Ça ne va
pas mieux ; cela a-t-il même jamais été bien ? On serait en droit de
s’interroger. Il est passé trouver Mirim, son état est stable, ce qui ne veut
pas dire grand-chose à son propos. Steeve se retrouve comme un vieux machin
dans son appartement décati, la pseudo-grande ville autour. Son canapé
pleurniche. Steeve a le choix entre accepter ses menus dons ou avoir l’oreille
qui clignote. Il aimait bien les perspectives qui s’ouvraient à lui du temps
quand il était un looser aux pieds sales, la ville avait vaguement de la
personnalité. A présent, tout est écrit mais il n’arrive pas à déchiffrer. Et
il n’y a pas que le canapé qui sanglote, toute la maison pleure un temps perdu,
béni mais personne n’avait compris. Steeve se souvient de son homonyme, un mec
de l’Agence, une petite main qui avait pris congé d’Alpha comme ça, mine de
rien. Il avait sauté d’un quai, un p’tit lac suisse-allemand bien comme il faut
et, pfuiiit, disparu. Steeve regarde luire un énorme couteau de cuisine sur la
table du salon, il l’a oublié là, il avait bricolé un truc et pas de cutter
sous la main. La lame lui fait de l’œil, il se dit pourquoi pas. De toute
manière, l’Agence ou de petits hommes verts vont tout bien tout remettre en
place et il aura été effacé de la narration. Il doit passer trouver Adélaïde
avant de décider quoique ce soit. Steeve a un à-priori positif, il aime bien l’écossais,
ça lui rappelle des choses qui ne lui sont jamais arrivées, des peut-être
heureux qu’il aurait tant de plaisir à raconter ou ressasser derrière une
bière, une terrasse, fin d’après-midi, un printemps humide, l’un de ces
improbables cafés-restaurants où se mêlent des bikers bidonnants, les vieux du
quartier, des ados « rebelles » et de la blonde avec la miche en
dépôt de bilan. Et voilà que le canapé pleure sur sa jeunesse à lui, Steeve, sa
jeunesse disparue !? Il trouve que c’est encore plus triste que de finir
au bord du trottoir dans l’attente d’être broyé dans la benne d’un
camion-poubelle de la voierie. Steeve ramène le couteau à la cuisine. On est
toujours à la croisée des chemins, ce petit moment d’indécision, moins qu’un
vibrato, avant de plonger dans l’un des possibles qui s’offrent à vous et tout
s’enchaîne comme des détritus qui tombent dans le dévaloir, la belle invention
foireuse. On a fini par tous les condamner à la fin du siècle dernier, les gens
étaient trop dégueu’, ils balançaient leurs restes alimentaires sans même les
emballer d’un sac poubelle. Steeve se souvient avoir été accusé dans son
adolescence par un concierge lusophone d’avoir jeté un reste de spaghettis
bolognaise, spaghettis ayant terminés leur course sur le dos du dit technicien
polyvalent de surface. L’image le fait marrer, ce qui ne retire rien au fait
que son état d’homme sans qualité particulière le maintient dans une immobilité
indécise. Ça ne le préserve
ni du temps, ni de l’ennui. Caramba. Il y a donc eu un avant et il entre dans
un après, celui de la guérison. Il ne retrouvera jamais l’état qu’il
connaissait dans ce fameux avant. C’est évident. Il s’assoit. Il est soudain
frappé par le souvenir, toutes les fois quand on l’a vilipendé, quand on s’est
payé sa tronche, quand on l’a humilié et ça aurait continué s’il n’avait pris
les choses en main, le petit hiatus quantique qui a replié Oméga sur la
probabilité de son existence. Le canapé s’est endormi, Steeve fait attention de
ne pas le réveiller.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire