lundi, février 22, 2016

"La commisération des serpents", extrait

Lie de vin … ou bordeaux, une couleur si ce n’est rare ou précieuse, particulière du moins. Il aime bien prendre un objet courant en point de repère, une breloque de turquoise ou une paire de gants, en l’occurrence, ne pas rouler un regard vide et imbécile autour de lui, fixer calmement l’objet choisi le temps de remettre ses idées en place, de se retrouver. Avant qu’il n’instaure ce petit rituel assez simple, il lui est arrivé des retours … comment dire, mouvementés, voire acrobatiques. Il a aussi pris l’habitude de commencer par se situer : le lieu, le moment, puis les détails plus prosaïques quant à sa personne. Il ne s’inquiète plus de ne pas retrouver de suite son nom, il paraît que c’est normal ; à force de transiter, il a développé ce qu’on appelle une conscience universelle. Le nom et le prénom tiennent du particulier.


« On ne change pas une équipe qui gagne, surtout quand elle perd », dixit un obscur auteur. Cette citation est devenue le motto de Steeve, il aime la retourner dans un sens, dans l’autre, s’en pourlécher installé dans un café chic, aux heures de bureau. Il aime faire un peu la roue, il se rembourse des longues années au cours desquelles il s’est benoîtement laissé marcher dessus par des jobards analphabètes. On lui donne du « Monsieur », on le sert avec empressement et il prend un air extrêmement détaché, hautain, ailleurs. Ça ne fait pas avancer le schmilblick … Qui peut bien encore savoir ce qu’est le schmilblick ? A son dernier retour, non seulement il n’a pas retrouvé son nom avant une bonne heure mais il lui a fallu une heure de plus, se souvenir du chemin à prendre, retourner chez lui. Il est entré au hasard dans un cinéma, regarder n’importe quoi, faire passer le temps, les effets se dissipent complètement au bout de 160 minutes, exactement. Brigitte, sa mère, trouve qu’il a changé, qu’il a le caractère moins facile, qu’il est devenu intraitable, impatient, même s’il fait bien plus « monsieur » à présent. Steeve travaille son rôle, comme un acteur, d’où ses simagrées dans les établissements chicos de la ville. Il se déride toutefois devant l’un des garçons du café N***, un brun, souriant, aimable, toujours agréable et qui semble apprécier sa présence. Ce serveur s’adresse à lui sans affectation, avec naturel et sympathie. Si Steeve était gay, il aimerait draguer un garçon comme lui … mais il n’est pas gay, pire, sans sexe, parce qu’amoureux d’une statue de cire. Il se comprend. Il a pourtant cherché à « évacuer une certaine tension » avec une blonde pigeonnante accostée en boîte, au « Temple » mais il a renoncé au milieu de l’action, pas envie de se répandre pour si peu … et il aurait fallu rester un peu, les affres de la conversation, des banalités, remettre le couvert. Non, trois fois non, et on peut l’appeler à tout moment. Il a tout de même fait l’effort d’un mensonge émouvant.

vendredi, février 12, 2016

"The danish Girl", avec Eddy Redmayne

«Poplerne ved Hobro» 1919, Einar Wgener
L’accroche n’était pas des plus vendeuses, façon curiosité socio-historico-sexuelle : le premier transsexuel de l’histoire … Je conçois, je comprends mais me trouvant très à l’aise dans mon sexe et mon orientation sexuelle… voilà, bof. Je me rappelle du terrible et émouvant « Miss Mona » ou du subtil et féérique « Rose ». Il me faut avouer avoir aimé tous les films que j’aie vus traitant de la transsexualité. « The danish girl », toutefois, a pour lui un contexte, un décor extraordinaire. Il s’agit d’une histoire de peinture, d’une émotion artistique servie par une photographie de grand talent.

Côté fiche technique, la réalisation est signée Tom Hooper (Le discours d’un roi), la distribution repose sur un casting international et tout particulièrement sur les très frêles épaules d’Eddy Redmayne, un jeune prodige qui avait déjà interprété un Stephan Hawking plus vrai que nature. Eddy est the danish girl, si convaincant et si pudique, un jeu fait de sourires las, de tressaillements, d’une voix, d’un geste, le tout si vivant qu’il crève l’écran. Généreux dans la performance, il laisse la part belle à ses partenaires, la Suédoise Alicia Vikander (Ex-machina et Des Agents très spéciaux) son épouse, et l’Allemand Sebastian Koch (  La Vie des autres) le chirurgien qui lui fera changer de sexe.

L’histoire est authentique, elle débute au Danemark, chez un couple de peintres, Einar et Gerda Wegener. La lumière, l’atmosphère, Hooper a travaillé son sujet ; la référence à l’œuvre d’Hammershøi est évidente mais subtile, le petit plaisir d’un amateur de peinture aux spectateurs amateurs de peinture ; certaines scènes reproduisent l’une ou l’autre toile du maître danois. Ce sens artistique exacerbé est du reste le fil rouge de la narration. Einar a du succès avec une œuvre introspective, post expressionniste, baignée de sécessionnisme, un paysage, quasi toujours le même, répété à l’envi, une grève, des arbres dénudés, un ciel. Gerda peine à s’imposer, son œuvre est plus Art Nouveau, une sorte d’Otto Dix féminin et par le mode de traitement, et par les thèmes. Lorsque par jeu – en partie sexuel, voir la scène de la chemise de nuit en soie – Gerda pousse Einar à s’habiller en femme, un bal d’artistes, elle comprend tout de suite, se récrie et tient son sujet à la fois. Elle accouche de Lili, le double féminin de son époux ; elle lui donne une identité, une existence à travers les portraits qu’elle fait d’elle, des toiles qui remportent le succès.

Le reste du récit est fait de lumière, d’amour, de souffrance et d’espoir … surtout de souffrance. Comment comprendre le transsexualisme alors que, dans l’entre-deux guerres, on croyait encore à l’hystérie féminine ! De spécialistes en spécialistes, Einar reçoit les diagnostiques les plus fantasques, se soumet à des traitements improbables alors que grandit Lili en lui. Gerda sent s’éloigner son époux mais ne peut s’empêcher de peindre jusqu’à l’écœurement cette Lili qui lui vole son mari. Après un fastueux épisode parisien, Lili rencontrera le Dr. Warnecros, praticien à Dresde, chirurgien expérimental du changement de sexe. Il sera celui qui permettra à Einar de … mourir dans le corps d’une femme !

« The danish Girl » nous raconte une époque, quand le XIXème siècle durait encore dans le confort de la modernité du XXème. Il faudrait encore parler des costumes, de la bande son, des seconds rôles, des décors … Une réussite délicate, tout à l’image du traitement du sujet.

samedi, janvier 30, 2016

"Les deux vies de Louis Moray" de Stéphane Bovon

Après avoir exploré, défriché, déchiffré le monde d’après la « montée », Stéphane Bovon, en scénariste professionnel, a décidé de nous offrir un « prequel » à cette catastrophe fondatrice – l’élévation des eaux jusqu’à l’altitude symbolique de mille mètres. Le troisième tome de la suite « Gérimont » nous raconte la jeunesse du roi Louis Moray à Vevey, de nos jours. La fresque est truculente et notre bon Stéphane en profite pour nous narrer sa ville, les lieux emblématiques et, surtout, son microcosme politique. Laurent Ballif, Fabienne Despot, Jérôme Christen, Oskar Freysinger en guest star, et quelques autres encore, la peinture est enlevée, on rit à chaque ligne, pas même d’un rire méchant. Bovon est une crème d’homme, jamais véreux, méchant, énervé : un ami solide, ouvert, curieux, capable de toujours voir le meilleur chez autrui … Vous avez affaire à mon double inversé ! Là où je vous aurais glissé quelques vacheries à mots couverts, du sous-entendu en mine de rien vitriolé, notre auteur nous offre un regard bonhomme et perspicace.

Vous l’aurez compris, cette saga Gérimont est le prétexte idéal afin de se regarder avec distance, quasi la vérité d’un conte et Stéphane Bovon – dessinateur, auteur, éditeur, graphiste, performeur, comédien, dj, etc. – nous fait partager sa … sagesse. Sincèrement, et sans ironie, Stéphane est un puits (sans fond) de culture au service d’une philanthropie à la portée de tous. Il dévide une conception créative et sagace de l’histoire et du système politique helvétiques. Cela tombe si juste que je n’ai quasi rien à y redire, trois fois riens, du détail, une absence un peu marquée de l’Eglise catholique dans la réalité religieuse vaudoise contemporaine et le fait de désigner les Habsbourgs et leurs troupes « d’Autrichiens ». Habsbourg, le berceau de la famille impériale, est un village … argovien et, à l’époque du soulèvement d’Uri, Schwyz et bidule, la région avait les Habsbourgs, une famille du cru donc, pour seigneur. On ne parlait même pas encore d’empire autrichien mais de « Saint Empire romain germanique ». Du détail.


Le premier tome était un choc, le second permettait au lecteur de « creuser le sillon » ; il fallait marquer les esprits avec le troisième, le meilleur des trois à mon avis, un texte que vous pouvez lire indépendamment de ses deux prédécesseurs : la satire politique se suffit à elle-même. Il est du reste étonnant que l’on n’ait pas fait plus d’échos aux « Deux vies de Louis Moray » en cette année électorale !? Une municipale de Vevey m’en faisait la remarque, me confiant encore qu’elle avait tant ri. Bovon affecte un style « décontracté », un joli travail de discours direct-indirect libre et le reste dans une écriture fluide aux effets certains et discrets. Le texte est plaisamment référencé, bandes-dessinées, pop-rock, peinture, surtout peinture, tout l’éclectisme de l’auteur. C’est ici que l’on rappelle la présence d’une toile de Picasso première période au musée Jenisch, un bassin dans le cloître de la cathédrale de Barcelone. Le roman se termine sur cette toile du reste, et quelques mystères. Bovon a mené une intrigue façon « Lost », scénario sophistiqué et lyrique sur le ton d’Achille Talon. Une lecture nécessaire.

mardi, janvier 19, 2016

"Des Geôles" de Jean-Yves Dubath


Voici le roman subversif de 2015, loin devant les gribouillis de littérateurs agités, imbibés ou non, sous influence ou non, portés sur le sexe ou juste vantards : aucun d’eux n’arrivent à la cheville de Dubath avec son « Des Geôles ». La presse est quelque peu passée à côté, les libraires un rien moins et comment atteindre son lectorat lorsqu’on n’est pas invité à faire la roue sur des plateaux de télé locale, d’autant plus lorsque l’auteur jouit d’une syntaxe exigeante et use d’un riche vocabulaire.

Il est nécessaire de goûter le verbe walsérien de notre homme, sa sensibilité à fleur de plume, cette prise de risque maximale qui consiste à se livrer, sans faux semblant, à ses lecteurs, à travers des sortes de didascalies à l’intrigue. Il y a le Dr. Raoul Aeschlimann, le criminel Albert Wasser, Mlle Rietberg, assistante sociale à la prison de S. et Mlle Juliette, une perruche, compagne du détenu – à perpète’ – Wasser. On se trouve dans le huis clos d’une prison, du milieu carcéral, du carcan social, des Grisons. Le Dr. Aeschlimann tient de l’antihéros social comme aimait les décrire Robert Walser. Le bon Raoul est, soit, médecin, longue carrière, mais sans la blouse blanche du chercheur ou du chef de clinique arrivé. On pressent que la pratique personnelle de son art l’a mené à exercer en prison. Le bon Dr. se met en marge, volontairement, par dégoût modéré du système, de ses complaisances : le cœur d’un juste, d’un pur bat dans sa poitrine.

Dubath nous laisse entrapercevoir les raisons de l’incarcération de Wasser, crime sadique à caractère sexuel, du pain béni pour les psypsys à taulards, les sociologues, les je-ne-sais-trop-quoi-o-logues, du joli monde qui exerce avec assurance et de confortables salaires. Et si le patient leur échappe : bourrez-le de calmants.  Et on passe au suivant. Et dans la bonne humeur. Toute l’horreur du gentil système nous est montrée, démontrée, cette horreur est juchée sur des hauts talons qui claquent, Mlle Rietberg, la cruche de service, avec cette bonne parole réconfortante à la bouche, le goût de la soumission helvétique, la grandeur nationale : se faire nabot face à la montagne.

Le texte réserve quelques voltes-faces spectaculaires, du grand art ! Le bonheur des petits riens, l’expérience de l’auteur, sa belle personnalité, son bon sens et son esprit critique. Surtout son esprit critique, rien de frontal, grossier, téléphoné … du gentiment corrosif.

dimanche, janvier 10, 2016

"Le Royaume" d'Emmanuel Carrère, suite et fin

L'auteur en dédicace
Lire « Le Royaume », jouir de la promesse du printemps par une fin de journée, janvier par exemple, le couchant, une heure dont les merles chantent la douceur, et croire que l’hiver ne sera plus … Oui, croire, suivre sans raison cette intime conviction qui vous fait vous émerveiller au chant délicat et mélancolique « des oiseaux du ciel ». « Le Royaume » est un texte brillant, drôle, alerte, d’un style subtil et aimable à la fois, pas d’effets gratuits, une parole sincère, tout simplement, et la coulisse du récit offerte aux lecteurs avec cette même simplicité. J’ai terminé la lecture de ce pavé dont la taille représente le seul défaut, et je ne parle pas du nombre de pages, du temps qu’il faut consacrer à sa lecture, juste de la taille de l’objet, un peu encombrant et mal commode à manipuler, surtout dans les dernières pages.

J’ai donc terminé ce voyage auprès de saint Luc, l’irascible saint Paul, saint Marc, ou plutôt saint Jean-Marc de son vrai prénom. Et saint Jacques le majeur, saint Pierre, le colérique saint Jean et le Pommadé … Celui qui est « frotté d’huile », oint … le Messie. Voilà exactement le genre d’anecdote que glisse Emmanuel Carrère dans son récit. Il avait, avec d’autres auteurs, participé en son temps à une version réactualisée de la Bible, dépoussiérer une phraséologie trop pompeuse encombrée de termes usés, d’où le « Pommadé » glissé par le comique de la troupe.

Je l’avais déjà signalé dans ma critique à mi-parcours, « Le Royaume » est le meilleur ouvrage d’histoire biblique qu’il m’ait été donné de lire … quoique je ne sois pas un grand lecteur de ce genre documentaire. Emmanuel (littéralement Dieu est avec nous, je sais, je l’ai déjà glissé dans le premier volet de ma critique), Emmanuel donc, en parallèle des aventures et mésaventures du doux et, apparemment pusillanime Luc, nous refait le récit de la rédaction des évangiles et du reste du canon du Nouveau Testament. Les textes les plus anciens sont vraisemblablement l’évangile selon saint Marc (Jean-Marc) et les écrits pauliniens. Jean-Marc serait le fils de la femme qui reçut Jésus et les apôtres pour leur dernier repas, la sainte Cène. Jean-Marc parle le grec comme « un chauffeur de taxi pakistanais à Londres parle anglais », dixit Carrère. Marc s’exprime à l’aide d’un verbe sec, sans fioriture. Dans son évangile, le Christ se montre révolutionnaire et carré, voire péremptoire. De leur côté, les lettres pauliniennes ne font pas grand cas de la personnalité du Christ ; le dernier apôtre n’a en tête que l’organisation des jeunes communautés chrétiennes et l’ouverture de cette foi aux gentils … aux goïs, aux non-circoncis à qui le ciel est tout de même promis en dépit de leur prépuce. Puis viendrait l’évangile selon saint Luc, médecin de culture grecque, frotté de judaïsme, ayant fortuitement rencontré Paul en tournée dans sa Macédoine natale. Il le suivit, de Jérusalem à Rome, ce qui lui permit de rencontrer ceux qui avaient connu le Christ et conservaient son souvenir, son enseignement à travers une sorte de recension de ses paraboles, de ses coups de gueule aussi. Cette source fantôme (appelée source Q par la théologie) est présente chez Luc mais absente chez Jean-Marc. Quant à l’évangile selon saint Jean, il résulterait effectivement de l’enseignement du « disciple préféré », paroles recueillies dans son grand âge par un autre Jean, un grec d’un genre plutôt platonicien qui rendit ce témoigne de manière très intellectuelle. Et  Mathieu ? le dernier évangile, le plus sobre, le plus consensuel, construit autour de la source Q, une sorte de récit à l’usage des communautés orientales. Mathieu serait plus une marque qu’un individu authentique.


Et Carrère en vient à évoquer la guerre judéo-romaine, la Rome de Caligula, de Néron, de Vespasien ; il n’oublie pas de convoquer l’historien incontournable et contemporain de ce premier siècle : Flavius-Josèphe, poser le décor. « Le Royaume » peut se lire à la manière d’un roman historique, on est quasi dans le docu-fiction « Rome », avec le making-off en parallèle. Carrère fait carton plein : l’esprit, l’humour, la culture, le don de conteur, il a tout, cet auteur, tout sauf … la foi ! Il aimerait y croire mais ne trouve aucune preuve, rien de concluant. Il s’astreint à un « lavage de pieds », chercher un dernier petit bout de foi jusque là. Il n’a pas l’air de souffrir de cet état, il ne cesse de s’interroger à son propos, comme de mes amis hétéros qui finissent par coucher avec un homme afin d’éloigner d’eux l’hypothèse de méconnaître leur homosexualité ! Je reste coi. Et si notre auteur n’a pas retrouvé cette foi qu’il a pratiquée avec ferveur durant trois, ans avant de s’en détourner comme d’une lubie, son roman, le fruit de sept ans de recherche, nourrit copieusement l’inculture philosophique et théologique de croyants dans mon genre.  

jeudi, décembre 31, 2015

Bonne année quand même ...

… allez, bonne année 2016, elle ne sera pas pire que 2015. Il ne s’agit pas de se faire à l’idée, ni de cette cornichonnerie de « résilience » pour psypsy gentil de magazines à grand tirage. Il est question d’humilité, loin des rodomontades politiciennes et artisteuses. Je sais de quoi je parle, je participe tant à la vie politique locale qu’à la vie artistique romande. Néanmoins, j’essaie d’être en phase, concret, sincère dans mes activités et ne surtout pas sombrer dans un dogme ou l’autre, me justifier, avoir raison .... J’ai tant d’exemples de petits juges ès morale sur les réseaux. J’ai bataillé avec des gauchos-bobos des beaux quartiers qui s’émeuvent et se trompent de discours, des laïcards obtus, beaucoup de laïcards obtus, de cette vilaine race intellectuelle qui ne sait pas croire et tente d’imposer par sa raison dévoyée sa sécheresse de cœur. La bienpensance et la coolitude sont les pires maux de l’époque, ils renvoient directement au péché d’orgueil.

Je reviens d’un bref séjour à Constance, histoire de faire des courses et fréquenter cette bonne ville, marcher dans ses rues, prendre une tasse de thé au Rosengarten, dîner dans l’un des restaurants du centre, etc. Il y a tant dans cet etc., tant mieux, car pour le reste, il a fallu composer avec une foule de « casques à boulons », leurs mauvaises manières, leurs mioches mal-élevés, et ce qu’ils peuvent parler fort, dans la rue, les cafés, les magasins ! Je trouve bien du mérite à mes Constançois. Mon etc. s’est surtout illustré par la fréquentation des nombreuses et très belles églises de la ville. J’ai même eu la chance d’assister à une messe, la chapelle aménagée dans la sacristie de Sankt Stefan. J’avais déjà eu ce privilège il y a quelques années de cela. J’espérais pouvoir réitérer cette expérience, ce moment d’intimité, l’atmosphère précieuse de ce lieu, l’autel, son retable sculpté, représentation mariale, les grandes armoires montées sur des corps de buffet, quatre, qui rythment la salle et ne laissent rien échapper des trésors que gardent des serrures baroques.

J’ai retrouvé avec joie ce lieu public réservé et chaleureux. Nous fêtions les Saints Innocents, ces enfants victimes d’Hérode. Il n’y a pas eu d’homélie, ce n’est pas de mises pour les vêpres ; le prêtre s’est toutefois permis une réflexion libre en introduction, évocation des enfants migrants morts en mer. Je ne nie pas être venu à Constance pour y « faire de bonnes affaires » mais la horde d’acheteurs de mes compatriotes, ceux-là même qui parlent si fort et étalent leur sabir avec suffisance sont-ils jamais entrés dans une église de Constance ? La ville passe pour une gentille bourgade commerçante, point. Toute l’Allemagne n’est-elle pas devenue le terrain de jeu favori des Suisses ? Berlin et ses folles nuits en point d’orgue …

« Aimez-vous les uns les autres, mes petits enfants » répétait sans relâche saint Jean dans la béatitude du grand âge. Voilà un commandement qu’applique le moins chrétien des Berlinois, l’un de ces bons gars qui composent la foule anonyme de la capitale allemande. Un type qui travaille pour vivre, qui aime les week-ends prolongés à la belle saison pour lézarder dans un « Biergarten » avec les copains. C’est peut-être aussi une de ces filles de Berlin ex-est, avec leurs colorations capillaires charbonneuses et leurs fringues gothico-folkloriques avec une tentative sexy. Ces filles-là vont au pub, avec les copines, font la fête les unes chez les autres, dans des sous-locations squatteuses puis finissent au bort du terrain de foot quand leurs « mecs » jouent le dimanche après-midi. Ceux-là savent faire la part des choses avec les « Prominenten » ; ils les admirent un peu, ont bien de la curiosité mais rien de plus. Ils regardent ces élites comme des poissons rares à l’aquarium et puis s’en retournent à leurs petites affaires. Ça les fait marrer quand ils lisent un article sur « les folles nuits berlinoises », des hangars pouilleux dans les tréfonds de Neukölln, pensent-ils, de la boîte à touristes ou des ces lieux pour les « möchte gern », pire que le touriste, du touriste qui a pris racine !

2016 sera, comme l’a été 1524 ou 1893. Et les faiseurs continueront à faire du bruit, à occuper le terrain, et les modes passeront. Peut-être que les « leaders d’opinion » jetteront leur dévolu sur d’autres destinations, d’autres activités sportives, que la jupe rallongera, et les couleurs de la prochaine saison ? Qu’importe, on continuera de célébrer la messe en semaine, la chapelle aménagée dans la sacristie, Sankt Stefan, pour moins d’une dizaine de fidèles. Et Berlin ne sera peut-être plus « capitale des nuits européennes », ça ne fera pas le beurre des dealers de coke mais la ville s’en fiche pas mal, car elle est bien autre chose. « Ouvrez les yeux, mes petits enfants … », dirait aujourd’hui saint Jean « … et vous vous aimerez les uns les autres ».


dimanche, décembre 27, 2015

Extrait de "Croisière", "Les règles du jeu"


Je n’ai jamais vraiment suivi les règles : tantôt par défit, tantôt par incompétence. Avec le temps, c’est devenu une autre marque de fabrique. J’ai décidé que toutes – mais vraiment toutes – mes activités composeraient ma réalité, ma « vie pour de vrai ». Des rêveries aux projections, aux rôles que je me suis donnés, tout, absolument tout compose ma réalité. J’y adjoins même une partie de mon activité onirique. Il y a, toutefois, des règles, pour revenir à elles, que je m’applique à respecter, celles auxquelles j’adhère par conviction religieuse et celles que je me donne, la pratique du fitness par exemple, ou tout ce qui touche à mon affairement salarié. Je vais me donner des règles pour la suite de ce « cahier estonien » (ce manuscrit n’a pas encore de nom), une sorte de rituel que j’enfreins déjà lors de leur énoncé. Je vais écrire dans la paix du soir, dans cette pièce que l’on nomme le « salon d’été », une mezzanine que Cy. occupait encore il y a peu, avant qu’il n’aménage sa chambre à coucher dans la partie de l’appartement que je nomme le « loft », le séjour avec sa verrière, l’escalier d’entrée et la nouvelle chambre de Cy. La salon d’été a une vue plongeante sur le port historique de Morges, le haut lac, les montagnes. C’est un point de vue qui évoque immédiatement la salle de fitness des navires MSC Poesia et MSC Musica, salle placée à la proue, derrière de larges baies en verre fumé, juste au-dessus du poste de commandement. Le salon d’été est un espace qui a été gagné dans la toiture par l’aménagement d’un bandeau de fenêtres sur toute la largeur du bâtiment. En contrebas, comme une proue de pierre, vraisemblablement l’ancienne capitainerie du port du temps des Bernois,; je retrouve symboliquement la configuration du navire de croisière. Notre salon d’été est meublé de deux ou trois choses que Cy. n’a pas prises dans sa nouvelle chambre, sont venus y rejoindre un divan d’étoffe écrue, des tapis vert tendre, quelques guéridons et ma table, mes chaises faux « Tuilipani » d’époque. Un lustre de verroterie, une sorte de brocard fleuri dans l’escalier, des vasques de Bassano et une chaise Louis XIII complètent la décoration, sans parler de la petite troupe d’accessoires de rien propre à ma mise-en-scène …

Autre règle, la taille des « chapitres » ou de ce qui m’en tient lieu, des sortes de forts paragraphes, cinq pages manuscrites. Les étapes de notre croisière méditerranéenne ne seront pas forcément évoquées de manière structurée, je ne m’interdis pas les flashbacks, les digressions, les descriptions de mouvements intérieurs. Hier, par exemple, alors que je revenais de Lörrach où je suis allé faire deux ou trois courses et, surtout, acheter mes billets de train pour Münich (quelques jours en octobre après Ibiza), j’ai été tenté de raconter mon repas dans un restaurant du coin. Je voulais évoquer ma nostalgie du Rheintal, la vue sur les colines de vignoble avoisinantes et le soleil déclinant, les ombres graciles des petits villages çà et là, mon Allemagne adorée, une grande douceur teintée d’une  légère douleur, celle de ne pas appartenir à ce terroir, de ne pas avoir d’emprise sur lui et de ne pouvoir le fréquenter qu’à la manière d’une âme errante, voire d’un passager clandestin.


Je ne me donne aucun délai particulier pour mener ce travail à terme. Cependant, l’année dernière, j’avais clos la rédaction de la première partie à Noël. Pour des raisons de symétrie, je vais tenter de mettre un point final au cours de cette même période du calendrier.

mercredi, décembre 16, 2015

"Le Royaume" d'Emmanuel Carrère

Je comptais écrire un petit quelque chose de satirique à propos d’une récente élection mais nous sommes entrés dans l’année jubilaire de la Miséricorde, je vais donc m’abstenir … par miséricorde (on me prête fort peu de cette vertu, je ne sais pas pourquoi du reste). Je vais plutôt m’ouvrir auprès de vous de ma lecture actuelle, un pavé, que je comptais finir il y a une semaine de cela. L’ouvrage était goncourable l’année dernière, plus de 600 pages aux éditions P.O.L, à savoir « Le Royaume » d’Emmanuel Carrère. Je crois que j’avais dû en entendre parler, ou en lire quelque chose et je l’ai trouvé voilà une année au-dessus d’une pile, librairie parisienne. Je me suis dit pourquoi pas, question truc lourd, je venais d’acheter une intégrale de Mafalda. Et « Le Royaume » est resté gentiment sur une nouvelle pile, à la maison, parmi d’autres textes qui lui ont brûlés la politesse, de moins épais ou de plus prestigieux (L’Homme sans qualité).
 
Le problème d’un pavé est un problème pratique, ça pèse son poids dans le sac et ça prend une place dingue mais la qualité du texte vaut largement cet effort. Je ne connaissais rien de l’auteur. Je l’avais peut-être aperçu à la télévision. Pas besoin de s’informer sur le bonhomme ; selon son éthique, il commence par expliquer son point de départ. Il évoque sa conversion, sa pratique limite névrotique de la foi et l’athéisme qui y succède. En corollaire, il nous parle de l’échec de son premier mariage, de ses enfants, de son travail de scénariste, de son travail d’auteur. La première partie du livre tient de la bonne autofiction, l’écrivain n’est pas un gentil tricoteur de fables à bonne gueule pour magazine avec couverture en papier glacé, il est un homme qui réfléchit et se confie selon le célèbre modèle ronsardien. Inutile de vous dire qu’il s’agit du modèle que j’applique dans mon propre travail d’auteur. Ce simple récit d’une conversion ratée, comme un soufflé raplapla, justifierait largement le prix du livre mais l’épisode catholo-bon teint n’est qu’un épisode dans une recherche plus vaste, une interrogation de philologue, de journaliste, d’historien, de sociologue autour du personnage de saint Luc et, donc, par ricochet, de saint Paul et de Notre Seigneur Jésus Christ.
 
A ce point-là de ma critique, au cas où le lecteur de ce billet ne connaîtrait rien de moi, je suis catholique, croyant et pratiquant, la totale ! Et par choix puisque je suis né dans une famille protestante vaudoise ayant une pratique plutôt molle de la foi. Je n’avais pas été baptisé. J’ai connu un épisode de révélation vers quatorze ans qui m’a mené au baptême onze ans plus tard, à la confirmation puis à un épisode de « protestation » avant de vivre pleinement ma foi en paroisse, auprès de l’admirable abbé Pittet. Il m’a accueilli au sein de la paroisse Saint-Joseph, et mon homme aussi, car ce prêtre ne jugeait pas mon homosexualité. Il nous demandait parfois de l’assister et de donner la Communion. Je confesse à Dieu tout puissant … euh, non, nous ne sommes pas à la messe, mais je confesse un désintérêt quasi-total vis-à-vis de la doctrine de la foi, de la philosophie attenante, de la philosophie en général (chiage dans le crâne comme le disait mon ex-beau-père). Ma foi n’est pas un acte intellectuel, elle une « simple » conviction qui repose sur elle-même et sur la présence régulièrement renouvelée du Très Haut auprès de moi. Dans ses conditions, il est clair que je n’ai pas besoin du blabla annexe si nécessaire aux croyants tièdes afin de les réchauffer dans leur foi.
 
Revenons au « Royaume » d’Emmanuel (littéralement Dieu est avec nous) Carrère. Après le constat de sa foi … manquée, il bifurque sur un sujet qui lui tient à cœur, la vie de saint Luc, qui était-il ? qu’elleA est la teneur exacte de son héritage biblique. Et notre auteur mène l’enquête de manière magistrale. Il compile et analyse l’exégèse, les différentes versions des évangiles (TOB, Segond, bible de Jérusalem, etc.), relève les failles linguistiques du récit et leur interprétation pour livrer au lecteur la vulgarisation synthétique et sagace de thèmes habituellement débattus par les milieux universitaires. Impossible de lâcher ce « Royaume », l’inspecteur Carrère mène l’enquête et ses déductions sont encore plus fortiches que celles de Colombo, Poirot ou Maigret réunis. On en redemande ! Je dois ici vous confesser de même que je ne suis pas un grand lecteur de la bible, deux ou trois paraboles que je suis incapable de replacer dans la bonne évangile, deux ou trois trucs pas piqués des vers tirés du deutéronome, l’apocalypse, deux ou trois choses tirées des lettres pauliniennes et rien de plus. Je lis avec intérêt dans mon missel le commentaire des lectures du jour, goûte fort les homélies bien tournées et suis avec intérêt les séquences d’explication biblique sur KTO. Parfois je lis une page du Livre Sacré au lit (la Bible de Jérusalem a ma préférence), avant ou après une page de Mafalda (la fameuse intégrale de plus de deux kilos), ces deux sommes me tiennent lieu de livre de chevet.
 
Carrère, l’homme qui croyait mais ne croit plus, met paradoxalement un talent fou à rendre vivant Paul, Luc, Jacques, Marie et Notre Seigneur Jésus Christ de même. Il trie parmi les « enjolivures » ce qu’il considère comme des anecdotes authentiques, de première main. Il échafaude des hypothèses sur le saint Paul historique, sur sa personnalité, les conditions de sa rencontre avec saint Luc. Afin de rendre au mieux ce qu’il croit isoler de la psychologie de ses protagonistes, Carrère opère de fréquents retours à sa propre expérience, mettant en perspective son œuvre et son parcours. La méthode n’a rien de dérangeant car pleinement assumée et, qui plus est, elle répond à un impératif moral, le fameux devoir de vérité. D’où tu parles, Emmanuel ? « De ma place d’athée ex-croyant glissant vers l’agnosticisme, d’homme issu d’un très bon milieu, d’auteur reconnu, de scénariste vivant de sa plume, de père de famille, de divorcé remarié et comblé, bref d’une place privilégiée ce qui, toutefois, ne retire rien à la valeur de mon témoignage et rien à la qualité de ma recherche. » nous répond-il. Et le lecteur procède à ces mêmes allers-retours, d’où l’incursion de ma propre expérience dans cette critique. Toutefois, je réserve mes conclusions à lire dans le prochain billet consacré au « Royaume », dès que j’en aurai terminé la lecture (600 pages, tout de même !).

jeudi, décembre 10, 2015

1. Welcome on board - premier chapitre de "Croisière"


Une croisière est une forme de prise d’otage extrêmement sophistiquée et perverse, plus encore qu’une fête de famille (anniversaire, Noël, mariage). Dans chacune des situations évoquées, le patient (ainsi que l’on nomme le supplicié du point de vue du bourreau), le patient, donc, est dépouillé de son autonomie durant un temps donné. Il devra se mettre entre parenthèse et plier son corps, ses penchants aux circonstances. Dans le cas d’une croisière, la torture est encore plus subtile car le patient aura de un, payé et de deux, verra ses goûts régulièrement stimulés au gré des différentes activités proposées. Je me retrouve dans une telle situation, un beau voyage de blaireau de luxe dans un bateau qui tient  plus du complexe balnéaire de masse que de la marine, un parallélépipède rectangle de 14 étages posés  sur les flots baltiques, divagant de Stockholm à Saint-Pétersbourg  via Tallinn.
          
La haine de la foule. L’amour des paysages, de l’art, de la peinture. Trop de communication tue l'échange, le « je » tue l’être. L’anecdotique tue le récit. Chercher du délassement comme but ultime de l’existence : idéal périmé. Il faut donc retourner à la « communion » des foules, spectacle d’après-dîner dans le théâtre de plus de mille places, ses fauteuils tendus de « peluche » violette. On écrirait velours dans les catalogues de décoration. Jusqu'à Thomas Mann, premier tiers du XXème siècle, on disait peluche, le velours était réservé à d’autres usages. Le plafond de l’avant-scène est garni de grandes écailles en forme de palmettes stylisées dont le contour est piqué de lumières à LED. Dans le demi-jour du spectacle, l’endroit a quelque allure. Par moments, le roulis agite le rideau de scène (violet lui aussi) et les spectateurs ressentent une sorte de longue vibration métallique sous leurs pieds. Ça n’a rien d’inquiétant. Ça en rajoute au mérite des saltimbanques qui procèdent sur scène. Après le divertissement, quelque soit le temps, les passagers ont le loisir de se promener sur les ponts du 13ème et 14ème étages. Il faudrait dire « sur les ponts 13 et 14 » selon le lexique marin mais le navire tient si peu du bateau. La fréquentation des cinq ou six bars aux ambiances et aux activités légèrement différentes permet de distraire le quidam. Il peut même prendre un café au buffet du 13ème et manger une tranche de pizza, un sandwich sans bourse délier. L’espace est décoré à la manière d’une cafétéria de grand-magasin pseudo-chic. De maigres lambrequins sont agrafés sur une tablette d’aggloméré en haut des larges baies, ils semblent pendre du faux-plafond. Leur court drapé rigide leur assure une parfaite stabilité même sur une mer agitée. Le plateau des tables carrées au pied central massif imite la marqueterie polychrome de meubles renaissants. Le nombre de places semble infini du fait de la démultiplication des rangées par un effet de miroir. De plus, l’allée est organisée de la même façon que dans un airbus A320. Sur ce même pont, on trouve aussi l’espace piscines, deux petits bassins, un bar, une sorte de déambulatoire avec tables et chaises de jardin, un grand nombre de chaises longues de proportion italienne que les petites mains de la maintenance replient et rangent tous les soirs. On trouve encore deux jacuzzis, toujours remplis d’obèses poilus, de gamins qui y pissent ou d’ados triquards en shorts géants.

Dans les espaces publics, il est impossible de se raconter la moindre histoire. Les foules apprécient et se laissent inonder par le sentiment de plénitude ; elles sont à la fois actrices et spectatrices d’un divertissement télévisé pour première partie de soirée d’une chaîne de grande audience. Pour preuve, à la boutique photo, il est possible d’acheter un coffret DVD comprenant une présentation (muette mais en musique d’ascenseur) de la construction du navire, de son baptême par Sofia Lauren, un autre avec les excursions de la croisière et, le plus important, le dernier, best-off des meilleurs moments à bord (embarquement, soirées à thème, disco, etc.) dont le passager est la vedette. 

mercredi, décembre 02, 2015

"Notre Dame de l'Assomption", extrait de "Croisière"

J’ai terminé cette croisière par la messe dominicale de 20h à Notre Dame de l’Assomption. Comme à l’aller, nous sommes rentrés dans l’inconfort d’un car, changement à … quelque part au pied d’une montagne valaisanne, la fameuse compagnie qui a transporté les aspirants miss et misters Suisse Romande 2014 vers leur croisière d’entraînement (à quoi ? mystère, peut-être à supporter le mauvais goût des plateaux de la télévision suisse romande dont les décorateurs ont dû suivre les mêmes cours que ceux de chez MSC). Notre dernier chauffeur n’était de loin pas une lumière et a trouvé moyen de se perdre dans Lausanne. J’ai – pile – pris place dans les premiers rangs de la nef au moment de la première lecture. La basilique Notre Dame de l’Assomption est le principal lieu de culte catholique du canton. Les nombreuses campagnes de remaniements, réaménagements ont laissé les bâtiments dans un style disparate d’un goût improbable. L’élégante nef d’Henri Perregaux (1832) s’est vue flanquée d’un clocher géant mussolinien, de deux puissantes volées d’escaliers et d’un lourd portique à colonnes doriques. Au sommet du campanile brille une croix de néon et le chœur en cul de four est orné d’une mosaïque Art Déco très tardif, où le petit Jésus a quasi la tête d’Adolf enfant. Quant au mobilier liturgique, aux chaises, aux vitraux, des horreurs brunasses/verdasses résultant du massacre de la dernière restauration. J’ai eu plaisir à retrouver l’ingratitude des lieux, l’abbé D*** présidait la célébration, j’ai gardé le souvenir d’une homélie amusante. Ma chaise tanguait un peu, léger mal de terre, la quête, la Communion, l’envoi, j’étais de retour. Je suis toujours « de retour » dans les églises et les musées de ma connaissance ; par contre, je suis « de passage » à mon logement, un rebord contre lequel s’appuyer dans l’impermanence de nos vies.

dimanche, novembre 22, 2015

"Entre les lignes", défense et illustration d'une émission de radio

C’est un rendez-vous radiophonique majeur de la littérature francophone que la direction de la SSR… TSR … RTS, enfin la radio-télévision Suisse romande, une entité qui n’a cessé de muer, muter et changer de nom sans pour autant gagner en qualité, bref cette direction au nom du « rendement » n’a rien trouvé de mieux que de biffer d’un trait de plume négligent ce rendez-vous mythique de la prochaine grille des programmes. Comment peut-on, lorsqu’on se prétend service public, grassement subventionné par des redevances exorbitantes, ce qui signifie des impératifs de rentabilité peu contraignant, mépriser de la sorte la chose culturelle. « Entre les lignes » est une porte de la littérature tant romande que française. Que dis-je une porte, un phare, une voie d’accès, une autoroute, une piste aux étoiles, la consécration lorsque l'on est un auteur, une reconnaissance et, souvent, une trouvaille pour les auditeurs.

Je parle pour ma paroisse, soit ; je suis déjà passé à trois reprises dans l’émission de Jean-Marie Félix, interviewé tantôt par Catherine Fattebert, tantôt par Christian Ciocca. Ce fut à chaque fois un excellent moment, l’occasion d’entendre vivre le texte sous la lecture d’un acteur professionnel. Je ne pourrais pas tous les nommer, leur voix m’est familière, je suis aussi un auditeur « mi-assidu » de l’émission ; j’en écoute les podcasts le matin, dans la salle de bain, durant mes nombreux séjours étrangers. Et parfois en live, quand je n’enseigne pas. Lorsque je prends l’émission au vol, je reconnais la voix d’un «collègue » ou, lorsque je ne connais pas personnellement l’invité, je devine le titre de son roman en deux ou trois échanges. Il y a aussi des auteurs qui m’énervent, j’en ai épinglé un – une en l’occurrence – dans « Journal de la haine … »

Se priver de « Entre les lignes » est, non seulement, une marque de mépris d’une bande de marchands de soupe envers la littérature mais c’est aussi priver la SSRTSRTS… ou je ne sais trop quoi, le gros bazar qui chapeaute Espace2, priver ce service dit public d’une ambassade reconnue dans les médias internationaux de langue française. Ce n’est pas avec le « Kiosque à musique », « Un air de famille » ou, pire, « Les coups de cœur de l'apoplectique Alain Machintruc » que l’on va se faire une respectabilité parmi le petit marché de l’audio-visuel francophone pléthorique. Sophisme me dirait-on, élitisme, mépris du goût populaire, etc. Pourquoi comparer ce qui n’est pas comparable, une émission culturelle radiophonique avec de la téloche à neuneu ?! Ce n’est pas moi qui ai eu l’idée saugrenue de faire un gros gloubiboulga commun avec la télévision et la radio de ce pays. Il y aurait, paraît-il, des synergies. Je constate surtout que la radio qui est plutôt économe se voit retirer le peu qui lui est accordé pour l’attribuer à une télévision dispendieuse et inadaptée à son temps. Quant à mettre en balance de la littérature et du divertissement lourdaud pour première partie de soirée le samedi, je procède selon les nouveaux critères de compétitivité de l’audio-visuel public suisse. Si « Entre les lignes » ne pousse pas à la vente de juteuses plages publicitaires, cette émission génère néanmoins du prestige et la reconnaissance unanime d’un milieu culturel peu enclin à la louange. Regardez donc la liste des invités, vous y trouverez de grands noms des Lettres parisiennes. Et croyez bien que personne ne se fait trop prier pour répondre « présent » à une invitation de Jean-Marie Félix.


Messieurs de la RTSSRTS, du truc, du chose, le machin qui gère les sommes indécentes versées pour notre redevance-rançon, histoire d’avoir le droit de regarder Arte, Planète, France5, parfois M6, 3Sat, TV5 Monde, ZDF, Das Erste et d’écouter France Culture et France Info quand on n’écoute pas Espace 2 ou Vertigo et les infos sur La Première; Messieurs, donc, il n’est pas trop tard pour faire marche arrière et maintenir une émission qui vous rapporte bien plus que des recettes (publicité, redevance), une émission qui vous apporte le respect !

dimanche, novembre 15, 2015

13.11.15

Depuis le salon d’été, où j’ai pris l’habitude de travailler, je jouis de la vue calme du lac, les Alpes, la France voisine. Il s’agit d’un panorama à la Gracq, frontière et paysage. Vendredi soir, j’étais au téléphone avec Christine, Berlin, des nouvelles du Schweizer Verein, de la paroisse Sankt Hedwig, de la vie dans mon cher Brandebourg.

23h30, je raccroche. La table est encombrée de livres, une théière, une tasse en Lomonosov. C’est un décor hors d’âge ; ce pourrait être un intérieur à la Green ou à la Mauriac. La paroi de la montée d’escalier est couverte de gravures anciennes, monuments et vues pittoresques, dans un goût bourgeois suranné. Plus personne ne veut de ce genre de chose, symbole d’élégance des intérieurs chic jusque dans les années 80. Une autre époque. Les marches craquent sous mes pas. Je m’apprête à aller me coucher, réunion politique le lendemain, lever à 7h. La salle et le séjour sont dans la pénombre, Cy. s’est endormi sur le canapé avec le chien. La télévision est allumée, programme spécial, un bandeau rouge au-bas de l’écran. En quelques mots, tout est raconté. J’éteins, réveille Cy. qui gagne son lit. Dans un demi-sommeil, il me dit les attentats à Paris. « Je sais … » et par ces deux mots j’ai conscience que nous sommes passés dans un après.

Il est tard. Sur le chemin de mes « petits appartements » - comme dans les grandes maisons, nous pratiquons la chambre à coucher séparée – je dépose le chien dans son panier. Je sais, et depuis cinq minutes. Prendre des nouvelles amis sur Paris via les réseaux avant d’être inquiet, tout est OK, 0 Killed, pas de morts parmi ceux de ma connaissance. Quant aux autres, les chiffres enflent à vue d’œil, demain sera là assez tôt pour s’en horrifier. Et après ? Nous sommes déjà dans cet après et je ne sais pas comment nous y vivrons ?!

mercredi, novembre 11, 2015

La chapelle Saint-Dominique-Savio de La Longeraie, Morges

Il s’agit d’un lieu aimé et un rien mystérieux, un édifice accessible et protégé, discret sans être secret, un point de vue bien connu des habitants du quartier de Préllionnaz, signalé par un campanile gracieux dépassant des champs alentours. J’ai passé mon enfance à m’étonner de ce lieu, la chapelle Saint-Dominique Savio du domaine de La Longeraie, un édifice réalisé d’après les plans de l’architecte Charles Pellegrino. La chapelle n’était alors plus en service, de toute manière je n’étais pas encore catholique … On racontait tant de choses sur ce « domaine » de la Longeraie, une école catholique tenue par les doctes Salésiens, au service de garçons de 10 à 15 ans, traversant tant des difficultés familiales que scolaires. Les pères ont tenu cette école jusqu’à la rentrée 1980. Ils ont quitté la place le cœur gros après 68 ans de présence.

J’ai le souvenir d’une chapelle éteinte, endormie et vide de la présence du Sacrement, une promenade hivernale, le sentier gelé de terre battue qui relie la cour d’honneur au reste du quartier ; il y avait encore les vergers. Je monte les quelques marches du péristyle et tente de voir l’intérieur de cette église, le faible éclat des vitraux, le jour est très bas. Un déambulatoire emmène le promeneur vers un couvert, la cour de l’école. Je reste intrigué et vais le rester longtemps.

Effet du hasard, je reviens m’installer à Morges, au centre ville. Entre ma promenade hivernale et mon retour, il s’est bien écoulé une trentaine d’années durant lesquelles j’ai reçu le baptême, ai confirmé et pris l’habitude de participer à la messe dominicale. Peu après notre emménagement – je ne suis pas revenu seul – je découvre avec joie que la messe se donne à la Longeraie, tous les dimanches, à 18h30. Le Seigneur y est revenu. Une brique commémorative proclame ce retour avec la fin des travaux de réhabilitation en 2010.

Plus qu’une chapelle, l’église Saint-Dominique Savio, est un lieu de recueillement accueillant, l’espace s’organise sur un plan basilical au sens strict, l’église-halle ou la basilique telle que conçue dans l’antiquité, un rectangle terminé par une abside en cul de four. Cette inspiration à l’antique est renforcée par les quatorze colonnes fuselées cannelées soutenant un plafond lambrissé en berceau. La lumière, surréaliste, merveilleuse provient de jour du bandeau de vitrail enchâssé dans du béton, une œuvre des maîtres verriers Aubert et Pitteloud sur la base des cartons réalisés par Auguste Rody. L’ensemble court au haut de l’enceinte sans interruption et raconte la vie du jeune saint Dominique Savio, élève de saint Jean Bosco. Le petit saint patron des adolescents donne certainement cette note fraîche à l’ensemble qui jamais ne paraît austère.

Il faut voir la chapelle au couchant, lorsque le chœur est illuminé de taches de couleurs vives, le soleil du dehors devenant un soleil mystique. Je suis dans l’incapacité de vous parler des lieux hors du contexte de ma foi. Cet espace est habité, pour preuve le succès des messes dominicales. Quelque soit la saison, le fidèle emprunte le chemin de terre battue, guidé en hiver par la silhouette estompée du campanile. La chapelle brille alors comme une lanterne de Noël. Le grand vitrail de la tribune l’accueille, des motifs d’aspect floral. Car la chapelle a tout d’une grande église : un orgue occupe cette tribune et accompagne les offices. Les bancs, le mobilier liturgique, l’autel participent à l’unité de style de cet espace consacré pour la première fois en 1957. Jusqu’au chemin de croix, épuré, stylisé, design dirait-on s’il était une œuvre contemporaine. Celui-ci est de l’artiste céramiste Béatrice Cinci.


Catholique ou pas, croyant ou pas, pas même amateur pointu d’architecture, je t’invite, visiteur, à t’arrêter dans ce lieu, découvrir cet espace de paix. Il est emblématique de la vie des Morgiens. Il est une forme récente de piété urbaine qui saura même toucher le cœur le plus farouchement athée.