu’intervient la magie des réseaux sociaux. J’entretiens une amitié désincarnée
avec Stéphane Riethauser, réalisateur genevois d’adoption berlinoise. Il y a
quelques semaines de cela, il annonce fièrement la sélection de son film
« Garten der Sterne », co-réalisé avec le scénariste Pasquale
Plastino, au Achtung Berlin Festival. Ma
curiosité est éveillée, je vais regarder le trailer sur Vimeo et me retrouve
dans le fameux cimetière de Schöneberg, où, entre autres, sommeillent les
frères Grimm. Ni une, ni deux, je contacte Stéphane en message privé, lui
demandant quand sortira le film en Suisse, et où, pour combien de temps, et …,
et … , et l’intéressé de me passer un lien magique que je puisse visionner son
film en streaming à défaut d’un grand écran.
Le duo Riethauser-Plastino
a du talent, incontestablement. Le récit est resserré sur un conte des frères
Grimm. Le spectateur est invité à découvrir les lieux, l’histoire de Bernd et
de feu son compagnon Ovo, les ravages de la pandémie sida dans les années 80,
comment Bernd a eu l’idée d’ouvrir un café dans le cimetière, et le carré des
enfants morts-nés, les étoiles de ce jardin, tout un rite à inventer, et le
« squat » de tombes historiques par des défunts d’aujourd’hui, et le
carré gay où il est permis de trouver des tombes communes indiquant
« ci-gisent X, pilote de chasse, et Y, maître coiffeur ».
La maîtrise de
la caméra se fait avec ce qu’il faut de lyrisme et de naturel. Le spectateur
passe d’une saison à l’autre, de très beaux plans séquences qui chapitrent le
conte des frères Grimm, l’histoire de l’homme pauvre qui donne la mort pour
parrain à son dernier-né. Parfois une saynète comique ou surprenante, comme un
interlude, puis le regard calme et doux de Bernd, les parents près de la tombe
de ces enfants partis avant même d’arriver. A Berlin, ceux-là aussi ont une
place. L’échos assourdi de la bonne vie wilhelminienne résonne entre les
allées, la Berlin au-delà de toutes les catastrophes, celle des bonnes gens,
avec ou sans chapeau à plumes.
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