Münich est une ville ennuyeuse à force d’être « cool »,
avec sa gentrification, ses hordes de blaireaux 2.0 à vélo, l’ à-quoi-bonnisme
spirituel, les nouvelles évangiles de l’écologie et de la bienpensance. Stéphane
est arrivé là il ne sait trop comment, le fameux tour de passe-passe
translation-transit-youp-là-boum à moins qu’il n’ait pris le train !? Il se
trouvait mieux en 1912-13 in Wien, dans sa maison sur le Ring, sa sœur
foldingue, sa cousine vaginale, les chiens, les fiacres, l’avenir devant soi …
Münich, évidemment, rapport à un traîne-misère autrichien venu là peu avant 14,
pour la beauté du paysage et Wagner évidemment. Stéphane a froid. Il loge dans
26 m2 AirBed and Breakfast, un truc moche, de cette hygiène des classes
moyennes allemandes. Les draps sont propres, la plonge, la cuvette des
chiottes, le lavabo et la baignoire aussi mais tout le reste est en vrac. Et le
lit ! Stéphane eût effectivement préféré un matelas gonflable. Et la « coolitude »
va si mal aux Allemands, ils en sont déguisés.
« Fiel » écrivait l’éditeur dans sa
lettre de refus. Le mot fait échos dans l’esprit de Stéphane, ça le touche. Il
n’est pas auteur mais comment peut-on confondre l’expression de la réalité dans
sa répugnante réalité et la pratique gratuite de la critique, de la calomnie ?!
Stéphane se demande où a-t-on merdé ? A partir de quand et quoi n’a-t-il
plus été possible d’être entre autre chose que victime ou bourreau ? Et
tous ces couples mal assortis en voie de formation, des unions que cimentera la
peur d’être seul, des pairs en devenir et en représentation après les premiers
contacts sur une plateforme de rencontre. Stéphane est sur le point de jeter l’éponge.
C’était tout de même plus marrant avec Friedhelm alpha, Friedhelm oméga et le
gros con podagre de l’Agence. Il avait l’impression d’avoir son mot à dire, on
le lui laissait croire. A présent, il n’est plus qu’un vieux jouet qu’une force
inconnue balance ici ou là, jette contre le mur, à lui de ramasser les morceaux
et de se recoller. La colère annule la tristesse et vice versa. Disons qu’il
est « l’homme sans qualité » de Musil alors que la critique et l’exégèse
voient dans Ulrich l’extrapolation de l’auteur. Mettons. Il est un type plus
très jeune qui, à force d’aller d’Alpha en Oméga, y a laissé des plumes, son
identité, sa mémoire récente, des amis peut-être, de la famille, allez savoir.
On l’envoie depuis Oméga en Alpha, l’Alpha d’hier pour remettre la main sur
Musil parce que ce perpétuel indécis aurait la clef d’une équation qui
permettrait d’éviter qu’Oméga ne s’effondre sur Alpha sans crier gare et avec
beaucoup de casse. Et Stéphane n’a toujours pas de super flingue laser ou tout
autre type de rayon létal ou paralysant. En attendant, il se retrouve à
crapahuter en Allemagne ou dans ses extensions Mitteleuropa. Il se souvient d’un
épisode à Francfort où il a vomi des étoiles, de Berlin où, pour une soirée, il
était pédé comme une banquise de phoques, de Lörrach où, pour un long séjour,
il était obèse. Il a un souvenir münichois personnel, pas l’une de ces
merveilleuses capsules que le «wanderer des bistrots » lui laissait sur le
dessus de la pile lorsqu’il se laissait
posséder par … par qui il était alors ? Stéphane a le souvenir exact d’une
promenade à travers la ville, une promenade dominicale, il fait lourd, l’orage
menace, il marche sans but. Il passe devant la vitrine obscurcie d’un club. Un
homme en est expulsé. Il est ivre. Il s’assoit un instant reprendre ses esprits
et son équilibre assis contre la fameuse devanture. Stéphane poursuit son chemin
et s’arrête à la terrasse couverte d’un café. Il sort un livre de son sac, un
livre tiré de la bibliothèque de l’oncle alcoolique. Il ne se rappelle pas du
titre. La pluie se met à tomber, il est à l’abri. Stéphane a toutefois le sentiment
qu’il avait alors manqué sa mission. Le livre était d’un auteur allemand.
Stéphane a fait un musée, certainement pas le
bon. Il doit trouver une balise temporelle, un tableau dans lequel plonger et
on lui dira comment faire pour, peut-être, trouver celui qu’il cherche et,
depuis lui, remonter jusqu’à l’incident initial.
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