vendredi, octobre 18, 2013

"Chants dilettantes" d'André Ourednik



Retour sur « Chants dilettantes d’un fainéant éduqué » d’André Ourednik, une œuvre de jeunesse, un recueil poétique sous-titré « au rythme des saisons et des manies ». Je ne connaissais pas l’auteur, pas de manière personnelle, de nom, oui, nous avons – aussi – publié dans la même maison. Au Livre sur les quais, nous étions assis côte à côte. André dédicaçait ses « Contes suisses » aux éditons Encre fraîche. J’ai toutefois été attiré par un petit volume plat, illustré d’un dessin … évocateur, l’esthétique poétique, faite d’évocations et d’élisions.

André a publié ce recueil alors qu’il n’avait que 24 ans et l’œuvre brille d’une jeunesse éternelle, d’une révolte délicatement décadentiste, de beaux élans littéraires, d’une geste classique lorsqu’on a 24 ans.

et on est la jeunesse dorée
la récolte des efforts
de la dernière guerre
et de toutes celles d’après
chez eux

mais c’est quand même eux
qui putréfient
en proie aux vers
et aux badauds paresseux
mes amis qu’on repêche dans un lac
ou dans les chiottes d’un bistrot
chez nous
victimes d’un massage de cœur
pour remettre les visages en route
Extrait de chez nous

Le texte parle de soi, tout le recueil est de la même eau, quelques incursions en langue anglaise et allemande, une inspiration éminemment lettrée, la référence culturelle classique assumée, l’ironie classieuse, juste la touche d’érudition assumée qui évite à l’auteur les travers poseurs du hipster. Inutile d’en dire plus long, ce serait éventer le bouquet de cette poésie authentique aux assonances si originales.

Longue vie au monde !
Et longue vie à notre incompétence sacrée !

Strophe finale de « 3ème Manifeste »

« Chants dilettantes d’un fainéant éduqué, au rythme des saisons et des manies », André Ourednik, éd. L’Âge d’Homme, 2002

lundi, octobre 14, 2013

"Miséricordes" de Joël Espi



J’voudrais bien, ouin, ouin, ouin ; mais j’peux point, ouin, ouin, ouin… Misericorde ! « Malgré l’affection qu’il lui portait » (p.93), Joël Espi n’a pas pu : il aurait tant aimé répondre à la tendresse du curé. Notre auteur va même jusqu’à se demander s’il aurait été l’un des fantasmes du prêtre (p. 93).

Le lecteur de « Miséricordes » est le témoin effaré d’un récit bouillonnant de doutes et de questions. Il devient, comme dans toute bonne autofiction, et thérapeute et complice de l’auteur. La position est inconfortable, surtout depuis que la presse, à propos d’un autre roman romand récent, s’est écriée que l’autofiction était un genre facile et sale. Donc, « Miséricordes », une centaine de pages d’un style soigné, lissé, d’une forme très correcte et élégante pour mieux contenir un « entre-les-lignes » explosif. Et puisque Joël est pleinement partie prenante du récit, intéressons-nous à sa personne, son personnage. Il se pose en secundo et, comme tous ces enfants nés en Suisse de parents étrangers, il est plus Suisse que n’importe quel Suisse. De ce fait, il est profondément travaillé par le désir de rester fidèle à son sang et témoigne naïvement de son attachement à ses origines. Est-il gay ? Il se pose en hétéro convaincu, sensible toutefois à la beauté masculine. Les quelques moments d’ennui que l’on trouve au cours de la lecture de « Miséricordes » touchent justement aux descriptions poussives de telle ou telle beauté féminine. Même Thomas Mann échouait dans cet exercice.

Joël Espi a-t-il l’étoffe d’un auteur ? Je serai catégorique  sur ce point et je ne peux que répondre oui ! Vous me direz que, comme pour Bovon, Mouron, Lador, Quelloz ou Ouerdnik nous nous connaissons tous. Nous avons tous publié ou publierons dans les mêmes maisons ; depuis ma dernière critique, le paysage éditorial romand ne s’est pas élargi. Pourquoi, sur la base d’un texte, une œuvre autofictive d’une centaine de pages, je peux affirmer que Joël Espi est un auteur ? Notre homme a du cran, de la syntaxe et de la réflexion. En plus des quelques ambigüités qu’il donne à voir au fil du texte, il est journaliste. Il fait partie de ce corps de métier qu’il met directement en cause dans le suicide du prêtre.

Qu’importe, Monsieur Espi, que vous soyez un catholique croyant refoulé, un gay qui s’ignore ou, même, secrètement amoureux du curé, votre talent est à la mesure de votre courage. Vous avez même brûlé la politesse à André Ouerdnik et Pierre-Yves Lador dont j’ai promis une critique des textes aux lecteurs de ce blog.

Rédigé à Berlin, Schöneberg, Winterfeldstrasse.

« Miséricordes » de Joël Espi, éd. Hélice Hélas, 101 p.

vendredi, octobre 04, 2013

"La Combustion humaine" de Quentin Mouron


Dans son dernier roman, Quentin Mouron pousse un cri d’amour à l’adresse de Proust, des Belles Lettres et de la littérature romande. Il ne livre pas la chose platement mais la distille à travers le personnage d’un éditeur genevois en vue, Morel, un homme désabusé et aigri. Certains y ont vu matière à polémique. Toutefois, Mouron, avant d’épingler les cénacles culturels, la presse, les journalistes parle avant tout de lui-même. Par le réquisitoire acéré qu’il prononce contre ce milieu honni, il se condamne en tant que membre à part entière et confesse ses fautes à ses lecteurs. Par ses macérations métaphoriques répétées (je parle de la pratique religieuse et pas d’un cornichon au fond de son bocal), il semble expier l’artificialité de la position d’auteur, la vanité de faire partie de l’élite culturelle, un attachement chauvin à un terroir, l’impuissance de l’écriture face au malheur, au mal. Mouron a l’amertume des grands sensibles. Il veut à la fois jeter le masque et, en dépit de cette inconvenance, être aimé, d’une manière encore plus vraie que les pauvres personnages de sa « Combustion humaine », qui s’envoient parmi et à travers les réseaux sociaux des « cœurs » et des « licornes ». Il est intéressant de relever que ce dernier motif, symbole de pureté, revient de manière plus que régulière ; l’auteur en fait même une fixation.
 
 
Quentin a-t-il commis quelques maladresses dans ce texte ? Si je vous dis non, vous ne me croirez pas arguant que nous nous connaissons, que nous avons publié et publierons peut-être encore dans la même maison. Qu'importe. Ainsi qu’il le dit, en Suisse romande, tout le milieu littéraire se connaît. En outre, de par sa jeunesse et son talent, notre auteur a une très belle marge de progression devant lui. Son troisième roman est certainement le plus achevé. Derrière sa confession-condamnation, l’auteur mène une réflexion et une analyse très fine de l’impact de facebook et twitter qu’il contrebalance par une observation naturaliste de la rue genevoise. On rit beaucoup, d’un rire mauvais, ce qui en rajoute à l’envie de poursuivre la lecture de ce court roman.
 
 
Quentin Mouron a désormais choisi la voie difficile et pierreuse d’une littérature typiquement romande. Fini les espaces canado-étatsuniens ! En ne situant pas son intrigue dans une bonne ville francophone quelconque mais en la plaçant sur les rives du Léman et le reste de la Romandie, notre auteur témoigne ainsi de sa volonté d’appartenance. Il cite des noms, des lieux, des circonstances tout à fait réels afin de mieux s’enraciner. Il reprend la figure du prophète local, rôle tenu par Chessex en son temps.

Une phrase du texte me semble résumer l’esprit du tout : « La véritable solitude, c’est de ne plus être cher à personne. »

 
"La Combustion humaine", par Quentin Mouron, chez Olivier Morattel éditeur.

lundi, septembre 30, 2013

Retour de Münich




Autoportrait bavarois
C’est proche des larmes que, dimanche matin, j’ai quitté Münich. Je n’avais pas précisément choisi cette destination, envie de profiter des longs week-ends que le baroque de mon horaire m’offre. Le billet pour Berlin était trop cher, l’exposition Vallotton à Paris n’avait pas encore commencé, Stuttgart et Constance sont des destinations prévues avec Cy, c’est notre proche Allemagne, notre terrain de jeu. Münich, donc, pourquoi pas. Beaucoup de touristes germaniques la fréquentent en ce moment, Oktoberfest oblige, deux semaines durant sur la «Wiese », sorte de Plainpalais local occupé par quelques vastes tentes où écluser de la bière par litres, et un gigantesque parc d’attractions dont l’éclairage multicolore allume le ciel d’une aube paradoxale.

Je connais Münich, la capitale du bon Royaume ; ses habitants y sont doux, fêtards, très catholiques, tolérants et d’un esprit curieux. Pour preuve, on trouve dans les rames du métro des publicités pour … la philosophie ! Un pantin coupe à l’aide d’un ciseau géant les fils par lesquels il était manipulé . Et comment ne pas aimer ces gens si liés à leur ville. Ils marquent cet attachement en portant le « tracht », « dirndl » pour les femmes, « lederhosen » pour les garçons. Et ça n’a rien de folklorique. Il s’agit d’un signe de ralliement à la douceur de vivre locale. Et c’est ainsi que l’on voit des cohortes de münichois d’origine polonaise, grecque, turque, portugaise, espagnole, vietnamienne, russe, maghrébine, africaine, etc. en costume traditionnel bavarois ! Des touristes ? non, ils conversaient tantôt en allemand, tantôt dans leur langue maternelle et empruntaient les transports publics sans avoir besoin d’un plan pour s’orienter.

Les Münichois sont, de plus, cordiaux et accueillants ; ils prêtent attention à autrui. Même par forte affluence, il n’y a pas de bousculade. Leur souci des autres tient du tempérament, de la règle sociale et de l’éducation. Cela va s’exprimer par de petites choses. Une troupe de bambocheurs – en culottes de peau et bas tricotés évidemment – chahutaient dans l’escalier roulant en panne d’une station de métro. Jusqu’à ce que le dernier d’entre eux, le plus turbulent, s’aperçoive de ma présence une marche en dessous et de déduire que je n’avais peut-être pas envie de passer le prochain quart d’heure à gravir l’escalier à l’arrière d’une bande de braillards. Mon chahuteur a donc pris l’initiative d’emmener toute sa fine équipe au petit trot, histoire de dégager le passage. Il en a même profité pour demander à une vieille dame qui semblait bien en peine s’il pouvait l’aider, si elle avait besoin d’un bras pour la soutenir ou d’une main pour lui porter son sac de courses.

Les Münichois ont de l’humour. Ils blaguent avec plaisir, rient beaucoup et sont d’une humeur généralement joviale. Deux exemples, attrapés dans des magasins. Alors que je regardais sur  un petit tourniquet des pinces à cravate, une vendeuse s’est approchée me demander si j’avais besoin d’aide ajoutant immédiatement que, si je cherchais une pince en or, ce n’était pas le bon commerce ! Autre situation. Au rayon papèterie d’une autre grande surface, je demande à une vendeuse si elle n’a pas de cartouches d’encre noire ? Elle cherche et finit pour trouver des cartouches « noir-brillant ». Elle reste interloquée devant cette dénomination mais commente « bon, ce ne doit pas être brillant comme avec des étoiles scintillantes dedans » puis de conclure avec un clin d’œil « ce doit être de l’encre pour les gens brillants ! »

Münich rayonne d’une jeunesse insolente, l’insolence de la beauté à dix-huit, vingt ans et que l’on rencontre un peu partout. Dirndl ou Lederhosen, le tracht fait une très belle silhouette aux filles comme aux garçons, même s’ils ne sont pas tous d’un physique athlétique. Cet éclat insouciant suscite une touche de mélancolie chez les aînés, leur donne un regard un peu triste. Une femme âgée, sur un quai de métro, d’une élégance très « bohême chic », pantalons de kimono en velours fluide  gris perle, vaste col-roulé dans le même ton, ballerines argent et bijoux en argent de grande taille, cheveux blancs, reflet gris perle, coupe mi-longue impeccable, une frange souple, un maquillage  léger, soigné. Cette femme n’a pas abdiqué de sa beauté, elle lutte dignement. Dans la rame, elle a un regard pour tous les hommes et choisit, mine de rien, de prendre place en face d’un jeune quadra blonds, beau visage aux traits réguliers, un peu de gris aux tempes, des yeux bleus expressifs. Il porte le tracht avec naturel. Il converse avec une femme qui doit être sa mère. La belle dame en gris les observe jusqu’à ce que son attention soit attirée par un groupe de jeunes filles qui vient d’entrer. Et la dame en gris de fixer avec une nostalgie d’une infinie douceur la plus fraîche, la plus fine, la plus délicate des trois amies. Souvenir ou regret de sa propre jeunesse ? Combien de fois n’ai-je pas eu et n’ai-je pas ce regard ; dans le monde gay, à passé vingt-huit ans, on est vieux, pire : transparent ! La dame en gris a relevé mon attention sur sa personne. Vite, agir, ne pas rester « la vieille qui regrette ». Elle trouve alors à tricoter un si joli compliment au quadra qu’il en rougi presque et retourne quelques paroles aimables à la dame en gris dans un beau sourire qui lui plisse les yeux. Elle et moi sortons à la même station, je lui ouvre la porte, elle me remercie et part guillerette et riante vers la sortie de la station.

Münich aime l’art, avec parfois l’application d’un bon élève. Berceau de la Sécession, elle a été à l’avant-garde avant Paris ou Berlin. L’avant-garde étant l’avant-garde, une sorte de constante pour des esprits posés et conséquents, la ville donne aussi dans l’art conceptuel, ou minimaliste, ou que sais-je, dans ce geste de création hyper-connoté, lourd d’au moins dix ans d’histoire de l’art mal digéré par « l’artiste » et vomis dans des installations ready-made aussi moches que vulgaires. Ne connaissant pas la villa Stuck, musée de la ville, je suis allé la visiter … encombrée temporairement d’une telle production contemporaine. Cela confinait à la haine de l’art, une impression cousine de la haine de la syntaxe dans le flot littéraire actuel. Les quelques visiteurs présents honoraient surtout la belle cafétéria du rez, ouverte sur le jardin. J’en suis reparti dépité et, sur le coup des 17h30, ai décidé de retourner au centre-ville où je me suis aperçu que la ville aimait vraiment l’art. Entre l’Alte Pinakothek, la Neue Pinakothek, la Pinakothek der Moderne, et quelques fondations de prestiges (Brandhorst entre autres), on trouve encore la Kunsthalle, à la Theatinerstrasse, une structure muséale entièrement privée ouverte tous les jours jusqu’à 20h ! Je connais cette institution, j’y avais découvert l’œuvre de Philipp Otto Runge (1777-1810). Cette fois-ci, j’ai pu me promener parmi les paysages de peintres du Nord, « Aus Dämmerung und Licht », un crépuscule ample et doux, quelque chose de la dignité et de la mélancolie de la belle dame en gris. Des pièces maîtresses de Severin Krøyer, Edvard Munch ou Vilhelm Hammershøi pour ne citer qu'eux. En dépit du prix d’entrée et de l’heure tardive, il y avait foule, une foule de tout âge, enthousiaste et recueillie devant chaque toile.

... Par la fenêtre du train, j’observe la silhouette sombre des arbres, paysages vallonnés sous un ciel de suie, l’extrême fin du jour, une trouée argentine à l’horizon, des prairies d'un vert sombre et velouté. Oron-Lavaux, je suis bientôt arrivé. J’ai l’impression d’avoir déroulé le long du chemin un paysage à la Caspar David Friedrich. Je suis donc de retour de l’une de mes Allemagnes; j'en reviens à présent un peu moins triste à vous l’avoir racontée.

vendredi, septembre 27, 2013

"Gérimont" de Stéphane Bovon



J’ai un scoop, Lador a un fils, un fils qu’il a eu conjointement avec Aldous Huxley ; cet enfant miraculeux s’appelle Stéphane Bovon. En bon fils, il a décidé – en dépit de son goût pour la BD – de suivre les traces de ses pères et de publier un roman, aux éditions Morattel, digne d’eux. C’est ainsi que les lettres françaises se sont vues enrichies d’une sorte de nouveau Meilleur des mondes version ramuzienne.

Gérimont débute sur un prénom incongru et un patronyme très local. Scène d’intérieur, un auteur de BD met la dernière main à son nouvel album. Le lecteur découvre le héros et le lieu de l’action, ou de la non-action à ce point du récit. Il y a juste ce léger quelque chose de décalé, les prénoms imprononçables, mais bien sûr, nous sommes dans une satire néo-voltairienne déguisée en intrigue policière. Une amorce tout à fait réaliste et le reste à gros traits afin de d’accuser – en plus du trait – le système, l’immobilisme de la politique helvétique, la stérilité d’une société efficace et si peu pourvue de créativité. N’y aurait-il pas une critique de la politique culturelle officielle ? L’analyse tombe juste avant de s’élargir à une critique des utopies politiques. Bovon imagine une sorte d’équilibre social basé sur le bon sens, le prédéterminisme et une paix forcée, une paix de plomb gentillette à la limite de Huxley et Ramuz.

Notre auteur est un humaniste éclectique et gourmand doublé d’un pédagogue passionné. Il parle peinture avec amour, en amateur éclairé. Il nous offre un petit Picasso, le cloître de la cathédrale de Barcelone, une œuvre de jeunesse, propriété du Musée Jenisch, à Vevey. Il profite aussi de ce roman au souffle épique pour nous expliquer son travail de bédéiste, pour brosser un historique du 9ème art, planche à l’appui (expliquées et non reproduites). Et c’est ainsi que l’on apprend l’importance de l’ellipse, et quelques autres ficelles de la narration. Bovon est un miracle de la culture vaudoise, une perle, un doux enragé comme il en arrive parfois. Gérimont, œuvre singulière, mérite votre lecture, votre admiration et votre affection.

samedi, septembre 21, 2013

Bienséance


Il y a … quelques années de cela, en 2008 pour être exact, je publiais un essai autofictif intitulé « La Dignité », la petite somme extrapolée d’échecs et de vexations, d’une certaine violence aussi, celle que j’ai subie et dont j’ai été l’auteur. N’oublions pas que le Verbe peut tuer aussi sûrement qu’une balle, un couteau ou le shoot de trop ! La littérature est un thérapeute attentif, un soutien bienveillant, une révolte constructive, un défouloir créatif mais gare à la complaisance ! L’humour et l’élégance de la plume pallient bien souvent le manque d’égard du propos. On fait avec cela de bons, de très bons  livres. Ce n’est toutefois pas une posture plaisante ni durable. Je ne regrette pas la moindre ligne publiée, ni le moindre billet de ce blog. Les « victimes » de ma plume avaient mérité son trait … avaient, l’affaire est passée et, depuis, je travaille à la construction d’une œuvre. J’espère ne pas avoir perdu le style. Je ne crois plus aux vertus de la catharsis.
Je me souviens de ma vénération pour Hervé Guibert, le bel auteur évanescent dont j’admirais le courage, l’audace et les romans à fleur de vie ; mon admiration s’arrêtait là, je préfère les garçons bruns. Bref, depuis Guibert et son « élégant » déballage (Mes Parents, Fou de Vincent, L’Incognito, À l’ami …), il y a eu Thomas Bernhard, l’immense Thomas Mann, Robert Walser, François Mauriac et le merveilleux Julien Green. Si je dois immédiatement penser à UN ROMAN, j’hésiterai entre Les Buddenbrook (Mann), Chaque Homme dans sa nuit (Green), Le Désert de l’amour (Mauriac) ou Les Enfants Tanner (Walser), des œuvres narratives intemporelles. Des œuvres dures par certains aspects mais qui, jamais, n’outrepassent la bienséance. Voici une ligne dont la littérature francophone contemporaine bien souvent s’éloigne.
Je viens de terminer le récit d’une prise de conscience, un héros à la vie réglée, un homme qui reste à la surface des choses, un roman berlinois, un après-midi d’été pesant et l’aveu d’un échec, pire le constat d’un abandon complet : déréliction ! Pas d’effets, pas de scène de beuverie, pas de bacchanale, pas de récit à clef, pas la moindre évocation de drogue, rien que des personnages qui se manquent, un bout de vie, une morale et une chute. Un texte si loin du « main stream ».

mardi, septembre 10, 2013

Le livre sur les quais : débriefing


Vendredi 6 septembre, début d’après-midi, je me faufile en prenant par la coulisse. Je longe le quai, entre par une bâche ouverte et me coule à ma place. Le matin, j’ai tweeté avec Tatiana de Rosnay,  la présidente d’honneur de l’édition 2013 du Livre sur les Quais. Je suis aussi passé à l’accueil prendre une grande enveloppe avec tous les renseignements nécessaires. Je retrouve, à ma droite, l’admirable Pierre Queloz et ses polars en alexandrins. Personne à ma gauche, encore,  et Olivier Sillig à la gauche de ma gauche, poignée de main. Un bénévole vient me souhaiter la bienvenue avec un beau sourire.
Les auteurs reviennent de leur pause déjeuner, les visiteurs se font plus nombreux. André Ouerdnik vient occuper la place vide à mon côté, nous faisons connaissance. Nous avons publié tous deux chez Castagniééé du temps de Castagniééé. Le charmant bénévole nous offre de l’eau minérale ; il commence à faire chaud, je porte une chemise à carreaux, cravate grise, veste d’été bleu marine. Olivier et André portent aussi des chemises à carreaux. Nous sommes assortis. Quelques dédicaces, des échanges plaisant  avec des visiteurs, pause.
 
Je reviens vers 17h15 et Olivier Sillig s’exclame « Mais tu t’es changé !!! » Euh, oui, effectivement, c’est un peu par coquetterie mais plus encore par sens pratique. Je suis allé me faire tirer le portrait au stand de l’association des Autrices et Auteurs de Suisse et le carreau, ça sature un peu. J’explique à Olivier que j’habite à 150 mètres de notre table de dédicace. Rires. On parle littérature entre nous et avec nos lecteurs. J’envoie un sms à Cy, lui dire que je l’attends à 19h, qu’il me rejoigne, pas envie de passer la soirée officielle en célibataire.
 
18h45, les premières « huiles » se montrent, Mme Waridel en tête qui salue Olivier, André, nous bavardons un peu, elle poursuit par Pierre et Pierre-Yves Dubath, presque au bout de notre rangée. Les très séduisants attachés de presse des grandes maisons françaises commencent leur discret ballet, se rapprocher de la tribune, du pouvoir. Je me demande pourquoi les attachés/ées de presse sont toujours si … apprêtés ? Cy. arrive, magnifique, élégant, emmené par Stéphane Bovon. Je passe de l’autre côté de la table. Les jolis attachés de presse bouffent Cy des yeux, un photographe de l’équipe du Livre sur les quais s’empresse de le prendre en gros plan. Je me dis avec amusement que je devrais envoyer le petit défendre mes textes à ma place, mes romans auraient peut-être plus de succès ?!
18h55, Tatiana de Rosnay et Sylvie Berti-Rossi se fraient un passage jusqu’à la tribune. Je me présente en « live » à Tatiana qui, même si elle est pressée, s’arrête tout de même me serrer la main. Elle me remet, le tweet de ce matin, elle doit pourtant en recevoir des dizaines. La dame est vraiment charmante, naturellement élégante, fine, vive et immédiatement sympathique. Surgit une autre belle femme de la foule qui m’attrape et m’étreint énergiquement : Nuria ! Mme la conseillère Gorrite est de la partie. Je ne l’espérais pas. Les discours s’enchaînent, le ton est léger, le verbe concis. Sur la fin de cette partie officielle, comme prévu, je vais me rappeler au souvenir de Vincent Jacques, le syndic de Morges, nous étions voisins quand il était enfant. Je me souviens d’un petit garçon plein d’esprit et d’entregent. Il n’a pas changé, ou si peu. Je profite d’un moment lorsque Anne-Catherine ne se trouve pas trop entourée pour m’approcher lui offrir un exemplaire de « Tous les États de la mélancolie bourgeoise », elle me lance un « Toujours aussi élégant ! ». A peine le temps de rédiger une dédicace que quelqu’un l’interpelle ; les obligations d’une conseillère d’Etat. Je m’éloigne, Cy. m’attend près de la sortie. Il fait bon, le ciel semble se couvrir un peu, un cocktail nous est offert au club nautique.
Belle soirée, beaucoup de rencontres ; que les écrivains peuvent être drôles autour d’un buffet, pratiquant l’équilibrisme avec un morceau de pâté, un verre de rouge et une verrine. Madame Berti-Rossi est une parfaite hôtesse. La nuit souffle une haleine tiède sur le lac, ressac insistant et quasi méditerranéen, Cy. s’amuse et joue un peu à cache-cache avec l’un des attachés de presse, innocent marivaudage. Dans le hasard des groupes qui se forment et se défont, nous terminons la soirée avec Nuria et Olivier Feller. Ils forment un très beau couple, se complétant, se donnant la réplique. Nous rentrons peu avant l’orage. Je suis rompu. Je n’ai pourtant pas l’impression d’en avoir beaucoup fait.
 
Samedi matin, 10h30, je suis en retard. J’hésite … quant à ma tenue. Tout à l’heure, table ronde animée par Pascal Schouwey avec Quentin Mouron, Pierre Bordage et Marc Quentin Szwarcburg. Je me souviens : j’ai promis d’y porter mon pantalon rose Ralph L***. Je passe le vêtement et file. Je prends mon sac de sport avec moi, j’irai au fitness durant la pause déjeuner. La tente où l’on dédicace est bondée, je slalome et retrouve brièvement « les collègues ». A mon grand étonnement, je vends, à ceux qui ont entendu parler de moi et à d’autres emballés par le titre de l’un ou l’autre de mes textes. 11h30, visite de ma mère, descendue en ville tout spécialement pour me voir, elle évite la foule du samedi habituellement. Nous partons à la recherche d’Yvan Bourquin avec qui elle a travaillé à la bibliothèque universitaire, un homme exquis et doux, docteur en théologie. Il vient de publier « Quel Dieu pour nos souffrances ? », petite mise au point théologique lumineuse. Nous le trouvons installé à côté de … Suzette Sandoz. Après un café à la buvette, je laisse ma mère au bout du quai, direction le fitness.
Retour à la tente, conversation, rires, un peu de promo’ pour le travail des voisins, visites d’amis, dédicace à une visiteuse étonnante, une dame à particule, comme la présidente, une dame en rouge qui, lorsque que je lui explique le propos de « Tous les États … » me rétorque : « J’ai passé ma vie à lutter contre le lénifiant, le gentillet, la facilité ! ». Le temps d’une tasse de thé chez Maier et je file à ma table ronde. J’y arrive pile à 16h30, on m’attend. Oups. Et c’est parti pour « Décaper la surface ». Pascal Schouwey est un modérateur de haut vol, chapeau l’artiste qui a réussi à nouer la gerbe avec des auteurs aussi différents que nous pouvons l’être. Je découvre Pierre Bordage, auteur de SF d’une immense culture littéraire, d’une belle sagesse aussi. Je ne connaissais pas Marc Quentin Szwarcburg non plus, je le connaîtrai un peu mieux après lecture de son « Première ! » que je suis passé lui acheter. Et je ne vous présente pas Quentin Mouron.
J’ai terminé le samedi sur les rotules, c’est fou ce que la stimulation littéraire peut fatiguer son auteur. Il y a eu un buffet dans la cour du château, j’ai pique-niqué avec Stéphane Bovon, Pierre-Yves Lador, André et quelques autres. La fatigue ne se faisait pas sentir que chez moi. Je suis rentré tôt et incapable d’émettre plus de trois mots jusqu’à mon coucher.
Dimanche, dernière ligne droite, déjeuner au Mont-Blanc avec toute la clique Hélice Hélas. Un beau moment tous ensemble. On semble de moins bonne humeur à la table de Luc Ferry. Dans l’après-midi, je retrouve André avec une petite mine ; à propos de mine, il s’en est pris une belle la veille ! Je l’avais laissé dans la cour du château en compagnie d’une charmante petite autrice blonde de chez Lattès. Une dernière obligation, j’ai promis un exemplaire de « Tous les États … » à Mme de Rosnay. Je m’approche de la queue de lecteurs défilant à sa table et lui tend le petit volume orange. « Ah, enfin ! » me dit-elle avec un air mi taquin, mi amusé, « … vous m’avez écrit un petit mot ? » Je réponds par l’affirmative, elle glisse l’objet dans son sac.
 
Bilan. J’ai passé trois jours formidables et suis revenus avec une pile de livres, ceux des amis et de plein d’auteurs que je ne connaissais pas, et vivant de plus. Ça me changera de Mauriac-Mann-Morand-Green, etc.  J’ai de quoi remplir ce blog pour les six prochains mois, au moins. Vous aurez un billet sur chacun de leurs ouvrages.

vendredi, septembre 06, 2013

Des "Krimi" et d'autres considérations sur mon oeuvre à la veille du Livre sur les Quais



scène de commissariat, Derrick
Le plaisir des après-midis à suivre des « krimi » : Derrick, Un Cas pour deux, Le Renard, etc ; un plaisir ni régressif ni décalé. Je regarde ces séries pour leurs vertus, on y montre un monde en recherche de réponses, de morale. Il y a aussi une atmosphère particulière, des couleurs en demi-teinte, rien de prétentieux, parfois une vapeur mélancolique. Il s’agit d’un divertissement sain, je veux dire par-là qu’il ne vous laisse pas la tête à l’envers, qu’il ne cherche pas à étourdir et qu’il ne sert aucun système nombriliste. Le dénouement de l’intrigue, le bien commun, la vérité, une certaine repentance : un univers post-mannien (pour Thomas), un univers qui me parle. J’essaie de le rendre à travers mon œuvre, un travail littéraire … difficile. Oui, j’ai de la syntaxe et du vocabulaire, je ne crois pas beaucoup à l’intrigue, je trouve les rebondissements fastidieux et artificiels et je soigne la musicalité du texte. J’ai beaucoup pratiqué l’autofiction, c’est toutefois un genre qu’on épuise vite, aussi vite que la jeunesse.
Je ne sais pas trop à quoi ressemblent mes lecteurs, ils ne sont pas légion. Je ne devrais pas le dire et encore moins l’écrire, je me suis du reste quelque peu brouillé avec un ancien éditeur à ce sujet, « Tu ne peux pas dire que tu te désintéresses de savoir si tes romans se vendent ou pas ! ». Lorsqu’ils ne se vendent pas, je le regrette pour l’éditeur  mais je n’en suis pas fondamentalement troublé. Comme tout auteur, j’aime être lu, j’aime surtout apporter un supplément d’âme à mes lecteurs mais je ne fais pas de marketing, pas de retape excessive, je ne fais que de la littérature. Mon œuvre – oui, je travaille à construire une œuvre – trouvera toujours son chemin lorsque le mien se sera arrêté. Et demain, je vais rester assis derrière une table, en très bonne compagnie assurément, je converserai un peu avec mes voisins s’ils ne sont pas trop occupés à dédicacer et, peut-être, verrai-je l’un ou l’autre de mes lecteurs.

mardi, septembre 03, 2013

"Jeune et Jolie" ou comment se bien vendre


Marine Vacth
Si je savais me vendre … Si j’avais encore cet à-propos badin … Poser, parler de soi en mine de rien, juste l’air de ne pas y toucher, et glisser les fausses questions ingénues, « que vais-je mettre pour la table ronde ? » ou « vais-je offrir un exemplaire à Mme la conseillère, un petit mot sur le vif, à l’occasion de la soirée officielle », et les séances de dédicaces, et le dîner des auteurs, et vite lire le texte de X, le roman de Y, le dernier succès de Z, bof. Je vais en profiter pour acheter le dernier Lador, Chambranles et embrasures, cher Pierre-Yves, cher ami à la faconde baroque, et planquer l’objet avant qu’il ne disparaisse, comme tous mes Lador, en promenade de-ci, de-là à travers la bibliothèque des amis. Pour la table ronde, je vais mettre mon pantalon rose, Ralph L***, acheté à Copenhague, du Ralph L***, ça fait toujours fils de famille bien avec lui-même, exactement le propos de mon essai – « Tous les États de la mélancolie bourgeoise » au cas où vous l’auriez oublié – et j’irai échanger quelques mots avec Mme la conseillère et M. le syndic, on se connaît, d’il y a vieux temps.
Je ne sais pas me vendre, je sais toutefois reconnaître un bon film, « Jeune et Jolie » de François Ozon. Le propos semble banal. Une jeune fille, très belle, vend ses faveurs. Son commerce est découvert alors que l’un de ses clients meurt auprès d’elle. Déjà vu. Mais Ozon, le petit récit sous-jacent, une façon de partager l’intimité de ses personnages, des êtres d’exception. Isabelle, incarnée par la sublime Marine Vacth, ou la jeunesse d’une déesse. On retrouve presque entre Isabelle et son frère Victor (Fantin Ravat) la complicité de Paul et Élisabeth, les héros de Cocteau dans ses « Enfants terribles ». Isabelle découverte se révèle à ses proches, dans toute la puissance de sa jeunesse, de son non-conformisme, de sa beauté, de sa sagesse sibylline, sorte de Diane impudique. Charlotte Rampling dans le rôle d’Alice, la veuve du client décédé, vient parachever le film, un rôle de dix minutes, mais une présence qui va bien au-delà.
Pourquoi Isabelle se prostitue-t-elle ? Pour l’argent ? Par goût du sexe ? Par effronterie ? Par indépendance ultime ! Elle s’appartient et sait se vendre, elle, au meilleur prix. Elle a la vie devant elle, et ne se presse pas de répondre aux questions propres à son âge.

vendredi, août 30, 2013

Un certain parfum


Mieux que saint Paul, accoster le bon rivage.
La mémoire passe par le nez, souvenirs diffus, indicible haleine du lac au tournant de la saison, un parfum à la fois vivant, chaud et vert. Le long des quais, après avoir passé le temple, se joignent quelques notes florales déjà mûres. En point de mire, j’aperçois la colline d’Échichens. Le jour décline à peine, une lumière dorée-claire vient renforcer le parfum, réminiscence. Qu’importe la période exacte, ni âge, ni date mais une connivence … immémoriale ! Je suis bien de retour à Morges.
Nul n’est prophète en son pays, dit l’adage ; je le serai quand même un peu la semaine prochaine, Le Livre sur les Quais, le salon des auteurs qui se déroule à Morges, sous mes fenêtres, un salon auquel j’ai été convié parmi des brassées d’auteurs talentueux, connus et reconnus. J’y suis convié pour mon dernier essai, Tous les États de la mélancolie bourgeoise, dans lequel je n’en finis pas de liquider l’enfance, les origines, le milieu, etc. Il s’agira d’être présent, faire des dédicaces, participer à une table ronde, « décaper la surface », à la Fondation Bolle. Suis-je un auteur abrasif ?
Cette promenade, au bord de la fatigue, au bout de l’été, les canards en pleine toilette, les plates-bandes luxuriantes, les arbres au feuillage dense, le tableau et l’instant, tout n’est que douceur, et je la perçois parfaitement, la moindre fibre de ma personne y goûte profondément. La production d’écrits acerbes me serait-elle curative, une manière d’évacuer l’acidité ?

samedi, août 24, 2013

Retour du Sud


J’ai hésité, parler de Zürich et de la façon dont les Zürichois (soit des actifs au physique parfait de 20 à 30 ans, soit des adolescents solaires ou des retraités patelins) sourient comme dans une publicité américaine. Ville parfaite à la perfection indiscutable. J’ai hésité, parler de la concurrence entre Zürich et Bâle, l’humanisme, l’ouverture, la culture de cette dernière. Sous un ciel nocturne clair, l’éclat profond du Rhin qui lui court sur la gorge comme un précieux bijou.
 
 Et puis le Sud, la côte méditerranéenne, le Languedoc-Roussillon, le canal du Midi, là où s’effiloche la culture française, où s’ensable avec paresse toute réforme, tout rebond, tout avenir à la culture dite … française. Agde, Béziers, et jusqu’aux portes d’Avignon, une faillite merveilleuse sous un soleil toujours triomphal. Il n’y a pas une rue sans que l’on n’y trouve un immeuble de rapport ou un hôtel particulier clos et en vente. Des commerces au rideau baissé, défoncé, ou une vitrine béante,  des gravats à l’intérieur. La région n’est pas à proprement parler en faillite, elle n’est pas même en déroute. Elle s’est assoupie. Le Sud est une somptueuse guenille mitée, faite d’une étoffe hors d’âge et d’un luxe désuet. Le tourisme – de masse – fait plus ou moins tourner la boutique et durer une légende bien trop lourde à porter pour de pauvres épaules latines. Qu’importe. Entretenir le mythe.
 
Par Béziers, Agde et plus encore au Cap d’Agde, on rencontre cette sorte de foule estivante : papa-maman-les-enfants, la gentille famille française, une autre fable, la projection d’un idéal qui n’a plus cours que dans l’imaginaire collectif. La République bourgeoise et française est aussi mitée que le Sud. Elle se vend, à qui paie le moins mal, faire patienter les fournisseurs, régler les notes les plus urgentes. Et par bonheur l’été, les vacances, un peu d’oubli, l’autoroute du soleil, son bitume fatigué, ses installations usées et la fameuse sculpture en vieux design eighties’ : Les Portes du Soleil. Je ne connais pas de plus belle route à la déroute. Ce Sud sera peut-être la réponse, l’abandon de nos idéaux universalistes, grandeur passée. Assis sur un fauteuil, tapisserie éfrangée, presque absent à soi, la pénombre d’une chambre, un mas silencieux, il est permis de s’imaginer tout petit et de réinventer cette culture à sa mesure.

mercredi, août 14, 2013

Coming out teutonique



La Montagne magique, début de lecture, l’assurance de quelques semaines en compagnie du grand Thomas. Et déjà l’évocation de cette bonne vie allemande à travers le personnage de Hans Castorp, le jeune homme « moyen », le jeune patricien hambourgeois avec son physique agréable d’homme du Nord, sa nonchalance et ses bonnes manières, ses principes d’hygiène et sa pudeur.

J’aimerais tant me reconnaître dans cette figure d’une si belle banalité allemande. Qu’importe si le personnage s’avère être niais, sans malice, j’y vois encore une vertu germanique, cette belle franchise un peu carrée, conçue par les tenants de la culture latine comme un manque de finesse patent. L’imagerie populaire, la caricature nous peignent une Allemagne rustaude en casque à pointe. « Thomas Mann », « Hambourg », « bonne vie allemande » m’évoquent l’idéal wilhelminien, la société de 1870 à 1914, l’extrême fin XIXème dans son miracle et sa perfection, le modèle à suivre, le modèle que nous avons perdu de vue.

Je parle en … auteur allemand, de langue française. L’étiquette semble étrange, toutefois elle recouvre au mieux ma sensibilité littéraire, mes convictions sociales, mes goûts et mon univers symbolique. Considérez, chers lecteurs, ce billet comme mon « coming out teutonique »




samedi, août 03, 2013

Impression de Copenhague

Scène du Théâtre en plein air, Tivoli
Surprendre le lever entre les rideaux de soie rebrodés, une chambre à Copenhague, les fenêtres à petites espagnolettes, comme du temps du roi Christian. Surtout surprendre le lever du jour à cause du chant des oiseaux et jouir de cette paix du nord dans une chambrette accueillante. La ville est sous le charme d’une imperceptible brume, profiter de l’instant pour rêver les yeux ouverts à la vie d’ici. La ville se révèle et s’invite dans le roman sur lequel je travaille à présent.

« … Steve va retrouver le petit garçon qu’il était alors et lui demande d’ouvrir les yeux, les autres yeux, ceux qui voient et permettent de savoir. Il l’emmène, lui fait grâce de la centrifugeuse et de l’effroi du monde suspendu. Il le prend par la main et ils vont faire quelque chose dont ils n’ont jamais eu l’habitude. Ils vont dans un merveilleux parc d’attraction de leur côté de la réalité; ils vont à Tivoli, par une fin d’après-midi, été danois, une foule aimable, cette belle présence au monde. Ils regardent tous deux le grand huit, le tapis volant, l’ascenseur à air comprimé, les moulinets d’une sorte d’avion au bout d’un bras articulé. Ils regardent au travers de douces larmes d’émotion. Ils observent curieux et attendris les canards, les pigeons, deux oies et leur couvée duveteuse. Ils s’assoient sur un banc, près d’un bassin, ils n’ont pas envie de glace. Il y a, à côté d’eux, la maison de Petzi, un manège pour les tous petits. Ils aimeraient bien mais n’osent tout de même pas. Ils ont tout vu du parc, veulent sortir discrètement par un portail dérobé, la voie n’est pas praticable. Ils devront passer par le porche monumental et devant le théâtre en plein air où la surprise d’une pantomime les arrête, une Cendrillon version Arlequin et Colombine. Ils n’oublieront jamais les toiles peintes qui se déroulent à vue, les tableaux, les acrobaties ni le public bon enfant, si loin du pathétique mi-sordide dans lequel ils baignent dans leurs quotidiens. Il faut voir les numéros défiler, Cendrillon et ses fouettés enchaînés entre deux danseurs de Capoeira, un « moonwalker » et un hip-hop. C’est le monde en gentil qui s’offre à eux, c’est une création façonnée par des enfants éternels. Steve a raccompagné celui qu’il était alors jusqu’à son lit, sa chambre aux tapisseries déchirées, le désordre plus ou moins maîtrisé en cartons affaissés, le couvre-lit vert à volant et motifs ridicules soigneusement replié, au pied du lit. Un jour, quand il sera grand, petit Stevy retournera à Copenhague, à Tivoli, pour se rappeler qu’il n’était pas seul, qu’il ne sera jamais seul et que, de loin en loin, Steve ou d’autres Steve veilleront toujours sur lui. Ils reviendront régulièrement l’emmener vers tous ces ailleurs qui le feront grandir et lui permettront de choisir sa vie. »

jeudi, juillet 25, 2013

Letzten Nachirichten aus Berlin


St Matthias am Winterfeldplatz
Berlin, ma Berlin, le refrain est connu. Cela fait dix ans que j’entretiens une relation avec cette ville, qu’elle m’offre décors et situation à mon travail littéraire. Il y a les textes déjà publiés et ceux qui sont en attente de publication « La Galeriste », « Un après-midi d’été couvert », « Dernier Vol au départ de Tegel ». Je ne suis pas prolixe, je tente de transcrire tout l’indicible qui résonne par les rues, par les parcs au coucher et la nuit. Cette fameuse nuit berlinoise qui possède une épaisseur, une densité, un parfum, une présence et qui enveloppe les habitants – parmi lesquels je me compte – d’une sorte de vêtement magique et réparateur. Toutefois, la magie a ses limites et le charme se réduit, la nuit berlinoise est dérangée par tous ces innombrables chantiers qui veulent faire de la ville une capitale comme une autre, c'est-à-dire rien ! Je vois bien que les choses ont changé en dix ans, elles n’ont pas évolué selon mon goût ni mes attentes.

La disneylandisation de l’ex-est rend les trottoirs en période de vacances scolaires infréquentables. Toutefois, ma Berlin est devenue irréductible. Après dix ans de relation, je l’ai vue s’empâter, se rider, se maquiller avec excès et s’embijouter comme une rombière de sortie. Après dix ans, ce n’est plus une passade, c’est une relation matrimoniale et je ne cesse de superposer à l’état actuel de la ville les images que j’ai conservées de nos débuts. J’ai vu disparaître des dizaines de cafés et de commerces affectionnés, ruinées des perspectives, gâtée une certaine vision urbaine mais la Viktoria-Luise Platz, la Ludwig-Kirch Platz, le Kant Café, le Café Einstein, Hasir, la Winterfeldplatz, les quais de Alt-Tegel, le Kino International et toute la Karl-Marx Allee sont restés intacts. Pour la Karl-Marx Allee, il y a même amélioration, la chaussée a été réparée et les gigantesques lampadaires de béton moulé avec leurs lanternes de plus d’un mètre cinquante ainsi que les façades néo-soviétiques des bâtiments ont été restaurés à l’identique.

Berlin, ma Berlin, tu m’offres encore de belles soirées à la terrasse du Potemkine, ou de beaux instants dans tes cinémas, comme ce soir, au Kunstfilm 66, une salle près de Savigny Platz. J’y ai vu « Adieu Paris », de Franziska Buch, une histoire presque trop belle, un peu artificielle mais pas moins que mon idée de Berlin. Je ne dois pas oublier la messe à la Sankt Ludwig Kirche, le dimanche à midi, le prêche de prêtres franciscains, et ce moment recherché, lorsqu’à une heure très avancée, j’arpente la Winterfeldplatz, hypnotisé par la silhouette de Sankt Matthias, son clocher, une ombre magnifique et inquiétante à la façon d’une toile de Carl Gustav Carus.

samedi, juillet 13, 2013

Retour de Bruxelles



Par les rues de Bruxelles

Une envie de faire des infidélités à Berlin m’a pris, direction Bruxelles, en souvenir d’un voyage plaisant que j’y avais fait il y a plus de dix ans. Je n’ai rien retrouvé – ou si peu – de ce qui m’y avait plu. Je pense que, si j’avais été un étranger à Lausanne, revenu dans la capitale vaudoise après un premier séjour il y a plus de dix ans, je n’aurai pas été moins déçu ! Mais revenons à Bruxelles.

Etat des lieux. La ville est sale, désorganisée, ses transports pourraient être efficaces si gares est stations étaient plus accessibles et si l’utilisateur occasionnel  pouvait trouver plus souvent, voire même posséder, un petit plan schématique des lignes de métro et de tram. Et je ne parle même pas des bus. Autre problème, les arrêts, à l’intérieur des voitures ne sont pas clairement signalés. De plus, on cultive à Bruxelles le goût du labyrinthe, particulièrement dans les stations accueillant  conjointement des lignes de tram et de métro ; les chemins menant à l’un ou l’autre de ces modes de transport sont étanches, à savoir, votre station, une fois que vous y êtes, ne se présente pas sous la forme d’un vaste hall avec un accès métro et un accès tram (étonnement, les grandes lignes de tram sont souterraines dans la capitale belge !?) selon la bouche de « métro » de votre station (et consécutivement de tram aussi) empruntée en surface, vous accéderez soit à l’un ou à l’autre, ou aux deux. Le piéton n’est pas en reste dans ses difficultés. Les noms des larges boulevards et avenues sont indiqués une fois de temps en temps. Il n’est pas rare qu’au sortir d’un transport, vous soyez obligé de parcourir cinq-cents mètres avant de trouver une plaque vous signalant que vous êtes à l’opposé de là où vous vouliez vous rendre. Au chapitre de ce qui manque, on peut encore ajouter : des boulangeries et des tea-rooms. En deux jours dans le « pentagone » (centre de Bruxelles de forme vaguement pentagonale), je n’ai rencontré que 2 boulangeries et trois ou quatre cafés qui s’auto-intitulaient « tea-rooms » sans pour autant correspondre aux critères propres à ces lieux.

Ce qui ne manque pas, ce sont les poubelles qui débordent, les paumés et autres laissés pour compte en roue libre et en état d’ébriété. Difficile de trouver les « beaux quartiers » et quand vous y êtes, vous foulez un pavé que les herbes folles descellent et longez des façades fatiguées certainement d’avoir attendu le retour improbable d’une bourgeoisie brillante. On ne compte plus, non plus, les boutiques en liquidation, les arcades commerciales vacantes, les avis de vente ou de location qui pendent ça et là aux fenêtres d’appartements inoccupés.  Et, parmi cette déconfiture, le diocèse incapable d’entretenir et de rénover son patrimoine immobilier évoque à mots couverts la possibilité de « désacraliser » l’une ou l’autre de ses églises à Bruxelles afin d’en vendre les bâtiments.

Ce laisser-aller général, ce désinvestissement social n’est que la conséquence du communautarisme qui ronge la ville. Il y a, soit, le clivage wallons-flamands mais il y a d’autres communautés qui semblent ne pas vouloir se mêler au tout, comme une mayonnaise qui « tranche », et les fonctionnaires européens ne sont pas les derniers dans ce jeu de déni de Bruxelles. L’une des rares rues « habitées », la rue du Midi, est colonisée de bobos en tongs de marque qui s’affichent comme des publicités racoleuses sur des terrasses où ils dégustent de la crêpe au fromage de chèvre bio. Rajoutez à ce navrant tableau une disneylandisation des sites historiques avec flux constant et quasi boueux de touristes en car et il ne reste plus grand’chose de cette capitale  singulière.

Pourtant, la visite de la Grand-Place est toujours aussi prenante. L’impression est encore plus magique de nuit, on arrive même à faire abstraction des trop nombreux groupes de jeunes visiteurs ivres et braillards comme il se doit. Il y a aussi ces points de vue sublimes sur un paysage urbain néo-babylonien sitôt que l’on prend un peu de hauteur. Il y a eu la bonne surprise d’un restaurant bulgare, « La vieille Maison » au coin de la chaussée de Waterloo et de l’avenue Brugmann. Il y a encore le parc royal, le jardin botanique et le parc du Cinquantenaire, il y a une certaine langueur à la fin du jour, due à une lumière si pure que l’on se promet de, tout de même, revenir une prochaine fois.

vendredi, juillet 05, 2013

La morale selon Theodor Fontane


Etre un autre en regardant simplement par la fenêtre, debout, appuyé au chambranle, le génie de l’instant, un voisin qui écoute du jazz et qui a un goût très sûr. La vue n’est pas anodine, une vue à la Adolph Menzel, une trouée sur le port, le lac, les Alpes. En point de visée, la girouette plantée à l’extrémité du toit à trois pans, en contrebas. Et une lumière belle à pleurer, dorée, idéale, la douceur de la fin du jour. Des voiliers rapides glissent le long de la côte, ma plume – oui, une plume-réservoir, mon portable a par bonheur exigé une longue mise-à-jour – ma plume glisse sur le papier avec autant d’aisance. Et je pense à Fontane, surtout connu pour son roman « Effi Briest » mais il y a « Errements et Tourments », « Jours disparus », « Frau Jenny Treibel ». Je suis un peu l’un ou l’autre des personnages de l’œuvre fontanienne, des caractères contemplatifs et résignés mais sans indolence ou, pire, pusillanimité. Je suis Mme Nimptsch qui tantôt regarde son âtre ou observe la vue au dehors alors que, accoudé à la tablette de cuivre de ma fenêtre, perdu dans la contemplation de la lumière – je voudrais la boire – j’aurais voulu être un héros de roman à la Sagan, bronzé et pieds nus dans des mocassins de cuir souple. Je n’ai pourtant que Fontane qui me vient à l’esprit, sa sentimentalité délicate, ni trop romantique, ni trop sèche. J’adhère totalement à sa morale « résiliente », le respect du rôle selon son rang social, l’attachement aux normes en cours non pas par conformisme mais par délicatesse, par altruisme. Chez Fontane, les amours malheureuses ne sont pas orageuses ; elles donnent de la profondeur à ceux qui en souffrent et les forcent à s’expliquer à part eux-mêmes quant à leurs choix de vie. Je ne serai jamais un héros de roman à la Sagan, je peux me rapprocher parfois de la psychologie d’un héros à la manière de Julien Green et je n’ai pas l’esprit suffisamment provincial pour jouer les Bovary.

Tous les voiliers sont rentrés au port, le jour glisse insensiblement ; je suis revenu vivre à M***, la bonne ville … de province que j’ai honnie à vingt, vingt-cinq, trente ans, jusqu’à il y a peu. Je n’avais pas compris que j’étais une Mme Nimptsch, un Botho, ou un Holk, ou même un Pr. Schmidt. Mon ordinateur portable a fini sa mise-à-jour, la Dent d’Oche rosit, je vais quitter le chambranle de la fenêtre et m’asseoir dans la pénombre, à l’intérieur.  

jeudi, juin 27, 2013

Oh Boy


Niko Fischer alias Tom Schilling
Revenir sur Berlin, sur sa tendresse maladroite, sur la puissance de sa commisération et s’échapper du décor préromantique que composent Morges, les quais, la somptueuse campagne alentour. Revenir … retourner à l’urbanisme brouillon, au désordre perpétuel de la ville chantier, aux balafres guéries mais marquées. Revenir à cet état d’exception que Jan Ole Gerster a su capter dans son dernier film « Oh Boy ». Récit de la vie d’un jeune homme berlinois qui, en dépit des apparences, ne part pas à la dérive ; vingt-quatre heures de la «relation » de Niko Fischer à Berlin. Celui-ci est presque sans attache, étudiant démissionnaire, sa petite amie l’a quitté à cause de son indécision, son père lui coupe les vivres : à la limite du déclassement social.

Un rien d’ironie, la charge reste légère, les travers de quelques bien-pensants sont épinglés. A savoir : la fille avec une conscience civique, l’intello de gauche, une ex-obèse revancharde, une tripotée de jeunes semeurs imbibés. A l’opposé, il y a les vivants douloureux, des abîmés qui traînent leur croix avec leur humanité. Niko, depuis son entre-deux, fait plus que les voir, il les regarde. Il y a son voisin, le désarroi de celui-ci face à sa femme malade, sa solitude ; il y la susmentionnée ex-obèse, une petite fille sensible lorsqu’elle n’est pas en mode vamp vindicative, il y a aussi le vieil ivrogne et le poids de sa conscience. Et partout, autour, il y a la consolation qu’offre la ville blessée, sa pitié au sens chrétien et le lever du jour sur Berlin, le plus beau témoignage d’espoir que je connaisse.

La petite ourse se préoccupe du plus humble de ses oursons ; Jan Ole Gerster a aussi dû sentir une patte bienveillante sur son épaule. Il a débarqué à Berlin en 2000 et n’en est pas reparti. Notre réalisateur a su lire entre les plans grandioses de la nouvelle capitale fédérale. Il y a vu un havre pour les cabossés de l’existence et un lieu de souvenir, de commémoration. "Oh boy", à voir encore en salle en ce moment.

samedi, juin 22, 2013

Littera ex-machina


Participé à une performance, Littera ex-machina, des musiciens, entre acid jazz et Schönberg, de l’inspiration et la feuille blanche, sur une machine à écrire. Il ne reste plus qu’à taper puis lire le texte ou le faire lire par l’un ou l’autre des organisateurs. Le résultat de l’expérience suit, textes produits au débotté.
L’interpellation
Berlin, sur du vieux matos, et pour la seconde fois, étrange sensation, retour ou quoi d’autre ? Là où la mécanique retrouve une forme … une sorte de lyrisme sauvage et naturel, un mouvement répétitif et … répétitif. Comment commencer ? Pas moyen de revenir en arrière, narrer, retranscrire, raconter comme une trace indélébile.

Tout aurait pu commencer comme ça, en pure mine de rien, la petite musique de la banalité. Comment ça allait déjà ? Il fallait suivre son idée, la transcrire dans un code pratique, paraît-il, puis la facture de la chose, du quasi fait main, avec des menus incidents et des « ding », en fin de course. Ça fait penser à du Sagan, ne manque plus que le cabriolet pour conduire pieds nus et boire, trop boire. Tant pis pour les coquilles, il n’y a plus qu’à les assumer, il restera toujours des preuves. Le bruit, le martèlement industrieux évoque pourtant une société performante et cadrée. Le joli mythe de « tout roule comme il faut ». Il suffira de regarder au fond de la corbeille, trouver la preuve, toutes les grandes énigmes se résolvent par la poubelle.

Berlin su du vieux matos, ou Bordeaux, Barcelone, Bienne, de préférence une ville en B, c’est ainsi, l’une des règle du mythe. Tant pis aussi pour les villes en L, M ou P, Berlin comme jamais, sous les gravats des projections imaginaires et fantasmatiques. C’est toujours mieux sur du vieux matos.

 
La galeriste
Second flush, avec style, c’est quasi du velours, le thé de qualité a beaucoup d’accointance avec le très bon vin. Pour reprendre le fil du récit, ça devait se passer en 81, après l’élection de Mitterrand, ce devait être un soir d’été, une soirée odorante, pleine du cri des martinets et encore plus pleine de promesses. Il s’appelait Steeve, et elle n’avait pas de nom. Il faisait doux, une haleine quasi humaine soufflait sur la ville et ses faubourgs, il fumait au balcon. C’est si bon de fumer ; elle ne fumait pas, les filles de bonne famille, les filles qui ont le souci de leur éducation ne fument pas. Elles lisent « Adrienne Mesurat » avec un effroi contenu. Mitterrand était-il lecteur de Julien Green ? Il avait sûrement dû lire « Chaque Homme dans sa nuit ». Pour revenir à cette soirée de 81, l’été et pourquoi pas l’amour ?

lundi, juin 17, 2013

Imitations et confidences


Patrick Sébastien grimé en François Hollande
Vendredi dernier, sur la proposition de Cy, nous avons assisté avec sa tante, sa mère et la mienne au dernier spectacle de Patrick Sébastien, au théâtre de Beausobre. Suprise de voir l’humoriste sorti de la petite lucarne, de constater sa présence physique et quelle présence ! On connaît le hâbleur, le bateleur, le chansonnier double gras mais Sébastien c’est aussi un imitateur de talent, un mime remarquable capable de se glisser dans la peau de ses « cibles » en deux minutes et trois accessoires, que la caricature soit grosse ou filiforme, juvénile ou limite grabataire, qu’importe, le mime Sébastien devient son imitation.

Le verbe est vitriolé, fleuri et même vert, et la vérité cinglante. Le satiriste est encore plus talentueux que le mime ou le comique. La politique est décortiquée, passée à la moulinette en deux quatre sept : pas de préférence. L’homme public Sébastien avoue toutefois des amitiés, des connivences, des tendresses. En fin analyste de la République, il a croqué quatre à cinq de ses présidents, mention spéciale à Jacques Chirac, un ami. Et des amis, il en compte aussi beaucoup dans le show-biz, tendre évocation des disparus, et des réprouvés, le monumental Depardieu par exemple.

Sébastien paie de sa personne, s’expose et vide son sac. Y a-t-il de la complaisance ? Non, de la coquetterie, un petit rien un peu cabot, le genre nécessaire pour vous chauffer la salle la plus glacée, des méthodes coutumières dans les « Musikantenstadl ». On se lève, on chante, on bat des mains et on est même ému en chantant « La Montagne » de Jean Ferrat. Enfant, tous les matins clairs lorsque je partais à l’école, le calvaire du Petit-Dézaley, je faisais le chemin les yeux rivés sur la chaînes des Alpes rose orange en fredonnant ce refrain Pourtant, que la montagne est belle, Comment peut-on s’imaginer, En voyant un vol d’hirondelles, Que l’automne vient d’arriver.

 Merci de cet excellent moment cher Patrick.

dimanche, juin 16, 2013

Credo



Je crois en la Vertu, le génie de ce siècle,
Créateur de progrès et de compassion.
Et en notre Nature, son héritière légitime,
l’Humanité,
qui est issue de son sein,
et née de la Terre,
a souffert sous Roosevelt,
a été gazée, est morte et a été jetée dans une fosse,
a connu l’enfer
trente ans plus tard s’est relevée de la guerre,
a cru décrocher la lune,
a voulu s’asseoir à la plus haute place,
là où règne la vérité
à la lumière de laquelle toute chose finira pour briller.

Je crois en l’esprit de ce temps,
au doute créatif,
à la logique des faits,
à la rémission des mensonges,
à l’édification d’une Foi sincère,
à une vie libérée
Amen

Et je me considère comme l’ambassadeur de ce siècle, en dépit la critique parfois sévère que j’en fais. Comme le juif errant de la légende qui attend l’arrivée de son messie, jeté sur les routes du monde afin de récolter les poussières de sainteté que le Très-Haut aurait répandu à travers sa création, j’ai collectionné mille petits riens de Barcelone à Berlin, de Bordeaux à Florence, à travers l’œuvre de Thomas Mann, François Mauriac, Julien Green, Flaubert, Fontane, sans parler de la peinture qui me plaît. Et mille autres références, mille nuances du temps dont je témoigne pour ceux qui me lisent ici, ailleurs et bien plus loin peut-être. Je réponds à un appel, mon « sacerdoce » d’auteur.  

mercredi, juin 12, 2013

Vallotton et moi


Vallotton et moi

Coucher de soleil à Grâce, par Félix Vallotton
Vu, peu avant qu’elle ne ferme ses portes, l’exposition Vallotton-Katz au musée des Beaux-Arts. Dialogue surprenant entre les deux artistes qui ne se connaissaient pas, deux artistes dont les œuvres sont distantes de plus de soixante-dix ans. Katz naît en 1927, Félix est mort en 1925. Le plus jeune ne s’est jamais réclamé de son aîné, il le connaissait à peine de nom. Il a pleinement fait connaissance de l’œuvre de Vallotton à l’occasion de la double exposition lausannoise.

Sunset, d'Alex Katz
 Les deux artistes dépassent toute forme de classement, ne sont attachés à aucune école, ou si peu. Ils partagent un regard aigu sur le monde qui les entoure, un regard qui fait d’eux des solitaires, des hommes en retrait, la petite musique de la mélancolie qui m’est si familière. Chez Katz, cette mélancolie a la douceur d’une arrière saison américaine, lumière atlantique, un quelque chose à la Hoper. Vallotton a moins de souffle, sa douceur est souffreteuse, retenue et porte sur mille petites choses domestiques. Vallotton aime la grande ville, son anonymat, sa vie intellectuelle mais il a besoin de la paix d’un certain nombre de campagnes choisies, de villégiatures de vieille fille. Il a laissé un journal, interprété de manière très conventionnelle par des « experts » qui ne veulent pas lire entre les lignes.

 Vallotton est des plus pudiques quant à son intériorité, ses sentiments. Aujourd’hui, il serait  transparent car incapable de vomir ses états d’âme sur un plateau télévisée ou dans la presse « people ». Sa pusillanimité ne ferait pas recette. Je m’interroge quant à mon illustre cousin, je le comprends sans la moindre parole et, surtout, sans le moindre commentaire autorisé. J’ai très envie de documenter son parisianisme, laisser parler la sensibilité de l’homme, entendre ce que je crois percevoir dans ses toiles, une biographie de Vallotton par Vallotton.