samedi, août 03, 2013

Impression de Copenhague

Scène du Théâtre en plein air, Tivoli
Surprendre le lever entre les rideaux de soie rebrodés, une chambre à Copenhague, les fenêtres à petites espagnolettes, comme du temps du roi Christian. Surtout surprendre le lever du jour à cause du chant des oiseaux et jouir de cette paix du nord dans une chambrette accueillante. La ville est sous le charme d’une imperceptible brume, profiter de l’instant pour rêver les yeux ouverts à la vie d’ici. La ville se révèle et s’invite dans le roman sur lequel je travaille à présent.

« … Steve va retrouver le petit garçon qu’il était alors et lui demande d’ouvrir les yeux, les autres yeux, ceux qui voient et permettent de savoir. Il l’emmène, lui fait grâce de la centrifugeuse et de l’effroi du monde suspendu. Il le prend par la main et ils vont faire quelque chose dont ils n’ont jamais eu l’habitude. Ils vont dans un merveilleux parc d’attraction de leur côté de la réalité; ils vont à Tivoli, par une fin d’après-midi, été danois, une foule aimable, cette belle présence au monde. Ils regardent tous deux le grand huit, le tapis volant, l’ascenseur à air comprimé, les moulinets d’une sorte d’avion au bout d’un bras articulé. Ils regardent au travers de douces larmes d’émotion. Ils observent curieux et attendris les canards, les pigeons, deux oies et leur couvée duveteuse. Ils s’assoient sur un banc, près d’un bassin, ils n’ont pas envie de glace. Il y a, à côté d’eux, la maison de Petzi, un manège pour les tous petits. Ils aimeraient bien mais n’osent tout de même pas. Ils ont tout vu du parc, veulent sortir discrètement par un portail dérobé, la voie n’est pas praticable. Ils devront passer par le porche monumental et devant le théâtre en plein air où la surprise d’une pantomime les arrête, une Cendrillon version Arlequin et Colombine. Ils n’oublieront jamais les toiles peintes qui se déroulent à vue, les tableaux, les acrobaties ni le public bon enfant, si loin du pathétique mi-sordide dans lequel ils baignent dans leurs quotidiens. Il faut voir les numéros défiler, Cendrillon et ses fouettés enchaînés entre deux danseurs de Capoeira, un « moonwalker » et un hip-hop. C’est le monde en gentil qui s’offre à eux, c’est une création façonnée par des enfants éternels. Steve a raccompagné celui qu’il était alors jusqu’à son lit, sa chambre aux tapisseries déchirées, le désordre plus ou moins maîtrisé en cartons affaissés, le couvre-lit vert à volant et motifs ridicules soigneusement replié, au pied du lit. Un jour, quand il sera grand, petit Stevy retournera à Copenhague, à Tivoli, pour se rappeler qu’il n’était pas seul, qu’il ne sera jamais seul et que, de loin en loin, Steve ou d’autres Steve veilleront toujours sur lui. Ils reviendront régulièrement l’emmener vers tous ces ailleurs qui le feront grandir et lui permettront de choisir sa vie. »

jeudi, juillet 25, 2013

Letzten Nachirichten aus Berlin


St Matthias am Winterfeldplatz
Berlin, ma Berlin, le refrain est connu. Cela fait dix ans que j’entretiens une relation avec cette ville, qu’elle m’offre décors et situation à mon travail littéraire. Il y a les textes déjà publiés et ceux qui sont en attente de publication « La Galeriste », « Un après-midi d’été couvert », « Dernier Vol au départ de Tegel ». Je ne suis pas prolixe, je tente de transcrire tout l’indicible qui résonne par les rues, par les parcs au coucher et la nuit. Cette fameuse nuit berlinoise qui possède une épaisseur, une densité, un parfum, une présence et qui enveloppe les habitants – parmi lesquels je me compte – d’une sorte de vêtement magique et réparateur. Toutefois, la magie a ses limites et le charme se réduit, la nuit berlinoise est dérangée par tous ces innombrables chantiers qui veulent faire de la ville une capitale comme une autre, c'est-à-dire rien ! Je vois bien que les choses ont changé en dix ans, elles n’ont pas évolué selon mon goût ni mes attentes.

La disneylandisation de l’ex-est rend les trottoirs en période de vacances scolaires infréquentables. Toutefois, ma Berlin est devenue irréductible. Après dix ans de relation, je l’ai vue s’empâter, se rider, se maquiller avec excès et s’embijouter comme une rombière de sortie. Après dix ans, ce n’est plus une passade, c’est une relation matrimoniale et je ne cesse de superposer à l’état actuel de la ville les images que j’ai conservées de nos débuts. J’ai vu disparaître des dizaines de cafés et de commerces affectionnés, ruinées des perspectives, gâtée une certaine vision urbaine mais la Viktoria-Luise Platz, la Ludwig-Kirch Platz, le Kant Café, le Café Einstein, Hasir, la Winterfeldplatz, les quais de Alt-Tegel, le Kino International et toute la Karl-Marx Allee sont restés intacts. Pour la Karl-Marx Allee, il y a même amélioration, la chaussée a été réparée et les gigantesques lampadaires de béton moulé avec leurs lanternes de plus d’un mètre cinquante ainsi que les façades néo-soviétiques des bâtiments ont été restaurés à l’identique.

Berlin, ma Berlin, tu m’offres encore de belles soirées à la terrasse du Potemkine, ou de beaux instants dans tes cinémas, comme ce soir, au Kunstfilm 66, une salle près de Savigny Platz. J’y ai vu « Adieu Paris », de Franziska Buch, une histoire presque trop belle, un peu artificielle mais pas moins que mon idée de Berlin. Je ne dois pas oublier la messe à la Sankt Ludwig Kirche, le dimanche à midi, le prêche de prêtres franciscains, et ce moment recherché, lorsqu’à une heure très avancée, j’arpente la Winterfeldplatz, hypnotisé par la silhouette de Sankt Matthias, son clocher, une ombre magnifique et inquiétante à la façon d’une toile de Carl Gustav Carus.

samedi, juillet 13, 2013

Retour de Bruxelles



Par les rues de Bruxelles

Une envie de faire des infidélités à Berlin m’a pris, direction Bruxelles, en souvenir d’un voyage plaisant que j’y avais fait il y a plus de dix ans. Je n’ai rien retrouvé – ou si peu – de ce qui m’y avait plu. Je pense que, si j’avais été un étranger à Lausanne, revenu dans la capitale vaudoise après un premier séjour il y a plus de dix ans, je n’aurai pas été moins déçu ! Mais revenons à Bruxelles.

Etat des lieux. La ville est sale, désorganisée, ses transports pourraient être efficaces si gares est stations étaient plus accessibles et si l’utilisateur occasionnel  pouvait trouver plus souvent, voire même posséder, un petit plan schématique des lignes de métro et de tram. Et je ne parle même pas des bus. Autre problème, les arrêts, à l’intérieur des voitures ne sont pas clairement signalés. De plus, on cultive à Bruxelles le goût du labyrinthe, particulièrement dans les stations accueillant  conjointement des lignes de tram et de métro ; les chemins menant à l’un ou l’autre de ces modes de transport sont étanches, à savoir, votre station, une fois que vous y êtes, ne se présente pas sous la forme d’un vaste hall avec un accès métro et un accès tram (étonnement, les grandes lignes de tram sont souterraines dans la capitale belge !?) selon la bouche de « métro » de votre station (et consécutivement de tram aussi) empruntée en surface, vous accéderez soit à l’un ou à l’autre, ou aux deux. Le piéton n’est pas en reste dans ses difficultés. Les noms des larges boulevards et avenues sont indiqués une fois de temps en temps. Il n’est pas rare qu’au sortir d’un transport, vous soyez obligé de parcourir cinq-cents mètres avant de trouver une plaque vous signalant que vous êtes à l’opposé de là où vous vouliez vous rendre. Au chapitre de ce qui manque, on peut encore ajouter : des boulangeries et des tea-rooms. En deux jours dans le « pentagone » (centre de Bruxelles de forme vaguement pentagonale), je n’ai rencontré que 2 boulangeries et trois ou quatre cafés qui s’auto-intitulaient « tea-rooms » sans pour autant correspondre aux critères propres à ces lieux.

Ce qui ne manque pas, ce sont les poubelles qui débordent, les paumés et autres laissés pour compte en roue libre et en état d’ébriété. Difficile de trouver les « beaux quartiers » et quand vous y êtes, vous foulez un pavé que les herbes folles descellent et longez des façades fatiguées certainement d’avoir attendu le retour improbable d’une bourgeoisie brillante. On ne compte plus, non plus, les boutiques en liquidation, les arcades commerciales vacantes, les avis de vente ou de location qui pendent ça et là aux fenêtres d’appartements inoccupés.  Et, parmi cette déconfiture, le diocèse incapable d’entretenir et de rénover son patrimoine immobilier évoque à mots couverts la possibilité de « désacraliser » l’une ou l’autre de ses églises à Bruxelles afin d’en vendre les bâtiments.

Ce laisser-aller général, ce désinvestissement social n’est que la conséquence du communautarisme qui ronge la ville. Il y a, soit, le clivage wallons-flamands mais il y a d’autres communautés qui semblent ne pas vouloir se mêler au tout, comme une mayonnaise qui « tranche », et les fonctionnaires européens ne sont pas les derniers dans ce jeu de déni de Bruxelles. L’une des rares rues « habitées », la rue du Midi, est colonisée de bobos en tongs de marque qui s’affichent comme des publicités racoleuses sur des terrasses où ils dégustent de la crêpe au fromage de chèvre bio. Rajoutez à ce navrant tableau une disneylandisation des sites historiques avec flux constant et quasi boueux de touristes en car et il ne reste plus grand’chose de cette capitale  singulière.

Pourtant, la visite de la Grand-Place est toujours aussi prenante. L’impression est encore plus magique de nuit, on arrive même à faire abstraction des trop nombreux groupes de jeunes visiteurs ivres et braillards comme il se doit. Il y a aussi ces points de vue sublimes sur un paysage urbain néo-babylonien sitôt que l’on prend un peu de hauteur. Il y a eu la bonne surprise d’un restaurant bulgare, « La vieille Maison » au coin de la chaussée de Waterloo et de l’avenue Brugmann. Il y a encore le parc royal, le jardin botanique et le parc du Cinquantenaire, il y a une certaine langueur à la fin du jour, due à une lumière si pure que l’on se promet de, tout de même, revenir une prochaine fois.

vendredi, juillet 05, 2013

La morale selon Theodor Fontane


Etre un autre en regardant simplement par la fenêtre, debout, appuyé au chambranle, le génie de l’instant, un voisin qui écoute du jazz et qui a un goût très sûr. La vue n’est pas anodine, une vue à la Adolph Menzel, une trouée sur le port, le lac, les Alpes. En point de visée, la girouette plantée à l’extrémité du toit à trois pans, en contrebas. Et une lumière belle à pleurer, dorée, idéale, la douceur de la fin du jour. Des voiliers rapides glissent le long de la côte, ma plume – oui, une plume-réservoir, mon portable a par bonheur exigé une longue mise-à-jour – ma plume glisse sur le papier avec autant d’aisance. Et je pense à Fontane, surtout connu pour son roman « Effi Briest » mais il y a « Errements et Tourments », « Jours disparus », « Frau Jenny Treibel ». Je suis un peu l’un ou l’autre des personnages de l’œuvre fontanienne, des caractères contemplatifs et résignés mais sans indolence ou, pire, pusillanimité. Je suis Mme Nimptsch qui tantôt regarde son âtre ou observe la vue au dehors alors que, accoudé à la tablette de cuivre de ma fenêtre, perdu dans la contemplation de la lumière – je voudrais la boire – j’aurais voulu être un héros de roman à la Sagan, bronzé et pieds nus dans des mocassins de cuir souple. Je n’ai pourtant que Fontane qui me vient à l’esprit, sa sentimentalité délicate, ni trop romantique, ni trop sèche. J’adhère totalement à sa morale « résiliente », le respect du rôle selon son rang social, l’attachement aux normes en cours non pas par conformisme mais par délicatesse, par altruisme. Chez Fontane, les amours malheureuses ne sont pas orageuses ; elles donnent de la profondeur à ceux qui en souffrent et les forcent à s’expliquer à part eux-mêmes quant à leurs choix de vie. Je ne serai jamais un héros de roman à la Sagan, je peux me rapprocher parfois de la psychologie d’un héros à la manière de Julien Green et je n’ai pas l’esprit suffisamment provincial pour jouer les Bovary.

Tous les voiliers sont rentrés au port, le jour glisse insensiblement ; je suis revenu vivre à M***, la bonne ville … de province que j’ai honnie à vingt, vingt-cinq, trente ans, jusqu’à il y a peu. Je n’avais pas compris que j’étais une Mme Nimptsch, un Botho, ou un Holk, ou même un Pr. Schmidt. Mon ordinateur portable a fini sa mise-à-jour, la Dent d’Oche rosit, je vais quitter le chambranle de la fenêtre et m’asseoir dans la pénombre, à l’intérieur.  

jeudi, juin 27, 2013

Oh Boy


Niko Fischer alias Tom Schilling
Revenir sur Berlin, sur sa tendresse maladroite, sur la puissance de sa commisération et s’échapper du décor préromantique que composent Morges, les quais, la somptueuse campagne alentour. Revenir … retourner à l’urbanisme brouillon, au désordre perpétuel de la ville chantier, aux balafres guéries mais marquées. Revenir à cet état d’exception que Jan Ole Gerster a su capter dans son dernier film « Oh Boy ». Récit de la vie d’un jeune homme berlinois qui, en dépit des apparences, ne part pas à la dérive ; vingt-quatre heures de la «relation » de Niko Fischer à Berlin. Celui-ci est presque sans attache, étudiant démissionnaire, sa petite amie l’a quitté à cause de son indécision, son père lui coupe les vivres : à la limite du déclassement social.

Un rien d’ironie, la charge reste légère, les travers de quelques bien-pensants sont épinglés. A savoir : la fille avec une conscience civique, l’intello de gauche, une ex-obèse revancharde, une tripotée de jeunes semeurs imbibés. A l’opposé, il y a les vivants douloureux, des abîmés qui traînent leur croix avec leur humanité. Niko, depuis son entre-deux, fait plus que les voir, il les regarde. Il y a son voisin, le désarroi de celui-ci face à sa femme malade, sa solitude ; il y la susmentionnée ex-obèse, une petite fille sensible lorsqu’elle n’est pas en mode vamp vindicative, il y a aussi le vieil ivrogne et le poids de sa conscience. Et partout, autour, il y a la consolation qu’offre la ville blessée, sa pitié au sens chrétien et le lever du jour sur Berlin, le plus beau témoignage d’espoir que je connaisse.

La petite ourse se préoccupe du plus humble de ses oursons ; Jan Ole Gerster a aussi dû sentir une patte bienveillante sur son épaule. Il a débarqué à Berlin en 2000 et n’en est pas reparti. Notre réalisateur a su lire entre les plans grandioses de la nouvelle capitale fédérale. Il y a vu un havre pour les cabossés de l’existence et un lieu de souvenir, de commémoration. "Oh boy", à voir encore en salle en ce moment.

samedi, juin 22, 2013

Littera ex-machina


Participé à une performance, Littera ex-machina, des musiciens, entre acid jazz et Schönberg, de l’inspiration et la feuille blanche, sur une machine à écrire. Il ne reste plus qu’à taper puis lire le texte ou le faire lire par l’un ou l’autre des organisateurs. Le résultat de l’expérience suit, textes produits au débotté.
L’interpellation
Berlin, sur du vieux matos, et pour la seconde fois, étrange sensation, retour ou quoi d’autre ? Là où la mécanique retrouve une forme … une sorte de lyrisme sauvage et naturel, un mouvement répétitif et … répétitif. Comment commencer ? Pas moyen de revenir en arrière, narrer, retranscrire, raconter comme une trace indélébile.

Tout aurait pu commencer comme ça, en pure mine de rien, la petite musique de la banalité. Comment ça allait déjà ? Il fallait suivre son idée, la transcrire dans un code pratique, paraît-il, puis la facture de la chose, du quasi fait main, avec des menus incidents et des « ding », en fin de course. Ça fait penser à du Sagan, ne manque plus que le cabriolet pour conduire pieds nus et boire, trop boire. Tant pis pour les coquilles, il n’y a plus qu’à les assumer, il restera toujours des preuves. Le bruit, le martèlement industrieux évoque pourtant une société performante et cadrée. Le joli mythe de « tout roule comme il faut ». Il suffira de regarder au fond de la corbeille, trouver la preuve, toutes les grandes énigmes se résolvent par la poubelle.

Berlin su du vieux matos, ou Bordeaux, Barcelone, Bienne, de préférence une ville en B, c’est ainsi, l’une des règle du mythe. Tant pis aussi pour les villes en L, M ou P, Berlin comme jamais, sous les gravats des projections imaginaires et fantasmatiques. C’est toujours mieux sur du vieux matos.

 
La galeriste
Second flush, avec style, c’est quasi du velours, le thé de qualité a beaucoup d’accointance avec le très bon vin. Pour reprendre le fil du récit, ça devait se passer en 81, après l’élection de Mitterrand, ce devait être un soir d’été, une soirée odorante, pleine du cri des martinets et encore plus pleine de promesses. Il s’appelait Steeve, et elle n’avait pas de nom. Il faisait doux, une haleine quasi humaine soufflait sur la ville et ses faubourgs, il fumait au balcon. C’est si bon de fumer ; elle ne fumait pas, les filles de bonne famille, les filles qui ont le souci de leur éducation ne fument pas. Elles lisent « Adrienne Mesurat » avec un effroi contenu. Mitterrand était-il lecteur de Julien Green ? Il avait sûrement dû lire « Chaque Homme dans sa nuit ». Pour revenir à cette soirée de 81, l’été et pourquoi pas l’amour ?

lundi, juin 17, 2013

Imitations et confidences


Patrick Sébastien grimé en François Hollande
Vendredi dernier, sur la proposition de Cy, nous avons assisté avec sa tante, sa mère et la mienne au dernier spectacle de Patrick Sébastien, au théâtre de Beausobre. Suprise de voir l’humoriste sorti de la petite lucarne, de constater sa présence physique et quelle présence ! On connaît le hâbleur, le bateleur, le chansonnier double gras mais Sébastien c’est aussi un imitateur de talent, un mime remarquable capable de se glisser dans la peau de ses « cibles » en deux minutes et trois accessoires, que la caricature soit grosse ou filiforme, juvénile ou limite grabataire, qu’importe, le mime Sébastien devient son imitation.

Le verbe est vitriolé, fleuri et même vert, et la vérité cinglante. Le satiriste est encore plus talentueux que le mime ou le comique. La politique est décortiquée, passée à la moulinette en deux quatre sept : pas de préférence. L’homme public Sébastien avoue toutefois des amitiés, des connivences, des tendresses. En fin analyste de la République, il a croqué quatre à cinq de ses présidents, mention spéciale à Jacques Chirac, un ami. Et des amis, il en compte aussi beaucoup dans le show-biz, tendre évocation des disparus, et des réprouvés, le monumental Depardieu par exemple.

Sébastien paie de sa personne, s’expose et vide son sac. Y a-t-il de la complaisance ? Non, de la coquetterie, un petit rien un peu cabot, le genre nécessaire pour vous chauffer la salle la plus glacée, des méthodes coutumières dans les « Musikantenstadl ». On se lève, on chante, on bat des mains et on est même ému en chantant « La Montagne » de Jean Ferrat. Enfant, tous les matins clairs lorsque je partais à l’école, le calvaire du Petit-Dézaley, je faisais le chemin les yeux rivés sur la chaînes des Alpes rose orange en fredonnant ce refrain Pourtant, que la montagne est belle, Comment peut-on s’imaginer, En voyant un vol d’hirondelles, Que l’automne vient d’arriver.

 Merci de cet excellent moment cher Patrick.

dimanche, juin 16, 2013

Credo



Je crois en la Vertu, le génie de ce siècle,
Créateur de progrès et de compassion.
Et en notre Nature, son héritière légitime,
l’Humanité,
qui est issue de son sein,
et née de la Terre,
a souffert sous Roosevelt,
a été gazée, est morte et a été jetée dans une fosse,
a connu l’enfer
trente ans plus tard s’est relevée de la guerre,
a cru décrocher la lune,
a voulu s’asseoir à la plus haute place,
là où règne la vérité
à la lumière de laquelle toute chose finira pour briller.

Je crois en l’esprit de ce temps,
au doute créatif,
à la logique des faits,
à la rémission des mensonges,
à l’édification d’une Foi sincère,
à une vie libérée
Amen

Et je me considère comme l’ambassadeur de ce siècle, en dépit la critique parfois sévère que j’en fais. Comme le juif errant de la légende qui attend l’arrivée de son messie, jeté sur les routes du monde afin de récolter les poussières de sainteté que le Très-Haut aurait répandu à travers sa création, j’ai collectionné mille petits riens de Barcelone à Berlin, de Bordeaux à Florence, à travers l’œuvre de Thomas Mann, François Mauriac, Julien Green, Flaubert, Fontane, sans parler de la peinture qui me plaît. Et mille autres références, mille nuances du temps dont je témoigne pour ceux qui me lisent ici, ailleurs et bien plus loin peut-être. Je réponds à un appel, mon « sacerdoce » d’auteur.  

mercredi, juin 12, 2013

Vallotton et moi


Vallotton et moi

Coucher de soleil à Grâce, par Félix Vallotton
Vu, peu avant qu’elle ne ferme ses portes, l’exposition Vallotton-Katz au musée des Beaux-Arts. Dialogue surprenant entre les deux artistes qui ne se connaissaient pas, deux artistes dont les œuvres sont distantes de plus de soixante-dix ans. Katz naît en 1927, Félix est mort en 1925. Le plus jeune ne s’est jamais réclamé de son aîné, il le connaissait à peine de nom. Il a pleinement fait connaissance de l’œuvre de Vallotton à l’occasion de la double exposition lausannoise.

Sunset, d'Alex Katz
 Les deux artistes dépassent toute forme de classement, ne sont attachés à aucune école, ou si peu. Ils partagent un regard aigu sur le monde qui les entoure, un regard qui fait d’eux des solitaires, des hommes en retrait, la petite musique de la mélancolie qui m’est si familière. Chez Katz, cette mélancolie a la douceur d’une arrière saison américaine, lumière atlantique, un quelque chose à la Hoper. Vallotton a moins de souffle, sa douceur est souffreteuse, retenue et porte sur mille petites choses domestiques. Vallotton aime la grande ville, son anonymat, sa vie intellectuelle mais il a besoin de la paix d’un certain nombre de campagnes choisies, de villégiatures de vieille fille. Il a laissé un journal, interprété de manière très conventionnelle par des « experts » qui ne veulent pas lire entre les lignes.

 Vallotton est des plus pudiques quant à son intériorité, ses sentiments. Aujourd’hui, il serait  transparent car incapable de vomir ses états d’âme sur un plateau télévisée ou dans la presse « people ». Sa pusillanimité ne ferait pas recette. Je m’interroge quant à mon illustre cousin, je le comprends sans la moindre parole et, surtout, sans le moindre commentaire autorisé. J’ai très envie de documenter son parisianisme, laisser parler la sensibilité de l’homme, entendre ce que je crois percevoir dans ses toiles, une biographie de Vallotton par Vallotton.

 

mardi, mai 28, 2013

La grande Bellezza, le film

« La grande Bellezza » de Paolo Sorrentino ou la jeunesse du regard en dépit de l’âge, de la subtile faillite des corps, l’élite romaine, le crépuscule de la dolce vita, une certaine indignité aussi. Le scénario est simple : un journaliste mondain, auteur à succès d’un unique roman, fête ses soixante-cinq ans et perçoit la vacuité de son monde, l’inutilité de son milieu, son indécence aussi. Le constat est douloureux comme la dernière bouchée d’un chocolat au massepain.

Film de « vieux », les plus jeunes ont la trentaine bien tassée sur l’écran, pas moins dans la salle. Deuil de nos soleils de vingt ans, le temps a filé et, pourtant, le chant du merle au lever, la fraîcheur du matin et l’innocence du regard n’ont pas changé. Il est des choses comme frappées d’éternité dans la ville éternelle, cette Rome à laquelle nous ne pouvons que revenir sans cesse.

"La grande Bellezza" est servie par une bande son exceptionnelle (signée Lele Marchitelli) et une photographie léchée sans être maniériste. Une belle lumière estivale éclabousse le spectateur tout au long des 2h20 d’un conte moral, une sorte de réinterprétation et conclusion du « Roma » de Fellini. Quarante ans d’intervalle entre les deux films (1972-2013), quasi mon âge … Impression d’avoir 65 ans sans avoir pourtant épuisé mes soleils de vingt ans.

Terminer sur un mot, une scène fantastique, une religieuse de plus de cent ans façon « mère Teresa », missionnaire en Afrique, de passage au Saint-Siège.  Après une énième soirée mondaine dont elle était l’invitée d’honneur, une terrasse, les toits de Rome et la « sainte » de s’expliquer sur son régime alimentaire, quarante grammes de racines par jour et rien d’autre, « car les racines c’est l’essentiel ». Racines dont je ne cesse de témoigner à chacun de mes livres, particulièrement dans « Tous les Etats de la mélancolie bourgeoise ». Venez « vernir » ce texte avec moi ce jeudi 30 mai dès 18h00, au café Le Sycomore, 31 rue de l’Ale à Lausanne. Peut-être aurez-vous vu « La grande Bellezza », nous pourrons en parler.

jeudi, mai 23, 2013

Coming home


Vue du port militaire de Morges. Je le vois
depuis nos fenêtres
Paris me manque, Saint-Eustache, les Halles, celles que j’ai connues avec leurs terrasses fleuries, pyramide inversée. Barcelone me manque, la promenade sur le front de mer, jusqu’à la « Playa Tchernobyl », la messe à San Augustin et un café à la pâtisserie en face, ou un « bocadillo con jamon cerano », et le café Mauri sur la rambla de Catalunya. Berlin me manque, les cafés de l’Akazienstrasse, le cinéma Odéon, le café Atalante à Steglitz. Et Bordeau me manque, et Montpellier, et Stuttgart, Quimper, Bruxelles, Soleure …
 Je suis de retour, de retour à Morges, chez moi. Nous avons déménagé il y a une semaine avec Cy. Je retrouve petit à petit tous les paysages de mon enfance, et des habitudes qui ont forgé mon goût pour mes mille villégiatures. Ce dimanche, je suis allé assister à la messe de 18h30, à la Longeraie, le quartier de Préllionnaz où j’ai grandi. A l’époque, la chapelle était tout le temps close et je n’étais pas encore baptisé.
 Parmi cette révolution quasi copernicienne, les cartons, les mille tracas domestiques, j’en ai perdu de vue mon dernier, « Tous les Etats de la mélancolie bourgeoise » et son vernissage le jeudi 30 mai, avec les quatre autres auteurs des pamphlets Hélice Hélas 2013.
 … il se fait tard, rompons ici, prenez note de notre rendez-vous, au café le Sycomore, rue des Terreaux, à Lausanne, dès 18h, le 30 mai. Il y aura des lectures et une belle compagnie.

vendredi, mai 03, 2013

Revenir sur "La Passante du Sans-Souci"

Revenir encore sur "La Passante du Sans-Souci", revenir sur l’horreur de la déchéance du corps, la perte de ce subtil prestige qui permet à l’âme d’évoluer avec aisance. La beauté physique comme un élégant vêtement d’été, mocassins légers en daim à porter pieds nus, cotonnades fluides, veste de lin, bermuda pastel et ce fabuleux bien-être à être au monde sur un mode délicat de séduction. Elsa Wiener témoigne de l’inutilité, de l’inanité du courage, de la détermination, de la constance, du sacrifice quand on a perdu l’éclat de la … jeunesse. On finit toujours par le perdre. Le respect n’est qu’un lot de consolation face à l’amour.

"La Passante du Sans-Souci "ou le dernier rôle de Romy Schneider. L’actrice s’est suicidée peu après. Il n’y avait pas de rapport de cause à effet, la barque était trop pleine, Romy était usée par les mille rôles tenus, difficiles lorsqu’il s’agissait de film de Tavernier ("La Mort en direct" par exemple), profondément blessée par la mort accidentelle de son fils et traquée par cette peur, celle de déchoir, physiquement. Elle retrouvait ainsi le rôle de Sissi, loin de son interprétation d’opérette.

Lire "La Passante du Sans-Souci" et en conclure que c’est la faute à la fatalité, ainsi que le dirait le bon Charles Bovary. La littérature est – par excellence – le moyen de démêler sentiments et intention sans accuser, sans juger, dans un simple mouvement de compassion intime. C’est donc dans cet état d’esprit que je pars retrouver mon texte "Tous les États de la mélancolie bourgeoise", au salon du livre, sur le stand de mon éditeur Hélice Hélas, ce vendredi de 17h à 18h15

dimanche, avril 28, 2013

"La Passante du Sans-Souci" versus "Tous les Etats de la mélancolie bourgeoise"

Romy Schneider tient le rôle d'Elsa Wiener
dans le film de Jacques Ruffio, en 1981
Roman choc, roman de la dérive, de l’exil, de la faillite physique et de l’amour aussi, une dévotion aveugle face à l’horreur sans nom ; le texte date de 1936 mais il n’a rien perdu de sa force, de sa valeur symbolique. Elsa Wiener pourrait être une femme syrienne aujourd’hui, elle aurait pu être une dissidente russe d’avant ou après la chute du mur. On tue encore aujourd’hui en Russie pour délit d’opinion. Elsa Wiener est le prototype de la victime collatérale à tout système totalitaire. Simple épouse d’un opposant, elle doit fuir sa patrie et connaît une longue chute physique et morale.

La Passante du Sans-Souci, de Joseph Kessel, est aussi un texte haletant, prenant, beau, parfois un peu poseur, lorsque le narrateur tend à trop s’étendre sur sa propre vie. Kessel était déjà un auteur en vue, un journaliste reconnu, le genre bourlingueur bonne gueule qui a tout vu avec ses convictions en bandoulière. Toutefois, le cœur est généreux, la plume talentueuse et la vision politique juste. Il s’agit de l’une des premières dénonciations publiques du régime hitlérien et des camps de concentration.

Il est question de la faillite physique et morale d’une belle femme, d’une artiste fine et cultivée, réduite à l’alcoolisme, l’héroïnomanie et la prostitution. Qui s’intéresse vraiment au sort de toutes les Elsa Wiener que l’on trouve encore aujourd’hui à Paris, Londres ou Genève ? Elsa est aussi le prototype même de cette bonne vie allemande, de cette bonne vie bourgeoise après laquelle je cours et me réfugie, ce petit genre « Mittel Europa », comme une pochette de soie qui bouillonne sur une veste bien taillée. Cette bonne vie serait-elle un mensonge ? Oui et non, j’en ai fait le tour dans Tous les États de la mélancolie bourgeoise.

Je serai présent au salon du livre de Genève, le vendredi 3 mai de 17h à 18h30 et le samedi 4 mai de 17h30 à 19h. Je présenterai mon texte mais ne pourrai m’empêcher de penser qu’aucun essai au monde n’aurait sauvé Elsa Wiener.

mercredi, avril 24, 2013

Pas grand chose / Alex Beaupain

Alex Beaupain
« Quel malheur de parler français ! » Regard interrogateur de Cy, déclaration vérité sur une route de campagne, une heure du matin passé et Alex Beaupain sur France Inter. Il est tard, après une longue semaine, mais je suis sincère et sens sur moi le sortilège mélancolique de cette culture française (la culture suit la langue) qui n’en finit pas de s’éteindre dans les tous derniers éclats de la mitterrandie, un ultime sursaut universaliste.

Tous les transits à potron-minet ne m’offriront jamais la moindre possibilité de fuite ; Berlin même ne me libérera jamais du joug du français, de cette langue admirable et triste que je maîtrise avec aisance, élégance et passéisme. Je sais que violenter la grammaire ne sert de rien, réaction désespérée de jeunes auteurs, chiens fous littéraires qui tirent rageusement sur leur chaîne. Et la voix douce, légèrement dissonante, le ton affecté d’Alex Beaupain qui me racontent mon exil intérieur. Jamais je ne partagerais la jeunesse de la culture allemande, sa vitalité ni le succès bon-enfant des sociétés anglo-saxonnes, cette manière de s’offrir au monde et de le bouffer avec appétit.

Quel malheur de parler français, d’être pris dans les filets d’un certain état d’esprit, une logique dont j’essaie de me défaire depuis dix ans, depuis ma rencontre avec Berlin. Autant se le dire : aucune échappatoire n’est possible. Au mieux, je serai juste un naufragé que l’onde renverra sur les côtes de cette culture au charme si délicat, photos jaunies, clichés doucereux et proustiens, thé, madeleines, Art Nouveau, après-midis fleuries. Et des larmes sucrées …

mercredi, avril 17, 2013

Salon du Livre de Genève 2013

Quelle est la place de l’auteur ? Et que recouvre l’étiquette d’auteur ? Version basse : quelqu’un qui écrit … Version haute : une voix, un regard, une singularité qui se déploie avec plus ou moins d’élégance, un peu moins d’obligeance mais avec style … et syntaxe. Quant à la place de l’auteur, le Salon du Livre de Genève est un bon début. On s’y croise dans le brouhaha d’allées qui n’en finissent pas, façon marché médiéval avec échoppe de chiromancien et taverne du coin. On y voit les princes de l’empire des Lettres françaises et les membres de la cour pressés par la foule des lecteurs. On y voit aussi de preux chevaliers au service d’un idéal non-littéraire qui rejettent tout système – et règles de grammaire par la même occasion – mais participent tout de même.

Je suis très heureux de (sup)porter ma prochaine publication, « Tous les Etats de la mélancolie bourgeoise », un essai autofictif, présenté sur la stand de mon éditeur Hélice Hélas, à côté de Plonk et Replonk. Je ne serai pas seul, il y aura mon éditeur, Stéphane Bovon, et mon très cher collègue de plume Pierre-Yves Lador , et d’autres dont le brillant Olivier Morattel qui a publié il y a deux ans de cela mes « Mémoires d’un Révolutionnaire ». Mais mon petit dernier, un essai, un texte à la fois un peu trop délicat, un peu trop critique, un peu trop écrit, quel lecteur va bien pouvoir le trouver ? Je n’ai pas de quoi lutter face à la bonne gueule de très, très, très jeunes « auteurs » ayant publié il y a peu, et à succès. Je n’ai plus ni la jeunesse, ni la nouveauté. Je n’ai que mon œuvre, un travail de vingt ans, qui m’a valu la déglutition de quelques couleuvres, l’encaissement de quelques coups bas et un petit tas de désillusions.

Du 1er au 4 mai, je serai donc présent au Salon du Livre de Genève, j’y présenterai un peu de mon activité, un volume papier publié car le blog est aussi une partie de mon travail littéraire. J’espère la visite de Jacques Bonnard, qui a illustré « Tous les Etats de la mélancolie bourgeoise », quelques amis, quelques connaissances peut-être aussi, venues déposer leur hommage aux pieds des grands feudataires de « Galligrasseuil ».





lundi, avril 08, 2013

Une artiste oubliée

Je vous écris de Berlin, au milieu de sa nuit, près de Vicktoria-Luise Platz, le beau Schöneberg. Je suis retourné dans mes chères Allemagnes à l’occasion de la pause pascale. Je suis arrivé par le train, la ligne Bâle-Berlin qui passe, entre autres, par Francfort. J’y ai fait une halte de deux jours, découvrir cette ville d’Empire que je ne connaissais pas encore. Un grand boulevard commerçant, le Zeil, une gare gigantesque, un centre historique plus très historique à force de restaurations, de grandes tours façon la Défense. Mais, surtout, une rencontre, au Städel Museum, le grand musée d’art francfortois, la rencontre avec Ottilie Wilhelmine Roederstein, une oubliée de l’histoire de l’art, ou plutôt une déportée du modernisme révolutionnaire post-seconde guerre mondiale.
Ottilie vit le jour à Zürich en 1859 au sein d’une famille de commerçants en textiles. Elle étudia auprès du peintre zurichois (tout aussi oublié qu’elle) Pfyffer, un ami de la famille Roederstein. Ottilie fit de rapides progrès, son talent nécessitait l’ouverture à un autre horizon artistique. Le mariage de sa sœur avec un commerçant berlinois en 1879 donna à notre artiste la possibilité de fréquenter dans la capitale du jeune empire allemand l’atelier de Karl Gussow. Elle y connut sa première amie, Annie Hopf, une autre élève de Gussow qui partit s’installer à Paris en 1882. Ottilie la suivit. Elle y resta jusqu’en 1887 et vécut de son travail. Pleinement émancipée de la tutelle familiale, financièrement indépendante, son oeuvre s’épanouit pleinement.
Sans entrer dans les détails de sa biographie, cette grande oubliée connut une immense reconnaissance dans l’Allemagne wilhelminienne et durant la République de Weimar. La société commerçante et cosmopolite francfortoise ne démentit jamais son admiration pour la peintre suisse qui travailla même un certain temps dans un atelier dépendant du Städel Museum. Ottilie finit par s’installer à Hofheim am Taunus (entre Francfort et Wiesbaden) avec sa seconde amie, Elisabeth Winterhalters (1856-1952, première chirurgienne allemande). Les deux femmes vivront ensemble sans qu’il n’y eût publiquement le moindre doute quant à la nature de leur relation. Ottilie décéda auprès de son amie en 1937.
La guerre ? Son art du portrait ? Son homosexualité affirmée et vécue au grand jour ? Le fait qu’elle était une femme ? Quelles sont les raisons de son oubli ? Difficile de se prononcer. Son style dépourvu d’affectation moderniste, de « trucs » ni de sujets gratuitement provocants ne permet pas une reconnaissance immédiate de sa griffe. On la trouva certainement trop classique. Pourtant, sa technique ne cessa d’évoluer. S’il fallait la comparer, elle tient de Vallotton pour les paysages et Cuno Amiet pour les portraits.
On ne peut que rester songeur devant le dernier autoportrait d’Ottilie, une toile en pied datée de 1936 dans laquelle l’artiste se représente des clefs à la main. Le regard est perçant, douloureux, curieux et doux à la fois. Voit-elle le monde qu’elle connut définitivement disparaître ? Comme un dernier regard jeté sur une pièce avant de la quitter. Elle s’apprête à sortir, à cause des clefs, c’est évident. Elle sait que, jamais elle ne reverra ce sur quoi elle fermera la porte.

dimanche, mars 31, 2013

De l'archétiype de l'auteur

L’auteur, afin d’exister, se doit d’être lisible. Il ne lui suffit pas de produire du texte à caractère plus ou moins littéraire, il doit, de plus, s’en tenir à une ligne, une posture. Il doit être aussi facilement assimilable que n’importe quel produit de marque dans un linéaire de supermarché. Prenons l’exemple d’un célèbre fabricant de cosmétiques qui, afin d’habiller sa gamme de gel capillaire, s’est assez largement inspiré de l’esthétique de Mondrian. Non pas de son œuvre mais de l’aspect général de celle-ci : effet moderniste, technique et haut de gamme assuré. L’auteur doit être pareil, facilement assimilable à un certain nombre de qualités, donnant dans « le genre de … », c’est plus simple pour le marketing.

 J’ai moi-même décidé de cultiver un genre, de me tenir à une ligne, de m’associer à un archétype. Il ne s’agit pas du style d’jeune auteur rebelle et sans syntaxe ni de celui de l’ex-noceur bogoss gay  écrivain repentant à l’alpage et revenu de la coke et des folles nuits que lui accordaient sa beauté passée. Il ne s’agit pas plus du style romancier intello engagé en tricot difforme et conviction écologisante à défaut des susmentionnées nuits d’ivresse et de débauche. J’inscris mon inspiration, et donc mon œuvre, à la suite de Mauriac, Mann ou Green, trois auteurs très catholiques et passablement gay. Ils sont surtout les témoins et les analystes de leur époque. Ils en tirent un suc ensemencé par leurs convictions personnelles profondes, distillé au fil d'un style impeccable.
 
L’archétype auquel j’adhère n’est toutefois pas … congruent. Plus personne ne sait qui est Julien Green; quant à Mann et Mauriac, ils vivaient leur homosexualité en un mode si mineur qu’on ne retient d’eux que le Nobel de littérature qu’ils reçurent en 1929 pour Thomas, et 1952 pour François. J’aurais dû rester dans une veine néo-guibertienne et chercher la trame de mes récits dans les histoires de si peu d’intérêts du "milieu" hystérique et vain ; j’aurais dû continuer de fréquenter les « Jungles », les « Trixx » et quelques autres établissements ou soirées plutôt que de fréquenter la messe, fréquentation qui ne me rend pas forcément aimable, évasif et universellement positif. Difficile d’être lu lorsqu’on est catholique, gay et critique.

mercredi, mars 27, 2013

Citation page 10

[… ] la " mélancolie bourgeoise " est un état archétypique qui résulte de l’opposition des éléments les plus vulgaires du quotidien en ce début de XXIème siècle et de toutes les délicatesses qu’une société d’abondance à prétention démocratique offre à ceux dont l’éducation et les goûts sont aboutis.

Tous les Etats de la mélancolie bourgeoise, extrait, p. 10, essai autofictif, éditions Hélice Hélas, à paraître début mai.
 
Me voici sociologue amateur, essayiste dilettante, auteur sérieux sans l’adoubement de l’alma mater ou d'un solide réseau. Toutefois, je ne suis pas aussi sentencieux tout du long des 90 pages de mon prochain et court ouvrage. Il y aura de l’humour, du lyrisme, des coups de gueule, ce petit quelque chose de « too much » qui m’interdit toute étiquette et peut-être même une reconnaissance populaire. En vrac et en résumé, je me suis donné le droit d’inventer une sorte de nouvel état d’âme, un délicat cocktail composé d’une goutte de bovarysme, d’un rien de snobisme, d’une rasade d’élitisme et d’un vieux fond de misanthropie. La boisson est capiteuse, un peu âpre, guère plus raide, ivresse assurée !

Explication de texte. Les susmentionnés éléments les plus vulgaires du quotidien font référence à des produits culturels et à leurs médias de masse : la télé poubelle, le sport spectacle truqué, les mégas concerts d’artistes formatés comme un gadget jetable, la presse gratuite et de mauvaise qualité (qualification redondante, existe-t-il seulement de la presse gratuite de qualité ?!). J’oppose à cela des délicatesses, à savoir le mirage du luxe et du bien-être, tant physique que moral, quasi un droit du citoyen-consommateur lambda des nations d’économie libérale (sociétés d'abondance à prétention démocratique). Ces délicatesses ne sont pourtant pas à la disposition de tous. Seules deux sous-catégorires de citoyens y accèdent : les aisés et les cultivés. Et, souvent, les individus cultivés sont issus des milieux aisés. Quant aux autres ? Ils bouffent des trucs gras, avachis sur leur canapé pseudo-design I*** ou C***, en regardant un programme mi-pathétique sur M6.

Un éclat de lucidité, que faire ? Eteindre la télé ? manger des carottes ? lire un livre ? Plus simple : se rassurer en achetant des babioles de marque ou estampillées nostalgique bourgeois.

 

dimanche, mars 17, 2013

"Tous les Etats de la mélancolie bourgeoise"

BG Café, à Lausanne, l'un des lieux clé de mon essai
« Tous les Etats de la mélancolie bourgeoise », mon prochain titre à paraître, aux Editions Hélice Hélas, sortie prévue pour le prochain salon du livre … Je ne suis pas très disert quant à mes processus de « fabrication ». Lorsque Stéphane Bovon – qui avait obtenu mon manuscrit de manière détournée, je ne pensais pas particulièrement à proposer ce texte à la publication – lorsque donc Stéphane m’a fait part de sa volonté de publier, j’ai été très fier à l’idée de rendre public un message, une réflexion, sans trop me soucier des questions de réalisation. Voilà le pourquoi d’une légère désaffection de ma part dans ce blog.

Se relire, soupeser chaque affirmation, contacter un illustrateur, négocier quant à la forme finale des illustrations, traquage de pinaillage orthographique … le pire ! J’ai remis la première épreuve corrigée et les illustrations à mon éditeur jeudi dernier. Dans un prochain, message, je parlerai du travail de Jacques Bonnard (le peintre, le graphiste, le performeur, l’artiste, le faiseur d’images !), un proche ami à qui j’ai fait la proposition mi-honnête d’illustrer mon texte. Je lui ai soumis le manuscrit : il a dit oui ! Donc, au pire, on achètera mon « essai autofictif » pour ses Bonnards.

Je vais tenter de répondre à la question standard, la question fondamentale que posent aussi bien la critique, les distributeurs et les lecteurs : de quoi ça parle, vot’bouquin ? Euh … c’est un essai … autofictif … à caractère pamphlétaire … Non, ça ne le fait pas ; une telle étiquette est aussi vendeuse que la notice d’utilisation d’une boîte de suppositoires laxatifs. Avec « Tous les Etats de la mélancolie bourgeoise », j’ai tenté de faire le tour des mensonges doucereux dont notre société se berce, il s’agit de l’état des lieux d’une fable qui fait plaisir, la fable du calme bonheur bourgeois. Je suis allé chercher dans ma propre expérience un certains nombres d’épisodes et je les ai analysé à la lumière d’un petit événement, trois fois riens, une petite manipulation étalée dans la presse. Comme la maille défaite d’un tricot, j’ai tiré sur le fil et ai défait l’étoffe.

dimanche, mars 10, 2013

Notre Dame de Lausanne


Nef de la cathédrale Notre Dame de Lausanne
J’avais oublié la blondeur et le carmin des pierres de Notre Dame de Lausanne ; j’avais oublié l’héritage catholique des temps jadis, lorsque le Pays de Vaud et le diocèse de Lausanne vivaient sous le joug d’autorités naturelles et bienveillantes. Jamais, je n’avais prêté attention à la grâce et à la solidité des colonnes de la « Cathé’ », ainsi que l’appelle de manière réductrice les protestants. Près du chœur, de part et d’autre, avant que les travées ne viennent buter contre la voûte ogivale qui conclut la nef, il se trouve deux colonnes corinthiennes qui évoquent des palmiers stylisés, un petit air de Jérusalem, royaume chrétien d’orient. Lorsque, depuis la Riponne, on se prend à regarder Notre Dame, flanquée d’un cèdre près de son parvis, on peut se croire à Beyrouth.
 
Elève au gymnase voisin, je venais parfois chercher la paix dans la cathédrale. Ses voûtes étaient sales, sa pierre morte, des graffitis balafraient les cénotaphes, la maison était vide. Un hall de gare gothique et inutile, sans indicateur des horaires ni train. On y rencontrait de rares touristes hagards et des courants d’air. Le Maître était absent. Ai-je jamais été touché par la moindre émotion religieuse en ce lieu en ce temps ? Je me faisais l’impression d’un voyageur tentant de se protéger de l’averse sous la tôle ondulée disjointe d’un abribus, halte très peu desservie.
Depuis 2009, l’Eglise protestante vaudoise, dans sa grande sagesse, son esprit de partage œcuménique, son goût du dialogue, nous a autorisés à réinvestir les lieux, à « resacraliser » Notre Dame, à y ramener le Saint Sacrement à l’occasion de messes occasionnelles. Ce retour a coïncidé avec une campagne de restauration des lieux. On a tenté de leur rendre leur aspect original. Depuis, la Maison n’est plus vide ; une présence discrète invite le visiteur au recueillement. L’autre soir, alors que j’assistais à une Passion selon saint Jean donnée par l’Ensemble Baroque du Léman et un chœur J.S. Bach de Lausanne, il m’a été permis de constater ce renouveau. Je n’ai toutefois pu m’empêcher de me demander quand notre évêque serait définitivement de retour dans la cathédrale de son diocèse.