Le type gazeux
rentre faire des bulles à la maison, suivi de son petit chien trottinant, le
pas encore plus alerte qu’à l’aller, le contact a été pris, on ne risque plus
l’implosion. Le type se fait une tasse de thé et interpelle sa moitié à propos
du voisin, rencontré derrière une plate-bande de « Weisse Berliner ».
La moitié s’en fout, prend toutefois la peine d’émettre un « mmmh »,
genre « oui-oui » ou « ah, tiens ». Le type gazeux l’a dit
pour le dire, comme s’il s’agissait d’une révélation miraculeuse, en prendre
conscience par le simple effet d’une verbalisation. En Oméga, une pièce claire,
une maison blanche en retrait de la plage, « Poble sec », Barcelone,
l’immédiateté impériale de la Catalogne, un homme est penché sur son journal. Il
écrit : Nous mesurons le monde qui
nous entoure à l’aune de nos perceptions, et ce monde n’est jamais plus vaste
que lorsque nous interrogeons notre cœur. A côté de lui refroidit une
autre tasse de thé, il lève la tête, fixe l’horizon, voir au-delà, au-delà des
formes, du règne, des malheur du règne. Il n’est pas doué, tant mieux, il
n’aurait pas pu tenir sa place avec le don, le talent d’un Steeve. Il sait
toutefois, il ressent cet autre, à l’autre bout, cet apaisement et l’appel
incoercible de l’unité, celle qui sera un jour, car « je suis l’Alpha et
l’Oméga » a dit le Très Haut, d’où la mission « AEIOU » des
Habsbourgs, et des deux côtés afin d’être assuré que survive la double dynastie
pour mener à bien le projet. Il ne sait pas quand … lui peut-être ? ou son
neveu ? son petit-neveu ? Franz Ferdinand der Zweite pense à son
double, le type gazeux, son innocence et l’immense privilège qu’il lui a obtenu, mieux qu’un royaume, la
jeunesse éternelle ou le courage du lion, un petit chien en apparence. Il
reprend son récit. La figure de Juda
n’est pas celle du traitre mais celle de l’infini sacrifice ; comment le
miracle de la Résurrection et le don gratuit de la Rémission eussent pu
illuminer la Création sans l’intervention de Juda, le réprouvé. J’ai rencontré
mon « assassin ». Les circonstances de son forfait lui sont encore
troubles. Il fallait cet acte – fondateur – pour que suive sa venue en Oméga et
toutes les péripéties dont il a été témoin et/ou l’acteur. Les signes sont
clairs … « Nous sommes tous des étoiles, nous sommes tous des
empereurs. »
Le bruit du
ressac emplit la pièce, Franzi pose ses lunettes, se lève, respirer l’air du
large, se sentir vivre, sans uniforme, sans protocole. L’Espagne (et
accessoirement la Catalogne) est une terre éminemment habsbourgeoise. Franzi,
comme son double, aime marcher dans le sable, voir s’allonger les ombres au
sol. Barcelone le lui rend bien, peut-être un effet de l’immédiateté impériale
mais plus certainement un effet de la bonne vie espagnole, un cœur chaud et la
tête froide, du sens pratique avec le sens de l’honneur et la commisération
propre aux petits peuples catholiques, c’est encore plus vrai en Alpha.
L’empereur n’a pas le droit de transiter, c’est constitutionnel, même le slide
est proscrit, le souverain garantie suprême de l’unité et de la permanence de
l’empire car la fin contient le début mais le début ne peut présumer de la fin.
« Je suis l’Alpha et l’Oméga » proclamait le Très Haut, via
l’Apocalypse, prémisse de la Grande Conjonction mais Franzi laisse la mystique
aux professionnels de la chose, il se contente d’envier Steeve, en pleine
« illumination », selon le vocabulaire consacré, fixant une
plate-bande de « Weisse Berliner », et les vastes prairies de
l’histoire s’étendant à l’Ouest, vers l’avenir, la course du soleil. Franzi se
raconte une histoire, s’invente une petite, toute petite vie, de celle qui
tienne debout, sur deux jambes, tout enroulées autour du corps d’un garçon,
avec du poil brun, un peu de barbe, des yeux intelligents et une lueur
mélancolique, un garçon avec des goûts de garçon, un peu moins de trente ans,
le prototype de l’ « honnête homme », selon l’archétype
moliérien. En Oméga, Molière est un philosophe du Grand Règne, l’un des
premiers auteurs français à avoir compris l’intérêt, la nécessité de la
domination impériale. Trêve d’histoire … Franzi retourne à sa songerie, une
bonne gueule, un corps sain, un peu de culot mais, surtout, sa vie en Alpha
parce que la jeunesse est du côté d’Alpha, même quand on est vieux.
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