L'auteur en dédicace |
Lire « Le Royaume », jouir de la promesse du
printemps par une fin de journée, janvier par exemple, le couchant, une heure
dont les merles chantent la douceur, et croire que l’hiver ne sera plus … Oui,
croire, suivre sans raison cette intime conviction qui vous fait vous
émerveiller au chant délicat et mélancolique « des oiseaux du ciel ».
« Le Royaume » est un texte brillant, drôle, alerte, d’un style subtil
et aimable à la fois, pas d’effets gratuits, une parole sincère, tout
simplement, et la coulisse du récit offerte aux lecteurs avec cette même
simplicité. J’ai terminé la lecture de ce pavé dont la taille représente le
seul défaut, et je ne parle pas du nombre de pages, du temps qu’il faut
consacrer à sa lecture, juste de la taille de l’objet, un peu encombrant et mal
commode à manipuler, surtout dans les dernières pages.
J’ai donc terminé ce voyage auprès de saint Luc, l’irascible
saint Paul, saint Marc, ou plutôt saint Jean-Marc de son vrai prénom. Et saint
Jacques le majeur, saint Pierre, le colérique saint Jean et le Pommadé … Celui
qui est « frotté d’huile », oint … le Messie. Voilà exactement le
genre d’anecdote que glisse Emmanuel Carrère dans son récit. Il avait, avec
d’autres auteurs, participé en son temps à une version réactualisée de la
Bible, dépoussiérer une phraséologie trop pompeuse encombrée de termes usés,
d’où le « Pommadé » glissé par le comique de la troupe.
Je l’avais déjà signalé dans ma critique à mi-parcours,
« Le Royaume » est le meilleur ouvrage d’histoire biblique qu’il
m’ait été donné de lire … quoique je ne sois pas un grand lecteur de ce genre
documentaire. Emmanuel (littéralement Dieu
est avec nous, je sais, je l’ai déjà glissé dans le premier volet de ma
critique), Emmanuel donc, en parallèle des aventures et mésaventures du doux
et, apparemment pusillanime Luc, nous refait le récit de la rédaction des
évangiles et du reste du canon du Nouveau Testament. Les textes les plus
anciens sont vraisemblablement l’évangile selon saint Marc (Jean-Marc) et les écrits
pauliniens. Jean-Marc serait le fils de
la femme qui reçut Jésus et les apôtres pour leur dernier repas, la sainte
Cène. Jean-Marc parle le grec comme « un chauffeur de taxi pakistanais à
Londres parle anglais », dixit Carrère. Marc s’exprime à l’aide d’un verbe
sec, sans fioriture. Dans son évangile, le Christ se montre révolutionnaire et
carré, voire péremptoire. De leur côté, les lettres pauliniennes ne font pas
grand cas de la personnalité du Christ ; le dernier apôtre n’a en tête que
l’organisation des jeunes communautés chrétiennes et l’ouverture de cette foi
aux gentils … aux goïs, aux non-circoncis à qui le ciel est tout de même promis
en dépit de leur prépuce. Puis viendrait l’évangile selon saint Luc, médecin de
culture grecque, frotté de judaïsme, ayant fortuitement rencontré Paul en
tournée dans sa Macédoine natale. Il le suivit, de Jérusalem à Rome, ce qui lui
permit de rencontrer ceux qui avaient connu le Christ et conservaient son
souvenir, son enseignement à travers une sorte de recension de ses paraboles,
de ses coups de gueule aussi. Cette source fantôme (appelée source Q par la
théologie) est présente chez Luc mais absente chez Jean-Marc. Quant à
l’évangile selon saint Jean, il résulterait effectivement de l’enseignement du « disciple
préféré », paroles recueillies dans son grand âge par un autre Jean, un
grec d’un genre plutôt platonicien qui rendit ce témoigne de manière très
intellectuelle. Et Mathieu ? le
dernier évangile, le plus sobre, le plus consensuel, construit autour de la
source Q, une sorte de récit à l’usage des communautés orientales. Mathieu
serait plus une marque qu’un individu authentique.
Et Carrère en vient à évoquer la guerre judéo-romaine, la
Rome de Caligula, de Néron, de Vespasien ; il n’oublie pas de convoquer
l’historien incontournable et contemporain de ce premier siècle :
Flavius-Josèphe, poser le décor. « Le Royaume » peut se lire à la
manière d’un roman historique, on est quasi dans le docu-fiction
« Rome », avec le making-off en parallèle. Carrère fait carton plein :
l’esprit, l’humour, la culture, le don de conteur, il a tout, cet auteur, tout
sauf … la foi ! Il aimerait y croire mais ne trouve aucune preuve, rien de
concluant. Il s’astreint à un « lavage de pieds », chercher un
dernier petit bout de foi jusque là. Il n’a pas l’air de souffrir de cet état,
il ne cesse de s’interroger à son propos, comme de mes amis hétéros qui finissent
par coucher avec un homme afin d’éloigner d’eux l’hypothèse de méconnaître leur
homosexualité ! Je reste coi. Et si notre auteur n’a pas retrouvé cette
foi qu’il a pratiquée avec ferveur durant trois, ans avant de s’en détourner
comme d’une lubie, son roman, le fruit de sept ans de recherche, nourrit
copieusement l’inculture philosophique et théologique de croyants dans mon
genre.
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