Le Dr.
Arnheim est passé le chercher, une réunion chez Diotime, la fameuse affaire du
jubilé qui n’aura jamais lieu. Ulrich fait attendre son hôte, le temps de
s’habiller. Arnheim force littéralement la porte de sa garde-robe, l’affaire
n’a rien à voir avec le jubilé. Le bon Dr. est, selon la rumeur publique, le
soupirant officiel de Diotime et c’est Ulrich qui a marqué le but. Ce doit être
un effet du manque d’éducation de Machin-Chose. Ulrich en est tout confus et
cette confusion est risible à Arnheim, renvoyé illico à son rôle d’homme
d’affaires éclairé, d’esprit progressiste, touche-à-tout cultivé, délicat.
Ulrich peut lire un trait amer dans la physionomie de son compagnon de voyage ;
ils sont à présent montés dans la voiture d’Arnheim et cahotent au petit trot
sur le pavé viennois. Ulrich a presque envie de s’excuser, ce n’est pas sa faute
mais celle de Machin-Truc venu avec ses gros sabots du début du XXIème, la
décennie des débiles, des sans-manières et des présomptueux où même la brume
d’un froid matin de mai (dérèglement climatique oblige) n’arrive pas à couvrir
la connerie, la vanité, la vacuité de ce tas de cloportes que l’on nomme
« les gens ». Ulrich se prend à regretter que la catastrophe annoncée
n’ait pas éradiqué cette engeance par les racines. Il est juste le mec qui
cherche une sortie de secours. Il voudrait être à Barcelone ou en été, avec le
cri des martinets et la chaleur du soleil sur sa peau. Il y a trop d’intrus dans son histoire, trop de
péquins débarqués là sans même le lui avoir demandé. Il a un flash, un nom, un
de plus, celui d’un cinéaste, Almodóvar et des wagons de sentiments qui
l’accompagnent, la saveur de rendez-vous manqués aussi. Peut-être que, s’il
était enfin diagnostiqué, il pourrait passer ses jours à regarder des films
d’Almodóvar dans une jolie maison de dingues, au milieu d’un parc avec de
grands arbres centenaires. Personne ne trouvera de solutions pour lui, c’est à
lui d’en inventer une et recoller les morceaux de lui-même. Son histoire
préférée reste celle du wanderer anonyme, un peu dans le genre du wanderer des
bistrots mais avec quinze ans de moins et un corps souple, c’est ici qu’il
enchaîne avec la fameuse scène de « démobolisation », la caserne dont
il longe la façade, la veste sur l’épaule, la clope dans l’autre main, et le
coupé, un petit cabriolet du genre spider. Il jette sa veste sur le siège
passager, sa cigarette dans le caniveau, monte, démarre et s’en va. Fin de la
séquence. Il n’a jamais transité dans cet … instant, 5-8 minutes parfaitement
authentiques. Il se souvient encore de paroles fermes qu’il a entendues il y a
si longtemps, « c’est ton tour, ouvre les yeux, c’est à toi … » Il a
gardé les yeux fermés. Il en avait décidé ainsi. Il a fait le mauvais choix,
par peur ou parce qu’il était persuadé que l’histoire ne pouvait pas s’arrêter
de la sorte. Il se souvient aussi du choc de Matrix, des Wachowski qui étaient encore frères, suivi de Vanilla sky, remake de Abre los ojos, d’Amenábar, le même
réalisateur que The others. Une
dernière couche avec Cloud Atlas, des
Wachowski encore, devenues sœurs entre temps … Il est mort et il a oublié qu’il
avait lu L’homme sans qualité. Ce
n’est pas plus compliqué. Le surnaturel permet tout juste d’habiller les
incohérences narratives de son état, la grosse ficelle de la série Lost, parce
que les scénaristes après avoir fumé la moquette et les rideaux se sont trouvés
à cours d’idées. Ulrich ose à peine risquer un regard vers Arnheim qui, certainement,
l’a observé grimacer au milieu de ses didascalies intimes.
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