Hoppenlaufriedhof |
Heureuse,
la serveuse est heureuse, rayonnante, parce qu’il a pris de la sauce
moutarde-orange. Elle était déjà très touchée lorsqu’il avait commandé un
hamburger végétarien avec pain foncé. Elle a réagi sur le « pain
foncé » comme si Machin-Chose lui avait fait un cadeau, quasi une bague de
fiançailles. Il ne sait pas trop comment il est arrivé à … Stuttgart. Il ne
reconnaît rien de ce qui l’entoure, il a lu le nom de la ville sur le menu, une
petite chaîne de burgers bio-écolo-bien pensante avec des bancs sur la
terrasse. En fait, il se souvient avoir « repris conscience » dans
l’église voisine, St. Maria, du gothoc du XIXème aménagé en étable
altermondialiste. C’est plutôt moche. Machin-Chose – Stéphane ça ne lui va
vraiment pas – observe avec affection les clients, les passants. A Vienne, il
sait qu’un truc a mal tourné, « genre » patacaisse grotesque,
« genre » Godzilla a débarqué dans la salle du trône après avoir
défoncé le plafond ou des femens ont fait caca devant le trône les miches à
l’air … Ou, va savoir, il a foutu le feu au palais créant une nouvelle
occurrence historique entre Alpha et Oméga. Ça n’a pas tout à fait marché mais, à
présent, il a choisi ce qu’il veut faire, rien moins que sauver les petits
chiens, les petits oiseaux, les petites filles et leur poupée, et tous les
autres aussi. Il a le souvenir très net d’être quasi à poil, sur une banquette, et de regarder un programme
télévisé, des histoires de conquête spatiale, des images de la préparation de
la mission « Voyager » et la terre, son système solaire, perdus dans
la galaxie, le jour quand tout cela sera englouti dans un trou noir, ou dévoré
par le soleil mourant. Il a senti ce parfum métallique du sang dans le nez, et
comme une lame dans la gorge avec la colère parce que cette fin annoncée est
parfaitement injuste, et il a tenté un truc, l’histoire de la grande
Conjonction, parce qu’ils n’ont pas de solution non plus, mais des contacts,
une aide extérieure qui devra bien sortir du bois si elle ne veut pas que
Machin-Chose ne fasse à fond !
Stuttgart
lui rappelle des samedis après-midis non-chalantes, belles et vaines à la fois,
avec le chant des oiseaux et le parfum du gazon tondu, une sorte de vacance de
toute espèce de projets, de plans, d’avenir même sans inquiétude, avec
confiance et satisfaction. Rien ne sert de s’agiter, le temps s’écoule, pareil
à lui-même, une sorte d’automatisme magique auquel rien n’y fait. Machin-Chose
aimerait bien être quelqu’un, n’importe qui mais exister et sans revendication,
s’il vous plaît, merci. La course à ceci, cela, rien qui ne réponde à ses
besoins : être. Et trouver la solution au grand crac-boum.
Il a bien
vu sur ses papiers qu’il y a une identité, un nom mais c’est un emprunt.
Peut-être qu’il est coincé dans un hôte qui, régulièrement, réussi à le
refouler jusqu’à ce qu’il revienne aux commandes. Il n’a pourtant pas
conscience de la présence de quelqu’un d’autre. Il n’y a que cette fatigue et
cette paresse qui le cloue dans des chambres qu’il ne reconnaît pas. Il a
besoin d’ordre et de … normalité, ce truc qui veut dire « un jour comme
les autres » et on en éprouve du plaisir jusqu’à ce que les petits chiens
deviennent de grands chiens puis de vieux chiens et ne meurent mais ça reste
normal. Ils cessent d’exister sous forme de petits chiens pour autre chose,
l’étape suivante qui ne doit pas être anticipée violemment, et le reste risque
de mal se passer. Voilà ce que Stuttgart lui inspire avec ou sans l’Agence, les
services impériaux, etc. Il marche à travers des rues à la fin du jour. C’est
son état « normal », paraît-il, marcher dans des rues calmes,
quelques terrasses de restaurant, le centre avec toute l’agitation qu’on lui
suppose se compose d’un grand boulevard commerçant bondé aux heures ouvrables,
déserté en dehors. Machin-Chose a regagné son hôtel à pied, coller à son propre
cliché, traversé un cimetière
historique, désaffecté, le tombes les plus récentes datent de la fin XIXème,
cette chère époque wilhelminienne. Il est remonté dans sa chambre par un couloir
discret, observer la nuit au-dessus des arbres, d’une colline de vignoble,
quelques belles propriétés et l’espace commun d’une tour en béton voisine,
dernier étage, une sorte de hall-salon avec vue décoré d’une guirlande
d’ampoules multicolores. Des gens rient, boivent, semblent s’amuser sans pour
autant déranger le paysage. Machin-Chose soupire. L’histoire de l’expérience du
choix retardé de Wheeler lui remonte à l’esprit, d’où la sanctuarisation de la
période 30-48, considérant que le phénomène de « transit » et toutes
les possibilités en découlant ressortant de la physique cantique. Machin-Chose
n’a plus de nouvelles claires d’Oméga car … il en a éradiqué la possibilité,
comme il a supprimé l’occurrence de sa personne dans sa forme antérieure. Il a
des réminiscences de cet état qui n’a … jamais existé ! CQFD. Il regarde
encore par la fenêtre, croit reconnaître une colline, recouverte de vignes
gobelet, en espalier, allez savoir d’où il tient des connaissances en
viticulture. Il reste peut-être un quart d’heure, vingt minutes, deux heures
pourquoi pas à observer le ciel parfaitement sombre alors. Il quitte son poste
d’observation pour contrôler l’heure du départ, le train qu’il prendra le
lendemain. Il rentrera dans la bonne ville, découvrir ce qu’il subodore
déjà : le mec gazeux n’existe pas, il est ce type, il l’a toujours été et
l’attendent deux petits chiens là-bas, dans l’appartement encombré de plantes,
de tableaux, de mille choses, tous les accessoires pour passer d’Alpha à Psi
parce qu’il est sûr que la dualité n’as pas cessé, il n’y a pas eu fusion, ça
se saurait, ça se ressentirait et Alpha ne tient pas tout seul au milieu de
l’espace-temps, il a besoin d’un contrepoids, c’est une question de physique
gravitationnelle. Il s’appelait Steve, il s’appelle à nouveau Steve. Il
pratique le commerce de l’art comme un passe-temps, un jeu, et finance sa
collection avec ses gains. Il y a deux ans de cela, il était à Bâle, pour
acheter une nature morte … peut-être une étude, une grande huile sur toile de
Marie Schmersahl-Kjöbge, des pots de fleurs, trois, arrangés sur un drap, comme
un fond. Il était assis, sur un banc du jardin botanique, il s’est levé avec le
tableau et pfuiiit, le trou noir, il craint d’avoir pris la place de quelqu’un
mais la place était déjà faite. Il se souvient aussi de tout le mal qu’il avait
à se reconnaître dans un miroir étant enfant ; il se faisait déjà de la
place en prévision de maintenant.
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