dimanche, novembre 10, 2019

L'homme sans autre qualité - Chapitre 24


Je me résume. Selon la formule consacrée, je résume pour moi-même la situation, ce qui m’y a mené et, à la fois, comme Yahvé faisant « tsim-tsum », je me rétracte en moi-même pour laisser de la place à cette vie. Donc, tout  a commencé il y a très longtemps, dans mon enfance, durant les nuits de laquelle j’ai beaucoup rêvé. Fantasmagories ou monde parallèle, mystère. Il est juste arrivé un instant T à la suite duquel le papier peint a décollé et j’ai vécu dix-quinze ans dans le texte que j’ai écrit, la vie de mes personnages, une vie selon mes sensations et mon souvenir pas moins vraie que mon existence actuelle. S’il s’agissait d’un délire à caractère schizoïde, j’aurais vraisemblablement « atterri » dans une jolie petite chambre capitonnée, une clinique au fond d’un parc et un traitement fait de cachets rigolos. Je vais partir de l’idée que tout est vrai. Je vais donc aussi disqualifier l’explication façon « Lost », à savoir je suis mort mais ai recréé avec quelques autres une réalité tout aussi vraie que celle que nous connaissions de notre vivant. Je rejette aussi l’explication façon « Vanilla Sky » même si, çà et là, j’ai l’impression qu’il y a un accroc dans la moquette, un truc qui ne colle pas. Je me rêverais une vie idéale plutôt merdique, ça n’a pas de sens. Au chapitre des « déjà vu », il y aurait l’explication en mode Matrix ou allégorie de la caverne de Platon : là-bas se trouvait la vraie vie, ici n’est qu’un théâtre d’ombres chinoises. Il y a encore la théorie des cordes, on se rapproche du vraisemblable. J’ai donc, durant une légère absence, été un menuisier-flic-raté-agent-de-sécurité, une sorte d’agent triple bidimensionnel baladé entre l’Empire, l’Agence et la Résistance. J’ai aussi été enseignant transfuge dans la peau de mon double et un demi-malfrat ici bas. J’ai, clou du clou, été un jeune homme noir de 25 ans de l’autre côté avant que je ne décide de revenir. Il y a encore la « parenthèse » de l’homme de quarante ans qui se retrouve dans la peau d’un danseur de 17 ans ! Je mets de côté cet épisode, c’est une bizarrerie que l’on dira connexe. « Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? » comme le disait le mec de la publicité pour la super-glue collé au plafond. Je ne suis absolument pas en état de reprendre le fil de cette vie … ma vie. Se réveiller, se lever, se préparer, prendre des transports, pratiquer une activité lucrative à caractère pédagogique parmi … des collègues pour qui l’Histoire appartient à des débiles de spécialistes, des crétins qui se laissent berner par les sources, des preuves bidouillées et orientées par les vainqueurs, quelle que soit la guerre. En gros, il faut avoir le droit d’avoir une opinion. Quelle vie dénuée de sens, en dépit de la sincère affection que je peux porter aux proches que j’ai retrouvés.

lundi, novembre 04, 2019

Des nouvelles de "Credo"


Reculer pour mieux sauter …  De la déception ? non. De l’impatience assurément. Il était prévu que « Credo » sorte en novembre, il sortira à la rentrée de janvier, chez l’Age d’Homme comme prévu. Pas d’inquiétude, donc. Ce report, un supplément de temps pour garder encore un peu ce texte auprès de moi. Je ne vais pas vous faire le coup du « je ne me suis jamais tant livré », il s’agit toujours d’un essai à caractère autofictif, mise-en-scène et réagencement à la clef. Toutefois, j’y suis peut-être plus … cash. Je me disais, hop, ça sort en novembre, un entrefilet par-ci, une demi-interview par-là, un peu de curiosité, la considération de mes pairs et l’affaire sera vite classée avec le tohu-bohu des fêtes de fin d’année. Satisfait sans trop se mouiller. En janvier, ça risque de mieux se voir. Avoir des lecteurs, soit, susciter la curiosité, des questions, y répondre, voilà une autre affaire.

Dans « Credo », tout y passe, la politique, les convictions, les rancœurs, les obédiences, deux ou trois griefs. Avec le temps et l’âge, on accumule : souvenirs, kilos en trop, contradictions, compromissions, casseroles, regrets. Ecrire soulage et allège. Ça ne fait pas maigrir mais ça permet de montrer qu’on a compris que la prise de masse est dans l’ordre des choses. On ne va pas s’astreindre à des régimes forcément promis à l’échec sur la durée comme certains auteurs à bonne gueule que la jeunesse fuit insensiblement et qui tentent désespérément de la retenir par le brushing et le contrôle alimentaire. C’est grotesque, surtout lorsque l’intéressé vous la joue « rebelle ». Remarquez, j’ai autant d’aversion pour les repentants qui confessent une jeunesse ceci ou cela en bavant sur leur famille au passage. Tous les auteurs se remboursent au passage, avec plus ou moins d’habileté mais de là à se justifier, le petit genre psy-psy-beurk d’un dossier d’instruction judicaire. Laissez-moi vomir.

« Credo » n’est pas tendre ; néanmoins, il n’est ni revanchard ni gratuit. Vous connaissez mon amour de l’état des lieux, « rendre sur le vif », témoigner des moindres choses et donner du sens. Je n’ai pas envie d’en débattre, me faire salir ma version par des peigne-culs ou des pisse-froids. A la relecture, j’ai eu quelques vapeurs, j’ai même hésité à sabrer ceci ou cela, ne pas passer pour un vieux con. Et puis non, mes critiques ne sont pas gratuites, elles ne tiennent pas de la provocation « pour faire genre »  à caractère picaresque. Ce qui est écrit, est écrit, plus moyen de me couper la parole ou de kidnapper mon opinion dans un débat contradictoire au cours duquel des jobards me prouveront A + B au carré à quel point ce que je pense est tendancieux parce que je ne suis pas sociologue, machin-chouetteologue ès pédanterie bienpensante. Il y a de la gloriole aussi. J’ai mis un point d’honneur à être moi à chaque mot de ce texte, moi en légèrement augmenté pour bien tout couvrir le champ. Un regret peut-être, je n’ai pas assez parlé des toc-tocs, des fêlés, des cabossés, des tordus et de ceux dont on ne veut pas parce qu’ils ne font pas partie des « bonnes » victimes.





dimanche, octobre 27, 2019

L'homme sans autre qualité - chapitre 23

Le Renard - Der Alte

Il est rentré de Berlin. Je suis rentré de Berlin, un séjour de plus, visite à la Berlinische Galerie, Hasir où, apparemment, j’ai mes habitudes, visites à Li., dîner avec cette dernière et Frau Dr. von J., sa mère ; un peu d’amusement ; la musique de la ville, sa magie. Et tout est dit. Il est rentré en vrac et soulagé, de la peine à dire « je », cette identité qui n’a pas plus d’existence dans un texte que l’évocation d’un éléphant rose ou le récit de l’un ces songes si réalistes, mon Oméga, le pays d’ailleurs que je visite encore, parfois, avec moins de régularité. J’ai reçu un message d’ un autre éditeur, voir les détails de la publication de « La lumière des Césars », mon odyssée limite délirante à travers les couloirs d’une autre possibilité. Une otite me bave à travers l’oreille droite, j’entends des choses, le crépitement insistant d’un incendie qui bouronne. Je ne serai pas le moins du monde étonné lorsque les flammes jailliront. Excellente excuse pour ne rien faire et regarder toute les séries policières franchouilles, britouilles et teutonnes que diffusent une bonne quinzaine de chaînes … indigentes pour la plupart. J’aime le cliché du/de la commissaire, tics et manies, et le monde de tous les jours en toile de fond. J’ai peut-être eu un trouble schizoïde à force de rester collé derrière le petit écran ? Entre « Le Renard » et « Poirot », je sors les petits chiens, me traîner dehors parmi cet été qui commence à prendre du plomb dans l’aile. Il faut en profiter … parce que sous peu, il doit reprendre le chemin du boulot. Ni agent de sécurité, ni flic, ni marchand d’art ou retraité : il enseigne ! Configuration plutôt classique pour un auteur ; il est loin le temps quand la littérature nourrissait son homme.

Je suis de retour, pour de bon, à peine abasourdi par trois-quatre mois d’absence ? deux ans ? dix ans ? absence à moi-même. J’ai durant tout ce temps, agi de manière tout à fait normale, « en pilote automatique ». J’ai mis des chaussettes, me suis brossé les dents et ai même exercé des activités pédagogisantes à caractère lucratif. J’avais déjà « débloqué » dans le genre durant mon enfance, mon adolescence. Je me rappelle qu’on me trouvait déjà bizarre. Je suis allé trouver un ORL pour mon conduit auditif droit en plein marasme, vraisemblablement la porte par laquelle je suis passé …

Intrication et non-localité, mes nouveaux mots d’ordre, à moins que je ne sois dans l’état du chat de Schrödinger, vivant et mort à la fois ?! Normalement, il nous arrive des trucs qui tombent d’on ne sait où, « la faute à la fatalité » selon le bon mot de Charles Bovary à propos de la mort d’Emma. Je sait qu’il s’agit d’un état d’équilibre. Comme deux particules qui se rencontrent ? s’intriquent ? s’emboîtent ? existant l’une par l’autre. Si l’une est rouge, l’autre est verte ; si l’une devient verte, l’autre vire au rouge. Pourquoi en ai-je conscience ? pourquoi la dyslexie ? pourquoi une conformation du système nerveux selon un schéma autistique Asperger ? On va dire qu’il s’agit de mon « petit » talent. On s’est bien occupé de moi durant mon absence, j’aurai pu me retrouver en plus mauvais état. Je découvre tous les jours qui je suis et le  nombre d’activités à la c… dans lesquelles je me suis investi. A croire que je craignais de ne pas exister en dehors de ces activités. Disons que tout cela est le résultat de mes choix.

lundi, octobre 14, 2019

L'homme sans autre qualité - chapitre 22


Il a lu un joli volume, verbe mesuré, de belles images, la force d’un récit biblique, « La seconde mort de Lazare ». Il l’a trouvé chez le mec gazeux … l’auteur … chez lui, l’envoi d’un éditeur. Ça l’a touché, profondément touché. Il est lui-même, une sorte de Lazare, pareil et si différent dans ce supplément de vie qu’il reconnaît peu à peu comme la sienne. Peut-être qu’Alpha-Oméga, l’Agence, et tout le reste n’est que fumisterie. A ce tarif-là, le « soleil vert », c’est de la chaire humaine ! Trouver une porte à Berlin ?! une porte vers une autre dimension, façon « Stargate » ; Steeve aimerait en rire. Il devrait demander discrètement à son entourage s’il n’a pas un peu changé, genre « j’ai pris le puck ». Les tableaux qui parlent, les objets vivant, un petit monde façon « Alice au pays des merveille », tout cela s’est calmé, comme lissé, disparu. Il ne se rappelle plus exactement quand cela a commencé, peut-être lors de la vision de presse de « Matrix », ils avaient juste manqué la scène initiale Follow the white rabbit, comme le signal qu’un hypnotiseur donne au début de son numéro. Du coup, il n’est jamais sorti de son état modifié de conscience, vingt ans ou plus à côté de ses pompes, une prouesse ! Il a aussi vu, au Delphi Lux, un nouveau cinéma, dans un nouveau bâtiment, derrière la gare de Zoo, il a donc vu un film façon « Alice au pays de Berlin », une histoire de « merveilles » résilientes dans laquelle une jeune femme court après une horloge qui permet de remonter le temps (choix retardé de Wheeler ?!). Il est donc venu à Berlin soit : 1. pour accepter cet épilogue cinématographique qui tendrait à lui prouver que la vie de Steeve est aussi belle que n’importe quelle autre et qu’il n’a pas à « sauver » l’univers mais à vivre son bonheur … 2. pour rejeter cette conclusion foireuse mise en scène façon « Fabuleux destin d’Amélie Poulain » choucrouteuse et, de ce fait, errer quasi à poil, au bord de la folie, dans un monde hostile et incohérent. Il aurait dû aller voir le documentaire sur la numérisation des œuvres d’art, le buste de Néfertiti en affiche. Il aurait eu des réponses, des indices, le mystère des pyramides, un peuple disparu, la grande loge, société secrète, l’Agence, etc. A la place, il est allé voir une bluette dans une salle remplie de bonnes femmes soit gâteuses soit assoupies.

A-t-il seulement envie de courir après le fantôme d’Akhenaton ? jouer les Indiana Jones flapi quoiqu’il ne soit pas physiquement en pire état qu’Harrison Ford à présent. Tant qu’une momie ne vient pas lui taper sur l’épaule, il en reste à son état d’auteur mineur, la petite cinquantaine, sans sexualité particulière, un léger délire derrière lui. Il ne finira pas comme Maurice Leblanc qui se barricadait dans sa chambre à coucher de peur d’être assassiné par son personnage, Arsène Lupin. Il est con, l’autre ! Tout le monde sait parfaitement que Lupin ne tue pas ; au pire, il séduit. Et Steeve de s’imaginer faire un pas de deux en robe fourreau avec Georges Descrières. Il retrouve des souvenirs d’enfance, l’enfance de l’autre, le mec gazeux, l’auteur, lui-même donc, des souvenirs d’enfant sage, derrière la télé, maman coud à la machine sur la table derrière, dans l’espace salle à manger. Il sait que cet autre qu’il est à présent a aimé le personnage de Lupin, son aisance à être, son humour, son baroque et le fait de faire tourner les moralisateurs en bourrique. « Passer à travers … » : les règles, les interdits, les lois de la physique, les tabous, le ridicule et quelques autres décors peints. Il serait à ses propres yeux un Lazare et que va-t-il faire de ce temps de rab ? Tout d’abord cesser de regarder le monde avec des yeux de merlans frits puis se mettre au travail, être le personnage qui écrit la vie de l’auteur. Il est LA porte, à Berlin, dans sa bonne ville, dans la « Grande » ville voisine, à Tel Aviv ou Lyon. Partout. Il n’est pas question de remonter le temps mais de le réinterpréter, de relever les indices. Il est question de sens, de retour de sens (commun, propre ou figuré, qu’importe). L’histoire est la trame du temps. Sans récit, tout fout le camp ou rien n’advient.

mardi, octobre 08, 2019

L'homme sans autre qualité - chapitre 21


La température est redescendue, il est en vacances, quelques semaines, et il se fait à son nouveau … statut. Dans la nuit, bien avancée, alors que Lou’ sommeille allongé dans son lit, contre lui, il regarde une série à la télévision, une série britannique, « Downton Abbey » ou les pérégrinations existentielles d’une famille d’antan, le titre, le château, le domaine à travers la modernité post-apocalyptique de l’après 18. La déférence de chacun des protagonistes le touche, leur manière d’être bons sans sentimentalisme, leur foi en ce qui leur paraît juste doublée de compassion, comprendre l’autre … Steve eût aimé être le scénariste d’un tel récit. Ça le touche profondément, mieux que l’expérience des fentes de Young ou de la gomme quantique à choix retardé de Wheeler. Steeve rend les armes avec Everett – le physicien auteur de la théorie  des mondes multiples – et, lorsque Steeve regarde un épisode de « Downton », il a envie d’adhérer à cette réalité si peu réelle, admettre une version en particulier comme admettre un penchant. Il emporte de cette douceur avec lui lors de proto-transits, des mondes où ce n’est pas grave et qu’il fréquente avec bonheur, de vieilles habitudes qui lui réchauffent le cœur. Lou’ ronfle et s’agite. Steeve écoute le battement d’une horloge, le tic-tac d’un réveil de voyage à calendrier, un modèle 8 jours, cet appartement est rempli d’instruments de mesure, il y a même un coffret débordant de montres au fond d’un placard de la garde-robe, et une quinzaine de théière en étain, acier, porcelaine, faïence, argent, etc. Entre « Le tour du monde en 80 jours » et « Alice au pays des merveilles ». Le pompon : il va publier, sous peu, dans une bonne maison de la place, il s’agit d’un petit paquet de convictions au fil desquelles sont convoqués comme témoins des films, des toiles, d’autres séries. Tout était donc minutieusement préparé à moins que ce ne soit un piège ou sa « petite » folie. Steeve est résolu à tenir son rôle, ce rôle. L’éditeur lui a demandé de réfléchir à une couverture, Steeve a failli rétorquer « … celle que j’ai en ce moment n’est pas crédible ? je ne suis plus auteur ? » puis il a fait le lien avec le texte à paraître, il a promis de trouver une photo, fouiller des registres numérisés, peaufiner son … rôle, sa couverture. Puis il s’invente des histoires, dans un lieu qui lui dit quelque chose, dans une compagnie plus ou moins choisie, un petit détour narratif. Un bistrot plus ou moins à la mode, à la Croix-Rousse, et le malaise diffus qui lui agrafe les organes internes les uns aux autres, surtout en bas, et la promesse de « demain », le mot sonne comme un tour de clef dans une porte que l’on s’apprête à ouvrir. C’est tout de  même joli, cette vie-là, il serait tenté de s’y attacher. Ça fait des nœuds, à l’intérieur, comme dans un scaphandre mal formaté. Tant qu’il est dans l’appartement de grand-mère, parmi les théières, les horloges, les montres et les tableaux, ça le fait, il se sent quasi normal. Plus il s’éloigne de sa base, plus il se sent mal, exception faite des territoires germaniques, partout où l’on parle allemand le monde tourne rond lui dit son ventre.

Hors les cafés, bistrots, bouchons, etc., à Lyon, il y a le musée des Beaux Arts, remplis de balises muettes à présent mais si sensibles, figées dans l’instant T, la dame triste du boudoir bleu par Jacques-Emil Blanche. Elle fixe l’auteur pour un rendez-vous manqué et Steeve pour avoir rendu Oméga caduc, pour avoir figé les choses, jusqu’à nouvel ordre, dans leur pire version. Steeve surinterprète peut-être, rapport au pire. Ne serait-ce pas la nostalgie de ce qui aurait pu advenir ? Et si, et si, la valse des « si », richesse des probabilités, le cadeau dont on n’a pas encore défait le paquet, ficelle, papier de fête et, à l’intérieur, le présent, toutes les hypothèses réduites à un maintenant, un ici.

On lui a encore souhaité bon anniversaire puis on est rentré de Lyon. Steeve a retrouvé la chambre aux mille objets, les commodes remplies de manuscrits, la conversation des horloges, les théières dans la cuisine, du repos. Comme le combiné qui retourne sur sa base. Il n’en sait pas plus. Il est peut-être une version librement consentie de lui-même. Si c’est le cas, il doit se prouver, afin d’adhérer au récit, qu’Alpha et Oméga ont correctement fusionné, qu’il n’y a plus de dangers, jusqu’à la prochaine diffraction. Steeve a lu dans le manuscrit le récit de sa vie, avant, celle qui de fait n’existe plus. Steeve a donc lu qu’il avait compris et accepté l’existence d’Oméga à Berlin, avec des histoires de portes … Il va y retourner, à pieds, enfin en avion, physiquement, avec ses pieds-pieds et pas éthériquement planqué dans les synapses d’un quidam.

vendredi, octobre 04, 2019

L'homme sans autre qualité - chapitre 20


S’il y croit, encore, ça a du sens. On ne « débarque » pas comme ça en Israël par hasard, ou le hasard des amies de l’ami qui adoooorent Tel Aviv et ses plages, les bomecs, etc. S’il y croit donc … Steve a mis la main sur le manuscrit, le récit de ce qu’il croit percevoir comme la vie qu’il avait auparavant, du temps d’Alpha-Oméga. Tout y est ; il l’a lu. En cachette. Dans la garde-robe de sa chambre, là où il a trouvé le texte parmi d’autres papiers. S’il y croit encore… Ça s’intitule « La lumière des Césars ». On y parle de Julia, de sa mère, de Friedhelm, de l’empereur, de …  de tout. Le petit Lou’ l’a rejoint durant sa lecture, l’air désolé, s’est accroupi entre ses jambes. Steeve se tenait en tailleur, sur le sol, sur un tapis noué main, un afghan. Puis le voyage en Israël, les questions de la préposée israélienne à l’immigration attachée à l’aéroport de Kloten, puis maintenant. Démobilisé. Dans la peau non pas d’un flic retraité ou je ne sais trop quoi mais d’un auteur qui a raconté sa vie. Il raconte même le « mec gazeux », lui, l’autre, l’auteur, c'est-à-dire lui maintenant. On lui a replié l’univers, en deux, quatre, huit ou plus encore ce qui expliquerait peut-être le poids de la canicule actuelle. Il est peut-être arrivé la même chose à Ulrich avec Robert Musil. Steve serait-il allé regarder là où il ne fallait pas et aurait figé un champ de possibles merveilleux dans le plus miteux des scénarios ?! Israël est une …, comment dire, une aberration géopolitique, à la fois ceci et son contraire. Les bases de cette nation lui interdisent tout avenir et sa perpétuation gomme son origine spécifique. Israël ou le pli dans la moquette. Vous avez beau le piétiner, l’aplatir, le pli disparaît là, sous vos pieds, pour réapparaître à l’autre bout de la pièce. Israël, du reste, ne semblait pas exister en Oméga, à moins qu’il ne fût dans l’angle aveugle du regard de l’auteur ? Steeve se fait la tête de l’homme affairé, qu’on le laisse en paix le temps qu’il ait compris sa nouvelle logique de vie, épluché les agendas, mené son enquête puis il filera à Berlin. Pour peu qu’il ne se trompe pas, le séjour à Berlin est déjà prévu, vols et logement réservés. Il voyagera seul. Sa conjugalité semble être aussi une chose compliquée et/ou confuse. Il y a aussi un « truc » avec « L’homme au cigare », la grande toile accrochée sans cadre au-dessus de la porte de son cabinet. Steeve doit trouver le moyen d’entrer en relation … faire parler la balise, à moins qu’il ne s’agisse de l’expression de son trouble schizoïde.

dimanche, septembre 22, 2019

le monde de frevall: L'homme sans autre qualité - chapitre 19

le monde de frevall: L'homme sans autre qualité - chapitre 19: Du charme de l’insignifiance. Tout est dit. Steeve est rentré de Stuttgart, on annonce un épisode de canicule mais, pour lui, il neige à...

L'homme sans autre qualité - chapitre 19


Du charme de l’insignifiance. Tout est dit. Steeve est rentré de Stuttgart, on annonce un épisode de canicule mais, pour lui, il neige à l’intérieur, des flocons lourds sur un paysage gris. Steeve est donc rentré dans la bonne ville, au bord du lac, avec le parc voisin où poussent des « Weisse Berliner », des tulipes pas même blanches mais striées d’un peu de rouge. Il a retrouvé les chiens. Sentiment d’être embarrassé de soi. Il est allé dans la « grande » ville voisine, vérifier si, par hasard, il ne trouvait pas son nom sur la porte, là où il vivait dans cette autre possibilité de lui-même. Il ne pense pas à un « avatar » de son être mais à une forme/manifestation de sa personne, un genre de « bodhisattva ». Le liquide change de forme au gré des flacons mais ni de nature, ni de quantité. Il neige à l’intérieur. Steeve cherche en lui, fouille dans des recoins méconnus, qu’il croyait perdus et retrouve d’autres paysages, allemands ceux-là ; il s’est trompé de lac. Il sent d’autres possibles pas moins exacts ou réels que la vie de Steve du temps d’Alpha-Oméga. Il y aura d’autres transformations, de brusques changements de paradigmes d’autant plus brusques qu’ils passeront inaperçus, le gag du gant que l’on retourne en le retirant. Sur le quai, la gare, la foule, une guérite, des parois vitrées qui lui renvoient l’image d’un type moins empâté qu’il ne se l’imaginait. Et encore l’un de ces souvenirs venus d’il ne sait où, il est un petit garçon, assis dans le salon familial, face à la télé et s’envolent les bonshommes de Jean-Michel Folon sur la musique de Michel Colombier. Son cœur, alors, se sert et il se met à pleurer, sans tristesse excessive, une peine subite, peut-être due à la musique. Sa mère s’en émeut, le console, il s’excuse, presque, il ne comprend pas lui-même sa tristesse, sentiment d’abandon. Aujourd’hui, il sait pourquoi ; l’enfant de cinq ans qu’il a été le savait déjà. Le hautbois plaintif racontait le souvenir d’Emmanuel, le titre du morceau et prénom du petit garçon décédé de Michel Colombier. Steeve a appris cela incidemment, une chronique musicale sur une chaîne publique et le hasard a voulu qu’il prenne un café en zappant et apprenne ce qu’il savait déjà. Comme l’histoire de son homonyme, un type en France, vétérinaire, un métier que Steve aurait voulu pratiquer, que l’un de ses avatars aurait aimé pratiquer. Il neige à l’intérieur, dans sa tête, sur son cœur, il neige, on annonce un épisode de canicule dehors. Et s’il réussit à mettre la main sur Musil, sur Ulrich, pourrait-il sauver Emmanuel ? Et comment s’y prendre avec ce vieux corps, tout abîmé, un peu trop lourd ? Il sait ne plus savoir transiter, plus de façon aussi … massive ? réelle ? physique ? Steeve va devoir trouver la clef de l’énigme dans son occurrence temporelle, une vie qu’il connaît sans l’avoir vécue, une probabilité de lui-même parmi les milliers d’autres possibilités d’être. Il pourrait être israélien, habiter Tel Aviv, cacher une homosexualité peu électoraliste et faire partie de l’avenir du Likoud ? Serait-il différent ? Il pourrait méditer quant à sa prochaine campagne, ce qu’il fera du pouvoir sur la terrasse de son appartement, en front de mer, le quartier de Kerem Hateimanim. Il y aurait la saveur de l’air, pas tant éloignée de la saveur de l’air dans les nouveaux souvenirs d’enfance de Steeve mais il rejette la contrainte, la pression du mensonge. A-t-il envie de se tasser plus de quatre heures dans un vol de ligne El Al, coincé entre des ultra-orthodoxes et de grosses bonnes femmes sans manière ? Sans parler des questions inquisitrices portant sur le prénom de sa grand-mère ou la couleur de son slip ?! Mais Steeve s’est bien rendu en Israël, à Tel Aviv, il n’était pas seul … Il a effectivement dû évoquer la couleur de son slip et le prénom de sa grand-mère auprès d’une préposée à l’immigration attachée à un aéroport suisse. Ça ne faisait partie d’aucun plan, il a juste suivi. Les beaux-parents s’occupent des chiens. Cet après-midi, au moment du coucher, sur cette même terrasse, Steeve a bavardé avec un jeune homme, Avri, bonne gueule, belles dents, la jeunesse, une présence physique. En d’autres temps, récents, il aurait pu croire à la délégation d’un membre de l’Agence. Il a finalement conclu par la délégation d’un tapin ou d’un agent du Mossad. Allez savoir. Il découvre qu’il est une personne anxieuse, travaillée de l’intérieur, contradictoire comme Israël. Il y verrait un signe, une leçon pour peu qu’il y croie encore. Il a l’impression de voir partout le même mec, un grand, brun, barbu, peu vêtu, mince, hâlé, torse poilu, bonne gueule, un chapeau, un chien et rien d’autre dans les mains, riens dans les poches … Ils doivent être fabriqués en série. Steeve se trouve psychologiquement à mille lieues de la réalité de son séjour. Il y a tous ces gens, bruyants, démonstratifs, plutôt fiers d’eux-mêmes quand ils sont beaux, plutôt rustauds pour les autres. Steeve pense au retour et se voit comme un mec barbouillé devant un plat de pâtes géant.

lundi, septembre 16, 2019

L'homme sans autre qualité - chapitre 18


Hoppenlaufriedhof
Heureuse, la serveuse est heureuse, rayonnante, parce qu’il a pris de la sauce moutarde-orange. Elle était déjà très touchée lorsqu’il avait commandé un hamburger végétarien avec pain foncé. Elle a réagi sur le « pain foncé » comme si Machin-Chose lui avait fait un cadeau, quasi une bague de fiançailles. Il ne sait pas trop comment il est arrivé à … Stuttgart. Il ne reconnaît rien de ce qui l’entoure, il a lu le nom de la ville sur le menu, une petite chaîne de burgers bio-écolo-bien pensante avec des bancs sur la terrasse. En fait, il se souvient avoir « repris conscience » dans l’église voisine, St. Maria, du gothoc du XIXème aménagé en étable altermondialiste. C’est plutôt moche. Machin-Chose – Stéphane ça ne lui va vraiment pas – observe avec affection les clients, les passants. A Vienne, il sait qu’un truc a mal tourné, « genre » patacaisse grotesque, « genre » Godzilla a débarqué dans la salle du trône après avoir défoncé le plafond ou des femens ont fait caca devant le trône les miches à l’air … Ou, va savoir, il a foutu le feu au palais créant une nouvelle occurrence historique entre Alpha et Oméga. Ça n’a pas tout à fait marché mais, à présent, il a choisi ce qu’il veut faire, rien moins que sauver les petits chiens, les petits oiseaux, les petites filles et leur poupée, et tous les autres aussi. Il a le souvenir très net d’être quasi à poil, sur  une banquette, et de regarder un programme télévisé, des histoires de conquête spatiale, des images de la préparation de la mission « Voyager » et la terre, son système solaire, perdus dans la galaxie, le jour quand tout cela sera englouti dans un trou noir, ou dévoré par le soleil mourant. Il a senti ce parfum métallique du sang dans le nez, et comme une lame dans la gorge avec la colère parce que cette fin annoncée est parfaitement injuste, et il a tenté un truc, l’histoire de la grande Conjonction, parce qu’ils n’ont pas de solution non plus, mais des contacts, une aide extérieure qui devra bien sortir du bois si elle ne veut pas que Machin-Chose ne fasse à fond !

Stuttgart lui rappelle des samedis après-midis non-chalantes, belles et vaines à la fois, avec le chant des oiseaux et le parfum du gazon tondu, une sorte de vacance de toute espèce de projets, de plans, d’avenir même sans inquiétude, avec confiance et satisfaction. Rien ne sert de s’agiter, le temps s’écoule, pareil à lui-même, une sorte d’automatisme magique auquel rien n’y fait. Machin-Chose aimerait bien être quelqu’un, n’importe qui mais exister et sans revendication, s’il vous plaît, merci. La course à ceci, cela, rien qui ne réponde à ses besoins : être. Et trouver la solution au grand crac-boum.

Il a bien vu sur ses papiers qu’il y a une identité, un nom mais c’est un emprunt. Peut-être qu’il est coincé dans un hôte qui, régulièrement, réussi à le refouler jusqu’à ce qu’il revienne aux commandes. Il n’a pourtant pas conscience de la présence de quelqu’un d’autre. Il n’y a que cette fatigue et cette paresse qui le cloue dans des chambres qu’il ne reconnaît pas. Il a besoin d’ordre et de … normalité, ce truc qui veut dire « un jour comme les autres » et on en éprouve du plaisir jusqu’à ce que les petits chiens deviennent de grands chiens puis de vieux chiens et ne meurent mais ça reste normal. Ils cessent d’exister sous forme de petits chiens pour autre chose, l’étape suivante qui ne doit pas être anticipée violemment, et le reste risque de mal se passer. Voilà ce que Stuttgart lui inspire avec ou sans l’Agence, les services impériaux, etc. Il marche à travers des rues à la fin du jour. C’est son état « normal », paraît-il, marcher dans des rues calmes, quelques terrasses de restaurant, le centre avec toute l’agitation qu’on lui suppose se compose d’un grand boulevard commerçant bondé aux heures ouvrables, déserté en dehors. Machin-Chose a regagné son hôtel à pied, coller à son propre cliché, traversé  un cimetière historique, désaffecté, le tombes les plus récentes datent de la fin XIXème, cette chère époque wilhelminienne. Il est remonté dans sa chambre par un couloir discret, observer la nuit au-dessus des arbres, d’une colline de vignoble, quelques belles propriétés et l’espace commun d’une tour en béton voisine, dernier étage, une sorte de hall-salon avec vue décoré d’une guirlande d’ampoules multicolores. Des gens rient, boivent, semblent s’amuser sans pour autant déranger le paysage. Machin-Chose soupire. L’histoire de l’expérience du choix retardé de Wheeler lui remonte à l’esprit, d’où la sanctuarisation de la période 30-48, considérant que le phénomène de « transit » et toutes les possibilités en découlant ressortant de la physique cantique. Machin-Chose n’a plus de nouvelles claires d’Oméga car … il en a éradiqué la possibilité, comme il a supprimé l’occurrence de sa personne dans sa forme antérieure. Il a des réminiscences de cet état qui n’a … jamais existé ! CQFD. Il regarde encore par la fenêtre, croit reconnaître une colline, recouverte de vignes gobelet, en espalier, allez savoir d’où il tient des connaissances en viticulture. Il reste peut-être un quart d’heure, vingt minutes, deux heures pourquoi pas à observer le ciel parfaitement sombre alors. Il quitte son poste d’observation pour contrôler l’heure du départ, le train qu’il prendra le lendemain. Il rentrera dans la bonne ville, découvrir ce qu’il subodore déjà : le mec gazeux n’existe pas, il est ce type, il l’a toujours été et l’attendent deux petits chiens là-bas, dans l’appartement encombré de plantes, de tableaux, de mille choses, tous les accessoires pour passer d’Alpha à Psi parce qu’il est sûr que la dualité n’as pas cessé, il n’y a pas eu fusion, ça se saurait, ça se ressentirait et Alpha ne tient pas tout seul au milieu de l’espace-temps, il a besoin d’un contrepoids, c’est une question de physique gravitationnelle. Il s’appelait Steve, il s’appelle à nouveau Steve. Il pratique le commerce de l’art comme un passe-temps, un jeu, et finance sa collection avec ses gains. Il y a deux ans de cela, il était à Bâle, pour acheter une nature morte … peut-être une étude, une grande huile sur toile de Marie Schmersahl-Kjöbge, des pots de fleurs, trois, arrangés sur un drap, comme un fond. Il était assis, sur un banc du jardin botanique, il s’est levé avec le tableau et pfuiiit, le trou noir, il craint d’avoir pris la place de quelqu’un mais la place était déjà faite. Il se souvient aussi de tout le mal qu’il avait à se reconnaître dans un miroir étant enfant ; il se faisait déjà de la place en prévision de maintenant.

mardi, septembre 03, 2019

L'homme sans autre qualité - chapitre 17


Le Dr. Arnheim est passé le chercher, une réunion chez Diotime, la fameuse affaire du jubilé qui n’aura jamais lieu. Ulrich fait attendre son hôte, le temps de s’habiller. Arnheim force littéralement la porte de sa garde-robe, l’affaire n’a rien à voir avec le jubilé. Le bon Dr. est, selon la rumeur publique, le soupirant officiel de Diotime et c’est Ulrich qui a marqué le but. Ce doit être un effet du manque d’éducation de Machin-Chose. Ulrich en est tout confus et cette confusion est risible à Arnheim, renvoyé illico à son rôle d’homme d’affaires éclairé, d’esprit progressiste, touche-à-tout cultivé, délicat. Ulrich peut lire un trait amer dans la physionomie de son compagnon de voyage ; ils sont à présent montés dans la voiture d’Arnheim et cahotent au petit trot sur le pavé viennois. Ulrich a presque envie de s’excuser, ce n’est pas sa faute mais celle de Machin-Truc venu avec ses gros sabots du début du XXIème, la décennie des débiles, des sans-manières et des présomptueux où même la brume d’un froid matin de mai (dérèglement climatique oblige) n’arrive pas à couvrir la connerie, la vanité, la vacuité de ce tas de cloportes que l’on nomme « les gens ». Ulrich se prend à regretter que la catastrophe annoncée n’ait pas éradiqué cette engeance par les racines. Il est juste le mec qui cherche une sortie de secours. Il voudrait être à Barcelone ou en été, avec le cri des martinets et la chaleur du soleil sur sa peau. Il y a  trop d’intrus dans son histoire, trop de péquins débarqués là sans même le lui avoir demandé. Il a un flash, un nom, un de plus, celui d’un cinéaste, Almodóvar et des wagons de sentiments qui l’accompagnent, la saveur de rendez-vous manqués aussi. Peut-être que, s’il était enfin diagnostiqué, il pourrait passer ses jours à regarder des films d’Almodóvar dans une jolie maison de dingues, au milieu d’un parc avec de grands arbres centenaires. Personne ne trouvera de solutions pour lui, c’est à lui d’en inventer une et recoller les morceaux de lui-même. Son histoire préférée reste celle du wanderer anonyme, un peu dans le genre du wanderer des bistrots mais avec quinze ans de moins et un corps souple, c’est ici qu’il enchaîne avec la fameuse scène de « démobolisation », la caserne dont il longe la façade, la veste sur l’épaule, la clope dans l’autre main, et le coupé, un petit cabriolet du genre spider. Il jette sa veste sur le siège passager, sa cigarette dans le caniveau, monte, démarre et s’en va. Fin de la séquence. Il n’a jamais transité dans cet … instant, 5-8 minutes parfaitement authentiques. Il se souvient encore de paroles fermes qu’il a entendues il y a si longtemps, « c’est ton tour, ouvre les yeux, c’est à toi … » Il a gardé les yeux fermés. Il en avait décidé ainsi. Il a fait le mauvais choix, par peur ou parce qu’il était persuadé que l’histoire ne pouvait pas s’arrêter de la sorte. Il se souvient aussi du choc de Matrix, des Wachowski qui étaient encore frères, suivi de Vanilla sky, remake de Abre los ojos, d’Amenábar, le même réalisateur que The others. Une dernière couche avec Cloud Atlas, des Wachowski encore, devenues sœurs entre temps … Il est mort et il a oublié qu’il avait lu L’homme sans qualité. Ce n’est pas plus compliqué. Le surnaturel permet tout juste d’habiller les incohérences narratives de son état, la grosse ficelle de la série Lost, parce que les scénaristes après avoir fumé la moquette et les rideaux se sont trouvés à cours d’idées. Ulrich ose à peine risquer un regard vers Arnheim qui, certainement, l’a observé grimacer au milieu de ses didascalies intimes.

dimanche, septembre 01, 2019

L'homme sans autre qualité - chapitre 16


Sincèrement, il est des plus embarrassés. Il pourrait juste « s’en foutre », laisser pisser, etc. mais cette vie dans la double monarchie le touche, les petits riens, les « petites gens », expression que l’on employait avec un peu de paternalisme mais de l’affection aussi. Il sait que tout va basculer, et une seconde fois en 39, et l’incrédulité, et l’hédonisme finiront de tout lessiver dans les années 60. Il est nu, dans son cabinet de travail, le jour perce faiblement à travers le brocard de lourds rideaux. Il est nu parce que, dans son lit, sommeille une maîtresse, pas sa cousine mais une autre femme, très portée sur le sexe, la sensualité, une nymphomane ou, plus exactement, une hystérique selon la dénomination freudienne. Ce serait un cas à étudier, intéressant mais Stéphane n’a pas la science suffisante, dans ce domaine du moins. Il sent qu’Ulrich est un intellectuel de haut vol, une calure qui se cache, qui s’est peut-être absentée de lui-même, volontairement. Du coup, il est pleinement Ulrich. Partant de l’idée que Stéphane souffre de troubles mentaux, il serait donc capable d’états auto-hypnotiques à caractère thérapeutique, des sortes de fugues d’instinct. Dans cet état qui va nommer « état Oméga » en opposition à un état de veille standard dit « état Alpha », son esprit serait capable soit de 1.divaguer, 2.voyager dans le temps ou 3. Voyager dans des dimensions parallèles. Dans les deux derniers cas, cela supposerait un passage par l’antichambre de l’inconscient collectif, inconscient organisé de manière chronologique et/ou thérapeutique ? Quant à la divagation, il s’agit peut-être d’une forme de transit en mode « random », comme le défilement d’images sur un écran à partir d’un fichier, ou le choix de morceaux de musique. Le hasard n’existant pas, cette « divagation » représenterait un motif à décrypter soit à l’aide de la … poésie !

Ulrich entend du bruit, il devine le froissement d’étoffes, le pas de pieds nus sur le plancher. Il ne veut pas être impoli, il va rejoindre sa maîtresse, Bonadea, l’aider à agrafer sa robe, lui relever les cheveux alors qu’elle ajustera son col. A moins qu’il ne refasse l’amour, Ulrich n’en sait rien, c’est une question d’épiderme, de stimuli olfactifs, l’esprit ni la volonté n’ont grand-chose à y faire. Il retourne à sa chambre et la trouve vide. Bonadea est certainement partie vexée, ou honteuse, ou … C’est une femme à multiples facettes, une troupe de comédiennes à elle seule. Ulrich s’attend toujours à découvrir un nouveau rôle. Il pense à ses seize ans, il pense à la Grèce, il pense « et si le soleil ne se couchait pas … plus ». Il a une image en tête, une corniche de pierre blanche, une console peut-être, un élément architectural de style classique sur fond de ciel bleu, ultra bleu. L’Ulrich d’origine lui fait tourner le regard vers un bronze, posé sur une commode, un sujet antique, une copie, un jeune homme dans un goût pédérastique, certainement un objet à la mode qu’un ensemblier décorateur mal inspiré aura posé là suite à la livraison d’une chambre à coucher complète, cadeau de la maison, et l’Ulrich d’origine se sera amusé du mauvais goût de son fournisseur à chaque fois que son regard sera tombé sur … la chose ! Un peu de bonne humeur gratuite. A relever l’excellente qualité de la literie. On ne peut pas avoir tout faux sur tout. Machin-chose-Ulrich en était là de ses pensées quand la sonnerie à la porte l’a rappelé à son état de parfaite nudité !

mercredi, août 21, 2019

L'homme sans autre qualité - chapitre 15


Il y a un certain confort à être … Stéphane, un type sans âge, sans physique, sans attente particulière, un mec en roue libre en apparence et, pourtant, une incroyable puissance de compréhension, là, parmi synapses et cellules grises, plus fort que Poirot, quasi du niveau d’Einstein avec les menus talents de Madame Soleil. Il a été un mec magnifique, athlétique, une crevure de looser, un amant malheureux et romantique. Plein d’autres choses aussi. Selon les injonctions du siècle. A fond dans tout, sur tous les fronts, dans une sorte de guerre intime totale. Stéphane et son continuum biographique séquencé est au-dessus de ça ; l’âge et son tour de taille actuel le disqualifient. Il est « réformé » de la lutte pour le succès, la réussite, l’accomplissement de soi, etc. Il a bien une mission, le fameux truc, peut-être un toc psychotique. Heureusement qu’il y a les absences et le chocolat au lait-noisettes entières sinon il ne tiendrait pas. Revenu de tout. Y compris de la question en spirale, le fameux où-cours-je-où-vais-je-dans-quel-état-j’erre ? Il y a aussi la solitude du Créateur. Il a été Dieu, seul, flottant dans le néant de la non-matière et de la non-existence. Était-ce un rêve ou un transit ? une possession ? Comparativement, l’ennui d’un troupeau de moutons au pré, sous le ciel couvert d’une froide après-midi d’avril tient de la bénédiction. Stéphane sourit pour lui-même, intérieurement, il lui revient une anecdote, un mot qui circulait dans le Reich, peu avant l’armistice de 45, « Profitons de la guerre, la paix sera terrible ». Il espère arriver à l’appartement avant la pluie, il veut sortir les chiens au sec, une courte promenade sur des quais mignonnets et écœurants. Stéphane se surprend par ses regrets automnaux en plein printemps. Il a le souvenir de lui-même presque alangui sur un canapé, le jeu des voilages dans la lumière, des oiseaux, des voix au loin, la rumeur de la rue. Étonnamment, il se sentait bien, il était lui, tout entier dans l’instant. Ça devait aire un joli sujet de toile, une scène à la manière d’Adolf von Menzel ou de Hammershøi avec la lumière d’un Giovanni Giacometti, le père de … Il préfère la référence à Menzel parce que la chambre était décorée de tapis, d’un court bouquet de fleurs, un Biedermeier, la jolie référence bourgeoise Mitteleuropa à nouveau. Était-il en Oméga ? en Alpha ? Berlin ? Prague ? Vienne ? Barcelone ? Budapest ? Il était lui, quand il connaissait encore son vrai nom, quand il avait une vie, si miteuse fût-elle. Il est urgent d’attendre, ne pas fuir n’importe où dans le désordre. Il va sortir les chiens, faire des courses puis tenter de retourner dans la peau d’Ulrich. Un trou de souris chronologique suffira, un trou de ver, un battement de paupière, l’absence de Stéphane se verra à peine … absolument pas. Des types comme lui, on en trouve treize à la douzaine et « si t’as pas une Rolex à cinquante ans … » et si tu n’as plus vingt-cinq ans ou que tu n’es pas un prix Nobel de chimie (rigolote ou pas la chimie) ou un leader politique (de gauche, c’est plus sympathique) … Bref, des mecs  moyens avec son genre de physique sont transparents. Sincèrement, Stéphane a perlaboré le profil de l’homme sans qualité, l’abandon de toute forme de séduction et l’accueil du déni de soi, dans ses formes les plus subtiles parce qu’il est apparemment un « caucasien blanc » trop nourri, sur le déclin, un homme en plus, pas même transgenre ni quoi que ce soit d’exotique, c’est pathétique. Il est le mec de trop, c’est ce qu’on lui ferait comprendre s’il n’était pas au-delà de la mesquinerie à la mode, le « trend mainstream ». L’un des petits chiens pose sa patte sur sa cuisse. Stéphane sourit imperceptiblement. « On va se diriger par là où c’est vrai ? » Il pense à par là où l’on trouve des intérieurs bien tenus, le goût pour des choses bêtement jolies, un vase en faïence de Delft avec un petit bouquet de marguerites, et de la jolie vaisselle.

vendredi, août 16, 2019

L'homme sans autre qualité - chapitre 14


Il ne peut que confesser son impuissance. Il regarde le profil racé, « florentin » voudrait-il dire quand bien même il ne sait trop ce qu’il entend, peut-être la réminiscence du portrait de l’un ou l’autre Médicis … Quoiqu’il en soit, Stéphane admire le profil florentin d’un jeune homme. Ce dernier est accompagné par deux femmes apprêtées, trop maquillées, des chaussures aux talons trop hauts pour assister simplement à la messe. L’une des deux femmes doit être la mère de l’autre ainsi que du jeune homme. Son âge se décrypte plus dans son attitude qu’il ne se lit sur son visage. Stéphane ne s’étonne pas. Il est dans la « grande ville », là où tout a commencé. Il se tient dans les premiers rangs de la nef d’une vilaine basilique, une mosaïque Art Déco très tardif parmi laquelle l’enfant Jésus a quasi les traits d’un dictateur allemand, la célèbre moustache en moins. Stéphane a dû rentrer de Munich à son insu. La messe en procédure de réveil, il a dû faire un transit. Il est revenu il ne sait trop comment de l’atelier de Kálmán. La jeune paysanne a dû le pousser dans le couloir, le maître n’allait pas tarder, comme s’il n’était pas au courant ! Il est, à présent, question de foi, la mystérieuse aide que reçoit Oméga. Le prêtre débite une homélie grandiloquente et idiote à propos de l’incendie réputé accidentel d’une célèbre cathédrale. Stéphane avait un peu oublié l’affaire. S’il se résume (à savoir, s’il s’adresse à lui-même un résumé des derniers événements et, parallèlement, du fait de cette expression boiteuse d’une syntaxe discutable, s’il condense toute sa personne dans l’instant présent et l’action qui l’occupe), il doit trouver des fauteurs de troubles venus d’Oméga, des suppôts de ce pouvoir qui, là-bas, ont mené à cette autre guerre des Balkans, la volatilisation d’un bon tiers de l’Europe. Quelque soit le camp, il est nécessaire de conformer Alpha et Oméga en vue de la grande Conjonction. Du côté lumineux de la force (Stéphane glousse intérieurement, il s’imagine avec un sabre laser face à un type asthmatique une essoreuse à salade sur la tête lui jetant dans un souffle « Je suis ton père »), bref, du côté habsbourgeois, impérial, lumineux de la force, on veut remonter dans le temps, éviter la dernière grosse catastrophe puis la précédente, et la précédente, etc. Stéphane admire pour lui-même le quasi contresens de l’expression « … puis la précédente … », ce qui précède doit être résolu après, on touche quasi au registre de « … Dieu qui s’est fait homme… » Si Stéphane cherchait une preuve du bienfondé de sa démarche, bingo, il aurait à l’instant mis un doigt rhétorique dessus. Il se souvient des cartons de bananes remplis des livres de feu son oncle alcoolique. N’y avait-il pas quelques bandes-dessinées ? cinq-six albums d’ « Achille Talon », un exercice de maïeutique jouissif, du sophisme de compète ! A présent, il est clair que Stéphane doit travailler en agent infiltré, plus aucun contact. S’il venait à poser des questions sur l’Agence, on lui dirait qu’elle n’a jamais existé, qu’il yoyotte, ça se terminerait par un internement forcé. Les complotistes pas frais sous le chapeau sont très à la mode cette saison.  

mercredi, août 14, 2019

L'homme sans autre qualité - chapitre 13


On lui a envoyé quelqu’un, de discret, très discret, à peine un agent, peut-être un collaborateur externe, un type qui lui a parlé des cloches de Münich sur la terrasse de toit d’un hôtel-restaurant-sauna gay. Il faisait beau, une vue magnifique, une forêt de toits du genre de ce dont Stéphane rêve régulièrement, lorsque ses songes planent sur l’Oméga d’avant sa guerre des Balkans, la disparition d’un bon tiers de l’Europe, la mer qui remonte jusqu’à … Münich ! Le type insistait un peu, évoquant le loft de luxe qu’occupe le couple gérant et propriétaire de tout l’établissement, un couple de garçons, évidemment. Le loft se situe dans une affreuse tour de verre voisine, les logements les plus chers de toute la ville. Et le type de vanter encore les aménagements du sauna … Stéphane a laissé son interlocuteur dans le jeune soir alors qu’il recevait les images de l’incendie d’une cathédrale, un accident selon la version officielle, c’est ça, et la marmotte met le chocolat dans le papier d’alu. Il a un bout d’indice, il investiguera demain, de toute manière son billet de retour porte la date du 17, il aura bien six heures pour compiler les renseignements, un rapport qu’il adressera comme il peut à qui il faut.

A la Lenbachhaus, il est effectivement entré dans une toile, plusieurs même, un festival. Ça a commencé par une famille d’hallucinés, une véritable coco-hero-family, un bad trip collectif, le peintre, sa femme, les deux fillettes, la toile a été réalisée d’après une photo. Ils se tenaient là, les 4, à fixer Stéphane, inquiets et soulagés. Ce n’est pas évident d’être témoins contre son gré. On est avant 14, l’empire rayonne dans sa plus verte nouveauté, une sorte d’explosion vitale qui balaie tout sur son passage et réveille de vieux démons : cupidité, jalousie, orgueil. La vieille garde - France, Grande-Bretagne - l’a en travers de la gorge. Ces mangeurs de choucroute, ces rustauds qui, au Nord, dînent au thé ! tout ce petit monde additionné, fédéré, organisé en une nation qui lutte contre la vivisection en plein  dix-neuvième, qui ne reprend jamais sa parole une fois donnée, qui promulgue des lois contre l’antisémitisme, qui aime les fleurs et la porcelaine à en pleurer, qui regarde ailleurs quand les garçons s’emboîtent comme des petites cuillères, cette nation, ce peuple va les panner, les renvoyer à leur obscurantisme, leur affairisme. Il s’est passé quelque chose entre un souverain pusillanime et mesuré et l’autre, cabossé, volontaire et mal-aimé. Dans l’équation de l’incident originel, on trouve Willhelm der Zweite, Franz-Josef et l’autre, l’Autrichien devenu allemand, subitement inspiré façon  Jeanne d’Arc sans la vertu et la foi assortie. La famille reste sidérée, le trip permet de supporter la vision, les bombardements, les bombes au phosphore de ces ordures d’alliés et les meurtres innommables de l’autre. Bref, Stéphane est sorti de la toile sans trop être avancé. Il a replongé dans la maison russe de Gabriele Münter, en 1931 ; elle l’attendait à la fenêtre. L’orage menaçait, il s’est pressé, il était sur un chemin de terre, a traversé le jardin. Elle l’a reçu avec du thé. Elle lui a parlé des fleurs, du temps, qui se couvre, de mille riens de sa vie. La maison n’est pas russe, pas géographiquement, ils sont dans les parages, à Murnau. Kandinsky l’a trahie pour faire des barbouillis multicolores en France après un mariage russe. Gabriele a conservé le talent et rencontré un autre homme. Plus tard, pendant la guerre, la seconde, elle va cacher les œuvres des « Cavaliers bleus », elle savait que c’était important, qu’il s’agissait de « points d’ancrage », des moments parfaits que Kandinsky et elle-même, et quelques autres ont saisi dans leur richesse, leur ampleur, leur … onctuosité. Ça permettra de rapprocher, d’apondre deux séquences, entretenir un continuum. Elle n’en sait pas plus. Elle est heureuse lorsqu’elle peut servir une tasse de thé russe, se rappeler de cet autre bonheur même si elle est très heureuse avec son époux historien de l’art. Stéphane a encore visité un atelier, la pose du petit modèle en Dirndl, on est chez Kálman, un peintre à la mode dans les années 40. Le maître est sorti ?! La petite récite ce que Kálman lui a dit de dire, les louanges d’un monde propre, en santé, l’honneur retrouvé, la nécessité de s’imposer, conquérir sa place. Stéphane écoute le laïus jusqu’à son terme, une récitation bien apprise quoique laborieuse. « Mais, toi, est-tu heureuse ? » lui demande Stéphane. La petite, tout d’une traite dit que le maître l’avait avertie, elle devrait répondre à des questions, sincèrement. Alors, oui, elle est heureuse, en tout cas plus que lorsqu’elle était enfant mais elle serait vraiment heureuse si son fiancé pouvait rentrer vitre de la guerre. Et il y a encore ce que raconte le parti sur le curé. Dans les jeunesses, ils veulent toujours lui faire rater la messe. Elle ne se détournera jamais de l’Eglise.

mercredi, juillet 24, 2019

L'homme sans autre qualité - chapitre 12

"New pink", Alex Katz

Au Brandhorst Museum, il y avait des merdes contemporaines de Cy Twombly, et jusqu’au patronyme de l’artiste qui ne tienne pas debout. Il y avait aussi un étage entier d’Alex Katz, de ces toiles d’une simplicité, d’une évidence, comme quand il avait seize ans, seize ans idéalement. Il y avait des villes de nuit, des femmes en grande capeline, des jeunes gens sportifs, des trucs qui lui parlent, au Stéphane, légèrement en roue libre il faut bien le dire. Il est entré dans « New Pink », une fille châtain de dos, des mèches blondes, imper beige, fond rose. La fille a parlé d’une vieille série, un soap opéra, l’un des premiers dont la qualité avait été jugée suffisante pour le diffuser en fin d’après-midi sur une grande chaîne publique francophone. C’était une sorte de Roméo et Juliette façon Côte Ouest, avec le meurtre en toile de fond du fils préféré, l’enfant prodige qui se révélera être une enflure et tata honteuse pour faire bonne mesure. Stéphane lui a encore demandé ce que ça avait avoir avec son enquête ? La fille a soupiré, "peut-être un plan - au sens de prise de vue - façon Roy Liechtenstein" et Stéphane s’est retrouvé seul dans la salle d’exposition, un peu con, avec les mains qui sentaient la mer, l’air du large, le lointain. Il n’y a pas à dire, il préférait tout de même l’époque quand il revenait de ses « visites » de tableaux en se pissant dessus mais avec des réponses concrètes. Soit, ça se passe au niveau du petit chose et de ce qui peut aller autour, de l’histoire que chacun se raconte, la mise-en-contexte avec ou sans sensiblerie. Et comme à son habitude, comme dans tous les romans du mec gazeux, alias le petit auteur romand, à la manière du « wanderer des bistrots », Stéphane a marché, une longue promenade jusqu’à ce qu’il s’installe dans un café bordé de deux cerisiers en fleurs, vaste ramure, une esthétique japonisante, un peut de soleil, la salle calme du café, une rue de Münich, touristique, même si décentrée car le tourisme est un cancer dont, peut-être, il souffre lui-même ?! Et il se raconterait des histoires ?! Il doit retourner voir du côté d’Oméga si c’est vrai.

jeudi, juillet 18, 2019

L'homme sans autre qualité - chapitre 11


Münich est une ville ennuyeuse à force d’être « cool », avec sa gentrification, ses hordes de blaireaux 2.0 à vélo, l’ à-quoi-bonnisme spirituel, les nouvelles évangiles de l’écologie et de la bienpensance. Stéphane est arrivé là il ne sait trop comment, le fameux tour de passe-passe translation-transit-youp-là-boum à moins qu’il n’ait pris le train !? Il se trouvait mieux en 1912-13  in Wien, dans sa maison sur le Ring, sa sœur foldingue, sa cousine vaginale, les chiens, les fiacres, l’avenir devant soi … Münich, évidemment, rapport à un traîne-misère autrichien venu là peu avant 14, pour la beauté du paysage et Wagner évidemment. Stéphane a froid. Il loge dans 26 m2 AirBed and Breakfast, un truc moche, de cette hygiène des classes moyennes allemandes. Les draps sont propres, la plonge, la cuvette des chiottes, le lavabo et la baignoire aussi mais tout le reste est en vrac. Et le lit ! Stéphane eût effectivement préféré un matelas gonflable. Et la « coolitude » va si mal aux Allemands, ils en sont déguisés.

« Fiel » écrivait l’éditeur dans sa lettre de refus. Le mot fait échos dans l’esprit de Stéphane, ça le touche. Il n’est pas auteur mais comment peut-on confondre l’expression de la réalité dans sa répugnante réalité et la pratique gratuite de la critique, de la calomnie ?! Stéphane se demande où a-t-on merdé ? A partir de quand et quoi n’a-t-il plus été possible d’être entre autre chose que victime ou bourreau ? Et tous ces couples mal assortis en voie de formation, des unions que cimentera la peur d’être seul, des pairs en devenir et en représentation après les premiers contacts sur une plateforme de rencontre. Stéphane est sur le point de jeter l’éponge. C’était tout de même plus marrant avec Friedhelm alpha, Friedhelm oméga et le gros con podagre de l’Agence. Il avait l’impression d’avoir son mot à dire, on le lui laissait croire. A présent, il n’est plus qu’un vieux jouet qu’une force inconnue balance ici ou là, jette contre le mur, à lui de ramasser les morceaux et de se recoller. La colère annule la tristesse et vice versa. Disons qu’il est « l’homme sans qualité » de Musil alors que la critique et l’exégèse voient dans Ulrich l’extrapolation de l’auteur. Mettons. Il est un type plus très jeune qui, à force d’aller d’Alpha en Oméga, y a laissé des plumes, son identité, sa mémoire récente, des amis peut-être, de la famille, allez savoir. On l’envoie depuis Oméga en Alpha, l’Alpha d’hier pour remettre la main sur Musil parce que ce perpétuel indécis aurait la clef d’une équation qui permettrait d’éviter qu’Oméga ne s’effondre sur Alpha sans crier gare et avec beaucoup de casse. Et Stéphane n’a toujours pas de super flingue laser ou tout autre type de rayon létal ou paralysant. En attendant, il se retrouve à crapahuter en Allemagne ou dans ses extensions Mitteleuropa. Il se souvient d’un épisode à Francfort où il a vomi des étoiles, de Berlin où, pour une soirée, il était pédé comme une banquise de phoques, de Lörrach où, pour un long séjour, il était obèse. Il a un souvenir münichois personnel, pas l’une de ces merveilleuses capsules que le «wanderer des bistrots » lui laissait sur le dessus de la pile lorsqu’il  se laissait posséder par … par qui il était alors ? Stéphane a le souvenir exact d’une promenade à travers la ville, une promenade dominicale, il fait lourd, l’orage menace, il marche sans but. Il passe devant la vitrine obscurcie d’un club. Un homme en est expulsé. Il est ivre. Il s’assoit un instant reprendre ses esprits et son équilibre assis contre la fameuse devanture. Stéphane poursuit son chemin et s’arrête à la terrasse couverte d’un café. Il sort un livre de son sac, un livre tiré de la bibliothèque de l’oncle alcoolique. Il ne se rappelle pas du titre. La pluie se met à tomber, il est à l’abri. Stéphane a toutefois le sentiment qu’il avait alors manqué sa mission. Le livre était d’un auteur allemand.

Stéphane a fait un musée, certainement pas le bon. Il doit trouver une balise temporelle, un tableau dans lequel plonger et on lui dira comment faire pour, peut-être, trouver celui qu’il cherche et, depuis lui, remonter jusqu’à l’incident initial.

mardi, juillet 09, 2019

"Credo", prochaine sortie à l'Âge d'Homme





J’avais 16 ans, je venais de mettre un point final à un bref recueil de textes à caractère plutôt olé-olé, Mylène Farmer chantait « Je suis libertine » et je rêvais d’être publié à l’Âge d’Homme. J’ai envoyé mon petit  recueil à la précitée maison d’édition, un manuscrit, soigneusement rédigé de ma main, avec les fautes d’orthographe d’origine. Quelques semaines après mon envoi, je recevais mon texte en retour avec une lettre de refus. Je ne me souviens plus du tout de son contenu ; je ne l’ai bien évidemment pas conservée. Je me souviens toutefois que ce message était … délicat. On avait pris la peine de me dire « non » tout en laissant la porte ouverte, pas même la grossièreté de conseils professionnels, genre soyez plus ceci ou cela, faites ainsi et pas comme ça. Non, rien de tout ça. On avait pris la peine de lire la prose d’un gamin de seize ans et de la lui renvoyer, de lui expliquer pourquoi, cette fois, on lui disait non sans pour autant le dégoûter de l’écriture. Une petite décennie plus tard, je publiais mon premier texte, « Appel d’Air », de l’autofiction et 33 ans plus tard, je m’apprête à publier,  avec « Credo », la conclusion de 25 ans d’autofiction chez … l’Âge d’Homme !

Et, oui, Mesdames et Messieurs, tout arrive : à l’approche de la  cinquantaine je réalise un vœu adolescent ; je rentre à l’Âge d’Homme. Je suis heureux d’y entrer avec ce texte-là, ce récit, cette réflexion à la fois sur la littérature, deux ou trois convictions, la peinture, le cinéma, un rien de politique. La référence à ma foi catholique est évidente, « Credo » désigne la profession de foi du croyant catholique, cela veut dire « je crois » en latin, « je crois en un seul Dieu, le Père tout puissant … » Par extension, ce terme désigne .les principes sur lesquels on fonde sa conduite (Larousse en ligne). J’ai tenté juste une mise-au-point, sur les meilleures images de ma vie … euh, je m’égare. Il n’est pas question de tenir un catalogue de mes échecs amoureux, il n’est pas même question de mélancolie, à peine, on ne se refait pas. Vous y lirez le carambolage de situations parfaitement désassorties, des comparaisons fracassantes, rapprochements osés entre quelques mondes et, évidemment, deux ou trois vacheries chemisées. On ne se refait toujours pas.

J’ai tenté un discours de la méthode, on m’accuse d’en manquer. Et pas de clefs rouillées qui n’ouvrent que des portes qui ne mènent à rien. Vous retrouverez Cy., Lou’, Morges, la vie politique locale, un mot de ma mère par-ci, par-là, des villes allemandes, Barcelone, la mer et l’amertume, celle d’avoir été contraint, oui, contraint à la dépression. Peut-être essayé-je (essayer, verbe du premier groupe, lorsque l’on conjugue un verbe de ce groupe à la forme interrogative, son e muet en finale est remplacé par un é et, dans ce cas, il faut encore opérer la transformation du i en y) donc, peut-être, essayé-je de me justifier tout en témoignant des moindres choses. Trouver un modèle, entrer dans la maturité avec un rien plus de calme que lorsque je suis entré dans l’adolescence puis dans l’âge adulte.  

Notez dans vos agendas, sortie en novembre 2019, c’est après-demain. Dans l’intervalle, je me permettrai de revenir vers vous, vous entretenir de « Credo ».




dimanche, juin 23, 2019

L'homme sans autre qualité - chapitre 10

Masque mortuaire de Robert Musil

Un flux, puissant, électrique, tripal, le flux de la vie même, ce genre de mouvement que les moins de vingt ans croiraient réservé à leur sensibilité blasée, tête vide, cœur revenu de tout, usé avant d’avoir servi. Et, pourtant, Ulrich, bien avant lui, avant Stéphane ou qui il pouvait être, avant, un autre avant, il se comprend, Ulrich donc ressent ce flux. A l’époque, on devait dire « allant », ça va encore faire des histoires, assurément, comme tout ce qui est bon, lui fait du bien. Il a enfin cessé de rêver qu’il avait assassiné quelqu’un, un type, et l’embarras d’un corps, la putréfaction, etc. Ulrich repousse ses couvertures avant même que son valet n’entre le réveiller, ou sa sœur Agathe. Il a couché avec sa cousine, il a transgressé les interdits, les ordres, les tabous. Lou’ ne l’a pas regardé avec reproche, étonnement, et Jade avec … désir ?! De la sensibilité des petits chiens. Ulrich avisera à son retour, de l’autre côté, deux siècles après. Ça s’est tricoté comme ça, dans le fiacre, alors qu’ils se rendaient dans une fameuse galerie d’art à la Mariahilferstrasse, voir des Schiele. Une jeune femme les reçut en maîtresse de maison, le temps que le galeriste son père ne revienne de chez un client. Les insinuations de cette jeune personne, la cour qu’elle semblait faire à Diotime, une affaire de regards, et les sexes, les chairs offertes sur les toiles, à la limite de l’indécence, du porno, et une main, celle de Diotime qu’il effleure, accidentellement. Ils ont fait l’amour chez lui, dans ce lit même dont Ulrich vient de repousser les draps. On dit que Musil fréquente cette galerie. Ulrich sait encore que la fille du galeriste s’appelle Adelaïde et qu’elle mourra d’ici une quarantaine d’années à Genève, bien dix ans après Musil, venu de même terminer sa vie au bord du Léman. Ulrich, ou Stéphane, ou celui qu’il était auparavant ont lu un roman racontant la vie d’Adélaïde et celle de la fille de son beau-fils. « Trop de fiel », explicitait un éditeur en justification de son refus de publier, et pourtant il s’agit du chef-d’œuvre du type gazeux, allez savoir où il a bien pu attraper ce récit ?

Ulrich, au lendemain de sa relation sexuelle avec Diotime, l’heure bleue de tous les romans de gare, scénario éculé, se sent comme Martin Landau en mission … Ulrich tire les rideaux de ce geste sec qui fait claquer la tringle, un boulevard, Vienne, au-delà du parc de sa maison de plaisance. Il se lisse les moustaches. Il est remonté jusqu’à la mère de toutes les légendes, ce XIXème siècle qui perdure en ce début de XXème. A l’aise, vraiment bien dans son rôle, lui, l’inadapté de toujours est un enfant de l’Autriche K und K, fils de cette germanité multi-kulti sans schlappes ou tricots biscornus. Ici, il est normal de ne pas aimer les gens sans pour autant les détester. L’ironie légère est un signe d’éducation. Ulrich finit par passer une robe de chambre ; on connaît déjà, à Vienne, les miracles du chauffage central mais pas dans la maison de son … hôte ?! Il n’a pas l’impression de squatter ? posséder ? marabouter ? la vie, le corps d’un autre. Ne pas chercher. Il a sa petite idée, à moins que ce ne soit l’autre idée. Il verra « déjà bien » comme on dit. Il se souvient d’un oncle alcoolique, ceci expliquerait cela. De toute manière, il doit bientôt partir, il entend Lou’ aboyer de l’autre côté ; il est attendu. Il apprécie beaucoup les nouvelles méthodes de gestion du personnel de l’administration impériale, ça change de l’époque de l’Agence. Toutefois, il aimait bien voir de temps en temps un visage, une personne qui partage son « délire ». Ça le rassurait. Il a beau se savoir solide, c’était tout de même agréable de s’entendre régulièrement répéter que tout cela était … normal !

samedi, juin 15, 2019

L'homme sans autre qualité - chapitre 9


Il a une cousine, charmante, fleurie, une grande dame qui promène deux petits chiens, deux chihuahuas, une véritable excentricité pour la Vienne du début XXème. Ulrich les fixe, l’air bête ou, plutôt, « comme une poule devant un opinel » ! Le mâle, robe feu, lui fait un clin d’œil et la femelle, bringée, se dresse sur ses pattes arrières, fait mine de relever ses pattes avant, attitude, son numéro de danseuse … Il est en mission, oui, il est au courant. Pas besoin de lui envoyer des agents de contrôle canins. Que pourrait-il faire ? s’enfuir ? façon scientifique transfuge en pleine guerre froide ? On ne peut « nidifier » dans une autre époque, pas dans ce sens, pas seul. Et pourquoi fuirait-il dans l’Autriche KuK, si proche de la guerre, de sa fin ? A moins qu’il ne réussisse, changer l’histoire, conformer Alpha au récit d’Oméga. Sa cousine le trouve … ailleurs ? préoccupé ? amoureux ! Si seulement, lui répond-il, et de poursuivre avec le détachement de l’homme blasé, revenu de tout, de l’homme accompli dans un siècle entre-deux, bourgeois par la structure, l’ordre social rigide et à la fois plein d’entrain, affamé de science, de nouveauté. Il y a quelque chose de dissonant à se faire servir par une bonne coiffée d’un ruché alors que l’on devise des perspectives qu’ouvrent les aéroplanes, la possibilité de se rendre en moins d’un jour à Saint-Pétersbourg, Paris et, même, pourquoi pas New York bientôt ! Diotime, ainsi qu’il surnomme sa belle cousine, fait quelques mines pour la forme puis se laisse aller à la compagnie de cet homme, ce parent que ses chiens semblent tant apprécier. Objectivement, Ulrich tente de la séduire, ça fait partie du scénario et elle ne compte pas céder, elle est une femme mariée, ils sont cousins et il a très mauvaise réputation, il est un enfant, un séducteur, un poète … pourquoi ne lui dit-elle pas oui, ici, sur le canapé, pourquoi pas ? Elle s’est promis à un autre, un homme établi et poète aussi, à la fois, mais un homme reconnu, « un prophète des temps modernes », un homme d’une telle importance qu’il ne serait question de honte pour le mari délaissé. Il y aurait même une certaine gloire pour celui dont la femme fait chavirer le cœur d’un homme si parfait, si confit d’avenir, si adapté aux vicissitudes du temps. Mais Dioitime n’arrive pas à détourner la tête, ne plus regarder son séduisant cousin. Ulrich, la main perdue dans la fourrure de l’un ou l’autre petit chien, la femelle, son poil est plus dense, « Jade », lui souffle-t-il, et Diotime de s’émerveiller que son cousin connaisse  le nom de l’animal, sa femme de chambre le lui aura dit. Ils formeraient un si beau couple dans ce palais ; ils pourraient être la coqueluche de Vienne, jusqu’à la sœur d’Ulrich, une femme fantasque et libre, on raconte qu’elle veut divorcer ! Diotime ressent ce sang révolté, le sang qu’elle partage avec Ulrich, un sang de « bonne naissance » qui l’a autorisée à faire un bon mariage. Elle entend ce sang battre à ses tempes et des envies de sauter sur son cousin, qu’il cesse d’offrir de négligentes caresses à l’un de ses chiens, une drôle de lubie ces animaux. Parfois, dans la solitude de son boudoir, elle se sent « possédée » par ces deux petits chiens. Elle n’arrive pas même à se souvenir des circonstances qui l’on amenée à les adopter. Elle n’ose pas s’en ouvrir à son mari ou ses gens, elle a peur de paraître idiote. Elle prend congé de son cousin, le sang, ses tempes, une migraine, cela lui arrive parfois. Ulrich s’incline avec raideur sur la main qu’elle lui tend, prend congé, une dernière caresse à chaque chien.

lundi, juin 10, 2019

L'homme sans autre qualité - chapitre 8


Il aimerait bien être un type normal, à la limite banal, étendu dans son lit. Dehors défilent des fiacres ; le bruit métallique de leurs roues ferrées sur le pavé du boulevard. Dans la cuisine, une rumeur étouffée, la bonne gratte les cendres de la veille. Le majordome ouvre la porte du coude, le plateau du petit-déjeuner entre les mains. Il a lui-même préparé le café sur un réchaud à alcool. « Monsieur a-t-il bien dormi ? », puis le bruit sec des rideaux que l’on tire avec énergie sur leur tringle métallique. Dans une autre vie, Stéphane pourrait se souvenir d’un petit chef tamoul lui expliquant dans la cuisine graisseuse, évidemment, d’un célèbre fast-food, lui expliquant comme une révélation suprême l’utilisation d’un grill sur la tringle duquel coulisse il ne sait plus trop quoi, et le petit chef de son accent improbable parlant de « trine-guel ». Et Stéphane, dans cette autre vie, de se souvenir encore avoir repris le petit chef sur sa prononciation après avoir désespérément cherché un triangle. Le plus drôle, il retrouverait le petit chef, alors devenu chômeur, dans un cours de français pour allophone qu’il aurait dispensé dans une boîte à fric en forme d’école privée avec une clientèle dont les frais seraient couverts par un bureau de pauvres, aide sociale étatique. Par bonheur, il n’en est pas là. Il écoute le majordome lui donner des nouvelles de Madame, sa sœur, venue camper dans son pavillon de célibataire ; elle a fui la vie conjugale, l’ennui d’un mari prophétique qui a toujours raison. « Est-ce que Monsieur va bien ? » Stéphane papillote des yeux, deux secondes, le temps de se remettre, s’installer dans son rôle. Il se demande juste comme ça avec appréhension de qui le physicien Young était l’élève ? Stéphane se sait un bureau dans cette maison, une table de travail encombrée d’ouvrages scientifiques et plus encore de cette littérature dans les étagères qui courent le long d’une paroi. Le journal évoque la formation d’un comité en vue du jubilé de l’empereur, une grande fête à imaginer, à concevoir, placée sous  le signe de la paix. Quelques potins mondains le font sourire et le récit d’un vernissage sécessionniste dans une galerie de la Mariahilfstrasse l’interpelle. Il y fera un saut aujourd’hui. Sa « sœur » force la porte, il aurait aimé avoir un peu plus de temps, être en meilleure adéquation avec son rôle. Il se rappelle qu’il doit chercher des élèves de Thomas Young, pas ses maîtres, il n’en a vraisemblablement pas eu.

Agathe, sa « sœur », a manqué renverser sa tasse pleine de café en s’installant à côté de lui. Elle lui parle d’une histoire de testament, moins qu’une falsification … Il verra cela plus tard et dépose un baiser sur sa joue. Ulrich – il s’appelle bien Ulrich – reste encore quelques instants, couché, derrière son plateau, tout à fait conscient de ce qu’il doit faire aujourd’hui, émerveillé par cette connaissance, par le goût du monde en ce lieu, cette époque, jusqu’à la cuvette sur la table de toilette, son linge sur une chaise, une pendulette d’officier sur son chevet. Il sent que le papier peint n’est pas près de décoller. Il est impatient de se lever, découvrir dans le miroir s’il arbore une moustache même s’il lui  loisible de porter la main à son visage, main qu’il préfère employer à repousser ses draps alors qu’il prend appui sur l’autre afin de se lever.