jeudi, juin 25, 2020

Retour de Berlin ou la foire aux tartuffes ou la Grande Mascarade


Préambule 1 :
Le masque chirurgical ou masque en tissu ou tout bricolage du genre ne protège en rien celui qui le porte mais toute personne se trouvant à 20cm ou moins de celui qui porte le masque. Le masque dit chirurgical a une durée d’utilisation de 4 heures maximum. Au-delà, il devient un nid de bactéries nuisibles à celui qui le porte. Le masque en tissu ou tout bricolage s’en rapprochant est un piège à allergènes, à bactéries aussi si humide ; il faudrait donc 4-5 masques par jours (chirurgical, tissu, bricolage) et laver chaque jour à 60° les masques qui supportent ce traitement. J’enseigne la culture générale auprès de personnel soignant qui m’ont confirmé unanimement ces données.

Préambule 2:
Vu la durée de la pseudémie ( mot valise pour pseudo et épidémie), le taux de transmission moyen (2,8), le nombre de morts attribués à la Covid-19 par 100’000 habitants (49 pour la Suède qui n’a pas confiné et a laissé les lieux publics ouverts, 44 pour la France qui a strictement confiné et fermé tous les lieux publics en dehors des magasin d’alimentation, 23 pour la Suisse qui a interdit les rassemblements et fermé tous les lieux publics en dehors des magasins d’alimentation mais laissé la population aller et venir), vu ce qui précède il ne semble pas y avoir de lien entre confinement et létalité du virus et par rebond pas plus de lien entre port du masque et létalité du virus. De plus, si le virus se répandait par aérosols, le taux de transmission serait plus élevé. Le virus se transmet certainement par gouttelettes avec le préalable d’une charge virale suffisamment importante et, surtout, par dépôt sur des surfaces. Lorsque je parle de charge virale suffisamment importante, je fais un parallèle avec notre bon vieux virus du Sida qui, avant les trithérapies, était présent dans les larmes et la salive mais en quantité si négligeable que le risque était théorique … à condition d’ingurgiter dix litres de salives d’une personne infectée !!! Le risque pouvait être qualifié de statistiquement crédible mais pratiquement irréalisable.

Ich bin wieder da.
Retour de Berlin, ma Berlin, lavée de ses hordes de touristes … Mais j’en suis un me direz-vous ? Non, « ich bin ein Teilzeit Berliner », cela fait près de 15 ans que je fréquente ma « petite ourse », Bärlin, mon petit Liré perso’ que j’ai vu se transformer, que je connais aussi bien qu’un Berlinois, peut-être mieux, j’ai le temps d’y flâner. Je connais ses parcs, ses églises, ses pince-fesses, les collections de ses musées. J’ai vu des cafés, des cinémas, des magasins, des lieux propres à l’identité de la ville disparaître. J’ai vu naître des institutions, ressusciter des lieux. Bref, je vis avec la ville, la visite comme une proche amie, une parente quatre fois par an, parfois plus. J’y ai des amis, des habitudes, des cantines et des manies. Un saut de puce le week-end dernier, sitôt les frontières rouvertes, retrouver ma chère Berlin au plus vite de peur que les semeurs d’angoisse ne nous rebouclent comme de la volaille en batterie. J’ai donc eu le plaisir de retrouver le peuple des Berlinois, toutes communautés confondues, peuple réinvestir sa ville, encombrer ses trottoirs, boire à la terrasse de ses cafés. J’ai surtout vu une ville, une population qui, même si elle n’a vécu ni la dictature nazie, ni la surveillance de la stasi, a gardé le réflexe de défendre ses libertés fondamentales.

Liberté chérie
Avancer le nez au vent, maquillé, grimés, déguisé, nature, avec le voile islamique ou la képa, un chapeau sur la tête, des lunettes excentriques ou un masque filtrant parce qu’on a peur du grand méchant loup qui, ces temps, s’appelle Covid-19, no problemo, chacun fait ce qui lui plaît avec son image sociale, selon ses goûts, sa volonté ou ses craintes. Quel bonheur de fréquenter la communauté turque et musulmane, des gens qui se tiennent « dans la main de Dieu », selon leur propre expression et acceptent la vie avec ses risques et ses joies. La loi impose le port de masque au personnel de la restauration, dans les restaurants turcs on vous accueille avec le sourire et le masque pendu à l’oreille, sous le menton ou, mieux, pas de masque du tout. Les jeunes ressortissants de cette communauté montent et descendent fièrement des transports publics sans masques, ils n’ont même pas envie de faire semblant, comme une bonne partie des usagers, qui portouillent la chose sous le nez parce que naturellement vous vous apercevez qu’il est contre-nature et désagréable d’entraver sa respiration, de re-respirer ses miasmes, comme si vous deviez manger votre vomi !

Des faits
Soyons concrets. J’ai une situation précise et clairement déterminée avec des chiffres précis : trajet en U3 de Wittenbergplatz à Hohenzollernplatz, samedi, il est 13h30 à peu près, 11 voyageurs se trouvent dans le wagon, moi y compris, et 5 ne portent pas de masques. La situation est moins marquée sur l’ensemble de mes trajets. J’ai pu observer un tiers des voyageurs qui ne portent pas de masques ou ne se couvrent pas le nez et la moitié qui, à un moment ou un autre, ne porte pas de masque/l’a momentanément retiré. En pourcentage, on obtient un gros 30% qui ne suit pas les prescriptions dites obligatoires dans les magasins et les transports publics auxquels s’ajoutent encore un 20% qui, pour un instant, retire son masque. Et je n’ai que très, très peu vu de masques filtrants dont l’efficacité est encore à discuter (voir la taille de la maille du filtre versus la taille du virus). Vu ce qui est exposé dans les préambules 1 et 2, vu le suivi très lâche de l’obligation du port de la muselière …euh du machin à caractère hygiénique quoique franchement dégueu’ car très très très rarement utilisé de manière adéquate, pourquoi ne pas laisser tomber cette obligation pour la transformer en prescription et tant pis pour les chiards, quand ils seront fatigués de trembler comme des clafoutis gélifiés abandonnés dans un courant d’air, ils reviendront à la raison et seront très heureux de ressortir sans se voir sans cesse confronté au signe anxiogène du masque chirurgical.

Obligatoire mais pas tant …
Et parlons de cette question d’obligation. Pas un seul contrôle dans les transports publics, parfois un regard de travers dans les magasins où, souvent, le personnel (DM, Rossmann) ne porte pas de masque. Apparemment, l’amende pour non-respect de ces normes sociocides (socio- = la société, -cide = qui tue) n'est pas appliquée. Mes amis berlinois m’ont dit n’avoir jamais été confrontés à un contrôle sur ce sujet … C’est ici que réside la tartufferie, une hypocrisie moralisante.  Et les « clusters » me direz-vous encore ? On les attend ! A Berlin, un bâtiment de Neuköln a été placé tout entier en quarantaine ; voilà qui démystifie la transmission par aérosol et nous rapproche de la très vraisemblable contamination par projection massive (on vous éternue contre à moins de 20cm) et/ou contamination par dépôt. Il y a, soit, aussi le canton de Gütersloh et son abattoir cradingue de  Rheda-Wiedenbrück, centre d’une nouvelle contamination. Avec ce que l’on sait déjà des marchés encore plus cradingues de Wuhan et d’autres abattoirs en Europe, on peut légitimement se poser la question d’une transmission via les cadavres d’animaux assassinés dans des conditions concentrationnaires. Plutôt que d’emm… le bon peuple avec une sinisation  de nos sociétés par le masque, nos autorités feraient mieux d’interdire le massacre d’être sensibles dans ces usines de la mort. Quoiqu’il en soit, ces deux cas, qu’on les tourne dans un sens ou dans  l’autre, ne confirme en rien l’utilité du masque !

scène du 28 minutes, Arte, 12 juin 2020
Blabla international
L’Allemagne n’atteint pas les sommets où caracole la France, se vantant d’avoir imposé un quasi Vichy II à sa population, jouant bonasse sur les écrans de sa télévision publique la carte de l’obéissance à la sainte autorité panmédicaliste. Lorsque je vois Sophie Davant minauder sur le plateau d’ « Affaires Conclues » à propos du respect strict des distances, et que, même, elle rappelle à une commissaire priseur qu’elle n’a pas retiré son masque alors qu’ils sont à l’écran, « Hi, hi, hi », je ne peux m’empêcher de penser à toute la bonne volonté que la France mit dans la collaboration… Evidemment, dans les émissions « sérieuses » de décryptage de l’actualité, les 360'000 habitants du canton de Gütersloh sont devenus un demi-million de confinés parce que l’Allemagne n’a pas réagi assez tôt, assez complètement, n’a pas assez insisté sur le masque etc. Cette pauvre intelligentsia française en vue privée pendant plus de trois mois de son cher public-caisse de résonnance caquette à n’en plus pouvoir sur ce qu’il faut encore faire, sur le masque, le masque, le masque. En vérité, je vous le dis, la France voisine est en train de sombrer sous Vichy II. Dans la foulée, quelques apprentis autocrates aux petits pieds exigent tout et n’importe quoi en Suisse romande (partie francophone du pays où l’influence du voisin français est naturellement plus marquée). Je pense à M.P. à Genève et à ses déclarations à l’emporte-pièce (je tais son nom car j’ai honte pour lui, même si je suis citoyen vaudois, le canton d’à-côté). En terres vaudoises, aussi, au sein du gouvernement cantonal, on est venu nous annoncer la fin du monde et réclamer que les autorités fédérales nous bouclent à domicile. Comme le dit ma mère, « heureusement qu’on a les Suisses-Allemands ! ». En Suisse, par bonheur, on peut exposer des chiffres. Le masque n’est pas obligatoire, seuls 6% des usagers des transports publics le portent, 8% aux heures de pointe, toujours pas de clusters, la deuxième vague commence à ressembler à « l’Arlésienne ».  Pourtant, l’Etat fait de la retape tous azimuts avec des messages infantilisants, « tous responsables ». Effectivement, tous responsables de la défense des libertés fondamentales dans nos sociétés occidentales, d’où ce billet, dont je vais envoyer le lien aux autorités berlinoises, brandebourgeoises, allemandes et, même, à Mme von der Leyen. Les autorités et personnes précitées n’en auront certainement rien à faire, j’aurai au moins eu la satisfaction de leur avoir « renvoyé leur paquet ».  Question télé, je relève avec amusement que, lorsqu’on fait des simagrées sur « Affaires conclues », sur le plateau du 28 minutes, Arte, on se tient côte à côte, à peine à 20 centimètres les uns des autres. Je me dis que l’entendement protège de la carnavalite, ce virus intellectuellement transmissible via la peur, virus se manifestant par l’apparition d’un masque sur la face.

Un petit dernier pour la route
Et je suis rentré, vol de 20h10, aéroport de Tegel, terminal C. Les agents de sécurité portent de façon très personnelle le masque (sous le menton, sous le nez, sur le front …). Les contrôles passés, comme dans les gares du U, je suis noyé de messages de prévention qui tournent en boucle. Comme dans le U, un bon tiers des personnes présentes ne portent soit pas le masque, soit sous le nez, une partie des autres le retire régulièrement. Bref, du classique. Peu avant l’embarquement, une employée de l’aéroport dûment déguisée pour carnaval vient rappeler à l’ordre l’un ou l’autre passager qui ne porte pas du tout de protection faciale. Elle semble ne pas vouloir voir ceux qui l’ont sur le menton, ou à moitié sur la bouche. Et voici que passe l’équipe de la sécurité qui procédait aux contrôles ; il n’y a plus de vols pour aujourd’hui, ils ont fini. Aucun d’eux ne porte plus de masques ! Et que fit la petite préposée au respect des mesures liberticides pseudo-hygiéniques ? Rien. Elle s’est détournée pour ne pas les regarder puis s’est retirée derrière le distributeur de boissons, face contre le mur, à croire qu’elle se cachait ! J’en ai une caisse entière de ce genre à propos des agents de la BVG (compagnie de transport berlinois) préposés à la surveillance des quais, qui eux-mêmes se promènent à peine masqués (sous le nez).

In fine
« Qu’est-ce que ça peut te faire si des gens portent un masque ? » A moi, rien mais, derrière cette pratique et les injonctions panmédicalistes qui insistent sans cesse sur l’application d’une mesure qui ne sert in fine qu’à rassurer les craintifs avec un gri-gri ridicule, je m’interroge sur les véritables enjeux ? Le masque nous anonymise ; d’individu singulier, on devient une entité méconnaissable, un composant de la masse. L’étape suivante sera le puçage et ça se terminera avec « le soleil vert ». Le conarovirus – ainsi que je le nomme – n’est pas la peste, le choléra, la grippe de 1917 ou ébola. Il y a des victimes, oui, c’est regrettable, comme lors des épisodes de grippe saisonnière. Il y aura encore plein d’autres viroses de saison plus ou moins graves, plus ou moins naturelles. A chaque épidémie, les aînés mal-portants, les personnes en surcharge pondérale mal-portantes et les mal-portants tout court risquent leur peau. Je fais partie de la dernière catégorie (asthme chronique carabiné ce qui ne m’a jamais empêché de vivre, juste d’adopter des chats) et je suis sorti tous les jours durant le conconfinement, j’ai traversé la Suisse en train, je suis allé voir des amis car, du fait de mon asthme, j’étouffe si je ne peux pas sortir. Sitôt que les activités ont repris, je suis dès le premier jour allé au restaurant, suis retourné au fitness, n’ai jamais cessé de faire mes courses, n’ai pas peur du loup et ne compte pas me faire imposer mes peurs. Et je ne suis de loin pas le seul dans ce cas. Il faut bien mourir de quelque chose … Alors que la Suisse avait déjà conconfiné le vendredi 13 mars, je suis allé assister à la messe dominicale de l’autre côté de la frontière, là où elle avait encore lieu. J’ai toutefois toujours eu le réflexe d’éviter de me mettre les doigts dans le nez ou dans le c… n’importe où sans m’être lavé les mains préalablement, chose que je fais sitôt rentré à la maison. Les mesures imposées, proposées sont disproportionnées et inadéquates. La peur et l’infantilisation peuvent être un levier politique, une manière de gouverner mais les enfants finissent toujours par grandir et se faire leur propre opinion.

samedi, mai 30, 2020

Lettre ouverte à Monseigneur Charles Morerod


Monseigneur Morerod, successeur de Jules II, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg,

Permettez-moi cette lettre ouverte, lettre que je publierai sur mon blog et proposerai au « courrier des lecteurs » du quotidien 24H, lettre d’un catholique pécheur qui vous confesse le péché de colère, une colère froide car les mots qui vont suivre ont été retenus depuis le lockdown du 13 mars, une colère qui a crû avec le temps mais je m’étais promis de ne pas vous écrire avant que les églises ne soient rouvertes et la très Sainte Communion à nouveau donnée. Voilà qui est fait. Ce jeudi matin 28 mai, j’ai participé à la messe et j’ai communié. Je ne voulais pas rajouter cette colère à l’hystérie et à la confusion des dernières semaines. Vous aurez compris, Monseigneur, que l’Eucharistie, la Communion sont au centre de mes préoccupations, préoccupations de tous les petits à la foi nourrie de la présence de l’Aimé, la présence de Notre Seigneur Jésus Christ dans la vénération du Saint Sacrement ou de la Communion. Nous, les petits, sans grande connaissance théologique, nous n’accédons pas aux concepts éthérés de la « Communion de désir », à savoir on désire très fort la Communion et c’est comme si on l’avait. Je vous parle donc de la bonne majorité des fidèles qui pratiquent dans la confiance de l’amour de Dieu et l’abandon, bref la « foi du charbonnier ». Vous rendez-vous compte, Monseigneur, vous avez exigé de vos prêtres de nous abandonner, avec la pauvre consolation de messes on line un peu bricolo, messes qui nous déchiraient le cœur car nous étions privés de l’Aimé alors que vos prêtres s’en repaissaient avec componction et satisfaction.

« Il y avait des ordres », « l’Eglise n’est pas au-dessus de la loi », me direz-vous. Soit. Si vous, Monseigneur, successeur du grand pape Jules II qui fut aussi évêque de Lausanne, si vous aviez donc été l’un des prélats de l’Eglise des premiers temps et aviez été assistés des mêmes prêtres qui vous obéissent aujourd’hui, je crains que nous en serions restés au culte de Jupiter ! Des hommes et des femmes ont risqué leur vie pour la Communion et vous n’avez trouvé à nous servir, à nous peuple affamé du Christ, que des paroles sèches et des reproches, du style « la communion n’est pas un dû, c’est un don ! ». « How dare you ? » comme dirait Greta, et croyez bien que lorsque je l’ai crié devant la porte hermétiquement close de l’église Saint-François de Sales à Morges, fin avril, alors que les autorités fédérales avaient autorisé la réouverture des lieux de culte, croyez bien que mes larmes n’étaient pas feintes (colère, dépit, trahison). Par bonheur, le diocèse est vaste. Votre cathédrale a accueilli les fidèles dès que cela a été possible. J’y suis venu, j’y ai vénéré Notre Seigneur, et y ai même brûlé un lumignon pour les serviteurs pusillanimes de Notre très Sainte Mère l’Eglise. Il y a aussi la basilique Notre Dame de l’Assomption, à Lausanne qui a ouvert ses portes dès que possible, merci à l’abbé Dupraz.

Vous auriez pu, Monseigneur, faire preuve d’un peu d’imagination, vous inspirer de ce qui se passe ailleurs, à Berlin par exemple où, dans certaines paroisses, on ouvrait l’église et on recevait  le nombre autorisé de personnes pour la vénération du Saint-Sacrement et, avant de refermer les portes, les prêtres en profitaient pour offrir la Communion aux fidèles qui la demandaient. Et pourquoi ne pas avoir organisé la Communion sur le parvis, les fidèles par groupe de cinq, sur rendez-vous, après la célébration de la messe dominicale via Skype, Facebook, Zoom, Youtube, etc. Quitte à poursuivre le lundi et même le mardi encore, comme si le peuple des baptisés avait dû traverser une nef immense et parvenir enfin à l’autel … Mille autres choses eussent été imaginables mais vous vous en êtes tenu aux ordres et les prêtres qui vous doivent obéissance aussi. Avez-vous à ce point oublié que les gestes, la corporalité, la Communion sont l’essence même de notre Eglise ?! Je ne suis pas Docteur en théologie, je suis sûr que, lorsque vous lirez ces lignes, si vous les lisez, vous aurez vingt arguties tirées des textes des Docteurs de la foi démontant en deux-quatre-sept mes récriminations.
Monseigneur, rappelez-vous les paroles de Notre souverain pontife : « le bon berger doit pouvoir sentir l’odeur de ses brebis ». La foi – tout comme la politique, le sport et le sexe – ça ne passe pas par un écran, ça se vit en vrai, en trois dimensions et en couleurs. Le sexe, vous me direz, ce n’est pas votre domaine. Vu la situation, ne vous inquiétez pas, Monseigneur, je n’ai pas le plus petit bout de péché de luxure à vous confesser en sus de la colère. Pour revenir au sujet de la soumission de l’Eglise à la loi, je m’interroge. Lorsque je regarde du côté de la France où les évêques ont lutté, récriminé pour la réouverture des églises et la célébration de la messe en présence des fidèles le plus tôt possible, je me demande si ce n’est pas un effet de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Ne vous sentez-vous pas tenu à une stricte – je n’ai pas dit servile – obéissance envers les autorités cantonales ? Dans notre diocèse, il n’y a que Genève et Neuchâtel qui connaissent la séparation de l’Eglise et de l’Etat, un bon tiers de vos ouailles, une petite moitié au mieux. Je crois que vous avez la charge de plus de 250 paroisses dont bien 180 en territoire valdo-fribourgeois, là où l’Etat prélève un impôt ecclésiastique redistribué aux Eglises qu’il reconnaît (Eglise catholique romaine, église évangélique réformée). Sachant que « qui paie commande », je conçois que vous étiez tenu à une certaine … retenue.

Monseigneur, veuillez encore excuser – dans l’attente de ma confession et de ma pénitence – la colère et l’ironie des lignes qui précèdent. Votre position vous expose à ce genre de désagrément et je vous sais pris aussi dans une hiérarchie. Je vous laisse transmettre l’idée de fond de ma missive à Notre très Saint-Père et remotiver vos troupes dans bien des paroisses vaudoises. Je confesse encore l’orgueil de donner voix au chapitre à tous les fidèles qui se sont sentis abandonnés et trahis alors que l’Aimé se trouvait de l’autre côté de la porte dans la solitude d’une église désertée.

Frédéric Vallotton

mercredi, mai 13, 2020

Changement de point de vue versus changement de paradigme (et de ma judaïté accessoirement)


Comme me l’a dit Cy. qui, en ce moment, travaille à la maison, après l’énième appel d’un client ayant contesté son relevé de compte, « on n’est pas prêt de remettre le génie dans la bouteille », « tu penses, ils sont à la maison, ils ont du temps et se mettent à tout contrôler ». Je ne peux qu’acquiescer, pensant à l’une des vendeuses du « Fleur de Pain » d’à côté, m'interpellant l’autre jour : « Vous n’en avez pas marre de toutes ces histoires ? en plus c’est quoi ces statistiques ? je connais ma règle de trois, imaginez, c’est comme si je faisais ma caisse le soir sans savoir combien il y avait le matin ! » Je suis ressorti de la boutique ragaillardi dans l’opinion que je me faisais de mes contemporains et un rien amusé.

Je pense à toutes ces situations, à peu près satisfaisantes, boulot, petit copain, appartement jusqu’à ce qu’arrivent un chefaillon imbitable, un défaut nouvellement rédhibitoire chez l’autre, des voisins infernaux. Stop ou encore ? On en prend son parti, entre paresse et philosophie puis le mot, la goujaterie, le bastringue de trop, un demi-coup de gueule, une crise ou un silence résolu. Ne reste plus qu’à tout – ou partie – balancer. Un risque sanitaire, une épidémie, une pandémie passe encore ; se retrouver assigné à résidence, c’est un peu limite mais la fin de la vie sociale, les menaces de puçage, big data, vaccination obligatoire, interdiction de manifester, toujours pas de messe, de cinéma, de boîtes, quasi interdiction de rire dans la rue parmi les slogans hygiénico-totalitaires imposés avec une bienveillance insistante et gerbatoire : la coupe est pleine. La voix débile et un peu efféminée du speaker électronique du métro automatique M2 n’a de cesse d’inviter au port du masque, au respect des distances au-dessus d’une foule la face nue, indifférente en apparence. Je remarque chez chacun une petite ride de contrariété de plus en plus creusée à chaque répétition du message préenregistré. Encore une semaine à ce régime-là et ils monteront tous sur les sièges péter les haut-parleurs.

Mon sang allemand me crie de briser mes chaînes, sortir boire un verre au Biergarten après avoir fait une révolution spartakiste ou nationale . Quant à mon sang juif, il est en alerte avec ces histoires de traçage, tris, parcage humain et la furieuse envie d’aller voir ailleurs. Dans l’intervalle, ne sachant vers lequel de mes héritages génétiques pencher, j’ai fait du ménage, rendu mon tablier du Conseil de paroisse (ma lettre ouverte à l’évêque suit sous peu) et du comité d’une association locale. J’ai même commencé à « faire mon permis », histoire d’aller nous installer dans la campagne avoisinante ou tracer à travers l’Europe de l’Est comme un chevalier automobilo-teutonique, à moins que je ne fuie …

En dépit de mon ascendance Vallotton-Cornamusaz-Delacrétaz-Favre, se sont glissés deux ou trois exotismes, le plus connu l’arrière-grand-mère de la Forêt Noire, mère de mon grand-père maternel d’où une germanité « de sang ». Et la judaïté ? En son temps, lorsque j’hésitais sur l’Eglise dans laquelle je ferai mon baptême, j’aurais volontiers remonté le courant jusqu’à ses sources vétérotestamentaires. J’ai toutefois la faiblesse d’être attaché à mon prépuce qui m’a fait bien de l’usage jusqu’à présent et sur lequel je compte pour le reste de ma vie. Néanmoins, ainsi que je l’ai appris fortuitement de la bouche de ma mère entre la poire et le fromage,  il y a deux-trois mois, un arrière-grand-père séfarade algérien VRP dans le tabac avait séduit mon autre arrière-grand-mère maternelle. Il naîtra de cette relation illégitime ma grand-mère ! Le marchand de cigares abandonnera rapidement la mère et l’enfant. J’ai de plus une preuve « génétique » de mon appartenance à la communauté séfarade, une anémie hémolytique courante chez des populations issues du bassin méditerranéen/Afrique du nord.  Un médecin généraliste m’avait même lancé, en son temps, « mais vous êtes juif ? » ?

Bref, on n’est pas prêt de remettre le génie dans la bouteille et les lendemains s’annoncent … épiques ? divertissants ? instructifs ? En tous les cas « étonnants » comme le dirait Monsieur Cyclopède !




dimanche, mai 10, 2020

Fin de partie ( covid -19 etc. )



L’air sent bon, l’air sent bon comme dans mon enfance, un mélange d’herbe fraîchement coupée, de fleurs, de murs recuits par le soleil sous le piaillement des moineaux, le roucoulement des tourterelles. Il est trop tôt dans la saison pour entendre le cri cinglant du martinet haut dans le ciel. Peut-être que le shampoing du sarough mir récemment acheté et installé dans le salon d’été contribue-t-il aussi au « parfum de l’enfance, matinée de mai ensoleillée »? Accessoirement, je vais bien. Plutôt bien. J’ai dans mon état normal toujours un truc qui foire un peu comme avec les voitures italiennes, celles d’avant les fusions-acquisitions, quand les voitures italiennes étaient vraiment italiennes dans l’apparence et la technique, et le plaisir de les conduire. A cinquante ans, je me porte bien. Lorsque je passe voir un généraliste pour des histoires de voies aériennes supérieures enflammées, engorgées, entre asthme et sinusite, avec quelques ramifications parfois dans la sphère auditive, je le vois étonné à la mesure de ma pression artérielle, à l’écoute de mon rythme cardiaque ou, suite à une prise de sang, à la lecture de mon taux de sucre et de cholestérols (oui, il y a plusieurs cholestérols), le tout indiquant les valeurs médianes parfaites comme dans les ouvrages médicaux de référence. Il se trouve que je fais du sport (fitness, 3-4 fois par semaine) et je mange – un peu trop – des produits de qualité, beaucoup de fruits, peu de junk-food et, quand je bois, assez souvent, ce n’est jamais du  tord-boyaux. Pour revenir au « parfum d’enfance », compléter la bande son, j’ai omis le passage occasionnel et paresseux d’un petit avion vrombissant qui me fait toujours penser aux albums de Tintin.

Quand je ne vais pas bien, ce qui arrive régulièrement, de la bobologie moyenne dont je me remets, je peux toujours me consoler à l’idée du monde autour de moi qui tourne et vit, et croît, et forcit et parfois meurt, renaît, etc. Mais c’était avant. La partie vient de se terminer et je me retrouve à aller bien inutilement. Je n’écoute plus les nouvelles, je ne regarde plus la télévision du reste, à part la diffusion de films ou de séries, policières avant tout. Je coupe le son pour tout le blabla annexe, j’ai honte pour cette société alentour sur laquelle je devrais pouvoir m’appuyer, à laquelle je contribuais par toute sorte d’activités, l’idée de « payer mon écot » comme on dit ici. C’est la honte que l’on éprouve pour un proche ou une autorité, un parent, un aîné qui suscitait notre respect même lorsqu’on n’était pas d’accord avec lui, avec qui il arrivait que l’on se dispute avant de comprendre son point de vue sans forcément l’accepter. Aujourd’hui, c’est fini. Une sorte d’Alzheimer métaphorique et viral l’a emporté. Paradoxalement, ça ne m’empêche pas d’aller bien, ça n’empêche pas le « parfum d’enfance » de se répandre dans la pièce, une voile sur le lac, quelques nues accrochées à la crête de l’alpe composant le panorama, la vue du salon d’été.

Je me disais, « c’est bien, on y arrive », entre l’expérience, une certaine sagesse venue avec l’âge et le fait de participer activement au système, je pouvais y croire, même quelqu’un sans fortune, sans titre ronflant, sans grande influence (je parle de moi et sans fausse modestie) arrivait à faire bouger un peu les choses, la politique des petits riens pour le bien collectif. C’était avant. Fin de partie. Le papier-peint s’est mis à décoller. Avec les « événements », je refuse de les nommer autrement, ce serait leur donner une réalité qu’ils n’ont pas, avec « les événements » donc, je m’aperçois que les sans-grades avec ou sans syntaxe, nous n’avions jamais rien été d’autre que des petits chiens qui bougent la tête pour plage arrière de voiture. Même si tout cela, notre bonne vie néo-bourgeoise, les cafés, les spectacles, les journaux, les dernières collections, les expositions de peinture, même si tout cela n’était qu’un simulacre, je l’aimais bien cette mise-en-scène. Nous avions des projets. Deux éditeurs me promettaient des publications prochaines reportées au mieux et désormais aux calendes grecques. Cy. s’apprêtait à monter et à jouer une pièce  au off d’Avignon. Il y avait Pâques dans  ma bonne paroisse … C’est ici le point le plus douloureux, l’abandon des serviteurs de Notre très Sainte Mère l’Eglise catholique qui, lorsque des fidèles dans mon genre ont regimbé devant ce jeûne forcé de la Communion, ont lâché un « la Communion n’est pas un dû mais un don », comme un pet à la face des fidèles et autre « Communion de désir », à savoir tu y penses très fort et ça finira par arriver !!! Je dois écrire une lettre ouverte à notre évêque au sujet de la lâcheté et du manque d’imagination de ses troupes, peut-être parce que rémunérées massivement par l’Etat dans notre diocèse et puisque qui paie commande …

Le papier peint  a complètement décollé, l’air sent bon, comme dans mon enfance, je vais bien, tous nos projets sont caduques ou à foutre aux chiottes, le Seigneur saura nous en rendre grâce et, heureusement, il y les réseaux sociaux. Alors que des proches cèdent à l’hystérie grossièrement orchestrée par les médias et les autorités, il y a des voix que se sont fait entendre dans mon fil d’actualité, d’autres sans-grade et sans plus de projets qui vont bien, ni pire ni mieux qu’avant, qui se sont signalés, avec qui partager si ce  n’est un verre en terrasse du moins notre stupéfaction, notre indignation et de l’amitiés au passage. Heureusement, chers amis du grand réseau, heureusement que vous êtes là et l’espoir de re-bricoler un truc entre nous et d’autres, un truc qui ressemblerait à cette bonne vie néo-bourgeoise multipartite, multinationale, riche de saveurs et de caractère.

dimanche, avril 26, 2020

L'homme sans autre qualité - épilogue


Il écoute avec plaisir passer le bus sous ses fenêtres, le bruit si caractéristique de la gomme crantée des pneus sur la chaussée humide. Ça fait très fin du XXème, son siècle, il est un homme du passé. Il pense à Berlin, le convertible dans le salon d’une amie. Tout à l’heure, on évoquait dans un texte de Mérimée, « La Vénus d’Ille », on évoquait du chocolat de contrebande, venu de Barcelone et il s’est vu dans son salon de thé favori : Mauri, carrer de Provença. « … plaçons le passé derrière nous … », soit, mais qui sera-t-il demain matin, dès que le soleil aura tenté de percer à travers le stratus et, après-demain ? dans dix ans ? Il n’a pas envie de laisser filer un certain nombre d’affaires. Qui a fait quoi ? Comment ? Pourquoi ? et si l’empire ? si les alliés ? et laissons les jobards se tailler des costumes de vainqueur dans les pages de livres d’histoire.

Le silence se dilate dans la nuit, à peine une voiture au loin et de l’eau qui s’égoutte sur le cuivre d’un toit. Il faut croire qu’il a fait le tour. Promis, il va ranger sa tête comme, enfant, il rangeait sa chambre. Il sera qui il faudra être. Tant pis s’il reste quelques pages dans son cahier de notes ; il n’aime pas gâcher. Il trouvera à en faire quelque chose, le brouillon d’une lettre, une liste de courses ou de choses à faire. Il sent, toutefois, que c’était si proche, cette autre et merveilleuse possibilité de soi et de tous les autres par la même occasion. Il a mal au doigt, le sommeil le rattrape. Il s’assoupit légèrement entre deux pensées. Il a une petite nuit de cinq heures pour décider qui il sera, à son lever. Il aura encore certainement mal au doigt, ça lui fera comme une présence, un souvenir de sa non-aventure pour deux-trois jours jusqu’à ce que la cicatrisation ne lui dérobe la moindre sensation de ce qui a été et de qui il aurait pu être.

L'homme sans autre qualité - chapitre 9, seconde partie


L’audience s’est bien passée. On l’a retenu par le bras alors qu’il s’apprêtait à passer parmi les premiers, une foule catalane venue rendre hommage au souverain et poliment se plaindre du parlement de Madrid. Le césar s’est laissé baiser les mains avec chaleur et les demandeurs catalans s’en sont allés sans même avoir remarqué Steve et son frac tout neuf. Ils se sont retrouvés à 3 – Steve, l’empereur et un chambellan – au milieu de la salle du parlement. Sa majesté l’a brièvement regardé avant de lancer à Steve « vous voilà donc ! Allons prendre le thé ». Ils se sont tous trois rendus dans le restaurant du musée par quelque couloir de service. François-Joseph II a encore félicité Steve pour la coupe de son frac.
-        Votre majesté se souvient-elle …
-        Je vous arrête, plaçons le passé derrière nous, pour une fois

Et le reste de l’audience de se dérouler en considérations climatiques, comparatifs de la qualité du thé, du café et du strudel entre ici et là-bas, quelques mots à propos du retour de la diaspora, le projet de « nouvelles terres », etc.

samedi, avril 18, 2020

L'homme sans autre qualité - chapitre 8, seconde partie



Le vieux continent semble toujours émerger d’un lever tardif, début de nuit agité, cauchemars fiévreux ou lutte avec quelques démons intérieurs. Le vieux continent a néanmoins bonne mine, effets impressionnistes des brumes qui se dispersent en halos dorés, poudrés, l’aube aux temps de crépuscule. Steve a bien pris trente ans dans les gencives. Il est arrivé en super-zeppelin, directement de Neu York à Bordeaux puis l’un de ces fabuleux trains à impulsions magnétiques, le contact est assuré par une gaine remplie de vapeur d’eau ionisée au travers de laquelle circule le courant, généré par des bornes à impulsions magnétiques tous les 250 m. Le système est bien plus simple à exploiter que les vieux modèles à pantographes. Steve s’est rendu à Barcelone, l’empereur s’y repose. Il assistera à un concert de charité au Palau de la Musicà et donnera le lendemain une audience dans la salle du parlement catalan, sur la colline de Montjuic, le palais de l’Exposition Universelle et Musée National d’Art Catalan en dessous duquel on a foré quelques 2000 m² de surface supplémentaire, histoire d’accueillir le meilleur des collections en exil des musées de Lausanne, Genève, Soleure, Zürich, etc., la marche ouest de l’empire, volatilisée … Steve est descendu dans un bon hôtel de Sant Marti, une tour de style Liberty et la vue sur la mer, un horizon bleu, presqu’azuréen. Dégagé, démobilisé, Steve longe la Ronda Littoral la veste sur l’épaule, en mocassins sans chaussettes, pantalons chino greige facile à rouler jusqu’au-dessus du mollet, communier avec la mer, marcher dans ses flots, la belle image du jeune homme perpétuel. Des femmes en capelines, de jeunes adolescents presque nus, un petit air comme ci, comme ça, limite ce que vous croyez, la cour attire une société aux goûts, comment dire … très éclectiques. Il y a une certaine langueur qui semble se répandre de la colline de Tibidabo jusqu’à la plage. Le souverain séjourne dans une villa blanche à péristyle du côté de Poble Nou, rien de grandiose, une maison de vacances élégante dans laquelle il loge seul, avec un aide de camp, un majordome, une cuisinière, un jardinier-valet-chauffeur et son épouse femme de chambre-aide de cuisine. Parfois, un ou deux invités complètent la maisonnée. L’étiquette et les services de sécurité ont toutefois imposé à Franz Joseph der Zweite un palais-caserne où installer la troupe, les grands dignitaires, une salle du trône et de quoi recevoir les ambassadeurs décemment. La construction encadre discrètement sur trois côtés le jardin de la petite maison impériale. L’intimité, côté plage, n’est assurée que par une grille en ferronnerie d’art. Un tunnel piétonnier permet aux badauds de poursuivre leur promenade au-delà du jardin et de la plage privée.

A Barcelone, Steve remarque que la foule cosmopolite est trop occupée à jouir pour prendre la pose,
faire des mines, parler faussement discrètement trop fort afin de noyer le voisinage de la trépidante perfection de sa vie. On n’est pas bégueule à Neu York mais Barcelone est particulièrement affranchie. Des regards, des sourires, parfois un signe de salutation, une sorte de connivence. Steve a
poursuivi sa promenade jusqu’à Montjuic, le musée fait nocturne. Steve y pénètre sans trop savoir sur quoi il va tomber, un choc, d’autant plus grand qu’il ne s’y attendait pas, sans parler du contraste, quasi une contradiction entre des portraits de famille, de la peinture de chez lui, un vieux couple figé sur un canapé Louis-Philippe, un jeune homme maussade, la tête penchée, les lèvres presque serrées, teint pâle, arrière-plan gris-verdâtre et ce regard à la fois inquisiteur, doux et douloureux. Steve l’entend presque murmurer ; ce doit être la fatigue, une illusion auditive, et ce regard. Steve ne s’en inquiète pas, un peu de surprise, de l’hésitation aussi, que faut-il croire ? En revenir à l’indétermination de la narration ? Mais le tableau parle, vraiment ! Personne dans les parages ne s’en étonne ; quoique Steve soit plutôt seulet. Les rares visiteurs viennent plutôt compatir sur « le martyre des marches ouest » en jetant un œil distrait sur les œuvres sauvées de la volatilisation,  se recueillir devant une plaque commémorative à l’entrée des salles de cette section qui raconte le sauvetage de ces œuvres, la perte irrémédiable d’autres, la Grande Marche, etc. Personne ne semble déborder d’enthousiasme pour la peinture de Felix Bovon. La toile baragouinnante est un autoportrait, le célèbre autoportrait en jeune homme hésitant.

L'homme sans autre qualité - chapitre 7


Démobilisé, au risque de se répéter, Steve se sent démobilisé, les mains dans les poches, les jambes étendues, callé contre le dossier de l’un des bancs de Zentral Park, une promenade en début d’après-midi, le soleil d’un été indien perpétuel, frileux, l’été en question, on est tout de même en hiver. Un marchand de bretzels pousse sa charrette devant lui ; Steve le hèle, il n’a pas encore déjeuné. Il a décidé qu’il déménagerait après son retour de voyage, sa visite sur le vieux continent, ce qu’il en reste et l’audience avec l’empereur, une toquade à laquelle il tient. Concernant son logement, il prospectera sur Langinsel, dans le Königinsviertel ; les prix sont bas, rapport à la mauvaise réputation que l’on fait à ses habitants majoritairement anglo-saxons.

Pour revenir à son projet de voyage, Steve ne craint pas d’être submergé par l’émotion, l’Europe a tellement changé depuis la Grande Marche, tout ce qu’il a connu a été volatilisé, il s’apprête à découvrir un nouveau continent. Si l’audience avec l’empereur est suffisamment intime, il évoquera peut-être la fameuse représentation au Grand-Théâtre, l’attentat, une vieille affaire. Steve ne craint pas de se « griller », il n’a rien à perdre, l’empereur ne le reconnaîtra pas, Steve fait tout de même partie des plus d’un million de rescapés. Peut-être que les articles d’histoire-fiction qu’il écrivait pour un magazine en vue lui sont parvenus ?! On dit le souverain curieux et très informé. Steve se demande ce qui lui avait pris ? Quel sortilège romantique l’avait alors frappé ? Les services de renseignements de l’Agence impériale ont dû le filocher en leur temps … peut-être même que l’empereur s’attend à sa visite ? Le petit mot le priant de renouveler son passeport tient lieu de carton d’invitation. Steve se dit qu’il se fera tailler un frac, comme l’usage le voulait « dans le temps », le palais est sensible à cette marque de respect des traditions. Ce n’est pas une obligation mais un demandeur en frac est toujours accueilli avec un sourire complice de la part de l’empereur. Steve se fera tailler son habit sur place.

jeudi, avril 09, 2020

Des nouvelles du front ( covid-19, confinement, etc)


C’est un exil qui nous est offert, un exil doucereux, un ralentissement du temps, une petite vie faite de riens, d’une succession de tasses de thé, de verres de vin et de promenades alentours, une vie agrémentée par-ci par-là par la rediffusion de quelques vieilles séries télévisées aimées. Y aurait-il de la contrainte ? Certes oui, celle de lutter contre l’hystérie et la pusillanimité, toutefois il est permis d’évoquer mille souvenirs dans le silence du matin, un plateau d’étain sur le lit, petit-déjeuner et les chiens qui sont venus vous rejoindre et vous vous assoupissez un peu entre deux articles du Figaro magazine, un numéro d’avant que vous avez oublié dans le porte-journaux. C’est une vie sans âge, sans but et sans obligations. Un crépuscule en lieu et place du temps pascal. Les serviteurs de notre très Sainte Mère l’Eglise ont décidé d’obéir aux pouvoirs temporels, les églises sont fermées, les fidèles privés de la proximité de Notre Seigneur et de la sainte Communion. Cette année, le Christ ne ressuscitera pas car Il n’est pas mort, les jours s’enchaînent dans une répétition sans incidence … ou si peu.


On ne peut pas toujours faire partie des perdants, je n’ai pas à m’inquiéter, je travaille à l’Etat de Vaud, j’enseigne, en plus de mon sacerdoce littéraire. Et j’enseigne la culture générale, les examens intermédiaires des premières n’auront pas lieu, ni vraisemblablement les examens CFC des classes terminales, le programme est quasiment « plié », on verra par la suite pour les notes, pas d’évaluation tant que les classes n’ont pas réouvert. Vie ralentie, vie minuscule et merveilleuse, comme si j’étais à nouveau l’enfant grandi hors la foi, hors schéma, un peu sauvage et décalé, vivant l’impécuniosité de son état social à travers le prisme de récits merveilleux, de légendes, de rêveries historisantes. Je ne sais pas pour les autres, je dois vous dire que je m’en fous, pour une fois qu’ils ne viennent pas écraser mes châteaux de sable. Je ne comprends pas leurs inquiétudes, leur agitation … C’est vrai, ils ont peur de ce qu’ils ne connaissent pas, la suffocation, la pauvreté ou, du moins, de grosses difficultés financières … On ne peut pas toujours faire partie des perdants, une enfance à souffrir d’un asthme mal soigné dans un appartement aux murs moisis, l’office des poursuites qui vient vous retirer des meubles de peu de valeur, la compagnie d’électricité qui vous coupe le courant, le dîner, seul, sur un réchaud à gaz avec la compagnie d’une radio, quelques bougies ; voilà de quoi vous aguerrir.


Je n’écoute plus les nouvelles, je ne lis plus les journaux. Parfois Arte ou la 5, tout de même, et le fil d’actualité de la rts info car je ne supporte plus la joie baveuse hystérique des présentateurs si fiers d’annoncer la fin du monde et tout le discours orienté assorti. Je ne tire aucune fierté de ne pas avoir peur, il faut dire que ce n’est ni la peste, le choléra, ébola ou la variole. Ҫa n’a pas même le charme désuet et k und k de la grippe espagnole. Au détour d’un changement de chaîne, éviter le fameux TJ, j’attrape tout de même la phrase « comment expliquer la situation aux enfants ». Si j’avais eu à le faire, j’aurais simplement dit « Mon chéri/ma chérie, les Chinois sont un peuple respectable aux mœurs parfois discutables qui, non-contents de torturer des chiens pour finir par les manger, mangent toutes sortes d’animaux sauvages qu’ils entassent dans des marchés crasseux. Récemment, un pangolin a transmis un virus aux gens du marché et nos autorités qui s’écrasent devant la montagne d’argent que représentent l'économie chinoise et les riches touristes chinois ont laissé les avions remplis de ces gens atterrir chez nous et pareil dans toute l’Europe, et nous contaminer. Et, à présent que le mal est fait, pour montrer leur inquiétude, ils ont décidé de nous enfermer chez nous, pour notre bien évidemment. Et même l’Eglise est d’accord alors que Pâques est notre fête la plus importante, que la Communion est au centre de la foi catholique, tout comme l’adoration du Saint Sacrement. Et personne n’a voulu, n’a osé imaginer de meilleures solutions. Il y en a pourtant, et je ne parle pas de la Communion que l’on pourrait faire porter chez les paroissiens qui la demandent, comme une commande à la Migros ou chez Coop, ou sur Amazon. Il faut dire que la Communion est gratuite et que l’Eglise est financée par nos impôts et que c’est un peu l’Etat. Bref, mon chéri/ma chérie, cette année Pâques n’aura pas lieu même si on aurait pu faire une veillée dans son coin avec un direct sur les réseaux sociaux puis prendre rendez-vous pour recevoir la Communion sur le parvis de l’Eglise, cinq par cinq, chacun à une distance de 2 mètres ».


En vous écrivant tout ça, en le relisant, je prends conscience que sous la cendre de la vie ralentie, il y a de la colère, maîtrisée, policée, bien comme il faut, au garde à vous devant les préceptes hygiénico-moralisateurs à la mode en ce moment. Une colère trempée d’ironie, réhaussée d’un peu d’humour aussi, un humour à la Desproges. Par bonheur, mes amis ont la tête froide, on se dit en chœur qu’il faut bien crever de quelque chose et qu’on ne va pas rester terrer dans cette vie sans vie. Autant mourir de suite, avec ou sans respirateur. Il nous manque peu de choses, des cafés, des tearooms, une petite salle de cinéma, une salle de fitness, des musées de peinture, deux ou trois riens qui sont le fondement même de la bonne vie, et la possibilité de se voir à Berlin, Francfort, Milan, Bordeau, Barcelone ou Copenhague. 


C’est un exil qui nous est offert, un exil dont on ne reviendra pas, au sein duquel naîtra peut-être une résistance et, en attendant, le matin, après mon lever, je m’attarde souvent devant l’une ou l’autre bonne toile achetée à vil prix – de l’art bêtement figuratif, ça n’a plus de cote –  des œuvres qui décorent les murs de mes petits appartements, de la salle, du salon d’été. C’est presque une vie de princesse russe réchappée du massacre de la révolution d’octobre ; c’est, en fait, une vie de réfugié au cœur de mon propre pays, de ma culture. Etonnant, non, comme dirait Monsieur Cyclopède.

lundi, avril 06, 2020

L'homme sans autre qualité - chapitre 6, seconde partie


Ça, le fameux « ça » a encore frappé. « Ça » l’a pris d’un coup. Il était à Berlin, Potsdam plus exactement, au Palais Barberini, un affreux bâtiment en faux vieux historique dans lequel loge un musée de peinture. Il y était pour le travail, contrôle inopiné de la surveillance vidéo, exposition de natures mortes de van Gogh. L’essentiel se trouvait dans une salle du sous-sol, une salle entière consacrée au peintre est-allemand Wolfgang Mattheuer. Steeve est entré dans une nuit profonde, une ville au loin, ses lumières, une route solitaire, la lune, les étoiles, les phares d’une voiture qui s’approche. Mattheuer lui a dit de monter. Ils ont fait route un instant en silence, une route obscure, silence des mots mais musique, « Les folies d’Espagne », Marin Marais, un cassétophone mi-pourri sur la banquette arrière.

« Ce n’est pas aussi bon que sur un I-phone. » Wolfgang sourit et poursuit, « c’est l’histoire d’un mec qui vit alors que son monde est perdu, mort pour lui … J’ai connu la même chose dès 89, la chute du mur, etc. Je sentais bien qu’il y avait quelque chose de biaisé, j’y ai moi-même contribué puis ce que j’ai voulu changer a simplement disparu. Ce n’est pas plus grave. Les arts sont l’écho du monde. Marin Marais a su rendre la profondeur du bruissement de l’étoffe du Temps, une robe de cour, un rideau sur le parquet. Je n’ai pas de solution à t’offrir. Rentre chez toi, et regarde le monde depuis ta fenêtre, ton lit, la banquette d’un café ou ton bureau, et tu verras danser Oméga. » Plop. Steeve s’est retrouvé sur une chaise Louis XIII rustique, l’appartement au-dessus des voies de train, la pseudo-grande ville, une petite table devant lui, des photos éparses, un album. La chaise … le cadeau de Noël de l’auteur gazeux, il trouvait que cette raideur élégante siérait bien à Steeve. L’album : de vieilles photos, un cadeau tardif de Steeve pour sa mère. Réaménagement historique ou quand on a aussi besoin d’une version officielle dans sa vie. Et passe un train de marchandises en contrebas, la rumeur métallique qui, d’ici 300m ébranlera le nouveau Musée étable des Beaux Arts. Steeve se dit qu’il n’y a pas de hasards, la proximité entre son logement et des balises temporelles, des toiles, combien ont-elles une petite vérité à livrer, une pièce de puzzle, rébus quantique qui vise à la quadrature du cercle. Steeve est rendu sur sa chaise Louis XIII, les bras ballants, le regard absent. Le canapé se retient de pleurer, ne pas en rajouter à l’absence de perspectives, tout juste un trou de ver dans une toile peinte aux tons merdasses. Derrière la porte d’entrée, un type se retient de sonner, ne pas détourner l’instant de sa valeur fondamentale ; accessoirement, le type, Friedhelm, n’a pas moins de tact qu’un certain canapé. Il ne vient pas apporter de l’espoir à Steeve, ou des lendemains qui chanteraient connement, mais un cadeau du souverain, un petit portrait de l’empereur dans un cadre ovale en vermeil, décor de perles sur le pourtour surmonté d’un nœud, très fin XIXème en Alpha. La photographie est dédicacée, « à mon ami et sujet, avec amitié, reconnaissance. Franz Joesph II » Le dos du cadre est gainé de velours bleu nuit, pareil pour le pied dont le déploiement est retenu par une chaînette en vermeil de même. Friedhelm jouit de quelques moyens techniques en sus de l’intuition dont un canapé dépressif fait preuve à l’instant. C’est nouveau, une sorte de métronome transdimensionnel afin de rester dans le temps quantique, affaire de rythme, la musique est – aussi – une forme de balise. Les jazzeux sont les plus naturellement réceptifs.

Entre l’abandon de Steeve et l’attente de Friedhelm se tortillent mille légendes, mille récits, entre le mythe et la série télé, en passant par le roman. Et tout est vrai, selon son plan, théorie des cordes, etc. En géométrie, on parle toujours d’une « demi-droite dans l’espace », comme si l’on captait sur l’espace de la feuille une droite qui passait par là, la rendre perceptible, compréhensible, visible. Un récit, une théorie, une pensée offrent de la même manière une existence à un univers jusque là perdu dans l’indéfinition du néant, la matrice fondamentale. Friedhelm, debout, immobile derrière la porte de Steeve laisse encore passer l’évocation de Belphégor, une série en noir-blanc, frottée de fantastique, première diffusion en 64. Les sociétés secrètes et leur pseudo-savoir. Même l’auteur gazeux n’ose plus de telle ficelle dans ses romans. La gare est proche, Friedhelm va plutôt sauter dans un train, rencontrer le sus-mentionné auteur, lui déposer le cadeau pour Steeve. Il a aussi quelque chose pour lui, un petit presse-papier en bronze qui provient d’une résidence impériale. Friedhelm ne doit pas traîner, ne pas manquer son créneau de transit. L’occasion de serrer la main à Steeve se présentera bien à nouveau ; Friedhelm consultera sa table des combinatoires dès qu’il sera en Oméga.

dimanche, avril 05, 2020

L'homme sans autre qualité - chapitre 5, seconde partie


Parfois, ça s’arrête. Il remarque alors le portail ancien d’une maison, le parfum de l’air, une feuille ! S’il était l’empereur, il signerait de suite son abdication. Il a suivi l’autre jour une émission à propos de Maximilien de Habsbourg, empereur du Mexique, un pusillanime brillant qui fuyait les charges de sa couronne. Steeve est une sorte de Maximilien du transit. Il en était à creuser le sujet lorsque le mec gazeux s’est assis à sa table, la bonne ville voisine, le tea-room en vue du centre où les serveuses s’échinent à sprayer les petits fauteuils crapaud pseudo-design en reps gris souris de mousse antitache. On est en fin de journée. Le mec gazeux grimace ; Steeve ne sait pas par où commencer. Il jette un approximatif « … et alors ? » « Ça piétine » dit le mec gazeux, « je n’ai pas d’idée, c’est de plus en plus confus, à moins que ce ne soit évident ». S’il n’y avait plus de récit, juste des gens et leur vie. Ni complot, ni trous de vers, ni Alpha, Oméga, etc. Le mec gazeux serait un bon auteur, en vue, à Neu York, qui bavarderait avec Steve chez Rumpelmayer, derrière une tasse d’Ostfriesische Mischung et une tranche de Strudel. Steve lui raconterait un rêve, surprenant, comme une « rencontre », nuit après nuit mais, à présent, ça se serait dénoué, une sorte d’équation à résolution automatique, à la limite entre les mathématiques et les sciences naturelles, un peut-être qu’il traîne depuis la Grande Marche et l’exil. L’armistice y est peut-être pour quelque chose. L’Albanie vient de signer un accord de désarmement, la Macédoine reconnaît l’empereur, elle va rejoindre la couronne. La légation du Saint-Empire a fait parvenir à Steve un courrier, l’informer que sa citoyenneté impériale est confirmée, il est incité à renouveler son passeport à l’ambassade. « Tu veux retourner en Europe ? » Il prend son temps pour répondre à son ami auteur. « Peut-être un voyage … le royaume de Naples ou dans les provinces espagnoles, à cause des films de Peter Almodovar. » Les deux hommes marquent un silence, pensif. Almodovar s’est spécialisé dans les drames à Barcelone ou Madrid, avant la guerre. Il est né et travaille aux Etats-Unis du Mexique. Tout est reconstitué en studio avec grand réalisme. Les impériaux se persuadent que ce sont des inédits tournés avant la volatilisation. Steve se sent plein d’envies. Il regarde les … vingt dernières années de sa vie comme un long sommeil somnambulique, paradoxalement harassant. Il est libéré, délivré, etc. L’époque était bizarre, il était bizarre, il ne s’appartenait pas. Puisqu’il est sujet de l’empire, il va renouveler son passeport et, hop, aux prochaines vacances, s’envoler pour la brumeuse Europe. Naples, Palerme, Madrid ou Barcelone ou, plutôt, dans la ville où séjourne la cour. Il va demander – il en a le droit – une audience à l’empereur ; tous les sujets de Sa Majesté devant Dieu ont droit de le rencontrer et échanger avec lui, soumettre une doléance ou n’importe quel message, plaider pour la véritable recette des macarons à la coco, par exemple, proposer une modification législative, se plaindre de son voisin ou demander la grâce d’un parent condamné ! Steve partage immédiatement son projet avec l’auteur qui s’en amuse, ça lui donne l’idée d’une pièce, « L’audience » et le souverain serait obligé de convoquer un tribunal afin de statuer sur le cas d’un époux dont la femme le force à porter des chaussettes reprisées. Evidemment, on serait au plus fort de la guerre, la Grande Marche, etc. Ce serait drôle, légèrement critique quant à l’anachronisme de certaines institutions impériales et permettrait d’évoquer en filigrane l’horreur de la destruction d’un quart de l’Europe.

Steve rentre un peu ivre de son rendez-vous. On a bu du sekt, du schnaps, du Spätburgunder un peu trop facile au palais, rouge rubis et bouquet fruité. Steve se souvient avoir été très amoureux et malade à la fois, la présence de son autre lui, mais personne n’en parle plus, c’est fini, il s’en est remis, peut-être une conséquence de la guerre, un trouble post-traumatique schizoïde. Aujourd’hui, ça n’a plus d’importance.  Il veut passer à autre chose, tant pis si c’est trop tard. La femme qu’il aimait est morte, le Kosovo respecte le cessez-le-feu, l’Albanie veut rejoindre l’empire, les jeux sont faits et il lui est permis de couler dans une bienheureuse banalité. Il a cessé de rappeler à lui les traits de Mirim, sa belle Julia. Parfois, il se rappelle de sa propre enfance, de Heinrich, son ami étudiant en médecine. Il se souvient l’avoir laissé dans son chalet familial, seul, sûr de son sort, les premiers cent kilomètres de la Grande Marche. Personne ne savait exactement jusqu’où se produirait la volatilisation. Il fallait marcher, marcher jusqu’en Albanie, les camps de la Croix Rouge avaient été déclarés « sanctuaires ». Heinrich et Julia lui manquent mais … mais laissez les morts enterrer leurs morts disait l’Autre et Steve doit faire avec. Il a envie de déménager, s’installer enfin. Il est le dernier des exilés survivants de la Grande Marche à occuper l’un des logements d’urgence mis à leurs dispositions par le Staat von Neu Yorck. Toutes les autres chambres sont occupées par des étudiants, des personnes à l’aide sociale ou des travailleurs de passage. Il se verrait bien à Grünezauberindorf.

jeudi, avril 02, 2020

L'homme sans autre qualité - chapitre 4, seconde partie


Adélaïde lui a assuré que ce n’était rien, tant pis pour l’avant. Steeve doit définir cet après dans lequel il se dispose à entrer. Il le voit sans plus de qualité que lui-même, ne pas pécher par orgueil. « Vous y croyez ? » lui a-t-il demandé. « Pas plus que ça », a-t-elle répondu, « mais je ne suis pas à votre place ». Chaque homme serait une île, un continent mystérieux peuplé de sortilèges et d’êtres fantasmagoriques. « Bref, Oméga n’existe pas ! » a-t-il lancé. « Moi non plus si vous ne m’aviez pas rencontrée. » a-t-elle rétorqué. Steeve remarque pour lui-même qu’Adélaïde n’a pas dit  « …si nous ne nous étions pas rencontrés … » ; elle s’est volontairement retranchée de l’expérience de leur conjonction, au Musée Cantonal des Beaux Arts. S’il reconnaît cet événement, Steeve en partagera l’existence avec Adélaïde et d’autres visiteurs du musée au jour de leur confluence, pour peu que ces visiteurs ne les aient « calculés ».

On n’imagine pas le pouvoir des gens simples, des badauds, des témoins muets qui font tapisserie un peu partout sans même que l’on y prête garde. Il est l’un de ceux-là mais Steeve a vécu bien autre chose que la conversation d’un type un peu vague avec une femme mûre en écossais. Il a vécu Oméga, des possibilités, la lumière des Césars, ce quelque chose d’imparfait, de séduisant, un possible à sa mesure, un ailleurs qui lui appartient. En Alpha, il erre sans trop quoi savoir faire de lui, de ce corps pour lequel il est revenu parce que ces chairs, leurs faiblesses, les douleurs assorties sont pleinement à lui. Ce corps le définit.

Adélaïde lui a donné rendez-vous, dans quelques jours, pour un café, même lieu. Ça tombe bien, il a encore deux ou trois vérifications à faire, de la routine à la limite du peignage de girafe. Ça a le mérite d’occuper, un peu, plutôt que de faire le ménage ou écouter pleurnicher un canapé ramassé au hasard d’un trottoir. C’était tout de même cool d’avoir une « mission », ça le remplissait comme de l’étoupe dans le corps d’une poupée, lui donnait du volume, une présence, de l’importance. Il pourrait peut-être se jeter sous un train, il habite près des voies. De plus, c’est la saison : désespoir, solitude et approche des fêtes. Ce serait encore un coup à se réveiller dans un scaphandre d’occasion en Oméga, un truc mal formaté, il redeviendrait un cobaye, et que je te balade d’un complot à l’antichambre d’un palais impérial, culbute médiévale, escale dix-neuvième-siéclarde sans qu’on ne lui explique rien. Il est peut-être doué mais ça ne l’empêche pas d’être con. Re-caramba. Il faut qu’il passe demander des précisions au mec gazeux, ses élucubrations littéraires vaporeuses. En attendant, il s’endormira en regardant de vieux clips des eighties’. C’est, du reste, à cause d’une inspiration subite instillée dans l’esprit effervescent du précité auteur, suite à l’écoute de quelques-uns de ces vieux tubes, qu’il lui serait venu la prime ébauche du récit de la vie de Steeve. Comme quoi l’existence des mortels ne tient vraiment à rien.

mercredi, avril 01, 2020

L'homme sans autre qualité - chapitre 3, seconde partie


Ça ne va pas mieux ; cela a-t-il même jamais été bien ? On serait en droit de s’interroger. Il est passé trouver Mirim, son état est stable, ce qui ne veut pas dire grand-chose à son propos. Steeve se retrouve comme un vieux machin dans son appartement décati, la pseudo-grande ville autour. Son canapé pleurniche. Steeve a le choix entre accepter ses menus dons ou avoir l’oreille qui clignote. Il aimait bien les perspectives qui s’ouvraient à lui du temps quand il était un looser aux pieds sales, la ville avait vaguement de la personnalité. A présent, tout est écrit mais il n’arrive pas à déchiffrer. Et il n’y a pas que le canapé qui sanglote, toute la maison pleure un temps perdu, béni mais personne n’avait compris. Steeve se souvient de son homonyme, un mec de l’Agence, une petite main qui avait pris congé d’Alpha comme ça, mine de rien. Il avait sauté d’un quai, un p’tit lac suisse-allemand bien comme il faut et, pfuiiit, disparu. Steeve regarde luire un énorme couteau de cuisine sur la table du salon, il l’a oublié là, il avait bricolé un truc et pas de cutter sous la main. La lame lui fait de l’œil, il se dit pourquoi pas. De toute manière, l’Agence ou de petits hommes verts vont tout bien tout remettre en place et il aura été effacé de la narration. Il doit passer trouver Adélaïde avant de décider quoique ce soit. Steeve a un à-priori positif, il aime bien l’écossais, ça lui rappelle des choses qui ne lui sont jamais arrivées, des peut-être heureux qu’il aurait tant de plaisir à raconter ou ressasser derrière une bière, une terrasse, fin d’après-midi, un printemps humide, l’un de ces improbables cafés-restaurants où se mêlent des bikers bidonnants, les vieux du quartier, des ados « rebelles » et de la blonde avec la miche en dépôt de bilan. Et voilà que le canapé pleure sur sa jeunesse à lui, Steeve, sa jeunesse disparue !? Il trouve que c’est encore plus triste que de finir au bord du trottoir dans l’attente d’être broyé dans la benne d’un camion-poubelle de la voierie. Steeve ramène le couteau à la cuisine. On est toujours à la croisée des chemins, ce petit moment d’indécision, moins qu’un vibrato, avant de plonger dans l’un des possibles qui s’offrent à vous et tout s’enchaîne comme des détritus qui tombent dans le dévaloir, la belle invention foireuse. On a fini par tous les condamner à la fin du siècle dernier, les gens étaient trop dégueu’, ils balançaient leurs restes alimentaires sans même les emballer d’un sac poubelle. Steeve se souvient avoir été accusé dans son adolescence par un concierge lusophone d’avoir jeté un reste de spaghettis bolognaise, spaghettis ayant terminés leur course sur le dos du dit technicien polyvalent de surface. L’image le fait marrer, ce qui ne retire rien au fait que son état d’homme sans qualité particulière le maintient dans une immobilité indécise. Ça ne le préserve ni du temps, ni de l’ennui. Caramba. Il y a donc eu un avant et il entre dans un après, celui de la guérison. Il ne retrouvera jamais l’état qu’il connaissait dans ce fameux avant. C’est évident. Il s’assoit. Il est soudain frappé par le souvenir, toutes les fois quand on l’a vilipendé, quand on s’est payé sa tronche, quand on l’a humilié et ça aurait continué s’il n’avait pris les choses en main, le petit hiatus quantique qui a replié Oméga sur la probabilité de son existence. Le canapé s’est endormi, Steeve fait attention de ne pas le réveiller.

samedi, mars 28, 2020

L'homme sans autre qualité - chapitre 2, seconde partie



Par moment, ça lui semble très clair, il sait exactement ce qu’il a à faire, la suite des événements, il est même certain de ce qu’il veut, ce qu’il attend. La plupart du temps, ça redescend comme un vieux soufflé tiède et il se demande ce qu’il peut bien y foutre. Tout l’embarras de sa situation se concentre dans ce « y » dont le sens varie de la vie  que Steeve mène, au sens ultime de son existence, l’avenir d’Oméga, son activité professionnelle, l’Empire, l’Agence, la résistance jusqu’à la carrière littéraire du mec gazeux. Steeve s’attarde en contrôles inutiles au musée des Beaux Arts, parfois une toile lui parle un peu, lui glisse un mot, comme les parents « de l’autiste », « le père » et « la mère », par Félix Vallotton, chacun son tour susurre que c’est une erreur, une invraisemblable erreur, ils n’ont rien à ajouter, ils ne comprennent pas, que pourraient-ils dire ? Ils sont des gens plutôt simples même s’ils vivent dans une certaine aisance. Steeve pose une main amicale sur l’épaule du « père », le rassurer, tout va bien, Félix va bien, il a du succès, et Paul s’occupe de vendre les toiles de son frère. Tout est pour le mieux. Il n’a pas les chiffres en tête mais ils vivent aussi bien que s’ils avaient une pharmacie. A la « mère », Steeve dit que Félix a épousé une femme bien qui contribue à son succès et qui lui a donné une famille. Steeve omet de dire à vieille que Gabrielle Vallotton a donné à son second époux les enfants conçus avec le premier. Steeve se perd dans le décryptage de la bibliothèque de l’autiste, il ne reconnaît pas la femme qui farfouille parmi les rayons en désordre, la bibliothèque est une vitrine dont les portes sont garnies de rideaux verts. Une fois refermées, personne ne peut deviner le désordre. La femme se tait, une main plongée parmi les livres. Steeve la sent agacée mais elle se réfrène. Tu parles de balises, Félix les a « amorcées » – ce genre de choses s’amorce comme une grenade – n’importe comment pour emmerder, ses modèles, les transitaires, Oméga, l’Agence, etc. A présent, la femme de dos marmonne quelque chose, Steeve fait le mort. Il sait qu’elle sait qu’il est là mais il ne se sait pas observé, lui aussi, par une femme dans la salle, près de 60 ans, élégante, en tailleur jupe écossais beige, maquillée, un peu, quelques bijoux. « Vous entrez véritablement dans la toile, n’est-ce pas ? Je ne suis jamais parvenue jusque là. » Steeve sursaute, se retourne, la femme lui tend une main, « Appelez-moi Adélaïde, j’ai fini par adopter ce prénom mais c’est une longue histoire … » Elle pensait bien que Steeve était là pour des raisons professionnelles, aussi. La peinture, c’est un peu le domaine d’Adélaïde, son père était galeriste, ainsi que sa grand-mère par alliance mais rien n’est resté, pas même une petite collection. « Je connais les amateurs d’art, leurs manies, leur mise-en-scène mais vous semblez vraiment communier avec la toile. » Steeve se présente, explique son travail et le lien qu’il a su développer, avec le temps, vis-à-vis de la peinture, de la littérature, l’art … « Si je vous disais ce que je crois. Les œuvres ont une vie propre, les lieux, les personnages, les situations ont une existence pas moins réelle que nous. Et on se croise avec un tableau, une page de texte. » Steeve fixe brièvement Adélaïde, soulagé, content qu’elle ne soit pas un membre de l’Agence ou de n’importe quel bureau de l’administration impériale. Elle ajoute une dernière chose dont Steeve se doutait bien, « Faites-en ce que vous voulez, mais la guerre a commencé, peut-être le combat final. Pour l’instant, on en est encore aux questions de stratégies, alliance de dernière minute, la foire aux dupes. Le premier coup finira par partir … Passez me trouver un de ces jours. »

lundi, mars 23, 2020

L'homme sans autre qualité - chapitre 1, seconde partie


Les jours se sont ajoutés aux jours, ou plus exactement à l’absence de jour sous un ciel bas, le stratus plombé qui coupe les montagnes à l’horizon et assourdi la palette. Et maintenant, c’est fini, à moins qu’il n’entame un nouveau chapitre, le charme de la petite histoire de rien, légèrement triste, la douceur amère de souvenirs effacés. Il a rencontré, fortuitement, le mec gazeux dans le nouveau grand Musée des Beaux Arts du coin, une nef de béton, façades garnies de briques de grès gris. Steeve venait vérifier le nouveau système de surveillance vidéo, le mec gazeux promenait son spleen et un manuscrit à la cafétéria, derrière une tasse de Assam. Steeve s’est assis en face de lui. « Au fait, c’est un rendez-vous » a lancé l’auteur gazeux. « Friedhelm ? » a répondu Steve. Et son vis-à-vis d’acquiescer. Steeve s’est alors lancé dans un comparatif entre ce musée et celui de son dernier transit. Steve, oui, Steve, le double de Steeve, avant la Volatilisation, la Grande Marche et l’immigration aux Etats-Unis du Mexique, vivait dans la région. Si Alpha se met à reconstruire ce qui a disparu en Oméga dans une sorte de rétro-avancée, ça ouvre de nouvelles perspectives aux héros sans qualité particulière. Dommage qu’un mal indiagnostiqué lui grignote le côté droit de la tête ; Steeve n’est pas au point de se rouler par terre. Il reste un peu abasourdi par le silence d’Oméga. L’auteur gazeux se tord les mains comme une jeune fille, ses prochaines publications n’ont de cesse d’être reportées. Franchement, ces histoires cantiques de mondes parallèles sont en train de l’éloigner de son travail, ce pour quoi il est fait, de l’autofiction gaillarde et chantournée. Il avait déjà bien assez de contradicteurs, s’il faut encore y ajouter les agents du côté obscur de la force … Heureusement, il y a les chiens, ils vont bien. Parfois, l’auteur gazeux se dit qu’ils s’occupent de tout dans la maison. Bref, Friedhelm a dit « on ne va pas vers le beau, les cols risquent d’être fermés ». Steeve semble réfléchir avant de lâcher « Il veut certainement dire qu’il est temps de s’équiper de chaînes » mais ni Steeve, ni l’auteur n’ont de voiture. Ils ne vont pas même à la montagne. A travers les baies de la cafétéria filtre un jour rare, gris, il est 17h. Les deux hommes ont la tête pleine de héros discrets et désillusionnés aux gestes mesurés. Des taiseux, des blessés et, sous la croûte, des petits garçons délicats. C’est aussi l’heure bleue des rendez-vous adultérins, les petits secrets des femmes mariées, bien comme il faut que l’on rencontre fraîches encore à cette heure dans les transports publics. Tout cela est très cliché, téléphoné et dépassé même. Steeve prend congé, il va aller promener un peu ses crépitements à travers la ville puis il compte se coucher tôt. Le mec gazeux va tenter d’imaginer une suite plausible, il a accepté la mission. Il comptait écrire un truc à propos de Berlin, le buste de Néfertiti, des histoires de portes symboliques mais ça lui a échappé. Steeve devra se débrouiller tout seul.

L'homme sans autre qualité - chapitre 33


Samedi mou, le premier de novembre, ni transit, ni translation, juste le parfum puissant du souvenir d’Oméga, l’ancien Oméga de son adolescence que Steeve traîne de pièce en pièce, son vieil appartement aux tapisseries ruinées, le canapé silencieux, un peu d’ordre dans la cuisine et une chambre, un vrai lit aux draps propres. Du reste, la machine tourne dans la salle de bain. Ce n’est pas que ça le dérange mais tout de même, ce crépitement qui, subitement, se met à hurler dans son oreille droite et le quitte par intermittence. Il en a parlé à l’hôpital, à l’occasion d’une visite à Mirim, il doit consulter, en attendant on lui a glissé une boîte d’anti-inflammatoires. Il dort, il mange, il fait ce qu’il a à faire pour entretenir le mythe merveilleux de la normalité. A-t-il refermé la porte ? Il susurre   « …I need your love » sur la musique de Porter. Il ne saurait du reste à qui adresser ces mots. Steeve se dit qu’il finira peut-être avec autant de dignité que son oncle alcoolique, la bibliothèque dont il a hérité, son invraisemblable épopée. Personne ne sait quels sont les effets des transits sur la santé à long terme, quels sont les risques accrus de cancers, infarctus, attaques cérébrales, autres. Steeve s’en fout. Tant qu’il peut marcher. Il sent qu’il y est allé, un centre balnéaire avec spa et un peu plus, une jolie campagne, une colline, un bout de ville, de vastes champs au-delà et une rue adossée, à un vieux mur, une rue qui mène à l’hôtel, l’entrée du parc. Il y a aussi un type plus vieux, et le reste … confus … à décanter ! Comme un vin de garde que l’on n’a pas laissé maturer suffisamment longtemps, les arômes restent confus. A bien y réfléchir, il y a une ville, pas loin, d’un genre plutôt allemand. Il la connaît. Il sort de la gare, coupe à travers une friche urbaine, atteindre un musée. Deux types le suivent, il y a de l’embrouille, Steeve se souvient d’une soirée dans les souterrains du musée, un bastringue cul-alternatif-artisteux … C’est à cette occasion que s’est nouée l’embrouille. Le jeune mec doit être le tapin du vieux et Steeve a dû secouer ce dernier à un moment … On peut pénétrer dans l’espace muséal soit par un ascenseur panoramique, soit par une entrée au sous-sol, second accès qu’emprunte Steeve, filer sous le nez des deux jobards qui l’ont tout de même devancé. Un guichet sécurisé, Steeve passe sa carte, un préposé lui dit qu’il y a un problème. Un problème ?! quel problème ? S’il s’agit de ces deux messieurs ? Steeve les avait « bousculés » ? Dans l’enceinte du musée ? non, mais à l’occasion d’une soirée, dans un espace mis en location par le musée. Il s’agissait d’une proposition, comment dire … inconvenante. Ça n’a toutefois rien à voir avec l’espace muséal. Le gardien acquiesce, laisse passer Steeve et les deux importuns de tourner les talons. Durant sa visite, Steeve se laisse surprendre par un autre visiteur taquin, un petit système amusant aménagé au détour d’un couloir, un vitrine remplie de masques et de mannequins en buste, grandeur nature, la vitrine est à l’angle d’un escalier, aménagée de même en escalier et si l’on y prête garde … Par l’arrière, une ouverture ménagée permet à quiconque de se glisser, la tête, les épaules ou jusqu’à la poitrine afin de surprendre les autres visiteurs par un cri, un mouvement. Et Steeve de se faire avoir, s’en amuser. Le musée est une vaste expérience, une sorte de mise en abîme de la notion de musée, une coulisse, un espace en voie d’aménagement. Le clou, le « salon des paysages », une salle comme un séjour et la vue sur la ville jusqu’à ce que cette vue indique un mouvement, le musée avance le long de la rue. Nouveau tour de passe-passe, les fenêtres n’en sont pas mais des écrans. Une femme admire le montage, émerveillée, Steeve entame la conversation. Accélération, le musée semble s’envoler, les écrans fenêtres diffusent un ciel, un vol, un survol, puis une baie. « New York » s’exclame Steeve avant de se raviser, la baie de Genève dans la lumière orange d’un coucher estival. Il en pleure d’émotions.