Il a une
cousine, charmante, fleurie, une grande dame qui promène deux petits chiens,
deux chihuahuas, une véritable excentricité pour la Vienne du début XXème.
Ulrich les fixe, l’air bête ou, plutôt, « comme une poule devant un
opinel » ! Le mâle, robe feu, lui fait un clin d’œil et la femelle,
bringée, se dresse sur ses pattes arrières, fait mine de relever ses pattes
avant, attitude, son numéro de danseuse … Il est en mission, oui, il est au
courant. Pas besoin de lui envoyer des agents de contrôle canins. Que
pourrait-il faire ? s’enfuir ? façon scientifique transfuge en pleine
guerre froide ? On ne peut « nidifier » dans une autre époque,
pas dans ce sens, pas seul. Et pourquoi fuirait-il dans l’Autriche KuK, si
proche de la guerre, de sa fin ? A moins qu’il ne réussisse, changer
l’histoire, conformer Alpha au récit d’Oméga. Sa cousine le trouve …
ailleurs ? préoccupé ? amoureux ! Si seulement, lui répond-il,
et de poursuivre avec le détachement de l’homme blasé, revenu de tout, de l’homme
accompli dans un siècle entre-deux, bourgeois par la structure, l’ordre social
rigide et à la fois plein d’entrain, affamé de science, de nouveauté. Il y a
quelque chose de dissonant à se faire servir par une bonne coiffée d’un ruché
alors que l’on devise des perspectives qu’ouvrent les aéroplanes, la
possibilité de se rendre en moins d’un jour à Saint-Pétersbourg, Paris et,
même, pourquoi pas New York bientôt ! Diotime, ainsi qu’il surnomme sa
belle cousine, fait quelques mines pour la forme puis se laisse aller à la
compagnie de cet homme, ce parent que ses chiens semblent tant apprécier.
Objectivement, Ulrich tente de la séduire, ça fait partie du scénario et elle
ne compte pas céder, elle est une femme mariée, ils sont cousins et il a très
mauvaise réputation, il est un enfant, un séducteur, un poète … pourquoi ne lui
dit-elle pas oui, ici, sur le canapé, pourquoi pas ? Elle s’est promis à
un autre, un homme établi et poète aussi, à la fois, mais un homme reconnu,
« un prophète des temps modernes », un homme d’une telle importance
qu’il ne serait question de honte pour le mari délaissé. Il y aurait même une
certaine gloire pour celui dont la femme fait chavirer le cœur d’un homme si
parfait, si confit d’avenir, si adapté aux vicissitudes du temps. Mais Dioitime
n’arrive pas à détourner la tête, ne plus regarder son séduisant cousin.
Ulrich, la main perdue dans la fourrure de l’un ou l’autre petit chien, la
femelle, son poil est plus dense, « Jade », lui souffle-t-il, et
Diotime de s’émerveiller que son cousin connaisse le nom de l’animal, sa femme de chambre le
lui aura dit. Ils formeraient un si beau couple dans ce palais ; ils
pourraient être la coqueluche de Vienne, jusqu’à la sœur d’Ulrich, une femme
fantasque et libre, on raconte qu’elle veut divorcer ! Diotime ressent ce
sang révolté, le sang qu’elle partage avec Ulrich, un sang de « bonne
naissance » qui l’a autorisée à faire un bon mariage. Elle entend ce sang
battre à ses tempes et des envies de sauter sur son cousin, qu’il cesse
d’offrir de négligentes caresses à l’un de ses chiens, une drôle de lubie ces
animaux. Parfois, dans la solitude de son boudoir, elle se sent
« possédée » par ces deux petits chiens. Elle n’arrive pas même à se
souvenir des circonstances qui l’on amenée à les adopter. Elle n’ose pas s’en ouvrir
à son mari ou ses gens, elle a peur de paraître idiote. Elle prend congé de son
cousin, le sang, ses tempes, une migraine, cela lui arrive parfois. Ulrich
s’incline avec raideur sur la main qu’elle lui tend, prend congé, une dernière
caresse à chaque chien.
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