1200 pages,
un bon tiers de plus que pour le premier volume, pas très pratique mais
l’éditeur se fiche de l’aspect pratique, qui peut bien lire Musil ? On
l’achète encore, on l’étudie parfois mais le lire ?! Je ne sais pas
exactement ce qui m’a plu chez son héros, Ulrich, sa nationalité peut-être ?
autrichienne de chez K und K. J’aime aussi son indécision, ça le rend touchant,
et son milieu, un garçon bien né, sans fortune excessive, juste de quoi rester
rentier et dépenser son temps en activités au-dessus de ça … Le
« ça » fourre tout des sociétés libérales, ses petits avantages pratiques
et son rang sans gloire.
C’est à
peine si Musil a déguisé son personnage, il est cet Ulrich, pas même un
patronyme, quelques circonstances et un regard distancié sur le monde, ce qu’il
essaie d’en connaître. Ulrich s’en fait une idée comme on regarde la
télévision. Il n’est pas nécessaire d’épiloguer, peut-être évoquer quelques
figures dont le texte parcourt les mondes. Il y a les inflexibles, les garants
de l’ordre des choses … mais quelles choses ? Ces choses qui font la
société enfin, cela tient de la probité, de la morale, du sens de la dignité et
de la mesure ; quitte à étirer le canevas ancestral jusqu’aux aspects les
plus novateurs du temps. Musil raconte si bien le désarroi sexuel des femmes
honnêtes qui rejettent simplement l’idée de la fatalité, de la farce bourgeoise
de Monsieur et ses maîtresses, Madame et ses amants et les quelques mots
aimables que l’on s’échange à la table du petit-déjeuner. La psychiatrie et ses
ravages précoces sont passés par là. La belle Diotime en fait les frais alors
qu’elle pourrait simplement coucher avec Ulrich, son cousin. Son statut
d’égérie et de dame patronnesse en chef de l’Action parallèle, une organisation
mollette chargée officieusement de donner un thème au jubilé du règne
interminable de Franz-Joseph, ce statut donc la remplit aussi sûrement que des
ballonnements.
Parmi la galerie
exposée, on trouve le général versé dans la chose à caractère culturel, l’homme
d’affaire philosophant ou le philosophe faisant des affaires, une altesse de
secours, genre « roue de secours », la sœur d’Ulrich, sa passion
manquée et son second mariage qui la dégoûte ; une paire d’amis, elle
abusée par un « penseur de son temps », lui abusé par la musique
de Wagner et combien d’autres « déçus de la vie », selon une logique
de télé-réalité. Ici réside le double … le triple intérêt que je peux porter à
cette œuvre : le témoignage historique des petits riens de la vie à Vienne
sous l’empire, le goût néo-autofictif du récit et la promotion discrète des
vertus de la double royauté et empire. On est dans la demi-teinte, la
délicatesse, une touche de nostalgie et pas de pieds sales, de d’jeunes qui
dégueulent partout, de pouilleux qui veulent crier qui ils sont …
J’allais
oublier de dire un mot de l’anti-héros, l’assassin Moosbrugger, une force primale
et violente, une force d’une vitalité éclatante, un contre-point si séduisant
aux sociétés raisonnables et policées, une envie agacée de s’encanailler, cela rappelle
la douleur légère d’une gencive irritée que l’on ne peut s’empêcher de
travailler au cure-dents, à croire que l’on peut en extirper cette délicieuse
douleur.
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