Après avoir
exploré, défriché, déchiffré le monde d’après la « montée », Stéphane
Bovon, en scénariste professionnel, a décidé de nous offrir un
« prequel » à cette catastrophe fondatrice – l’élévation des eaux
jusqu’à l’altitude symbolique de mille mètres. Le troisième tome de la suite
« Gérimont » nous raconte la jeunesse du roi Louis Moray à Vevey, de
nos jours. La fresque est truculente et notre bon Stéphane en profite pour nous
narrer sa ville, les lieux emblématiques et, surtout, son microcosme politique.
Laurent Ballif, Fabienne Despot, Jérôme Christen, Oskar Freysinger en guest
star, et quelques autres encore, la peinture est enlevée, on rit à chaque
ligne, pas même d’un rire méchant. Bovon est une crème d’homme, jamais véreux,
méchant, énervé : un ami solide, ouvert, curieux, capable de toujours voir
le meilleur chez autrui … Vous avez affaire à mon double inversé ! Là où
je vous aurais glissé quelques vacheries à mots couverts, du sous-entendu en
mine de rien vitriolé, notre auteur nous offre un regard bonhomme et
perspicace.
Vous l’aurez
compris, cette saga Gérimont est le prétexte idéal afin de se regarder avec
distance, quasi la vérité d’un conte et Stéphane Bovon – dessinateur, auteur,
éditeur, graphiste, performeur, comédien, dj, etc. – nous fait partager sa …
sagesse. Sincèrement, et sans ironie, Stéphane est un puits (sans fond) de
culture au service d’une philanthropie à la portée de tous. Il dévide une
conception créative et sagace de l’histoire et du système politique
helvétiques. Cela tombe si juste que je n’ai quasi rien à y redire, trois fois
riens, du détail, une absence un peu marquée de l’Eglise catholique dans la
réalité religieuse vaudoise contemporaine et le fait de désigner les Habsbourgs
et leurs troupes « d’Autrichiens ». Habsbourg, le berceau de la
famille impériale, est un village … argovien et, à l’époque du soulèvement
d’Uri, Schwyz et bidule, la région avait les Habsbourgs, une famille du cru
donc, pour seigneur. On ne parlait même pas encore d’empire autrichien mais de
« Saint Empire romain germanique ». Du détail.
Le premier tome
était un choc, le second permettait au lecteur de « creuser le sillon » ;
il fallait marquer les esprits avec le troisième, le meilleur des trois à mon
avis, un texte que vous pouvez lire indépendamment de ses deux prédécesseurs :
la satire politique se suffit à elle-même. Il est du reste étonnant que l’on n’ait
pas fait plus d’échos aux « Deux vies de Louis Moray » en cette année
électorale !? Une municipale de Vevey m’en faisait la remarque, me
confiant encore qu’elle avait tant ri. Bovon affecte un style « décontracté »,
un joli travail de discours direct-indirect libre et le reste dans une écriture
fluide aux effets certains et discrets. Le texte est plaisamment référencé,
bandes-dessinées, pop-rock, peinture, surtout peinture, tout l’éclectisme de l’auteur.
C’est ici que l’on rappelle la présence d’une toile de Picasso première période
au musée Jenisch, un bassin dans le cloître de la cathédrale de Barcelone. Le
roman se termine sur cette toile du reste, et quelques mystères. Bovon a mené
une intrigue façon « Lost », scénario sophistiqué et lyrique sur le
ton d’Achille Talon. Une lecture nécessaire.
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