Il écoute
avec plaisir passer le bus sous ses fenêtres, le bruit si caractéristique de la
gomme crantée des pneus sur la chaussée humide. Ça fait très fin du XXème, son
siècle, il est un homme du passé. Il pense à Berlin, le convertible dans le
salon d’une amie. Tout à l’heure, on évoquait dans un texte de Mérimée, « La
Vénus d’Ille », on évoquait du chocolat de contrebande, venu de Barcelone
et il s’est vu dans son salon de thé favori : Mauri, carrer de Provença. « …
plaçons le passé derrière nous … », soit, mais qui sera-t-il demain matin,
dès que le soleil aura tenté de percer à travers le stratus et, après-demain ?
dans dix ans ? Il n’a pas envie de laisser filer un certain nombre d’affaires.
Qui a fait quoi ? Comment ? Pourquoi ? et si l’empire ? si
les alliés ? et laissons les jobards se tailler des costumes de vainqueur
dans les pages de livres d’histoire.
Le silence se dilate dans la nuit, à
peine une voiture au loin et de l’eau qui s’égoutte sur le cuivre d’un toit. Il
faut croire qu’il a fait le tour. Promis, il va ranger sa tête comme, enfant,
il rangeait sa chambre. Il sera qui il faudra être. Tant pis s’il reste
quelques pages dans son cahier de notes ; il n’aime pas gâcher. Il
trouvera à en faire quelque chose, le brouillon d’une lettre, une liste de
courses ou de choses à faire. Il sent, toutefois, que c’était si proche, cette
autre et merveilleuse possibilité de soi et de tous les autres par la même
occasion. Il a mal au doigt, le sommeil le rattrape. Il s’assoupit légèrement
entre deux pensées. Il a une petite nuit de cinq heures pour décider qui il
sera, à son lever. Il aura encore certainement mal au doigt, ça lui fera comme
une présence, un souvenir de sa non-aventure pour deux-trois jours jusqu’à ce
que la cicatrisation ne lui dérobe la moindre sensation de ce qui a été et de
qui il aurait pu être.
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