Adélaïde lui a assuré que ce n’était rien, tant pis pour
l’avant. Steeve doit définir cet après dans lequel il se dispose à entrer. Il
le voit sans plus de qualité que lui-même, ne pas pécher par orgueil.
« Vous y croyez ? » lui a-t-il demandé. « Pas plus que
ça », a-t-elle répondu, « mais je ne suis pas à votre place ».
Chaque homme serait une île, un continent mystérieux peuplé de sortilèges et
d’êtres fantasmagoriques. « Bref, Oméga n’existe pas ! » a-t-il
lancé. « Moi non plus si vous ne m’aviez pas rencontrée. » a-t-elle
rétorqué. Steeve remarque pour lui-même qu’Adélaïde n’a pas dit « …si nous ne nous étions pas rencontrés
… » ; elle s’est volontairement retranchée de l’expérience de leur
conjonction, au Musée Cantonal des Beaux Arts. S’il reconnaît cet événement,
Steeve en partagera l’existence avec Adélaïde et d’autres visiteurs du musée au
jour de leur confluence, pour peu que ces visiteurs ne les aient
« calculés ».
On n’imagine pas le pouvoir des gens simples, des badauds,
des témoins muets qui font tapisserie un peu partout sans même que l’on y prête
garde. Il est l’un de ceux-là mais Steeve a vécu bien autre chose que la
conversation d’un type un peu vague avec une femme mûre en écossais. Il a vécu
Oméga, des possibilités, la lumière des Césars, ce quelque chose d’imparfait,
de séduisant, un possible à sa mesure, un ailleurs qui lui appartient. En
Alpha, il erre sans trop quoi savoir faire de lui, de ce corps pour lequel il
est revenu parce que ces chairs, leurs faiblesses, les douleurs assorties sont
pleinement à lui. Ce corps le définit.
Adélaïde lui a donné rendez-vous, dans quelques jours, pour
un café, même lieu. Ça
tombe bien, il a encore deux ou trois vérifications à faire, de la routine à la
limite du peignage de girafe. Ça
a le mérite d’occuper, un peu, plutôt que de faire le ménage ou écouter
pleurnicher un canapé ramassé au hasard d’un trottoir. C’était tout de même
cool d’avoir une « mission », ça le remplissait comme de l’étoupe
dans le corps d’une poupée, lui donnait du volume, une présence, de
l’importance. Il pourrait peut-être se jeter sous un train, il habite près des
voies. De plus, c’est la saison : désespoir, solitude et approche des
fêtes. Ce serait encore un coup à se réveiller dans un scaphandre d’occasion en
Oméga, un truc mal formaté, il redeviendrait un cobaye, et que je te balade
d’un complot à l’antichambre d’un palais impérial, culbute médiévale, escale
dix-neuvième-siéclarde sans qu’on ne lui explique rien. Il est peut-être doué
mais ça ne l’empêche pas d’être con. Re-caramba. Il faut qu’il passe demander
des précisions au mec gazeux, ses élucubrations littéraires vaporeuses. En
attendant, il s’endormira en regardant de vieux clips des eighties’. C’est, du
reste, à cause d’une inspiration subite instillée dans l’esprit effervescent du
précité auteur, suite à l’écoute de quelques-uns de ces vieux tubes, qu’il lui
serait venu la prime ébauche du récit de la vie de Steeve. Comme quoi
l’existence des mortels ne tient vraiment à rien.
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